Chapitre un

Contexte : Cette fanfiction se déroule pendant la saison 4 de Buffy The Vampire Slayer, juste après l'épisode « La fin du Monde / Doomed ». Si vous ne connaissez pas l'univers de Buffy, ou si vous en êtes aux saisons précédentes, arrêtez ici votre lecture car vous risquez d'être spoilé. Au moment qui nous intéresse, Buffy est en couple avec Riley. Willow est seule et brisée, car Oz l'a quitté quelques épisodes auparavant, toutefois elle a recontré dans l'épisode précédent Tara, une jeune sorcière avec qui le courant passe très bien . Les deux amies sont à la Fac, contrairement à Alex qui est embauché comme ouvrier sur un chantier. Il sort avec Anya, l'ex-démone. Spike, quant à lui, ne peut plus attaquer aucun humain à cause de sa puce électronique. Il s'est joint au Scooby-gang pour leur donner des informations, puis il a découvert qu'il pouvait tuer les démons sans douleur aucune. Il les combat donc en compagnie de Buffy pour assouvir son besoin de violence.

Avertissement : Cette fic contient les éléments de l'univers de Buffy. La violence et les relations sulfureuses entre personnages (du même sexe ou non) sont donc évoquées (dans les chapitres suivants) . Il n'y aura vraiment rien de méchant, toutefois si vous êtes fondamentalement contre de tels écrits ou si vous êtes facilement impressionnable, vous pouvez tout à fait choisir de ne pas continuer votre lecture.

Spike saisit par les jambes le démon Bargoth qui, après avoir été frappé violemment par la Tueuse, refluait dans sa direction. Entraînés par l'élan du monstre, tous deux roulèrent à terre. L'adversaire possédait une force colossale, mais Spike refoulait sa colère depuis trop longtemps. Au milieu de la mêlée, il agrippa les cornes du démon, et les tourna violemment vers la gauche de toutes ses forces. Un craquement sinistre retentit : les cervicales étaient brisées. Dans ses dernières convulsions, le pied de Bargoth heurta une pierre tombale qui vola en éclats. Le vampire se releva et épousseta sa cape. Il ressentait du plaisir à massacrer, il vivait pour ça, c'était ce qu'il était. La tuerie était le seul acte dans lequel il s'épanouissait pleinement, dans lequel il se sentait presque heureux et oubliait la condition misérable dans laquelle il était depuis quelques semaines à cause de ces enfoirés de l'Initiative.

« Ceux-là, qu'ils aillent à Dieu ! », pensa-t-il.

- Eh ben, celui-là n'a pas fait long feu. Y'en a pas un autre en réserve ?

- Non, Spike, répondit Buffy, on rentre. Essaie de contenir ton agressivité jusqu'à ce qu'on rencontre un autre méchant, ok ?

Elle présentait un énorme hématome à la joue droite. Quand elle le tâta, elle grimaça et s'exclama :

- Oh, quelle horreur ! J'espère que Riley ne me verra pas comme ça !

- Et moi, j'espère qu'il te verra, qu'il te jettera, et qu'on sera enfin débarrassés de ce crétin de militaire, répliqua Spike. Enfin quoi, tu sors quand même avec un des types qui m'ont dénaturé !

- Spike, tu n'as rien à faire dans ma vie privée, et si tu reparles encore comme ça de Riley je te fais un bleu aussi beau que le mien.

- Oh, bon, bon d'accord, on se calme, Tueuse !

Le vampire soupira. Il éprouvait du plaisir à faire ressentir sa frustration aux autres en se moquant d'eux et en les insultant, mais il n'était pas prêt à recevoir un coup pour cela. Se moquer, insulter, que pouvait-il faire d'autre à présent ? Il fallait se rendre à l'évidence, William le Sanglant n'était plus. Buffy et lui atteignirent la crypte derrière laquelle Willow et Alex étaient restés en retrait.

- Ouh Buffy, quel bleu !

- Ne t'en fais pas, Will, je survivrai.

- Malheureusement !

- Boucle-la, Spike !

La dernière phrase venait d'Alex, évidemment. Et dire qu'il devait passer chaque nuit enchaîné dans son fauteuil, à regarder ce type dormir ! La révolte entra en lui. Il s'avança d'un air menaçant vers le jeune homme.

- Alors, boucle-la, c'est ça, c'est tout ce que moi je mérite ! Mais vous êtes bien contents d'avoir quelqu'un pour vous sauver la peau, quand un démon s'amène !

- Oui, on est bien contents que Buffy soit là !, reprit Alex d'un air ironique. Et qu'est-ce que tu vas faire, pauvre type ? Me frapper ? J'ai peur, tu sais…

C'était plus que Spike n'en pouvait supporter. Il s'avança vers ce morveux qui avait un air tellement, méprisant, tellement sûr de lui… Il brandit son poing crispé et l'abattit. A côté, cette écœurante Tueuse fit un pas pour intervenir. Mais elle n'en eut pas le temps. A mesure que le poing approchait du visage, le vampire scrutait le visage d'Alex. Il voulait lire la peur dans ses yeux, il voulait l'entendre appeler à l'aide, il voulait le voir pleurer en implorant une mort rapide. C'était ce que les humains avaient toujours fait face à lui, ces cent vingt dernières années. Mais rien de tout cela n'arriva. Avant que le contact se fasse, Spike sentit une horrible douleur lui fendre la tête, comme si son cerveau prenait feu. Il tituba et tomba en arrière, la tête dans les mains. Willow s'approcha d'un air inquiet.

- Spike, Monsieur Spike, … , ça va ?

Les réponses fusèrent, simultanées, de la part de Buffy et d'Alex.

- Laisse-le, il n'a que ce qu'il mérite, c'est un monstre.

- Attends … Il vient d'essayer de me refaire le portrait et tu lui demandes si ça va ?

C'en était trop. Laisser cette bande de minables jouir de sa douleur, les laisser le contempler à terre… Le vampire hurla :

- PARTEZ ! Partez tous, laissez-moi !

Buffy haussa les épaules et entraîna les deux autres à se remettre en route.

- Comme tu voudras. Tu connais le chemin.

Le bruit de leurs pas diminua peu à peu jusqu'à s'évanouir totalement dans la nuit. Spike se remit debout, et trébucha. Il attendit d'avoir retrouvé ses esprits pour s'en aller, d'une démarche qu'il tentait de rendre assurée. Non, il ne vivrait pas cela. Il ne voulait pas s'intégrer dans cette équipe de perdants, devenir comme eux, un rouage, un maillon de la chaîne, sans éclat et sans saveur. Il y avait cette Tueuse, qui se fichait comme de sa première culotte de ce qu'il allait devenir. Il eut un rictus mauvais. Angel y avait été, lui, dans cette culotte, et pourtant il ne valait pas mieux que lui. Qui d'autre l'exaspérait ? Cela lui faisait un peu de bien de dire du mal mentalement des membres du Scooby-gang. Juste un peu, mais c'était suffisant pour qu'il se jette sur l'occasion. Il y avait aussi Alex, ce sale mioche qu'il ne pouvait même pas voir en peinture. D'ailleurs qui aurait voulu peindre un tel raté ? Ce mec en voulait à toute la race des vampires à cause d'Angel qui avait réussi là où il avait échoué. Il était le seul de la petite bande à ne pas être capable de suivre des études normales. Plus il grandissait, et plus il ratait sa vie chaque année. Mais il avait besoin d'être protecteur envers ses amis. Comme s'il pouvait être utile ! Après ces deux joyeux portraits, le vampire ébaucha mentalement celui de Willow. Une faible, celle-là. Beaucoup trop gentille pour être capable de se rebeller contre le départ de son petit ami, et tellement brisée après cela… C'était cependant la seule pour laquelle il ressentait un peu d'empathie. Alors que tous ses « amis » étaient restés aveugles à sa souffrance, lui, Spike, avait tout de suite vu qu'elle était au bord du gouffre. Il avait lui-même connu trop souvent cette situation pour ne pas la reconnaître immédiatement chez les autres.

« Elle reste tout de même une fille terne, coincée, incapable de profiter de la vie… Un fantôme. », se convainquit-il.

Une intello qui sera toujours rejetée. Avec ces trois-là, il y avait toujours derrière le vieux, le bibliothécaire en fin de carrière. Giles. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait plus aucune autorité sur les autres, ils faisaient juste appel à lui quand ils avaient besoin des infos contenues dans un vieux bouquin. Alors il accourait le sourire aux lèvres, tout content de se donner l'illusion d'être utile. Pitoyable. La seule qui valait quelque chose, dans tout ça, c'était Anya, l'ex-démone. C'était sans doute pour ça qu'elle n'était pas officiellement intégrée dans la gang et qu'elle participait rarement aux recherches et aux patrouilles. Quoique non, elle ne valait pas grand-chose, corrigea Spike. Sortir avec l'autre type…

- J'aimerais tellement vous voir tous, un par un, sans cette maudite puce…

Le vampire blond était le premier à savoir que, tout ce qu'il avait dit sous le coup de la colère, il ne le pensait pas vraiment. Quoique. Peut-être pas si sincèrement ? Si, en fait. Tous des minables, rien qu'un misérables tas de ratés. Bon, il y avait sans doute certaines petites choses qu'il ne dirait pas s'il était de bonne humeur… Mais il était le dernier à l'admettre.

Tout à ces considérations, il avait fait du chemin et était arrivé jusque devant la porte d'Alex. Il prit sa patience à deux mains, à défaut de son courage, et entra. Le jeune homme s'apprêtait à se coucher. Sans un mot, il désigna le fauteuil de Spike, qui s'y assit en soupirant et se laissa attacher de mauvaise grâce. Le pire, c'était de dépendre entièrement du bon vouloir du Scooby-Gang.

____________________________________________________________________________________________________________________

Willow se laissa tomber sur le fauteuil le plus proche. Buffy et elle étaient dans l'appartement de Giles, après leur patrouille nocturne. Son amie se dirigea vers la salle de bains pour contempler l'ampleur des dégâts.

- Celui-là mettra longtemps à disparaître, regretta la Tueuse.

La sorcière rousse était plongée dans ses pensées. Une fois de plus, Alex et elle n'avaient servi à rien. Etait-elle vraiment en mesure d'aider Buffy dans son combat contre le mal ? Lors des patrouilles, elle restait terrée derrière un monument funéraire, ou bien observait à distance… en laissant sa meilleure amie combattre en compagnie de Spike. Si elle voulait rendre service, il fallait impérativement qu'elle rehausse son niveau de magie. Elle fut distraite de sa méditation par un bruit de pas. Buffy était revenue dans la pièce, et s'était assise sur le canapé, en face d'elle. Willow commença une conversation.

- Ca fait longtemps qu'on n'a pas vu de vampires, dis donc. Ces temps-ci, ce n'étaient que des démons.

- Ouais. Je n'aime pas ça, d'habitude les suçeurs de sang sont beaucoup plus nombreux. Peut-être que Spike les a payés ou…

A ce moment de la discussion, Giles choisit d'intervenir.

- Je ne crois pas que Spike ait quoi que ce soit à voir là-dedans. Le plus souvent, ce genre d'évènement signifie une… une sorte de… d'apparition d'une entité démoniaque d'un grand pouvoir, en quelque sorte. Cette entité recherche l'hégémonie, et les démons se sentent appelés à le rejoindre dans son action de conquête. Les vampires, qui sont plus craintifs et ne sont pas des démons à part entière, préfèrent adopter la prudence et une certaine circonspection, ce qui rend leur présence anormalement peu fréquente.

- Giles, ça vous ferait mal de parler comme tout le monde ?

- Enfin, je… je parle un anglais parfait, et certains feraient bien de s'inspirer de ce que je…

- Giles veut dire qu'un démon plus fort que les autres arrivent, que ça excite les autres démons qui veulent lui venir en aide, mais que ça fait peur aux vampires qui ne sont qu'à moitié des démons, coupa Willow. C'est bien ça ?

- Oui, c'est l'idée. C'était pourtant parfaitement clair, et… Je veux dire, merci Willow.

L'Observateur avait surpris le regard amusé et affectueux des deux jeunes filles. Il nettoya ses lunettes. Quand il les remit, Buffy avait déjà repris la parole.

- Bon, eh bien on n'est pas sûrs que cette théorie soit juste. Mais si Superdémon arrive, il suffira de lui botter les fesses !

Willow se leva. Cette simple conversation lui avait remis le moral d'aplomb. Elle sentit une vague d'affection la submerger pour Buffy et Giles. Elle résista à l'impulsion qui lui commandait d'aller serrer ses deux interlocuteurs dans ses bras. Cela n'avait fait que fortifier sa résolution de s'entraîner pour devenir une puissante sorcière. Elle aussi voulait devenir capable de protéger son entourage. Comme Buffy la protégeait avec ses pouvoirs de Tueuse, comme Giles la protégeait avec ses bons conseils et ses discours moralisateurs toujours justifiés, comme Alex la protégeait férocement dès qu'un danger planait sur elle.

- Buffy, Giles, je veux que vous sachiez que je serai toujours là pour vous. Et pour Alex. D'ailleurs en parlant d'Alex, il faudrait peut-être que quelqu'un aille s'assurer que tout va bien entre lui et Spike ?

- Je m'en charge, répondit Buffy.

- D'accord. Eh bien bonsoir, je retourne à la Fac pour dormir.

Elle leur sourit, et elle eut le temps d'entendre un « bonne nuit » venant de Giles. En arrivant en vue du campus, elle remarqua alors à quel point la nuit était obscure. Pour éviter les mauvaises rencontres, elle se hâta de rejoindre le bâtiment éclairé, bien plus sécurisant que le parc enténébré. Elle avança dans les escaliers. Sa chambre, 214, qu'elle partageait avec Buffy, était quelques couloirs plus loin. Elle évitait d'un pas sur le côté les étudiants qui déambulaient encore par cette heure tardive. Mais à un tournant, elle dérapa, lâcha son sac en essayant de se rattraper, et atterrit à plat ventre, son sac répandant ses affaires sur le parquet… aux pieds de quelqu'un. Willow se releva rapidement, confuse, en bredouillant des excuses. La tête toujours penchée vers le bas, elle commença à rassembler ses affaires.

- Excuse-moi, j'aurais vraiment dû faire plus attention, je suis si maladroite…

La fille qu'elle venait de percuter se baissa avec un sourire gêné pour l'aider à remettre en place le contenu de son sac. C'était Tara, la seule vraie sorcière du groupe auquel Willow appartenait.

- Non… Non, c'est autant de ma faute que de la tienne, j'aurais dû m'écarter… B-bonsoir…

- Oh… euh… Tara. Euh… Bonsoir.

Quelques minutes plus tard, presque sans savoir comment, Willow était dans la chambre de Tara, assise en tailleur en face d'elle. Elle inclina la tête d'un air surexcité et chuchota :

- On commence par quoi ?

- Oh, j'ai pensé qu'on pourrait s'attaquer à la … la télékinésie. C'est de notre niveau.

- Génial ! Allez, on y va.

Les deux sorcières se prirent par la main, et fermèrent les yeux pour mieux se concentrer. Un large sourire éclaira le visage de Willow. La main de Tara était douce et chaude, un contact très agréable. Leurs énergies magiques s'accordaient parfaitement. Dans un parfait accord, elles firent danser les meubles en une ronde autour d'elle. Elles étaient parfaitement synchronisées. La sorcière rousse ressentait des frissons de bonheur dans tout son corps. Elle était en train de vivre un moment très intense. Elle ouvrit ses yeux verts. Elle rit doucement en voyant l'armoire, à laquelle des bras avaient poussé, danser un slow avec la table de chevet. Elle ne sut pas exactement combien leur osmose dura, mais une seconde seulement lui sembla avoir passé. Tara aussi semblait heureuse. Willow hésita à prendre la parole pour interrompre un tel moment, mais elle finit par se relever et dire :

- Ecoute… Il faut que je retourne me coucher, maintenant. Mais j'ai beaucoup aimé m'entraîner à la magie avec toi. Vraiment.

- Oh… euh… D'accord. Moi aussi.

Le visage de Tara semblait soudain devenu inquiet, tourmenté. Il exprimait une attente. Alors que Willow allait passer le pas de la porte, elle jeta un coup d'œil en arrière et demanda :

- Eh, Tara… On se revoit demain ?

- Oui, d'accord !

Et un merveilleux sourire s'épanouit sur les lèvres de la blonde. Willow, quant à elle, gravit une à une les marches de l'escalier pour retourner dans sa chambre. Il était très tard, à présent, seuls un ou deux étudiants étaient encore présents dans les couloirs. Elle atteignit la porte sans encombre, se déshabilla en vitesse et se mit dans son lit. A peine avait-elle eu le temps de s'habituer au contact pelucheux de sa couette, que Buffy poussa la porte. Elle sourit en voyant son amie pelotonnée dans les draps.

- Tout va bien côté Alex. Personne ne s'est encore entretué. Bonne nuit, Will.

- Bonne nuit.

Elle éteignit la lampe et se glissa au fond de son lit. Willow se tourna du côté de la porte et sombra rapidement dans le sommeil. Avant que son esprit soit confié pour une nuit à Morphée, elle sourit et pensa à Tara. Puis elle s'endormit, heureuse. Heureuse, pour la première fois depuis qu'Oz avait quitté Sunnydale.

__________________________________________________________________________________________________________________

Assis sur son lit en chemise de nuit, sa lampe de chevet projetant une douce clarté dans sa chambre, Rupert Giles ne dormait pas encore. Il regardait rêveusement sa veste en tweed pendre au porte-manteau, tristement inactive. Aujourd'hui, sa Tueuse avait fêté ses dix-neuf ans. Déjà trois ans et demi ensemble, était-ce vraiment croyable ? A peine. Il avait l'impression d'avoir rencontré Buffy la veille. Et pourtant… Il avait coulé bien de l'eau sous les ponts, depuis, et bien des vampires étaient retournés en enfer par l'action d'un pieu bien aiguisé… ou de toute autre arme moins conventionnelle, mais tout aussi efficace. Mais ce n'était pas grâce à lui. Buffy était devenue une Tueuse forte et magnifique. Il y avait sûrement contribué, à sa manière. Mais il avait à présent l'impression d'être hors-jeu, dépassé. Le Scooby-gang ne prenait plus d'instructions de lui, l'écoutait à peine. Ce soir, il n'avait pas participé à la patrouille. Il était trop vieux, c'était dangereux.

« Je suis un fardeau, surtout »

A une autre époque, celle de ses vingt ans, c'était lui qui aurait pourchassé le démon Bargoth. Il se prit lui-même sur le fait, en train de ressentir une certaine jalousie pour Buffy. Elle mourrait vite, c'était triste. Mais elle mourrait en train de défendre le monde, de le sauver peut-être une nouvelle fois. Elle serait peut-être dans le meilleur rôle, après tout : celle qu'on pleure, et non pas celle qui pleure de n'avoir rien pu faire, de n'avoir pas été là, d'avoir été incapable d'intervenir, d'avoir été trop vieille. Elle ne porterait pas le fardeau de la vieillesse, jamais. On la privait de sa jeunesse. On la privait de sa vieillesse. Mais on lui donnait des opportunités. Buffy, même si elle mourait le lendemain, aurait plus accompli en quelques années que Giles dans sa vie entière. Tandis que si c'était lui qui décédait…

« Elle a fait des choses sublimes. Elle mérite d'être pleurée… elle. »

Et lui, qu'avait-il fait ? Au temps de sa jeunesse, il avait pu, lui, en disposer comme il le souhaitait. Et il avait formé un club d'adorateurs du démon Eyghen. Il essayait maintenant de se racheter, mais il n'était pas écouté. Tant pis pour lui. Il était le dictionnaire du groupe, l'homme poussiéreux qui sert uniquement à déterrer des informations dans des livres que personne n'a consulté depuis 1560.

« Pendant ces trois années, ma relation avec Buffy a-t-elle évolué ? Je la vois comme une fille, me voit-elle comme un père ? Ou simplement comme un chômeur spécialisé en démons ? »

Allons, il ne fallait plus penser à tout cela. Ca le détruisait. Et pourtant, il le sentait, le temps des remises en questions était venu. Il fallait qu'il laisse sa Tueuse se débrouiller seul. Non, il ne fallait pas. C'était sa Tueuse. Il était son protecteur, il devait veiller sur elle, c'était son devoir.

« Je ne suis plus protecteur de rien du tout. Le Conseil m'a retiré ce rôle ».

La situation était intenable. I allait sans doute devoir quitter la ville. Ou peut-être devait-il s'investir plus ? Il ne savait encore, mais tout plutôt que ce mélange d'inactivité et d'activité, cette médiocrité latente qui lui faisait sentir à quel point il était inutile.

« Allons, il faut le reconnaître, ce n'est pas grâce à moi que Buffy est devenue une Tueuse si exceptionnelle. »

Non, c'était grâce à ses qualités, à son âme. L'Observateur (car malgré tout ce que pouvait dire le Conseil, il se considérait toujours comme tel… pour l'instant) se dirigea vers le meuble-bar, et en sortit une bouteille de whisky. Il prit également un grand verre propre, et le remplit. Il le but cul sec.

« Peu importe. J'aviserai… demain. »

Il retourna dans sa chambre à coucher, souleva ses draps et s'installa dessous. Il sentait presque le poids des années peser sur lui à travers sa housse de couette, dans une tentative pour l'étouffer. D'un geste fatigué, il ôta ses lunettes de son nez, les nettoya machinalement, les replia et les posa sur la table de nuit. Frottant ses grands yeux verts troublés, il éteignit la lumière.