Hellooooooooooo!
Fichtre, comme ça fait longtemps que je n'ai pas mis la souris sur ce site! J'en étais même à croire que je n'y reviendrai plus, n'ayant plus :
- le temps
- l'inspiration
- la foi en ma capacité à écrire
Et pourtant… il a fallu que je tombe sur ce petit anime sans prétention qu'est Noragami pour me sentir prise d'inspiration et de scénarios tournoyants dans la tête.
C'est donc avec la passion (et j'espère, encore un semblant de skill) que je remets le couvert après tout ce temps de silence.
On reprend les bonnes vielles habitudes?
¤ Genres ?:Pas de genre précis. Je reste dans l'ambiance de base de l'anime
¤ Sérieux ou portnawouak ? : Sérieux. Je HAIS toujours autant l'OOC. OK, le premier chap peut paraître un peu… à côté de la plaque mais c'était pour faire introduction.
¤ Pairing ? : Yato x Hiyori FTW! Que cet anime est frustraaaaaaant!
¤ Ca dure longtemps ? : On va dire dans la moyenne de mes histoires à durée moyenne XD
¤ Repère temporel ? : Après l'anime.
¤ Reviews appréciées ? : Surtout pour savoir si j'ai beaucoup rouillé. Ca m'angoisse énormément ç_ç
¤ Autre chose à déclarer ? : Je sais que Noragami existe en manga mais à aucun moment, je n'ai eu accès à ce dernier. Mon scénario vient à 1000% de mon cerveau. Alors, si ma vision de certaines chose diffère de la réalité scénaristique de Noragami, désolée!
ELEVATION
Chapitre I : Yato Hosting
C'était une journée en plein cœur de l'automne. Le gris rude et froid des buildings et des ruisseaux de goudron sombre qui s'entrecroisaient en une toile d'araignée fumante et ronronnante se ponctuait ici et là de chaudes couleurs mordorées, rouges et safranées. Depuis le ciel, lors des levées de vent, les trainées de feuilles qui tournoyaient se mêlaient en une poudre étrange éphémère avant de disparaitre aussitôt, évaporée et perdue dans l'urbanisme routinier. Le ciel restait clair et le soleil froid en journée, mais à son déclin, il se parait de son scintillement le plus noble ; un orangé percé de rayons d'or qui rebondissaient sur toute surface réfléchissante. Un paysage à la fois simple et surnaturel, en soi un paysage en adéquation avec l'une de ses spectatrices de l'instant.
Arrêtée au bord d'un petit canal qui murmurait de doux clapotis, une jeune fille d'environ seize ans contemplait les paillettes brillantes que le soleil du couchant lui offrait à la surface de l'eau. Moyennement grande, la silhouette svelte mais avec une sacrée détente, des cheveux longs chocolat flottant dans son dos au gré de la brise fraiche, elle ressemblait à n'importe quelle lycéenne de son âge. Il n'en était pas tout à fait ainsi. Derrière ce regard couleur fuchsia perdu dans le vague de ses pensées, il y avait un secret. Et ce secret, Hiyori Iki ne pouvait pas le nier.
Elle cligna des yeux et se retourna pour jeter un rapide coup d'œil au bas de son dos. Non, sa queue - ou plutôt sa ligne de vie, terme politiquement exact - n'était pas sortie sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle soupira de soulagement.
_ Pourvu que ça dure...
Il fallait dire que cette "petite particularité" ne lui avait valu que "quelques petites conséquences". Oh, trois fois rien. Juste de devenir une semi-ayakashi coincée entre le monde des humains et le monde spirituel - appelé l'Autre Côté - , se faire embarquer dans des histoires plus ou moins dangereuses de divinités et accessoirement, passer pour une narcoleptique aggravée quand son "moi" surnaturel décidait d'apparaitre, le plus souvent sans crier gare. Rien ne désespérait plus Hiyori que de découvrir son corps gisant par terre à dormir comme un bébé alors qu'une autre partie d'elle était bien là, incapable d'interagir comme elle le souhaitait avec son environnement.
Elle remonta la bandoulière de son sac sur son épaule et se remit en route. Ses yeux lui faisaient voir de drôles de déformations devant elle à cause de la trop forte luminosité engrangée.
_ Tout de même, il ne s'est toujours pas occupé de cette histoire de queue, pensa-t-elle à voix basse.
Ce "il" en question, l'involontaire responsable de son état, elle ne l'avait pas beaucoup vu ces derniers temps. Il était constamment en train de courir à droite et à gauche pour cumuler les petits jobs - quand il n'était pas en train de taguer son numéro de portable n'importe où dans l'espoir de rameuter davantage de clients potentiels. Il n'arrêtait plus et il était difficile de le croiser. D'ailleurs, la jeune fille ne comprenait pas. Pourquoi une telle course aux pièces de cinq yens? Il en avait pourtant une pleine bouteille en guise de tirelire autrefois. Où était passé tout l'argent qu'il avait si durement acquis? Hiyori ne se souvint pas vraiment de la réponse quand elle lui avait posé la question. Il avait eu une expression étrange, presque embarrassée, et avait grommelé quelque chose comme "Ne t'occupe pas de ça, ça va aller". C'était juste après l'histoire avec Rabô et Nora, il y avait un mois de cela. Cette affaire avait fait pas mal de remue ménage et il avait été...
_ Oh? Ne serait-ce pas Hiyori ?
_ Hiyoriiiiiii !
Notre amie se retourna avec un sourire aux lèvres. Enfin ! Cela faisait longtemps ! La première voix était celle de notre "il". Il s'agissait d'un jeune homme grand et élancé dont le survêtement noir qu'il portait ne rendait guère service à sa prestance et encore moins à son titre. Sa jeunesse semblait s'être perdue dans la fin de l'adolescence et le lisse de son visage se contrastait dans la couleur nuit de sa chevelure et le bleu céruléen de ses iris. Ses yeux étaient sans doute les seuls témoins honnêtes de cette personnalité aux multiples facettes qu'était Yato, divinité mineure en recherche intensive (maladive?) de reconnaissance et d'attention. Presque toujours enjoué et plaisantin, Hiyori avait pourtant déjà vu ce regard se durcir de froideur ou plisser de peur. Mais en cette fin d'après-midi, pas de doute, Yato était paré de son humeur joviale. Un grand sourire illuminait son visage au point qu'elle ne pouvait en retenir un elle-même.
Hiyori le dévisageait en silence tandis qu'il accourait vers elle. Au début de sa rencontre percutante avec le dieu, elle ne le voyait que comme son obligé dont elle espérait vivement l'aide pour redevenir une fille normale. A présent, c'était un ami cher qui la rejoignait. Quelqu'un dont elle ne voulait plus se séparer et dont les liens qui les unissaient la rendaient heureuse. Elle s'étonna de ce changement. Depuis quand pensait-elle que cela ne la dérangeait plus d'être une semi-ayakashi ? A moins qu'elle ne voulût simplement épargner un peu Yato suite à sa rencontre avec Rabô. Hiyori n'avait pas eu tout les détails suite à son recouvrement de mémoire mais elle avait compris que Yato n'avait pas apprécié ce retour de son mystérieux et noir passé.
Elle chassa cette pensée de sa tête. Non, elle le savait au fond d'elle, elle appréciait vraiment beaucoup Yato et ce en dépit des nombreuses zones floues qui obombraient son personnage.
Maintenant face à face, les deux jeunes gens se regardèrent un bref instant, échangeant une discrète œillade de complicité. L'un et l'autre était heureux de ne pas s'être perdus, il y avait un mois et tous deux y repensaient en ce très court instant.
_ Des revenants, s'amusa la lycéenne. Depuis tout ce temps, je pensais que vous ne vouliez plus de moi.
_ Hein ? C'est impossible ! On voudra toujours de toi Hyo... Euh…
Cette voix d'abord vive et gaillarde qui s'était amenuisée sur la fin en un gémissement de honte rougissante, était bien évidemment celle de Yukine. Le jeune garçon se confondit en cafouillages désolés tout en essayant de garder un air dégagé, ce qui lui donnait une drôle de figure. Il aurait aimé disparaitre aussi vite qu'il ne le faisait quand il était appelé en tant que Sekki. Lui et sa manie de partir au quart de tour ! Elle était belle la fière Arme Divine !
Hiyori pouffa de rire.
_ Toi aussi, tu m'as manqué, Yukine-kun, assura-t-elle avec sa candeur naturelle.
La tomate fumante qui tentait de couiner une réplique se contenta de tourner le dos, les mains dans les poches de son manteau.
_ Hé, hé, Hiyori ! Regarde tout ce que j'ai gagné ! Tu as vu? s'ébaudit alors Yato, un peu vexé que son taux d'attention soit si faible - il sortit une grande bouteille de verre qui fit cliqueter contre les parois les nombreuses pièces percées qu'elle contenait - A moi bientôt le temple première classe !
Et le voilà reparti dans les azurs de ses délires emplis de gloire, de vénération, d'armada de - charmantes - mikos en hakama vermillon prêtes à exaucer ses moindres désirs et de matsuri d'une semaine entière juste pour célébrer sa magnificence, le tout ponctué de "Gloire au Grand Dieu Yato" scandés avec ferveur et entrecoupé de protestations de Yukine qui l'exhortait de ne pas s'attribuer tout le mérite car ils étaient quand même deux à faire le boulot, non mais sans blague.
La jeune fille se contentait dans ces cas-là de docilement hocher la tête en signe d'assentiment car elle savait mieux que Yukine que quand Yato entrait en mode "dieu en puissance", il n'y avait plus rien à faire. N'empêche, ils avaient trimé sacrément dur pour passer d'une bouteille vide à une bouteille remplie au trois quart en l'espace d'un mois. Elle était impressionnée.
_ Bravo pour votre dur labeur, félicita-t-elle. Vous ne chômez pas.
_ Oh que non ! Mais les humains peuvent se montrer généreux. Par deux fois, un client s'est senti gêné de ne me donner que cinq yens pour le travail qu'il m'avait confié et a hésité à me donner plus. Alors qu'il ne fallait pas ! s'exclama Yato comme si on lui demandait si un et un faisaient bien deux. Moi, le dieu Yato saurait me montrer généreux avec ceux qui l'ont été avec moi !
Hiyori manqua de s'écrouler tandis que Yukine grommelait que ces "offrandes" bonus étaient comme donner de la confiture aux cochons. Ben voyons ! Un vautour comme Yato ne refuserait jamais un extra pour la construction de son rêve mégalomane.
D'ailleurs, cette pensée interpella l'adolescente. Bien qu'elle fût en contact prolongé avec plusieurs divinités depuis un certain temps maintenant, elle réalisa que le monde de l'Autre Côté et ce qui se rapportait aux kamis lui étaient bien lointains et flous. Elle ne s'était jamais réellement posé de question sur la condition des dieux, leurs rapports avec les humains qui les vénéraient, leurs aspirations, leur façon de penser. Tout cela lui était très obscur et à son grand regret, Yato n'était pas le candidat le plus loquace à ce sujet. Elle aurait aimé en savoir davantage.
Ses pensées s'évanouirent, parasitées par la mélodie électronique d'une sonnerie de portable. Rapide comme l'éclair, Yato dégaina d'un geste leste l'appareil et le porta à son oreille, sans que Yukine ou Hiyori ne le vissent faire.
_ Rapide, abordable et fiable, livraison Yato pour vous servir ! annonça-t-il de sa meilleure voix commerciale pleine d'entrain. Merci de votre appel, en quoi puis-je vous aider ?
Les deux jeunes gens près de lui firent silence. Yukine soupira d'ennui car il aurait aimé rentrer chez Kôfuku et Daikoku pour étudier un peu et Hiyori se disait qu'elle devrait sérieusement songer à prendre rendez-vous auprès de ses amis si elle voulait passer du temps avec eux. Enfin, les affaires étaient les affaires.
La voix dans le téléphone sembla provoquer la surprise chez la divinité qui entrouvrit la bouche avant de baisser les yeux sur ses jambes.
_ Oui, plutôt... Hé...? Euh, Je ne sais pas vraiment... Un mètre soixante-dix-sept ?
Yukine et Hiyori se regardèrent, interloqués. Mais de quoi parlait-il ? Le jeune garçon blond se rapprocha de son maître et colla son oreille contre le portable, les paupières plissées de concentration. Il avait du mal à saisir l'ensemble des paroles qui grésillaient dans l'appareil.
_ Et bleus... Oui... poursuivit Yato en essayant de repousser le curieux. Pour cinq yens, si si. Oui, très bien. J'y serai ! Merci d'avoir fait appel à livraison Yato, à tout à l'heure.
Puis il raccrocha, tout sourire.
_ Désolé de partir aussi vite, mais on a besoin de moi ! lança-t-il avant de se tourner vers Yukine. Ce sera tout pour ce soir, Yukine. Tu peux rentrer à la maison, je rentrerai tard. Ciao !
_ Ya... !
Pouf ! La main de l'adolescente se referma sur du vide. Trop tard, il avait déjà filé. Elle gonfla les joues, frustrée de ne pas avoir pu lui parler davantage. Cependant, le soulagement non dissimulé de Yukine dont la journée était enfin terminée la rasséréna. Bah, ça serait pour la prochaine fois.
_ On fait la route ensemble ? Tu me montreras ton travail ?
_ Hum ! Je voulais justement que tu m'expliques quelque chose sur un exercice. Enfin... si ça ne te dérange pas... répondit le blondinet en regardant à ailleurs.
_ Bien que non, je suis là pour ça.
Tous deux reprirent donc le chemin du canal, savourant la quiétude des lieux. Le ciel avait troqué sa robe de nuages mandarine contre une tunique plus sombre aux teintes plus crépusculaires. Il ferait bientôt nuit. D'ailleurs, l'air s'était quelque peu refroidi. Ils avaient hâte de se faire accueillir par la chaleureuse - et un peu envahissante - Kôfuku qui bien que déesse de la pauvreté, n'était jamais avare quand il s'agissait de recevoir ses hôtes. Son imposante mais très abordable Arme divine, l'impressionnant Daikoku leur préparerait un délicieux thé chaud et même peut-être quelques petits wagashis. Un vrai homme au foyer, ce qui était assez drôle quand on voyait l'allure fière et revêche de l'homme en question. Hiyori rêva aussi d'un délicieux kotatsu bien chaud pour y glisser ses jambes. Rien que cette simple penser la réchauffait tout entière et allégea sa démarche.
_ N'empêche, je me demande ce que c'était comme offre de travail, pensa-t-elle à haute voix. Je crois que Yato a donné sa taille, non ? Hum... Mannequin ?
Court silence puis elle pouffa de rire, emmitouflée dans son écharpe. Ce job serait la proposition ultime pour notre dieu assoiffé d'admiration. Être au centre de plein de regards tout en étant magnifié par un look et/ou une pose adéquats, devenir le centre de l'attention... Yato allait en faire une sévère syncope. Pourtant la réalité la plus probable serait plutôt la vision d'un photographe en proie à de violentes pulsions meurtrières parce que son modèle déciderait à sa place des angles de vue, de la lumière et de tout le reste. Cette image était si vivace dans l'esprit de Hiyori qu'elle ne put s'empêcher de rire. Oh oui, ce serait tellement...
_ Bah, j'sais pas, bougonna le jeune garçon à ses côtés en croisant les bras derrière la tête. La seule chose que j'ai vraiment bien entendue, c'était un truc comme "Golden Host".
_ Ha ha ha ! Oui ! "Golden Ho..."
Elle s'arrêta brusquement comme si on lui avait tiré une balle dans le dos.
_ G-G-G-Golden H-H-H-HOST ?! s'étrangla Hiyori, chaque syllabe lui coûtant davantage d'air pour articuler un semblant de son intelligible.
Son joli teint pâle habituel vira en une composition artistique de camaïeux de rose et de rouge dont la palette s'étendait du simple incarnadin au coquelicot cuit sous le soleil. Plus besoin de kotatsu à présent, elle sentait très clairement de grosses vapeurs remonter de sa chemise jusqu'à son cou et ses oreilles étaient à la limite de la fusion.
Avait-elle bien entendu ? Golden Host ? LE club lounge pour hôtes qui offraient à ses clients esseulés et surtout fortunés la présence et l'attention d'un homme ou d'une femme pour... Oh là là là ! Elle n'osait même pas ne serait-ce que penser à la suite. Elle avait entendu parler de ce genre d'établissement qui la plupart du temps dissimulait du commerce de charme sous couvert de simple "escorting". Officiellement, on prenait des verres et on devisait sur tout et n'importe quoi mais qui sait ce qui pouvait se passer après ! Et Yato s'était vendu pour jouer les escort boys? Mais n'avait-il donc aucune morale pour une future grande divinité ?! Devenir la proie, la chose de femmes imbues d'elles-mêmes parce qu'elles pensaient avoir du pouvoir par l'argent, qu'en faisait-il ?
Son regard s'assombrit d'une lueur assassine qui aurait fait s'évanouir de terreur Rabô.
_ Yaaaaaaaaatooooooooo ! rugit l'adolescente en détalant à la vitesse d'un shinkansen en retard.
_ Hu ? Hiyori...! Attends, tu as laissé...!
Yukine soupira.
_ ... ton corps. Encore.
En effet, recroquevillé sur le petit sentier de gravillons, le corps humain de notre semi-ayakashi semblait rêver à des choses bien plus agréables que son double surnaturel.
_ Yato, espèce de clochard dépravé... Si je m'attendais à ça de lui...
_ Hiyori...
_ Non mais vraiment, à quoi il pense? S'embarquer dans une histoire aussi sordide...
_ Hiyori...
_ Quand j'aurais mis la main sur lui, il va sentir le...
_ Hi-Hiyori !
_ Quoi, Yukine-kun?
Nous retrouvons nos deux amis à l'ouest de la ville, là où les néons sont les maîtres des rues et se battent à renforts de couleurs criardes pour attirer les oiseaux de nuit. Les bars s'alignaient, bâtiment après bâtiment avec des noms toujours plus classieux et des listes de cocktails plus longues que le voisin. Chaque porte qui s'ouvrait sur un client était une nouvelle mélodie de jazz, de piano ou de musique de salon qui fuyait quelques courtes secondes pour se dissiper dehors. L'air était à la fois électrisant et mystérieux, sans doute parce que la nuit était enfin tombée. Ici, la faune n'était pas la même qu'en centre-ville. Le citadin lambda s'était transformé en jeunes loups de la nuit aux looks soignés ou en pulpeuses jeunes femmes soigneusement maquillées et à la toilette aguicheuse. Le visiteur seul qui foulait se paver pour être certains que dans les dix mètres à venir, il se ferait aborder par un racoleur pour l'inviter à entrer dans le bar ou le restaurant qui l'embauchait. Voir tous ces hommes en costume qui attendaient sur le trottoir constituait un singulier parcours de slalom urbain.
Mais quittons un instant la scène centrale de la rue éclairée pour aller dans les coulisses d'une ruelle déserte où se trouvaient nos deux héros. Inquiet (curieux?) d'avoir vu son amie partir aussi prestement, Yukine s'était senti un peu obligé d'emmener avec lui le corps laissé derrière et l'avait suivie à son tour. Chose qu'il regrettait terriblement maintenant. Ou pas. Enfin si... Hiyori avait déjà pu réintégrer son corps mais s'il avait su... que... Oh là là...
_ Yato va me trucider... geignit le garçon d'une voix étriquée en essayant de se focaliser sur le néon jaune du Golden Host à quelques mètres. Hiyori... C'est un peu trop...
Ce que Yukine voulait désespérément ignorer depuis qu'il avait rejoint Hiyori, c'était cette jeune fille qui avait troqué son sage uniforme de lycéenne en une robe bleue nuit bustier lui arrivant un peu au-dessus du genou et au drapé délicatement froissé qui pouvait rappeler une toge romaine. Escarpins à talons hauts, coiffure rapidement arrangé en chignon élégant et léger maquillage, la semi-ayakashi n'avait pas hésité une seconde a dépenser quelques dizaines de millier de yens pour se faire un parfait "camouflage". Elle avait d'ailleurs un peu honte d'en arriver là, mais elle ne pouvait pas rester là sans rien faire. Elle était mal à l'aise dans cette tenue qui ne lui correspondait pas, elle passait son temps à tirer sur le bas de sa robe pour grappiller quelques centimètres, en vain.
_ J-Je n'ai pas le choix, se défendit la jeune beauté, rose de gêne. Yukine-kun, tu restes ici, le temps que j'aille récupérer ton "maître".
Elle se redressa - non sans chanceler un peu sur ses talons vertigineux -, vérifia la tenue de sa coiffure et prit une grande inspiration. Elle devait être crédible sinon, le déshonneur qu'elle ferait subir à sa famille si elle devait se faire prendre ne connaîtrait pas de limite. Elle expira brièvement puis s'extirpa de la ruelle sombre.
Les sept mètres approximatifs qui séparaient sa planque de l'entrée du Golden Host lui parurent comme la traversée du désert de Moïse. Le chemin de goudron s'étirait lentement et inexorablement pour devenir des kilomètres d'embarras et de stress palpitants. A moins que ce ne fût son sang battant à ses oreilles rouges qui palpitait réellement. Chaque pas coûtait à Hiyori une mesure et une prudence dignes de chimistes manipulant du trinitrotoluène. "Avoir l'air naturel, assuré". "Les talons, c'était toute sa vie". Telles étaient les paroles qu'elle se répétait mais cette horrible impression de marcher sur du verre pilé lui affirmait qu'elle se déplaçait sans aucune classe, voire de façon carrément bizarre. Et la classe, c'était à ce moment qu'elle en avait besoin car elle arriva devant le videur du club.
L'homme en question était une armoire à glace d'une taille si impressionnante que l'adolescente se demanda s'il était vraiment japonais. Difficile à dire étant donné qu'il portait des lunettes noires. Cependant, il était très clair que son regard était braqué sur la nouvelle arrivante qu'il jaugea de bas en haut.
_ Membre...? demanda-t-il dans une sorte de grognement sourd.
Le cerveau et le sang de Hiyori ne firent qu'un tour. Mais qu'est-ce que c'était que cette manie qu'avaient tous les établissements de la nuit de ne fonctionner que pour les habitués? Non, ce n'était pas le moment de penser à ça. Panique à bord. Evidemment, elle ne pouvait pas prétendre faire partie de la maison, elle se ferait tout de suite démasquer. Vite, vite, une idée ! Et sentir le stress de Yukine lui donner la chair de poule au niveau de son dos découvert ne l'aida pas vraiment à mieux réfléchir. Plus le temps de tergiverser, le gorille commençait à la détailler avec plus d'attention.
_ Non, mais écoute, chéri, j'ai eu une journée é-pou-van-table ! En plus, mon mec m'a lâchée pour s'éclater avec d'autres filles, j'ai bien le droit d'aller me consoler dans le meilleur club de la ville, non ?
Instant bancal suspendu dans le cours du temps qui permit non pas à un ange, mais à une cavalerie céleste de passer. Hiyori s'était figée, complètement hallucinée par le naturel (un tantinet véridique?) de son discours, le videur la considérait en silence et Yukine faisait la carpe koï hors de l'eau, pétrifié et la bouche grande ouverte. Après quelques instants qui s'égrenèrent en heures, l'armoire s'écarta de l'entrée.
_ Allez-y.
Le temps pour le cerveau de la jeune fille de retrouver une activité neuronique stable, celle-ci s'était déjà engouffrée dans le club de façon complètement automatique. Quand elle reprit pleinement ses esprits, Hiyori était arrivée à destination et eut le réflexe de vite se cacher à une table dissimulée par un petit mur de séparation en verre teinté. Elle grimpa sur la banquette et hissa prudemment la tête.
Comme elle s'y attendait, les lieux étaient distingués et élégants. Meubles sobres en matière pure telle que le verre ou le bois sombre, lumières tamisées dans les tons bleus et blancs, fauteuils en velours et décorations tout en pampilles et cristal pour une ambiance boudoir parfaite. En fond sonore, elle percevait les accords apaisants d'un piano et les glaçons secoués dans le shaker que tenait le barman derrière son bar construit en cubes de verre fumé. L'endroit aspirait aussi à l'intimité car la plupart des tables étaient coupées les unes des autres par une séparation, ce qui semblait beaucoup plaire à l'homme que Hiyori entendait glousser un peu plus loin. Rien qu'à imaginer ce qu'il pouvait dire à la femme qui devait l'accompagner, elle en avait des frissons.
Ce qui acheva l'horreur de l'adolescente ne tarda pas à embrasser son champ de vision. En effet, à une table voisine, se trouvait un jeune homme qu'elle n'aurait pas reconnu au premier instant si elle ne l'avait pas entendu rire. Ce très beau garçon à la chevelure sombre comme un ciel de minuit avait volontairement dégagé son visage par une discrète barrette qui retenait ses habituelles longues mèches frontales sur le côté, laissant éclater dans la tiède pénombre les aigues-marines qui brillaient dans ses yeux rieurs. Et que dire de son costume, volontairement étudié pour se donner un genre de dandy moderne ? Veste noire ouverte sur une chemise bleu Klein et pantalon noir, Yato n'avait plus rien à voir du tout avec l'image de garçon négligé et un peu paumé qu'il dégageait en temps normal. Il fallut d'ailleurs quelques secondes à Hiyori pour reprendre le fil de sa pensée. Elle secoua la tête avec énergie, cependant incapable de chasser le rose qui empourprait son fard à joue.
La simple vue de la femme qui discutait avec lui, un verre de champagne à la main, faisait monter en elle une dose incroyable d'adrénaline. Quel âge pouvait-elle avoir ? Trente-cinq, quarante ans ? Avait-elle justement fait attention à son hôte ne serait-ce qu'une minute ? D'ailleurs, quel était le vrai âge de Yato ? Ah non, ce n'était pas le moment !
Et ça pouffait de rire et ça battait des cils comme une jeunette. Quel ridicule. Mais ce qui faisait le plus mal, c'était de voir que le bel accompagnateur de cette femme en robe noire griffée de grande marque avait l'air de s'amuser des choses dont elle se gaussait. Son sourire était affable, discret. Elle ne l'avait jamais vu comme ça. Pourquoi son cœur se serrait-il ainsi ? Trop, c'était trop.
_ Finie la...
_ Oooh, quelle charmante curieuse.
_ Hééé...?!
La jeune fille manqua de tomber car elle sentit qu'on la tirait vers le bas. Elle glissa et se retrouva presque sur les genoux d'un quadragénaire poivre et sel rond comme un ballon. Ses petits yeux enfoncés derrière d'étroites lunettes rectangulaires inspectaient si densément la pauvre Hiyori qu'elle avait l'impression qu'il la "léchait" littéralement des yeux. Elle en était pétrifiée sur place tant elle était répugnée.
_ Vous êtes nouvelle ? s'enquit l'homme dont la voix mielleuse allait de paire avec le reste de sa personnalité porcine.
Silence tétanisé en face. Aucune échappatoire, il l'acculait entre un mur, un coin de séparation vitrée et son corps massif.
_ Ah, timide ? plaisanta-t-il avec un ton trop amusé pour être honnête. Vous semblez plus jeune que les autres mais ce n'est pas grave - il commença à tendre l'une de ses grosses mains en doigts de saucisses vers le genou de son hôtesse - On va prendre un verre ensemble pour...
Splash.
_ Un mojito, ça ira ? s'enquit une voix trainante au-dessus de lui.
Dégoulinant de rhum, de citron vert et une feuille de menthe collée sur le nez, l'homme bondit sur ses deux pieds - non sans manquer de renverser la table quand son ventre la heurta - et assassina du regard le jeune effronté.
_ Yato !
Hiyori se redressa à son tour, abasourdie. Comment avait-il...?
_ Espèce de sale... ! Mesures-tu ce que tu viens de faire ? rugit le client, fou furieux. J'ai payé pour avoir de la compagnie et cette fille...!
_ Cette fille...?
L'atmosphère se densifia en une fraction de seconde, plus lourde que la pierre et tout aussi glacée que les iris pâles de Yato vissés droit dans ceux de son interlocuteur qui s'immobilisa aussitôt. Les paupières légèrement plissées, le jeune homme sonda le gros bonhomme avec le plus grand jansénisme pendant de longues secondes où même Hiyori n'osait presque plus respirer.
_ Cette fille, comme vous dites... poursuivit-il avec la même voix calme avant d'attraper le bras raidi de la jeune fille et l'attirer à lui.
Puis il ôta sa veste et d'un geste leste, la déposa sur Hiyori. Cette dernière ne pouvait plus parler. Son cœur martelait trop fort dans sa poitrine et manqua un battement lorsque le dieu passa son bras autour de ses épaules.
_ ... est avec moi.
Le nez presque dans sa chemise, notre amie ne voyait rien mais elle avait très nettement deviné et entendu un sourire étrange ourler les lèvres de son protecteur. Sa bouche riait mais ses yeux assassinaient. Il n'en fallut pas plus au quadragénaire pour flancher et se laisser lourdement retomber dans le moelleux de la banquette, les jambes flageolantes et les genoux secoués de violents tremblements.
Le problème réglé, Yato tourna les talons et s'éloigna avec son hôtesse clandestine. Dévorée de honte, Hiyori était victime d'une vague de pensées et sentiments divers qui bloquaient toute autre action que celle de suivre Yato qui la tenait toujours. Elle connaissait la suite, elle allait se faire gronder en bonne et due forme. Elle ne se risqua même pas à tenter le moindre regard vers Yato, à croire que cela l'empêcherait de disparaitre complètement - chose qui était déjà impossible.
Ils arrivèrent à une table plus éloignée et le dieu se laissa tomber dans le velours rebondi.
_ Ah là là... Franchement, qu'est-ce qui t'a pris de venir dans un endroit pareil ? Tu es complètement inconsciente ou quoi ?
Elle percevait son regard réprobateur sur elle, ce qui la fit rougir encore plus. Une main étroitement serrée sur la veste qui respirait ce délicieux parfum qu'elle aimait tant, Hiyori rassembla tout son courage.
_ C'est toi qui ne penses pas assez !
_ Hein ?
_ Tu clames tous les jours que tu veux devenir un grand dieu, mais comment peux-tu aller te... te corrompre dans ce genre d'action ? s'emporta la jeune fille avec ferveur. Certes, tu continues d'avancer dans ta récolte d'argent, mais au prix de ta dignité ? Qu'est-ce que penseraient les autres kamis s'ils savaient ? Moi, je te connais, je sais que ce n'est pas ta personnalité, mais...
Sa main serra encore le tissu sombre. Cette odeur, elle lui montait à la tête.
_ Je... Je ne veux pas que l'on te voit comme une mauvaise personne, c'est tout. Alors, prends plus soin de toi, Yato.
Cette fois, ce fut au tour du kami de ne plus savoir quoi dire, ébahi par ce qu'il venait d'entendre. Hiyori avait encore pris des risques inconsidérés pour le sauver ? Plus important encore, pour sauver son âme du jugement des autres ? Alors qu'il avait déjà perdu toute parcelle de possible rédemption il y avait de cela des siècles ?
Le jeune homme s'adossa contre le fauteuil, les yeux baissés. Qu'est-ce que c'était que cela ? Il savait pourtant bien qu'il n'y avait plus rien à racheter chez lui avec le poids de cette croix qu'était son passé. Il savait qu'une part de lui serait toujours considérée comme "Yato, le dieu de la calamité " dont les mains maculées de nombreux sangs indélébiles lui rappelleraient sans cesse qui il était. Il savait tout ça. Il savait et pourtant...
Il porta la main à sa poitrine et ses doigts se refermèrent sur sa chemise. Et pourtant, cette chaleur qu'il ressentait en cet instant, douce et agréable comme une cuillerée de miel dans un lait chaud pendant une soirée d'hiver, lui fit prendre conscience qu'un infime fragment de son inconscient espérait un jour pouvoir être sauvé. Une fois encore, Hiyori, cette curieuse humaine rencontrée au hasard de la destinée et qui ne cessait jamais de l'étonner, venait encore de le sauver. S'il avait eu vent de ses pensées avant, Yato lui aurait tout de suite dit qu'il avait juste été embauché pour faire la conversation à ses clientes. S'il avait reçu des demandes de faveurs plus "poussées", il était évident qu'il aurait refusé. Son employeur était le patron du club et non pas ces femmes à l'âme plus hideuse que des ayakashi.
Le jeune homme releva la tête et la dévisagea en essayant de garder un air digne malgré le rose sur son visage. Qui était donc cette humaine dont il ne pouvait résolument pas se séparer ? Comment faisait-elle pour toujours trouver le moyen de le ramener à elle ? Et surtout pourquoi...
_ Hi...
Sa voix s'éteignit au son d'un vibreur qui fit sursauter Hiyori - l'appareil était dans la poche intérieure de la veste qu'elle portait. Encore un appel ? A cette heure-ci ? Yato roula des yeux et fit signe à son amie de lui donner le téléphone. Elle s'exécuta puis il décrocha sans grand entrain.
_ Rapide, abordable et fiable, livraison Yato pour vous servir... Merci de votre appel, en quoi puis-je vous aider ?
Il y eut un léger rire dans le combiné.
_ Ou plutôt qu'est-ce que nous, nous pourrions faire pour toi?
Ouh... Qui ça peut bien être? XD
