En l'honneur de l'instant

En l'honneur de l'instant

Ma première fanfiction sur Avatar. Le thème est étrange, mais j'imagine que je ne l'aurais pas entamée sinon. Que dire d'autre ? C'est du « Angst » parce que c'est supposé faire peur, « Mystery » parce que c'est supposé être mystérieux. C'est classé « T » principalement en raison du caractère sombre, voire franchement malsain de certaines saines. Pas de sexe, pas de torture physique, pas de torrents de sang qui dégoulinent de la montagne. J'ai mis Zuko comme unique personnage principal parce que… oh, vous verrez pourquoi.

Comme le prologue ne l'indique pas, l'histoire commence approximativement au même moment que l'intrigue de la série Avatar. Peut-être quelques jours plus tôt. Ou plus tard, remarque. Dans la neige en tous cas. Le reste, je vous le laisse à découvrir. Bonne lecture à tous !

Prologue : les éclats du Temps

Je ne suis pas ici…

L'air embaumait. Les rayons du soleil appuyaient doucement contre ses paupières closes, déversant sur son visage une lumière dorée qui semblait transporter avec elle des parfums de fleurs et d'encens. Paisible aussi, la brise qui gonflait les rideaux pourpres à sa fenêtre, tiède et chantonnante, comme une incarnation de sa propre sérénité. Ses doigts retraçaient un pli léger sur le drap de soie écarlate, avec un soulagement douloureux. Quelle joie, quel bonheur d'être de retour… Ils remontèrent ensuite à son arcade sourcilière, la paume contre ses lèvres, laissant sa main reposer contre le tissu de sa joue, lisse et pâle, le tissu intact…

C'est un rêve.

Zuko avait beau le savoir, son bonheur tâché de mélancolie refusait de s'altérer. Enfin de retour… Il devait être en train d'ouvrir les yeux, car les tentures rouges de son ancien lit apparaissaient avec lenteur. Elles étaient un peu floues, semblaient plus hautes que dans ses souvenirs, et on y avait brodé une énorme salamandre aux yeux jaunes, la gueule ouverte ; cependant le lieu demeurait suffisamment familier pour donner le change à son esprit embrumé par le sommeil. Il était enfin chez lui. Le jour se levait à peine. Il n'avait rien de spécial à faire aujourd'hui. Son visage était intact. Tout allait bien. Peut-être même pourrait-il croiser son père dans un couloir, peut-être…

D'une certaine manière, il pouvait toujours réfléchir : formuler à tâtons des pensées troubles, suivant une logique tortueuse qui lui échapperait probablement au réveil. Derrière les rideaux à demi tirés, il distinguait l'intérieur de sa chambre, un peu sombre en dépit du soleil splendide de son pays natal.

Il n'aurait su dire à quel point il aimait, adorait, portait le deuil poignant de cette lumière dorée, étourdissante, au centre de son rêve. Bien plus belle que ne pourrait jamais l'être… Il lui semblait qu'il était en train de sourire. Le cœur serré. Pourquoi était-il triste ?

La pensée l'effleura qu'il voulait profiter de cet instant : se lever, voir un peu mieux sa chambre, peut-être le reste du palais et le paysage par la fenêtre. Au cas où il ne pourrait rester longtemps. Il se redressa sans hâte, considérant avec satisfaction sa paume enfoncée dans la soie auprès de lui. Trop heureux de constater qu'il avait conservé un certain contrôle de ses actes pour s'inquiéter des étranges marques de charbon qui sillonnaient ses doigts, et creusaient le dos de sa main.

Tiède, le tissu sur lequel il avait dormi, tiède l'atmosphère parfumée de sa vieille et magnifique maison. Il aurait voulu dévorer la chaleur du soleil : elle lui manquait depuis trop longtemps. Peut-être était-ce la raison pour laquelle son mal du pays lui inspirait si fréquemment ce genre de songes, ces dernières semaines. Avec ce froid… Mais il ne voulait pas y penser pour le moment. Pourquoi, pourquoi fallait-il toujours qu'il pense ?

Il était parvenu à s'asseoir au bord du lit, et laissait ses jambes se balancer dans le vide, quelques centimètres au-dessus d'un parquet de chêne sombre. Paisible. C'était reposant de n'être plus en colère. D'être heureux, d'être triste, sans avoir à craindre le regard des autres. Il ne se souvenait pas encore précisément de la raison pour laquelle son cœur se serrait de la sorte.

C'était probablement normal…

Le lit se balançait aussi à présent, à un rythme rassurant et régulier, comme pour l'encourager à se lever tout à fait. Il voulait voir l'extérieur. S'accouder à la fenêtre, jute une minute, prendre le temps d'observer ce paysage qui avait été le sien toute son enfance.

L'un de ses plus douloureux regrets, allez savoir pourquoi, n'avoir jamais pris le temps de faire ce minuscule adieu, si simple…

Il était debout dans la pénombre. Ses doigts déjà fermés sur le tissu pourpre des rideaux. Ce paysage… Un espoir brûlant le faisait frémir fiévreusement, ralentissait ses gestes, paralysant presque ses membres. Comme par crainte. Mais il n'y avait rien à craindre… Le velours dans sa main était lourd. On eût dit qu'une force complémentaire l'aspirait contre la fenêtre, vers le vide. Etrange.

Et pourquoi faisait-il si sombre tout à coup ?

Zuko tourna la tête. La pièce, auparavant claire et chaleureuse, était plongée dans les ténèbres. Tout juste distinguait-il les silhouettes grimaçantes de ses meubles, recroquevillés contre les angles, le fantôme d'un lit à baldaquins envahissant le centre. L'unique source de clarté semblait être le regard luisant de la salamandre, petite ombre lovée dans le noir à quelques pas de lui, qui s'était séparée de la tenture et l'observait intensément.

Tout d'abord, il n'osa faire un geste. L'animal demeurait silencieux, immobile pour le moment, hormis l'ondulation lente de sa queue, hérissée d'écailles rouges, et l'éclat mouvant de ses petits yeux d'or. Un rictus s'élargissait sur sa bouche fendue, sardonique, et découvrait peu à peu deux canines brillantes. Inconfortable, le jeune prince avait amorcé un pas vers le nouveau venu, cherchant désespéramment une excuse pour justifier sa présence, quand un crissement aigu, fracas assourdissant du métal déchirant le métal, lui figea le sang.

La créature riait.

-Tais-toi ! Murmura-t-il précipitamment. Si on me trouve ici…

L'inconfort s'était mué en frayeur. Banni. Banni. Il n'était pas supposé se trouver au pays du Feu. On pouvait l'exécuter, sa propre famille le mettrait à mort si…

Mais le rire de la salamandre s'amplifiait, comme une plainte stridente ou un signal d'alarme, des mots apparaissaient au milieu des crissements et se répercutaient indéfiniment contre les murs de marbre.

Tes chemins égarés… cent éclats de verre…

que l'oubli égare…

Eparses ennemis…à terre…

Il voulait lui crier de se taire, il ne devait pas être vu ici, il n'avait pas le droit d'être ici, mais sa voix se perdait parmi les échos aigus de son adversaire, parmi les accusations sauvages dont il ne parvenait pas à comprendre le sens.

L'oubli…éparses…étendus à terre…d'encre…demeurent…

…Demeure…

La créature semblait le narguer, avec son regard torve qui scintillait dans le noir. On allait les entendre. Zuko voulut se jeter sur elle, mais ses gestes étaient trop lents, trop lourds, elle s'était déjà glissée par la porte entrouverte et fuyait, ricanant sans cesse, le son strident d'une vrille contre un mur de pierre. Si quelqu'un la voyait…

Le jeune prince s'était lancé à sa poursuite, ses pas résonnaient abominablement le long des couloirs où il n'avait aucun droit de se rendre. Tout brillait autour de lui, brisé et aveuglant comme un dédale de miroirs. Le chant moqueur de la salamandre ricochait contre les murs, on allait les entendre, il ne savait où diriger ses pas, uniquement guidé par la brève ondulation du lézard qui tournait, tournait toujours, toujours plus avant dans le labyrinthe…

Demeure à présent… le sang sur ton visage…

Sachant qu'il faudra l'essuyer nuit et jour…

-Tais-toi… TAIS-TOI !

Exposer la plaie aux yeux qui te lacèrent…

…la peur, la honte… la fatigue…

…la colère…

Plus bas, toujours plus bas, il s'enfonçait dans le noir. Les couloirs étaient étroits à présent, sinueux et acérés, rougeoyants comme l'intérieur de son navire. Il savait, pourtant, qu'ils approchaient du centre du palais. Son cœur battait férocement contre ses tempes, tout son corps frissonnait, il ne savait plus si les cris grinçants de la salamandre le faisaient hurler de douleur.

Continuer de courir… Si elle atteignait la salle du trône et que son père apprenait…

Soudain il n'y avait plus de méandres, un unique boyau de métal qui le précipitait vers un grand rideau pourpre. L'emblème du feu mangé par la rouille. La salamandre venait de s'y faufiler, son rire de triomphe éclatait jusque dans ses os, trop tard, trop tard, il ne pouvait plus s'arrêter de courir, le velours fouetta son visage et il s'effondra presque dans la salle immense, scrutant la pénombre, voir…

Pouvoir crier.

Exprimer l'horreur qui lui tordait le ventre.

Fuis. Reste. REVEILLE-TOI…

Un spasme, et brusquement ses yeux s'ouvrirent, l'arrachant enfin aux eaux troubles de son cauchemar. Il était assis, il faisait froid. Il était en nage et il tremblait. La vision abominable s'évaporait déjà de son esprit, comme une vapeur sulfureuse, ne lui laissant au creux de l'estomac qu'une prégnante sensation de répulsion, d'effroi et de fascination maladive, ainsi que l'écho d'une voix aigue qui lui glaçait les sens :

La mer est glacée, mais toujours il navigue…

Jusqu'au fond de l'âme…en ce bien long parcours…

Son cap est au Nord… il n'a pas d'équipage…