Prologue
Bilbo serra les dents lorsqu'il vit au loin la Montage Solitaire se dresser. Erebor… Le lieu vers lequel ses pas et son cœur s'étaient ardemment tournés ces dernières années, là où vivaient les seuls amis qu'il n'ait jamais réussi à se faire, l'endroit dans lequel il rêvait toutes les nuits de se retrouver. Mais, alors qu'il suivait le groupe avançant d'un pas rapide dans l'ancienne désolation de Smaug, alors qu'il savait qu'il ne tardera pas à voir Thorin dans un futur proche, Bilbo avait le cœur lourd, la tête désespérément vide de pensées heureuses et une boule de terreur qui lui nouait l'estomac. De tous les endroits de la terre du milieu où il ne voulait pas se rendre aujourd'hui, c'était à Erebor.
Jehan, constatant que le hobbit était à la traîne, se tourna vers le cambrioleur :
- Hé bien M. Sacquet ! Plus nous approchons de notre but et moins vous semblez ravi de pouvoir mener votre vengeance à terme.
Bilbo sursauta lorsqu'il entendit la voix grave de l'humain s'adresser à lui. Fuyant les yeux perçants de ce démon, il leva le menton et assura sur un ton déterminé :
- Vous vous trompez, je ressassais ce moment béni où ma lame transpercera le ventre de ce chien !
Jehan sourit pendant que certains membres du groupe ricanèrent, tapant dans le dos du hobbit ou lui ébouriffant les cheveux affectueusement. Le plus petit garda son air bravache, mais, au fond de lui, il avait mal et terriblement peur. Il ajusta néanmoins sa marche pour ne pas se faire distancer par les guerriers nains et humains qui l'accompagnaient, cherchant désespérément un moyen de se sortir d'affaire.
Tout avait bien commencé pourtant, du moins, au début. Bilbo avait eu une espèce de crise de bougeotte alors qu'il avait paisiblement recommencé sa vie paisible dans la Comté et, au bout de cinq années passées à tourner en rond dans son smial, il avait finalement plié bagages et avait repris la route en quête d'aventures.
- Nous allons nous arrêter là pour la nuit !
Immédiatement, les guerriers s'arrêtèrent puis se mirent en branle pour monter le camp, allumer un feu, définir une aire de sécurité et ramener du bois. Le hobbit était exempt de corvée alors il alla dans un coin fumer sa pipe tout en continuant de lire son grimoire. C'était un vieux livre qu'il avait récupéré auprès d'une compagnie d'aventuriers qu'il avait accompagné un certain moment, leur offrant aide et conseils dans leur quête qui était, justement, la découverte de ce grimoire. Mais les humains n'avaient pu le payer et Bilbo avait décidé de partir en emportant ce livre.
- Toujours dans votre bouquin hein ? Je me demande bien ce que vous trouvez à passer votre vie à lire ce truc !
Bilbo haussa les épaules et se retint de répondre qu'il préférait mille fois rester seul à lire ce recueil de potions et sortilèges d'un autre temps plutôt que de converser cinq minute avec un soiffard pareil.
- Vous parlez pas beaucoup, hein.
- C'est parce que je n'ai rien à vous dire.
- Hé ! Je vous en pris, restez poli vous !
Le hobbit serra les dents et préféra ne rien dire. Il se trouvait parmi une compagnie de dangereux criminels qui démarraient au quart de tour si on avait le malheur de les contrarier et Bilbo y avait connu deux ou trois moments très pénibles sans savoir si ces moments là seraient les derniers de son existence.
- Excusez moi, je suis un peu fatigué.
Bilbo se leva et parti s'asseoir plus loin, à porté de vu de Jehan. Cet humain était le chef de la compagnie et le cambrioleur le haïssait tout comme il en était terrifié. Mais au moins, personne ne s'en prendrait à lui si Jehan était dans les parages, Bilbo n'était pas le seul à craindre l'aura menaçante qui émanait de cet homme impitoyable.
Après qu'il eut quitté sa première compagnie en volant le livre, Bilbo s'était promené de quêtes en quêtes, se faisant engager par des groupes, des compagnies ou des aventuriers solitaires. Il avait beaucoup voyagé, beaucoup appris. Mais, au fil de ses péripéties, il avait commencé à comprendre que, ce n'était pas la bougeotte qui l'avait fait partir de chez lui. C'était le manque, la solitude, la douleur. Sauf que, à aucun moment, même lorsqu'il s'était trouvé en compagnies d'elfes charmants, d'humains bienveillants ou bien de nains joyeux, Bilbo n'avait retrouvé ce sentiment de félicité de lorsqu'il était au sein de la compagnie de Thorin.
- Vous êtes encore perdu dans vos pensées… Vous savez pourtant ce que je pense des gens qui pensent trop…
Bilbo dégluti et baissa les yeux lorsque Jehan s'assit à côté de lui.
- Hey… !
Bilbo leva le regard lorsque l'immense main du plus grand s'empara de son menton. Il se fit épingler par les yeux glacés, brillants d'une froide intelligence et poignants comme le givre. Le hobbit chercha à durcir son regard pour ne pas que Jehan y voit ses pensées véritables, mais il savait que l'humain ne lui vouait aucune confiance, à lui moins qu'à quiconque. Lorsque la main le relâcha, il retint un souffle tremblant et bourra sa pipe pour occuper ses doigts, tentant d'oublier la présence écrasante à ses côtés.
Le hobbit avait rencontré cette troupe plusieurs semaines plus tôt, dans une taverne rohirim alors qu'il pensait sincèrement à faire demi-tour pour retourner dans la Comté après avoir longuement hésité à prendre le chemin du Nord-Est, vers Erebor. Mais l'idée de revoir Thorin lui faisait un peu peur. Ils s'étaient quittés sur de très mauvaises bases avant la bataille des cinq armées et le roi n'avait pas cherché à le revoir après ça. Bilbo s'en était retourné dans la Comté le cœur lourd d'avoir perdu un ami.
- Je doute que vous puissiez être à la hauteur de la tâche pour laquelle vous vous êtes proposé...
- Je le serai !
- Vous avez plus l'air d'un cambrioleur que d'un assassin…
- Ce ne sera pas un assassina, ce sera justice.
Jehan ricana et ébouriffa la tignasse du hobbit, geste que ce dernier détestait.
- Soit, tout ce que j'attends de vous c'est que vous mettiez à mort le roi d'Erebor… Et pas seulement dans votre tête.
- Ce sera fait… Avec plaisir.
Bilbo retint sa respiration, certain que l'homme à côté de lui avait entendu son hésitation sur le dernier mot, mais celui-ci se leva, achevant le hobbit :
- Ca ne m'étonne pas, vu la manière dont il vous a traité…
Quand, plusieurs semaines plus tôt, Bilbo avait vu ce groupe s'asseoir à la table à côté de la sienne, il avait pensé s'enfuir. Sa petite taille et sa bouille avaient souvent été, durant ses pérégrinations, source de colibris, regards appuyés ou même carrément de harcèlements de la part de groupes comme celui-ci et bien souvent ce furent Dard ou bien son anneau qui l'avaient sorti de mauvais pas.
Mais il avait entendu le nom de Thorin. Il avait entendu les mots « mise à mort », « prise de pouvoir », « Arkenstone » et que, « si on tient ses neveux, il sera vulnérable ». Alors il s'était approché de la table.
- Ho ! Pieds-poilus ! T'as faim ?
S'extirpant de son livre et de ses pensées, le hobbit leva les yeux vers le mercenaire qui venait de le héler tandis que quelques soudards rigolèrent.
Lorsque Jehan n'était pas là, beaucoup de ses soldats prenaient leurs aises et Bilbo était la cible parfaite pour tous ceux qui avaient besoin d'asseoir un peu d'autorité. Le semi-homme ne répondit pas, se doutant qu'il n'aura sans doute pas sa part de dîner, mais préférait ça plutôt que de devoir s'aplatir devant ces humains. Ils n'insistèrent pas. Tous avaient compris que ce hobbit sera la clé de voute de leur plan, que, grâce à lui, ils pourront libérer le trône pour le nain qui les payait si grassement.
Lorsqu'il s'était présenté à eux, ils l'avaient immédiatement reconnu : le cambrioleur de la compagnie de Thorin. Jehan lui avait laissé cinq minutes pour s'expliquer afin de décider s'il lui tranchait la jugulaire maintenant ou plus tard. Bilbo avait su improviser un grief contre Thorin, leur expliquant le calvaire qu'il avait vécu lors de leur aventure, puis la trahison du roi, qui l'avait jeté hors du royaume sans lui donner son quatorzième dû. Et les mercenaires l'avaient cru. De même que le commanditaire qui avait été présent à la table aussi : Edaïn, cousin éloigné de Thraïn, qui vouait une rancune tenace au fils de ce dernier : Thorïn qui, de son côté, se contentait de le détester cordialement. Ces deux nains ne s'étaient jamais entendus et, maintenant que Ecu-de-Chêne avait pris un train de vie stable à Erebor, Edaïn voyait enfin le moyen de l'écraser, prendre sa couronne, son trône et l'Arkenstone et donner le reste aux humains qu'il embauchait.
Puis, Bilbo avait tenter un tour de force : leur faire comprendre qu'il sera indispensable dans le régicide, que, sans lui, ils n'avaient aucune chance. Edaïn fut le premier conquis malgré la retenu de Jehan, mais le commanditaire passa outre la méfiance du chef des mercenaires et leur imposa le semi-homme dans la quête. Celui-ci avait ensuite passé tout le voyage à chercher un moyen de déjouer le plan qu'ils avaient mis en place, de prévenir Thorin ou n'importe qui. Mais Jehan le surveillait de près, ne lui disait jamais tout le déroulement, seulement ce que le hobbit devait savoir. L'humain avait très bien fait comprendre à Bilbo que, au moindre faux pas, il n'hésiterait pas à ordonner sa mise à mort. Aux allusions que faisait le mercenaire, le cambrioleur répondait toujours que, tout ce qu'il voulait c'était son prix, rien d'autre…
Son prix…
Lorsque le groupe lui avait demandé ce qu'il voulait en échange de son aide, Bilbo n'avait exigé qu'une seule chose, espérant qu'il ne l'obtienne jamais :
Qu'il soit celui qui porterait le coup fatal au monarque.
