Tu fermes les yeux.

Tu fermes les yeux.

Tu fermes les yeux pour ne voir que ce noir apaisant.

Tu fermes les yeux pour ne plus voir le noir qui t'entoure.

Tu fermes les yeux en te laissant croire que ça va te faire tout oublier.

Tu fermes les yeux en priant pour te faire oublier.

Tu fermes les yeux même si tu sais que ça ne fonctionnera pas.

Tu fermes les yeux car tu voudrais pleurer.

Tu fermes les yeux mais aucune larmes ne sorts.

Tu fermes les yeux car tu sais que pleurer n'arrange rien.

Tu fermes les yeux car rien n'arrange les choses. Tu fermes les yeux et revoie leur trois visages, hilares.

Tu fermes les yeux et tu ressens la peine des premières insultes. Tu fermes les yeux et tu entends ta douleur après leurs coups.

Tu fermes les yeux et tu respires l'odeur des larmes qui ont coulées.

Tu fermes les yeux et tu te demandes pourquoi.

Tu fermes les yeux et tu te dis « pourquoi t'ont-ils frappés? ».

Tu fermes les yeux plus forts, « pourquoi t'ont-ils humiliés? ».

Tu fermes les yeux en serrant encore un peu plus les paupières, « pourquoi t'ont-ils insultés ? ».

Tu fermes les yeux et tu commence as sentir tes yeux s'humidifier de larmes, « pourquoi toi ? ».

Tu fermes les yeux et tu repenses aux injures sous lesquelles tu t'es effondré.

Tu fermes les yeux et tu écoute cette phrases qui raisonne en boucle à tes oreilles : « Hé le batard tu ne sers à rien, tu ne mérite même pas de vivre ».

Tu fermes les yeux écoutant cette ritournelle.

Tu fermes les yeux, une grosse larme s'échappe, glisse, tu la sens rouler sur ta joue.

Tu fermes les yeux et tu te vois sur le vieux pont du mauvais coté de la barrière.

Tu fermes les yeux et des mèches de cheveux décolorées viennent te caresser le visage.

Tu fermes les yeux et visualise le vide, ce n'est pas compliquer, tu visualise ce vide vers lequel tu t'apprête à plonger.

Tu fermes les yeux te persuadant de ne pas penser.

Tu fermes les yeux mais c'est trop dur de ne pas réfléchir à l'eau qui t'attend en bas.

Tu fermes les yeux le visage de ta mère tente de se glisser sur l'écran noir de tes paupières.

Tu fermes les yeux mais il apparait flou, comme sa présence.

Tu fermes les yeux tu n'en peux plus.

Tu fermes les yeux et tu cris, enfin.

Tu fermes les yeux tu cris tous les sentiments rester à l'intérieur de toi.

Tu fermes les yeux et tu écoutes ton cri, ses résonances, ses échos.

Tu fermes les yeux et tu reprends ta respiration.

Tu fermes les yeux et tu respires calmement essayant de t'apaiser.

Tu fermes les yeux et tu baisses les bras.

Tu fermes les yeux puis tu t'approches du vide qui t'aspire.

Tu fermes les yeux et tu n'entends plus rien autour de toi.

Tu fermes les yeux en pensant que c'est comme si le monde s'était mis sur pause.

Tu fermes les yeux tu sens ton corps s'alourdir, tu te dis que c'est la gravité.

Tu fermes les yeux et tu entends les battements de ton cœur pleins de vie.

Tu fermes les yeux tout bascule.


Des bras te serrent ferment la taille. Tu as le souffle coupé. Tu sens la peur monter à une vitesse folle en toi. Elle est accompagnée par la haine et la culpabilité. Tu suffoques. Tu entends d'un seul coup tous les sons qui t'entourent. Tu entends une voix qui te supplie de revenir. Tu l'écoute, puis tu reprends ta respiration. Puis tu repasse du bon coté, tu te retourne et enjambe mécaniquement l'obstacle qui de sépare de la route goudronnée du pont. Tu t'affaisses contre la barrière que tu viens de franchir. Tu pleures pour de vrai. Tu sens une présence à coté de toi, qui te touche, t'enveloppe de son aura chaude et fiable. Tu entends des murmures incompréhensibles. Tu es dans un état second, mais tu es vivant. C'est tout ce qui compte.

Tu ouvres enfin les yeux.