Hunger games : vu par Peeta
L'eucatastrophe des soixante-quatorzième Hunger Games
Lorsque j'ouvre les yeux, le brouillard de mes cauchemars se dissipe. Je me redresse et constate que mon oreiller a atterrit au sol, victime de ma terreur nocturne. Mon frère, de l'autre côté de la chambre, dort bruyamment. Dans cet état, il ne semble pas avoir conscience de ce qui nous attend aujourd'hui. La moisson pour les soixante-quatorzième hunger games dans le district douze débutera dans quelques heures seulement et je ne parviens pas à me rendormir. J'hésite à réveiller Morgal, mon frère ainé, puis renonce en imaginant les moqueries auxquelles j'aurais droit concernant mes cauchemars. Cette année est la dernière où il pourrait être moissonné et son nom sera inscrit sept fois. Pourtant, je ne l'ai jamais vu inquiet contrairement à moi. La plupart du temps je tente de cacher mon effroi, mais je lis sur le visage de mes deux frères qu'ils ne croient pas à ce soudain courage. Il me connaissent trop bien pour cela.
Je descends les escaliers le plus silencieusement possible et gagne la cuisine. Thori, mon second frère est déjà attablé, plantant voracement ses dents dans une miche de pain dure. Il me souris et lance un deuxième morceau de pain en direction de mon visage, et je le rattrape plus ou moins adroitement.
- Ne me dis pas que tu as peur, Peeta ! me lance Thori d'un air suffisant.
Je le regarde, quelque peu surpris. Puis, je comprends que mon visage affiche une crispation évidente. Je me force à me détendre et arrondis ma bouche en un rictus censé être nonchalant.
- Facile à dire pour toi, ton nom n'est plus inscrit dans cette fichue boule, maintenant ! rétorque-je.
- Et non, mais pense à ceux qui ont leur noms inscrits une quarantaine de fois et détends-toi, me dit-il. Tu n'as aucune chance d'être choisi, pas plus que Morgal. Les gentils garçons du boulanger Mellark ne ferait pas des victimes assez convaincantes pour le Capitole, bien sûr !
Je ne relève pas sa dernière remarque. Je ne sais pas ce que serait la vie sans cette menace des Hunger Games, mais je me force à croire qu'ils ont une raison d'exister. Que le Capitole ne sacrifie pas ses tributs pour le divertissement de quelques-uns.
Je me lève et décide d'aller faire un tour en ville. A cette heure, la population du district douze n'est pas encore rassemblée sur la grand-place. Je marche rapidement en tentant de chasser mes angoisses, mais rien n'y fait. Je songe un instant à frapper à la porte de Delly Cartwright, mon amie de toujours, puis renonce. Elle ne doit pas être beaucoup plus gaie que moi à l'heure actuelle. Je pense soudain à la possibilité que je ne la revoie pas. Qu'elle soit emmenée par les pacificateurs derrière les portes de l'hôtel de justice. Je secoue la tête de tristesse ; tout comme moi, Delly n'aurait aucune chance de survivre dans l'arène. Je renonce à cette promenade guère concluante, retourne à toute allure dans ma chambre sans même faire l'effort de sembler discret. Morgal est levé et commence déjà à mettre de beaux vêtements pour la cérémonie. En saisissant la chemise que je porte chaque année en cette occasion, je songe à tous ces enfants qui comme moi, se drapent de leur linceul en ce moment. Morgal sort de la chambre en m'adressant un sourire, peu convaincant accompagné d'un regard terrifié que je ne lui reconnais pas. Je reste seul, assis sur mon lit en attendant le moment où notre mère criera mon nom depuis la boulangerie, au rez-de-chaussée.
- Peeta ! Hurle-t-elle, certainement déjà agacée de devoir se rendre sur la grand-place en compagnie de toute la population du district.
Je me suis toujours dis que cet énervement était le signe de son malaise et de sa crainte de nous perdre, mes frères et moi. Morgal, lui, pense qu'elle ne supporte pas d'être forcée de se coller à des gens couverts de suie et beaucoup plus maigres que nous. Je préfère penser qu'elle nous aime.
Je descend les escaliers et retrouve ma famille.
- Aussi fringant que ses frères ! Lance mon père en me regardant, visiblement fier de sa progéniture.
- On a de qui tenir ! Dis-je, en essayant de ne pas lui montrer que je suis terrifié.
Contrairement à ma mère, mon père ne nous a jamais caché son appréhension face à la moisson. Il a toujours été proche de ses enfants, de moi en particulier. Bien que je ne lui ai pas fait la même confidence que lui onze ans plus tôt, je sais qu'on sera toujours lié par un secret. Un secret partagé devant mon école alors que je n'avais que cinq ans. Un secret concernant une jeune fille et sa mère.
Alors que nous nous mettons en route pour la cérémonie de la moisson, je peux voir passer tous les habitants de mon quartier. Dans le district douze, les beaux vêtements expliquent surtout les mines défaites de ceux qui les portent. En levant la tête, j'aperçois les équipes de tournage qui filment notre entrée, essayant déjà de deviner qui seront les deux élus. Je baisse les yeux à l'idée que de l'autre côté de la caméra, un enfant du capitole me regarde en se demandant ce que je vaux au corps à corps.
- Peeta ?
Je me retourne et constate que ma famille me dévisage, attendant certainement un au revoir que je n'ai pas envie de leur donner. J'ai envie de leur dire que l'on va se retrouver dans quelques instants sur un ton enjoué, mais une boule dans ma gorge retient ces mots. Je décide donc d'accepter la tape sur l'épaule de mon père en lui souriant, puis de suivre Morgal vers le centre de la place. Après avoir signé le registre, je rejoins les garçons de seize ans, parmi lesquels bon nombre de mes amis. Pourtant, aujourd'hui personne ne m'interpelle ou ne me salue chaleureusement. Nous nous contentons de fixer Effie Trinket à côté du maire Undersee. Près d'eux, les deux boules en verre remplies des noms de tous ceux qui m'entourent, semblent nous lancer des œillades menaçantes.
L'horloge sonne deux heures. Le maire s'avance pour son traditionnel discours sur Panem et cette « Amérique du nord » dont on nous a tant parlé, mais qui ne représente pourtant rien pour moi. Il rappelle à tous les règles des Hunger Games et la manière dont deux tributs seront tirés au sort entre tous les enfants rassemblés sur la grand-place. Effie Trinket semble ravie à l'idée de pouvoir bientôt plonger sa main au milieu de ces papiers et de prononcer une sentence de mort pour deux de nos camarades. Au contraire, le visage du maire est pâle et je suis presque sûr qu'il transpire. Je me rappelle alors que Madge, sa fille, est à ma droite avec les filles de son âge. Je tourne la tête et la vois. Si elle est inquiète, elle le dissimule merveilleusement bien. Je prends exemple sur cette détermination à se montrer impassible devant le hasard -l'injustice selon Thori- de la moisson. Alors que je redresse la tête vers le lieu de l'action, Haymitch Abernathy, le seul et unique vainqueur encore en vie du district douze, fait son apparition. Il peine a grimper les quelques marches de la scène et parcourt les quelques mètres qui le séparent de son fauteuil en titubant. Je n'ai jamais vu personne vraiment ivre, mais je devine quand même qu'il a dû boire en grande quantité pour se risquer à serrer Effie Trinket contre lui. Heureusement, celle-ci esquive l'étreinte au dernier moment, visiblement contrariée. Elle se lève pourtant souriante et lance dans le micro son refrain habituel :
- Joyeux Hunger Games ! Et puisse le sort vous être favorable !
Comme chaque année je ne parviens pas à écouter un dixième de ce qu'elle peu dire. L'accent du capitole peut s'avérer difficile à suivre lorsque l'on vit dans le district douze, mais le plus déconcentrant est surtout sa perruque rose qui commence à tomber sur le côté sans qu'elle ne s'en aperçoive. Bien qu'elle fixe essentiellement la foule qui se tient devant elle, chacun sait qu'elle ne s'adresse réellement qu'aux caméras présentes de chaque côté de la place. Enfin, vient le moment tant redouté. Effie Trinket marque une courte pause dans son discours avant de s'exclamer :
- Les dames, d'abord !
Elle se dirige vers la boule de verre située à sa gauche et y plonge sa main profondément. Elle en ressort un papier qu'elle ne lit qu'une fois devant son micro. Je m'étais préparé à beaucoup d'éventualités, mais je n'avais jamais songé que ce scénario était possible. Pourtant, le nom résonne entre les gradins remplis.
- Primrose Everdeen !
Alors que tous se tournent vers les filles de douze ans, ma tête s'oriente plus loin vers la droite. Je regarde Katniss Everdeen qui reste elle aussi immobile face à une telle annonce. A voir ses yeux écarquillés et sa bouche entrouverte, je devine ses pensées. Comment son papier a-t-il pu se retrouver dans la main d'Effie Trinket, alors que son nom n'avait été glissé qu'une fois parmi tous les autres ? Pourquoi est-ce que le sort est défavorable à une enfant de douze à l'apparence si fragile ? Et pourquoi faut-il toujours que le destin s'acharne sur ceux qui souffrent déjà ?
Tout le monde observe Primrose s'avancer vers l'estrade, essayant de rassembler tout son courage pour ne pas pleurer. Je me demande si elle a déjà compris. Si elle a compris qu'elle n'a aucune chance de survivre. Alors que je tente d'imaginer la peine de Katniss, celle-ci traverse la foule en criant le nom de sa petite sœur :
- Prim !
Elle ne semble plus aussi abasourdie que tout à l'heure et une soudaine détermination s'inscrit sur son visage.
- Prim ! Crie-t-elle de nouveau.
Chacun s'écarte pour laisser les deux sœurs se rejoindre une dernière fois. La compassion se lit sur les visages, ainsi que la tristesse de voir le sort s'abattre sur une fillette aussi aimée que Primrose Everdeen. Katniss écarte sa jeune sœur des pacificateurs, prêts à intervenir. Elle crie soudain à Effie Trinket :
- Je suis volontaire ! Je me porte volontaire comme tribut !
Sur le moment, je ne comprends pas. Volontaire ? Personne ne s'est jamais porté volontaire dans le district douze ! Puis je réalise son acte. Elle vient de se sacrifier pour sauver sa sœur. Par amour. Effie Trinket à l'air d'apprécier d'avantage ce rebondissement que lorsque Haymitch Abernathy a essayé de la prendre dans ses bras.
- C'est trop chou ! Minaude-t-elle. Mais je crois qu'en principe on doit d'abord annoncer le vainqueur de la moisson, puis demander s'il y a des volontaires, et ensuite seulement, si quelqu'un se propose, euh …
Mais le maire l'empêche de finir sa phrase, visiblement touché par l'acte de Katniss.
- Quelle importance ? Intervient-il. Quelle importance ?
Primrose se met à hurler mais Katniss semble désormais décidée à protéger sa sœur. Un jeune homme brun, un peu plus âgé que moi attrape Primrose et la soulève, l'emportant loin de la menace qui pèse maintenant sur Katniss. Cette dernière grimpe les marches sans montrer aucun sentiment. Je ne bouge pas, sans pour autant pouvoir détourner mes yeux de sa silhouette. Tout mon corps tremble. Je me suis toujours dis qu'après tout ce qu'elle a déjà enduré, rien ne pourrait lui arriver de pire. Je me suis trompé. La voix d'Effie Trinket vient balayer la stupéfaction générale.
- Eh bien, bravo ! S'écrie-t-elle. C'est l'esprit des jeux ! Comment t'appelles-tu ?
Katniss Everdeen, réplique la jeune fille.
Je ne parviens pas à écouter la suite. Je voudrais crier, lui dire de redescendre, mais à quoi bon ? Elle ne sait même pas qui je suis. Maintenant, elle ne le saura jamais. Je cherche ce que je peux faire pour elle, une façon de lui dire que je crois qu'elle peut gagner. Personne ne pourrait mieux survivre qu'elle dans tout le district douze. Je porte les trois doigts du milieu de ma main gauche à mes lèvres, puis les lève dans sa direction. Il s'agit dans notre district d'un geste de remerciement, un adieu à quelqu'un que l'on aime. Je crois que rien n'aurait été plus approprié. Je vois une autre main se lever comme la mienne. C'est celle de Madge, la fille du maire. Elle est certainement la seule fille que j'ai jamais vu parler avec Katniss. Puis progressivement, toute la foule m'imite et envoie vers Katniss ce geste de réconfort et d'amour. Je ne prête pas attention à la chute d'Haymitch Abernathy, ni à la main d'Effie Trinket qui glisse à nouveau au milieu des petits papiers. Tout mon corps envoie un message à Katniss: « Tu n'es pas seule ». Je ne songe même plus à un second tribut lorsque la voix d'Effie Trinket me fait sursauter.
- Peeta Mellark !
