Hello tout le monde.
Et oui, c'est encore moi. Je ne sais pas ce que j'ai en ce moment, mais j'ai la tête qui fourmille d'idées et une furieuse envie d'écrire.
Bon soyons honnête, cette fic est dans les tuyaux depuis pas mal de temps. Depuis Juin en fait, avant même que je finisse de publier Till the end. Ce n'est donc pas une nouvelle idée, mais plutôt une continuation. D'ailleurs, vous ne la comprendrez pas sans lire Till the end of the line (or our bond), donc je vous conseille vivement d'aller le faire si vous venez juste d'arriver ici. Et comme je suis gentille, j'ajouterais que ce n'est pas vraiment une continuation, mais plutôt la même histoire, mais vue du PoV de Bucky.
Maintenant que cela est dit, je voulais ajouter que je n'ai jamais autant galéré à écrire un chapitre. Je suis sur celui-ci depuis février et je n'en suis pas encore totalement satisfaite. Mais comme le triturer encore et encore n'arrangea rien, je compte sur votre gentillesse pour ne pas être trop méchant. N'hésitez pas à me dire si certains passages ne sont pas clairs, je ne sais pas si j'ai bien réussi à retranscrire ce qu'il se passe dans la tête de notre Bucky adoré.
Et pour finir, je ne remercierai jamais assez Louisana, pour son superbe boulot de bêta. Je t'en ai beaucoup demandé sur celui là, alors encore merci.
Bonne lecture à tous.
La première sensation à s'enregistrer était toujours la même : il était en train de brûler vif. La différence de température entre son corps et l'eau dans laquelle il était plongé lui donnait l'impression d'être allongé dans de la lave. Chaque inspiration le consumait de l'intérieur.
La douleur était constante et il hésita à s'effacer et à laisser l'autre prendre le contrôle. Il supportait tellement mieux que lui tout ce qu'ils avaient subi tous les deux, sa colère et sa haine étant un bien meilleur bouclier que sa propre résignation. Mais il hésitait.
S'ils l'avaient réveillé, c'est qu'ils avaient une nouvelle mission. Bientôt ils l'effaceraient, avec leur chaise et leurs mots, ne laissant qu'une toute petite partie de sa conscience pendant que l'autre exécuterait les ordres que ses maîtres lui avait donné. Autant profiter un peu d'être là, même si les longues heures qui l'attendaient s'apparentaient à de la torture.
A intervalles réguliers, il recevait la visite d'un homme habillé d'une blouse blanche et accompagné de plusieurs soldats armés jusqu'aux dents. L'autre se réveillait à chaque fois, attiré par sa peur, et prêt à attaquer. Pour le moment, il arrivait encore à le maîtriser et à l'empêcher de prendre le contrôle. Le médecin vérifiait rapidement que le processus suivait son cours, puis il ressortait. C'était une perte de temps. Il aurait pu lui dire que tout progressait normalement, il avait l'habitude. Il ne se souvenait plus exactement du nombre de fois où il avait été sorti de cryogénie, mais les sensations lui étaient familières, une mémoire gravée dans ses os plutôt que dans son cerveau.
L'eau le brûlait toujours, ainsi que l'air, mais il commençait à sentir les premiers frissons parcourir son corps. Bientôt, ils seraient si violents qu'il devrait garder sa langue collée à son palais afin ne pas risquer de la mordre. Mais pour l'instant, son corps était encore figé, incapable de bouger tant qu'il ne se serait pas débarrassé de la glace qui le maintenait prisonnier.
C'était durant ces heures - celles qui suivaient son réveil - que ses pensées étaient les plus claires, ses souvenirs les plus nombreux. Il les passait en revue, incapable de dire s'il en manquait depuis la fois précédente, mais ils lui suffisaient. De toute façon, quels que soient les progrès que faisait son cerveau pendant la cryo, la chaise effaçait tout.
Enfin, presque tout. Il restait toujours cette petite lueur, parfois dorée, parfois bleue, juste assez chaude pour le réchauffer sans le brûler. Avant que ses maîtres ne le reprogramment, elle prenait beaucoup plus d'espace dans son esprit. Elle occupait la place centrale de pratiquement tous ses souvenirs, même si les détails s'étaient perdus dans les méandres de son cerveau. Etait-ce une personne ? Un sentiment ? Un lieu ? Il l'ignorait mais il savait qu'il devait la protéger à tout prix et jusqu'à maintenant il avait réussi. Malgré la torture et les différents traitements que ses superviseurs lui infligeaient, elle ne s'était jamais totalement éteinte.
Bien trop rapidement, les frissons devinrent tellement violents qu'il envoyait l'eau qui l'entourait s'écraser au sol. Il tenait sa mâchoire serrée au point d'entendre ses dents grincer. C'était la partie qu'il aimait le moins, de longues heures où il ne maîtrisait plus son corps et qui lui rappelaient beaucoup trop les moments où ni lui, ni l'autre n'étaient aux commandes, juste la programmation tirée de ce maudit livre rouge. Il était incapable de se concentrer sur autre chose que les convulsions qui traversaient son corps et très rapidement, sa conscience sombra, l'épuisement l'entrainant vers un sommeil sans rêve.
Il se réveilla brusquement.
Ses visiteurs étaient de retour et ils étaient bien trop proche de lui. Avant même qu'il ne puisse réagir, l'autre prit le contrôle, attrapant l'homme en blouse blanche par la gorge et serrant avec toute la force de son bras en métal. Un craquement retentit et le corps du médecin arrêta immédiatement de bouger. La panique l'envahit. Il allait être puni pour cela. L'autre s'en moquait : il accepterait n'importe quel châtiment tant qu'il pouvait blesser, mutiler et tuer. Il ne vivait que pour ces quelques secondes d'euphorie, celle qui arrivait invariablement lorsqu'il provoquait la souffrance et la mort.
La réplique ne se fit pas attendre et il fut traîné en dehors de la baignoire dans laquelle il s'était réveillé.
L'autre tenta de se défendre, lançant des insultes en russe et en allemand, mais son corps était encore trop faible et il ne présentait pas le moindre challenge pour les quatres hommes armés qui l'entouraient.
Très rapidement, les coups commencèrent à pleuvoir sur eux et des hématomes apparurent sous les bottes et les matraques des gardes. Un cinquième homme entra et siffla :
"Arrêtez ! Cette mission est trop importante et nous ne pourrons pas attendre qu'il guérisse. Emmenez-le dans sa cellule."
Lorsqu'une main lui attrapa le bras afin de le relever, il fit un effort et retint l'autre avant qu'il n'attaque à nouveau. Il savait qu'ils n'avaient aucune chance de s'échapper et résister ne leur apporterait qu'une punition plus violente.
Il fut ensuite jeté dans une pièce sombre et froide et fut soulagé d'y trouver un lit équipé d'une couverture et, au dessus, un pantalon et un T-shirt. Il s'était assez réchauffé pour que l'air sur sa peau nue lui paraisse glacial et il enfila rapidement les habits avant de se glisser sous les draps.
Il savait qu'il lui restait peu de temps avant que l'on vienne le chercher pour commencer sa programmation. L'autre était impatient de prendre le contrôle. Il était déjà en train de s'agiter dans son esprit. C'était inutile, bientôt la chaise laisserait leur corps aux ordres de son second occupant, sa propre conscience s'amenuisant durant le même processus.
Il ferma les yeux. Il pouvait, pendant quelques heures encore, profiter de ses souvenirs et de la lumière qui habitait chacun d'entre eux. Il allait devoir se battre pour la retenir, pour empêcher ses maîtres de l'effacer complètement. Comme à chaque fois, il se fit la promesse de la protéger, même si c'était la dernière chose qu'il ferait.
ooOoo
Les hommes revinrent le chercher bien trop tôt et, même s'il ne tremblait plus, il avait toujours aussi froid. Il se souvenait vaguement d'une époque où il n'avait pas constamment l'impression que ses os étaient gelés. Il se rappelait même d'une chaleur tellement étouffante qu'il restait allongé des heures entières au sol, incapable de bouger plus que de quelques mètres. Mais ce n'était pas un problème, parce que, dans ces moments-là, la lumière était près de lui.
Il savait pourquoi les mercenaires étaient venus et il ne chercha pas à se défendre ou à repousser l'inévitable. Tant qu'ils ne tenteraient pas de le toucher, il arriverait à maîtriser l'autre et ces soldats le savaient. Ils restèrent à bonne distance, tout en étant prêt à agir au moindre geste agressif.
Il fut un temps où il combattait pour sa liberté à chaque fois, mais le résultat était toujours le même : il finissait sur la chaise. Il avait abandonné toute idée d'y échapper et faisait depuis longtemps tout son possible pour empêcher l'autre d'attaquer. Ils ne feraient que provoquer une punition qui leur laisserait bon nombre de blessures à traîner pendant leur mission, diminuant leur capacité à la mener à bien.
Et il y avait une chose sur laquelle lui et l'autre s'entendaient : ils ne voulaient pas échouer. C'était une leçon que tous ses anciens superviseurs avaient pris le temps de lui inculquer : l'échec n'était pas envisageable. Pour chacun d'entre eux, ils étaient durement punis : des sévices barbares et des actes de torture, des membres brisés et des expériences médicales.
Même maintenant, alors que toutes les marques et les cicatrices avaient disparues, alors que leur dernière mission ratée remontait à longtemps, le simple souvenir de la douleur suffisait à le remplir d'une immense terreur.
Ils traversèrent plusieurs couloirs gris et froids avant d'arriver dans une grande salle au milieu de laquelle trônait la chaise. Quelques hommes en blouse blanche les observaient avec crainte depuis leur position, contre le mur le plus éloigné. L'autre s'agita, il tirait un plaisir malsain à provoquer la peur chez ses ennemis et rien ne l'enrageait plus que de sentir qu'il y parvenait. Bientôt il n'arriverait plus à le retenir et le soldat attaquerait, violent et létal. Il sentit sa maîtrise sur son propre corps s'amenuiser au fur et à mesure qu'il approchait de la chaise, mais ce n'est qu'une fois les attaches sécurisées qu'il lâcha prise : l'autre ne pourrait plus blesser personne. Sa conscience s'accrocha à la lumière. Il devait la protéger de ce qui allait arriver.
Il avait beau avoir l'habitude, la douleur infligée par la chaise le surprenait à chaque fois. Le courant électrique que les scientifiques envoyaient à travers son cerveau le parcourait sans difficulté et il y laissait une atroce douleur dans son sillage.
Il le sentait s'attaquer à son esprit, à ses souvenirs, il pouvait presque l'imaginer tout détruire sur son passage et chercher à atteindre la lueur qui se cachait derrière. Il se serra un peu plus autour d'elle, chaque seconde qui passait arrachant une partie de lui-même, mais il continuerait à la protéger jusqu'à ce qu'il ne reste rien de lui. Il ne se souvenait pas pourquoi, ce souvenir particulier était perdu depuis bien longtemps, mais il savait que c'était important.
Lorsque la douleur diminua et que ses pensées s'éclaircirent, l'autre était enragé. La vague de haine qu'il émettait était tellement puissante qu'il s'en éloigna mentalement le plus possible. Le peu de conscience qui lui restait était horrifié d'être en contact avec tellement de colère.
Il n'avait pas assez de force pour le combattre, pour reprendre le contrôle de son corps, pas quand la chaise avait effacé pratiquement tout ce qui faisait de lui, lui. Elle ne laissait que le soldat, avec les compétences qu'on leur avait inculqués, prêt à attaquer et à mutiler quiconque approcherait.
C'est lui qui avait créé l'autre - dans un besoin désespéré d'échapper à la douleur et aux humiliations qui étaient son quotidien - mais la chaise l'avait nourri. Les missions et chaque fois où il avait abandonné le contrôle par facilité, par refus de mener à bien ce que l'on attendait d'eux, avaient renforcé son emprise. Il n'était plus qu'un simple spectateur, incapable d'intervenir, alors que son corps obéissait aux ordres d'un autre.
Un des mercenaires s'approcha et, sans le détacher, lui donna sa nouvelle mission : ils devaient assassiner un homme. Il ne lui fournit pas tous les détails, mais il insista sur l'importance de sa réussite pour leur cause et sur le fait, comme à chaque fois, qu'ils ne devaient pas échouer.
L'autre se fichait du pourquoi, tant qu'il pouvait tuer, cela lui suffisait. Après la chaise, leurs souvenirs se limitaient à ce que leurs superviseurs successifs leur avaient appris - leurs divers entraînements aux combat, le maniement des armes, des bases d'anatomie... tout ce qui leur permettait de mener à bien leur missions - et pourtant il savait que raisons pour lesquelles on les envoyait en mission étaient toujours identiques : éliminer quelque chose ou quelqu'un qui se mettait en travers du chemin de ses propriétaires actuels.
Plusieurs soldats l'escortèrent ensuite dans une pièce adjacente et le laissèrent s'équiper pour sa tâche. Il observait ce qui se passait, un simple témoin enfermé dans son propre corps. L'autre était efficace et doué, choisissant rapidement les armes dont ils pourraient avoir besoin. Tout son conditionnement, tous les sévices passés n'avaient qu'un seul but : que la réussite de la mission soit sa seule et unique priorité, quel qu'en soit le prix pour eux et pour ceux les entourant.
Trente minutes plus tard, il était dans les rues d'une ville quelconque. Vu la langue que parlaient les gens qu'il avait croisé, il était aux Etats-Unis. Il coinça sa cible en pleine avenue, arrêtant sa voiture à l'aide d'une mine. Mais quand il s'approcha pour finir le travail, l'homme qu'il devait abattre avait disparu dans les souterrains, après avoir découpé le toit de sa voiture et le macadam.
Il descendit à sa suite et observa l'égout dans lequel il avait atterrit. Il chercha pendant quelques instants un indice qui lui permettrait de savoir de quel côté sa cible était partie. Il n'y avait rien d'exploitable et il laissa son sens de l'ouïe s'étendre.
Il avait toujours eu la capacité d'entendre et de voir plus loin que n'importe qui, mais il avait fait le nécessaire pour le cacher. Il ne se souvenait plus de ce qui l'avait poussé initialement à le taire, ni pourquoi ses sens étaient surdéveloppés. Mais il était évident que ses superviseurs mèneraient de nouvelles expériences s'ils l'apprenaient.
Il entendait faiblement quelqu'un marcher à travers le boyau qui partait vers le sud. Il suivit ce chemin et resta à une distance suffisante pour rendre sa présence indétectable tout en gardant la trace de l'homme qu'il devait tuer. Il ne devait pas échouer.
Quand il émergea à l'air libre pratiquement une heure plus tard, il faisait nuit. Le quartier dans lequel il se trouvait était animé et le soldat n'avait aucune chance de terminer sa mission discrètement avec ces nouveaux paramètres. Sa cible était douée, il était évident qu'il était un espion accompli, mais il parvint à le suivre jusqu'à ce qu'il entre dans un des immeubles d'habitation à l'angle d'une rue.
Un rapide tour du périmètre lui apprit que le bâtiment n'avait que deux issues et que le meilleur point de surveillance se trouvait sur le toit d'en face. Il appela la base pour qu'on lui amène son fusil à lunette. Il rejoint ensuite son perchoir, s'installa et se prépara à attendre.
Il avait une vue plongeante sur la rue et après une demi-heure d'observation de son environnement, il vit passer un homme en moto. Il le suivit des yeux, intrigué sans vraiment comprendre pourquoi. Il reprit sa surveillance lorsque l'inconnu disparut dans un garage souterrain. Il n'avait aucun moyen de savoir où se trouvait sa cible, sa seule certitude était qu'il n'avait pas quitté le bâtiment. Il devait attendre une erreur ou qu'il ressorte avant d'agir.
Une ampoule s'alluma quelques secondes dans un des appartements en face de lui, juste avant de s'éteindre. Il se concentra sur ce qui se passait à l'intérieur, et, malgré la pénombre, il vit le motard en discussion avec l'homme qu'il devait éliminer. Il sentit la lumière dans son crâne bouger et commencer à pulser. C'était la première fois qu'elle agissait ainsi et il ignorait ce qui avait provoqué ce changement. Le soldat ne s'en préoccupa pas, il voulait terminer leur mission et sa soif de sang le poussa à tirer. Deux balles suffirent et leur cible s'écroula. Il resta quelques instants afin de vérifier que son travail était bien terminé.
Il ne s'attendait pas à ce que le blond à la moto se lance à sa poursuite. Il passa à travers ses propres fenêtres et franchit d'un coup la distance qui séparait les deux bâtiments. Il atterrit quelques étages plus bas et ce fut le signal dont avait besoin le soldat pour se mettre en mouvement. Il ne voyait pas son poursuivant mais ses supers sens lui permettaient de l'entendre : il était rapide et n'aurait pas de mal à le rattraper s'il restait sur place.
Il s'élança vers le côté opposé du toit. Il entendait des bruits sourds et des meubles glisser au sol, mais rien ne semblait ralentir l'homme qui le poursuivait. S'il le rejoignait, il devrait certainement se débarrasser de lui.
À peine cette idée avait-elle traversé son cerveau qu'une voix se fit entendre. Elle semblait provenir du même endroit que la lumière. Ce n'était à peine plus qu'un murmure, mais elle disait non, non, non, non sans discontinuer.
La dernière fois qu'il avait entendu une voix dans son esprit, c'était celle de l'autre, quand il l'avait créé. Il ne voulait pas partager son corps avec une nouvelle personnalité, alors qu'il n'arrivait déjà pas à garder le contrôle.
Mais la voix se contentait de murmurer.
Du moins jusqu'à ce que l'homme qui le poursuivait n'apparaisse sur le toit. Il jeta son bouclier - qui se battait encore avec un bouclier de nos jours !? - mais l'autre n'eut aucun mal à le rattraper. Cela laissait leur adversaire sans défense et le soldat était armé, il lui faudrait moins de deux secondes pour le tuer.
Sa main se dirigeait vers un des Glock 19 à sa ceinture quand la voix se mit à hurler. Elle brisa leur concentration et lui permit de reprendre brièvement le contrôle : ils étaient vulnérables sur ce toit et leur mission était terminée, leur adversaire actuel n'était pas un de leurs objectifs. Il envoya le bouclier de toute la force de leur bras métallique et il sauta du toit.
Il se fondit ensuite dans les ombres et se dirigea vers son point d'extraction. Ils avaient réussi leur mission, ils seraient certainement bientôt remis dans son caisson cryogénique et tout redeviendrait silencieux et calme.
Jusqu'à la prochaine fois.
ooOoo
Ce qui l'attendait quand il rentra dans la bâtisse qui servait de base des opérations fut une seconde série d'ordres. Il devait rejoindre la maison du chef de leur organisation et y attendre une nouvelle mission. Il n'avait jamais vu cet homme personnellement mais cela ne l'empêcha pas de se diriger, sans discuter, vers l'adresse qu'on lui avait indiqué. Il entra dans le bâtiment, prenant garde à ne pas se faire entendre ou voir par la femme qui s'y trouvait déjà.
Il s'installa dans la cuisine. La pièce était sombre et le comptoir central lui fournirait une cachette si la femme devait entrer. Il y avait également de grandes fenêtres et une porte qui étaient autant de voies de sortie. Ou d'entrée.
Pendant qu'ils attendaient, le soldat passa en revue toutes les manière dont il pourrait tuer quelqu'un ici sans même avoir à pénétrer dans la maison. Puis il énuméra toutes les façons dont il pourrait entrer. Quand il commença à se remémorer leur vaste expérience en assassinat - et pourquoi était-ce les seuls souvenirs qui leur restaient ? - il décida de s'éloigner le plus possible.
Il s'enroula autour de la lumière. Elle allait bien. Cette fois encore, la chaise ne l'avait pas touché. La nouvelle voix s'était tue, même s'il sentait toujours sa présence. Il n'avait plus rien à faire à part attendre et il se laissa sombrer. Il rejoignit cet endroit intérieur de paix et de calme où rien ne semblait l'atteindre.
Quand il émergea, il fut accueilli par l'odeur du sang. La femme qu'il avait vu plus tôt gisait sur le sol de la cuisine. Plusieurs mercenaires étaient présents, en tenue de combat, et au milieu d'entre eux se trouvait un homme blond. Son costume était bien coupé et l'étoffe était épaisse : riche. La manière dont il se tenait indiquait de l'assurance, quelqu'un qui avait l'habitude d'être écouté et obéi.
Qu'est-ce qu'ils avaient fait ? Si l'autre avait tué sans s'y être autorisé, ils allaient être punis. La peur lui serra la poitrine.
Malgré tous les trous dans sa mémoire, il se souvenait parfaitement de la douleur, de la honte, de l'impuissance qui l'envahissaient lors de chaque sanction pour ne plus jamais vouloir les revivre. Il savait pourtant qu'il ne devait pas laisser le soldat seul tant qu'il n'était pas totalement immobilisé ou enfermé. A travers sa panique, les souvenirs des quelques minutes qu'il avait raté l'atteignirent : l'homme en costume avait tué la femme et il était son nouveau propriétaire.
Un profond soulagement remplaça la peur : il ne serait pas puni. Du moins pas pour l'assassinat de la femme. Mais ils n'allaient pas retourner en cryo, ils avaient une nouvelle mission : tuer l'homme qu'il avait croisé sur le toit.
Il était autorisé à utiliser tous les moyens nécessaires. Si les gens qui accompagnaient sa cible posaient problème, il pouvait les éliminer. Le soldat était impatient de commencer : il allait pouvoir tuer et blesser sans aucune limite. De son côté, il était uniquement soulagé : il serait plus facile d'arrêter l'homme du toit s'il n'avait pas à se soucier de ne pas faire d'autres victimes. Il se souvenait encore des coups qu'il avait reçu la dernière fois qu'il avait provoqué des dommages collatéraux non autorisés.
La petite partie de lui qui était encore capable de faire la différence entre le bien et le mal lui souffla que l'on parlait de la mort d'innocents, de gens qui n'avaient rien fait de mal, des personnes avec une famille, des enfants. Cela ne fit qu'augmenter sa honte mais ne l'empêcha pas de laisser les commandes à l'autre. Les effets de la chaise avaient commencé à faiblir mais il était incapable de reprendre le contrôle, même dans le cas hypothétique où il en aurait envie. Il préférait passer la plupart des combats en simple témoin des événements.
Il restait si peu de lui, presque plus aucun souvenir, plus d'identité, juste quelques notions de moralité. Mais même ces dernières s'amenuisaient à chaque mission, chaque réveil, chaque coup qu'il recevait et chaque vie qu'il prenait. Peut-être qu'un jour, il s'enfoncerait définitivement au fond de leur esprit et il ne resterait plus que le soldat en surface. Mais il laisserait la lumière seule et il devait la protéger. Alors il résistait à la tentation et tenait bon. Il s'approcha de la chaleur et laissa l'autre faire ce qu'il faisait le mieux.
ooOoo
Il ne fut déployé que bien plus tard, lorsque les personnes qui surveillaient les allées et venues de sa mission réussirent à le retrouver. Ils avaient tenté de l'arrêter en détruisant le bâtiment dans lequel il se trouvait mais, contre toute attente, il avait réussi à s'extirper des décombres. L'équipe envoyée pour récupérer sa dépouille avait trouvé des traces de pas s'éloignant des lieux, mais la piste s'était brusquement arrêtée.
Ils ne l'avaient récupérée que lorsque sa cible, accompagné non plus d'une mais de deux personnes, avait enlevé un homme détenant des informations importantes pour son propriétaire, pratiquement en pleine rue. Il avait ordre de se débarrasser de l'homme - on ne trahissait pas l'organisation sans en payer les conséquences - et de sa cible initiale par la même occasion. Ses deux coéquipiers importaient peu.
Pendant qu'ils suivaient leur voiture, la voix et les non, non, non étaient revenus. Le soldat était concentré sur la mission et il ne semblait pas y porter la moindre attention. Peut-être qu'il ne l'entendait pas, peut-être qu'il était le seul à le pouvoir. Tout comme personne ne se rendait vraiment compte que l'autre existait.
Il avait commencé de la même manière, une voix, pleine de haine et de colère, et ce besoin de faire souffrir, puis il avait pris l'ascendant sur leur corps. Ou c'était lui qui l'avait laissé prendre le contrôle, parce que parfois, s'enfoncer était le seul moyen qu'il avait à sa disposition pour quitter les horreurs qui lui étaient infligées. Mais la nouvelle voix ne faisait que murmurer.
Son volume augmenta pourtant lorsqu'il atterrit sur le toit de la voiture de leur cible. La première action du soldat fut de se débarrasser de Sitwell : il l'attrapa à travers la fenêtre de sa portière et l'éjecta sur la voie opposée. Le camion qui le frappa de plein fouet ne lui laissa aucune chance de survie.
Il tira ensuite à travers la carrosserie vers l'emplacement des appuis-têtes, un moyen rapide et efficace de tuer les passagers d'un véhicule, mais la femme était douée. Elle connaissait tous ses trucs et arriva à protéger efficacement sa cible principale. Ils arrivèrent à les séparer et il décida de commencer par se débarrasser d'elle. Ils laissèrent le reste de l'équipe s'occuper pour le moment des deux hommes et se mirent à la poursuite de la rousse.
L'autre était furieux, elle avait presque réussi à les atteindre. Seuls ses réflexes et ses lunettes lui avaient permis de s'en sortir. Et s'il y avait bien une chose que le soldat détestait, c'était être pris en défaut. Il avait une fierté perverse à être le meilleur dans son domaine, à ne pas échouer, à ce que son nom soit murmuré avec crainte et admiration. Et cela n'avait rien à voir avec les punitions qui leur étaient infligées quand ils échouaient. Ils avaient lu le dossier de cette femme, elle avait elle aussi un long historique dans leur activité, la tuer augmenterait son propre prestige.
Et elle n'avait pas volé sa réputation, elle était rapide et maligne. Seuls ses sens surdéveloppés lui permirent de réagir assez vite et il l'empêcha de placer un garrot autour de son cou. Il utilisa ensuite sa force surhumaine et son bras métallique pour l'envoyer contre une voiture. Malgré la violence du choc, elle réussit à s'échapper et à se cacher. Il utilisa à nouveau ses sens et il la retrouva. L'angle avec lequel il tira ne lui permit pas de l'abattre d'un seul coup, mais le calibre utilisé l'empêcherait de se défendre efficacement. Il allait la rejoindre et la tuer lorsque sa cible principale se jeta sur lui.
A peine le soldat avait-il écrasé son poing sur le bouclier que la voix s'était remise à crier : NON, NON, NON. La lumière pulsait au rythme des mots, comme pour leur donner plus de poids. Et l'autre semblait l'entendre cette fois.
Il était moins rapide et efficace et cela le rendait furieux. Il n'en était pas moins létal pour autant. N'importe qui aurait déjà plié sous ses coups, pourtant leur opposant tenait bon. Il était rapide et fort, mais il y avait quelque chose de plus, quelque chose qui mettait le soldat en rage. Il avait beau utiliser tout son entraînement, sa vitesse et sa force, il n'arrivait pas à prendre le dessus. Pire, plus le temps passait et plus l'autre homme semblait lire leurs gestes, agissant avant même qu'ils ne fassent le moindre mouvement. Leur combat gagnait en vitesse et ils avaient pratiquement utilisé toutes les armes à leur disposition.
Pourtant le blond - Steve Rogers, aka Captain America d'après son dossier - leur tenait encore tête et la voix s'était mise à hurler. La lumière s'agitait elle aussi et il ne comprenait pas pourquoi. Elle n'avait jamais agi ainsi, elle n'avait jamais paru avoir de volonté propre, elle n'était normalement qu'une simple présence au fond de son cerveau. Mais elle le poussait maintenant à intervenir.
Il ne voulait pas interférer, le combat avait mis le soldat dans un tel état de fureur et de haine qu'il n'avait aucune chance de reprendre le contrôle. Et puis cela laisserait une ouverture à leur adversaire, et ils ne pouvaient pas se permettre d'échouer.
Il s'occuperait de cela plus tard, quand la mission serait terminée, avant qu'il ne retourne en cryo. L'idée de devoir partager son corps avec une nouvelle conscience le remplissait d'horreur. Que voulait la voix ? Il était habitué à l'autre, il lui était utile, il prenait les rênes quand ce qu'on attendait de lui était trop difficile ou lorsqu'il voulait laisser sa conscience sombrer. Il avait beau le détester, il avait besoin de lui. Mais cette nouvelle voix l'inquiétait. Allait-elle empirer leur situation ou l'aider ?
Pour le moment, elle n'essayait pas de prendre le contrôle et le combat avait pris un rythme surhumain. Etrangement, le soldat semblait lire les mouvements de leur cible et il commençait à bouger bien avant que leur adversaire n'ai esquissé le moindre geste. La sensation lui était familière, même s'il était incapable de la rattacher à un souvenir précis.
Ils savaient que plus ils attendaient, plus le risque d'échouer augmentait. Ils devaient terminer ce combat rapidement et ils commencèrent à prendre de plus en plus de risques, cherchant à déstabiliser leur opposant, mais cela se retourna contre eux : Rogers réussit à les saisir par la mâchoire et lorsque leur masque céda, il sentit leurs peaux entrer en contact.
Plusieurs choses se passèrent simultanément : la première dont il fut conscient fut le frisson qui les parcourut tous les deux. La seconde, que la voix avait arrêté de hurler Non, maintenant elle criait SteveSteveSteve sans discontinuer. La troisième fut que la colère qui habitait constamment le soldat avait disparu, comme une flamme de bougie soufflée par le vent et enfin, ce qui le désarçonna encore plus que tout le reste, la lumière donna un ordre : PROTÈGE.
Elle avait toujours été là, dans chacun de ses maigres souvenirs, quelque part dans son esprit. Elle était restée muette, une présence silencieuse qui n'avait jamais fait preuve d'aucune volonté, d'aucune idée. Mais maintenant, sa demande était impérieuse : protège-le !
Il voulait obéir, mais l'autre était encore aux commandes même s'il restait sans bouger. Ils regardèrent avec confusion leur cible parler pour la première fois :
"Bucky ?"
La lumière se renforça en entendant ces mots et l'autre se figea. Sans sa colère et sa fureur pour le guider, il ne savait pas comment réagir. C'était le moment où jamais de reprendre les rênes. Il posa la question qui lui parut la plus importante :
"C'est qui ça, Bucky ?"
Et puis, comme il devait de toute façon terminer sa mission, il leva le bras et s'apprêta à tirer sur leur cible qui était tout aussi immobile et confus que lui.
La voix et la lumière hurlaient, une cacophonie de Non et de Steve et de Protège qui l'empêcha d'entendre un second adversaire arriver dans son dos. Quand il se releva, il hésita. Il pouvait encore finir sa mission et éviter la punition qui allait lui être infligée, mais il voulait écouter la voix et la lumière, il ne voulait pas faire mal à cet homme. Il devait le protéger.
Ce temps d'hésitation lui ôta le choix des mains : il dut s'abriter derrière une voiture lorsqu'une roquette arriva droit sur lui. La femme rousse était arrivée et il était désormais seul contre trois personnes bien assez entraînées pour lui poser problème. Il n'avait maintenant aucune chance de terminer sa mission avant que les membres de sa propre équipe ne se montrent. Il entendait déjà leurs véhicules approcher.
Il sentait la colère de l'autre reprendre vie et il n'aurait bientôt plus le contrôle de son propre corps. Il ne voulait pas tuer Rogers, et la seule façon d'atteindre cet objectif était de s'éloigner.
Il profita du chaos ambiant pour disparaître rapidement et se diriger vers son point de rendez-vous. Pendant tout le trajet, la lumière lui disait de faire demi-tour et de protéger, pourtant il continua à avancer. Il savait pertinemment ce que l'équipe du Strike avait comme ordre une fois qu'ils auraient mis la main sur Captain America, mais il n'avait pas le choix, quoi que veuille la lumière. Il ne pouvait déjà pas se sauver lui-même, il avait essayé pendant des années, comment pourrait-il aider Rogers ? Et pourquoi est-ce que son refus de le blesser se transformait peu à peu en besoin d'être à ses côtés ? De vérifier qu'il allait bien ? D'empêcher quiconque lui voulant du mal de l'approcher ?
Le soldat voulait reprendre le contrôle et retourner éliminer leur cible : il n'avait pas échoué, il pouvait encore réussir leur mission. La voix s'était tue, mais la lumière gagnait en force et elle le poussait à protéger Steve. Il ne savait pas comment, mais il connaissait cet homme. Il avait lu son dossier, mais son nom lui était maintenant étrangement familier. Depuis leur bref contact pendant leur combat, il était persuadé de l'avoir déjà rencontré, même s'il ne se souvenait plus des circonstances.
Toute cette situation était perturbante. Il avait l'habitude d'abandonner le contrôle de son corps au soldat, de le laisser décider. C'était tellement plus facile que de le combattre et ça lui donnait un échappatoire : il ne maîtrisait rien, ce n'était pas lui le responsable des atrocités qu'ils commettaient. Et pendant qu'ils tuaient, blessaient, torturaient, cette excuse lui permettait de tenir, de ne pas s'enfoncer définitivement.
Mais pour être honnête, cette excuse ne fonctionnait qu'un temps, il finissait toujours par s'en vouloir d'avoir cédé, de ne pas avoir résisté plus longtemps. Il avait cru tenir au début, et même si les détails étaient confus ou manquants, il se souvenait d'avoir volontairement raté certaines missions, d'avoir cherché à s'échapper, d'avoir pratiquement réussi. Mais son conditionnement, les punitions et la volonté du soldat ne lui avaient laissé en réalité aucune chance. Il avait fini par baisser les bras et sa conscience, le peu qui lui restait, le torturait pour cela.
En définitive, il rejoignit son point de rendez-vous sans faire demi-tour. Les hommes qui l'accueillirent le désarmèrent immédiatement puis il fut tout de suite emmené dans un immense gratte-ciel sur les rives d'une rivière. Ils le gardaient habituellement dans des bâtiments discrets, à la périphérie des villes, voire au milieu de nulle part. Il n'était pas à l'aise ici, malgré le fait qu'il passa directement du parking souterrain à un dédale de couloir sans fenêtres.
Ils croisèrent plusieurs équipes de mercenaires durant leur trajet, ainsi que des hommes en blouse blanche et d'autres habillés en civil. Il y avait une effervescence autour d'eux qui ne faisait qu'empirer leur nervosité. L'autre était de plus en plus agité et il devenait difficile de garder le contrôle. Tout avait été différent dans cette mission et il y avait beaucoup trop de monde autour d'eux, chacun occupé à sa propre tâche.
Ils l'obligèrent à s'asseoir sur la chaise et débutèrent son débriefing. Il détestait cette chaise, elle ne lui apportait que de la souffrance et il sentit la panique monter. Il se concentra pour oublier où il se trouvait et commença par un rapport sur son statut : optimal. Ses côtes fêlées et son entorse à la cheville droite seraient guéries dans quelques heures, il en sentait à peine la douleur, ce n'était pas nécessaire de leur donner l'information. Ils firent ensuite plusieurs tests et vérifications sur le bras de métal.
Il contrôla du mieux qu'il put le soldat, mais il lui échappa à plusieurs reprises : il brisa le poignet d'un technicien qui s'était trop approché et envoya voler un des mercenaires contre un mur. Il ne faisait qu'empirer leur situation, ils avaient échoué. Il voulait sombrer, laisser l'autre faire ce qu'il voulait et remonter uniquement lorsque tout serait terminé, quand ils n'auraient plus qu'à guérir des coups, des coupures, des expérimentations qui allaient servir de punition pour leur échec. Avec un peu de chance, ils les remettrait dans leur caisson cryogénique avant qu'il n'émerge.
Pourtant il devait rester, la lumière lui disait que c'était important. Ses demandes étaient tellement impérieuses qu'il ne pouvait faire autre chose que lui obéir, malgré ce qu'il savait : le moindre signe d'insoumission serait durement réprimé. Et une part de lui voulait l'écouter, malgré les risques. Et il voulait comprendre.
Peut-être que les gens autour de lui pourraient lui expliquer qui était Steve et pourquoi il le connaissait. Quand enfin, ils commencèrent à lui poser des questions sur le déroulement de la mission, il leur annonça :
"Je le connais."
Ceci fit se figer les quelques hommes autour de lui. Pour beaucoup d'entre eux, c'était probablement la première fois qu'ils l'entendaient parler de lui-même. Il ne communiquait que pour donner des informations lors de ses missions et répondre aux questions qu'on lui posait.
Après quelques secondes de silence, ils lui demandèrent de continuer son récit des événements. Mais il voulait savoir, il insista :
"Je le connais."
Il essayait de se souvenir, de fouiller dans sa mémoire mais il n'y avait rien. Que du vide, hanté par quelques sensations : une odeur de graisse, un rire communicatif, un match de baseball, une classe d'école, une tente glaciale au milieu d'une forêt, un corps installé contre son torse … la chaleur de la lumière augmentait, elle s'attaquait aux déserts gelés de son esprit, lui apportant un peu de confort.
Malheureusement il ne trouva rien, les trous dans sa mémoire étaient trop nombreux et importants.
Les gens autour de lui commençaient à s'agiter et le pressaient à répondre. Mais il voulait se souvenir, il y était presque, il sentait les souvenirs tout proche et la lumière savait aussi. Elle savait qui il était mais il n'arrivait pas à l'atteindre.
Brusquement une nouvelle équipe de soldats entra dans la pièce. Ils étaient accompagnés par l'homme blond qui lui avait donné sa dernière mission. Il ne savait pas depuis combien de temps il était là, à chercher à atteindre ces souvenirs qui lui échappaient encore. Son nouveau maître s'assit en face de lui et lui parla de leur objectif, de ce pour quoi ils travaillent depuis des décennies, comme s'il avait le choix d'embrasser leur cause, comme s'il pouvait refuser une mission.
Il ne l'écoutait pas vraiment, perdu dans ses pensées, à la poursuite de la lumière. Il enregistra à peine la gifle qu'il reçut, la douleur était bien faible par rapport à ce que son corps avait enduré. Et puis il devait se souvenir, c'était important. Plus important qu'échapper aux coups, à l'humiliation, à la souffrance.
"Mais je le connais."
Lorsque l'homme donna l'ordre d'utiliser la chaise, il hésita à se défendre. Elle allait effacer la lumière, il n'aurait plus aucune chance de savoir qui était Steve et pourquoi il devait le protéger.
Il jeta un oeil autour de lui, cataloguant les personnes présentes, les armes à sa disposition. Il arriva à la conclusion qu'il n'avait aucune chance de s'échapper, malgré sa force et son entraînement. Il accepta son sort et ouvrit la bouche lorsqu'on lui présenta la garde en caoutchouc. Il laissa l'autre prendre le contrôle et fit de son mieux pour protéger la lumière pendant que la chaise effaçait pour la seconde fois en quelques jours sa conscience et sa volonté.
ooOoo
Il fut gardé attaché sur la chaise pendant de longues heures, beaucoup plus longtemps qu'habituellement. Que s'était il passé pour que ses maîtres jugent nécessaire de le laisser sanglé ? Qu'avaient-ils fait ? Il était conscient d'être sorti de cryo depuis plusieurs jours, mais ses souvenirs étaient confus. Il avait eu une mission à accomplir et les détails restaient flous. Avaient-ils réussi ou échoué ? Etait-ce une forme de punition ?
Le soldat était très calme et les gens autour d'eux s'affairaient, ne leur prêtant aucune attention. Mais le fait le plus surprenant provenait de la lumière : il l'avait protégé comme à chaque fois et depuis des émotions la traversaient et l'atteignaient : de la confusion, de la tristesse mais également beaucoup de détermination. Ce n'était pas la même sensation que d'habitude - parce que, même s'il rechignait à se l'avouer, l'autre était une partie de lui - ces sentiments provenaient bien de quelqu'un d'autre.
Il ne comprenait pas ce qui se passait, mais la lumière lui avait toujours donné une raison de tenir bon et de continuer à exister. Et puis, tout ceci l'aidait à se concentrer et à rester lui-même. La chaise le laissait habituellement beaucoup plus confus et désorienté, mais cette fois, certaines idées étaient claires. La lumière lui donnait quelque chose à se raccrocher, quelque chose qui différait des années de sévices et de violence, quelque chose de plus positif que de la haine et de la peur. Cela faisait tellement longtemps qu'il oscillait entre les deux qu'il avait oublié que les sentiments pouvaient eux aussi apporter de la chaleur.
Il n'avait toujours pas compris ce qui se passait quand il fut détaché et armé. Il avait une nouvelle mission : les héliporteurs devaient décoller et son rôle était de s'assurer que personne ne les en empêcherait.
La mention "par tous les moyens" remplit le soldat d'anticipation et de rage. Lui, il ne voulait pas se battre, mais il avait appris depuis des décennies que ce qu'il voulait n'avait aucune importance. Il était une arme, un outil, créé et gardé pour effectuer les volontés de son maître.
Mais la lumière avait réveillé quelque chose, une envie profondément enfouie en lui de se battre, non pas pour un autre, mais pour lui, pour ce qu'il savait être juste. Et puis, il voulait comprendre pourquoi elle laissait passer ces émotions, pourquoi elle disait protégerSteveprotégerSteve sans discontinuer. Qui était ce Steve qu'il devait protéger ? Il semblait important, mais la chaise l'avait trop affaibli pour contrôler l'autre, pas quand ils avaient une mission et l'autorisation de blesser ou de tuer toutes les personnes qu'ils croiseraient.
Lorsqu'il aperçut les deux combattants en costumes sur le pont de l'héliporteur, une voix au fond de son esprit et la lumière se mirent à parler à l'unisson : protège Steve. Elles devinrent hystériques lorsque le soldat projeta l'homme en bleu par dessus bord avant de s'attaquer à celui avec des ailes.
Il avait du mal à se concentrer, la voix s'était calmée mais il ressentait des émotions qu'il n'arrivait pas à assimiler et gérer : inquiétude, désarroi et toujours cette détermination de fer, comme si rien ne pouvait l'entamer. Et puis il y avait ce nom : Steve. Il savait que c'était important, le souvenir était tout proche, il en voyait certains détails : un pont, un combat avec un adversaire à sa mesure. Et puis d'autres, plus lointains et flous : une course poursuite sur un toit, une chambre minuscule et étouffante, un sourire plus brillant que le soleil...
C'était trop, sa tête était un maelstrom de sentiments et de pensées : les siennes, celles du soldat et celle provenant de la lumière. Il avait l'impression d'étouffer. Il ne pouvait pas tous les gérer et quand il crut qu'il allait être submergé par un afflux d'émotion trop important, tout se coupa. Plus d'émotion, plus de voix, même l'autre était devenu un bruit de fond, à la la limite de sa conscience. Il se sentait s'enfoncer, voulait s'enfoncer, mais la lumière le retenait, l'empêchant de sombrer totalement.
Le soldat les dirigea vers le centre de contrôle automatique de l'héliporteur. Il se plaça devant la console principale et attendit. Malgré les combats qui faisaient rage autour de l'appareil, ici tout était calme, aucune émotion, aucune pensée, pas de peur, ni de haine, ni de colère. Quand l'homme en bleu apparut au bout de la passerelle, quelque chose changea. Il entendit faiblement la voix parler : NonNonNon et quelques sentiments l'atteignirent, clairs comme des gouttes d'eau pure : joie, soulagement, détermination.
Mais lui même ne ressentait rien. C'était étrange, parce qu'il ne se souvenait pas d'un seul instant où la haine et la colère du soldat ne l'avaient pas accompagné. Il restèrent à s'observer quelques instants. Il ne savait pas qui était cet homme et pourquoi il avait cet effet sur lui. Alors que les secondes passaient, de nouvelles émotions apparurent : de la colère, de la panique, de l'hésitation. Et puis l'homme parla, sa voix faisant frissonner la lumière :
"Ne m'oblige pas à faire ça."
La résignation et la tristesse remplacèrent l'hésitation et son adversaire se mit en mouvement. Le soldat n'eut aucun mal à détourner le bouclier lancé vers eux. L'homme en bleu était rapide et savait se servir de son arme, autant dans l'optique de se protéger que pour attaquer. Mais l'autre était bien décidé à réussir leur mission et il sortit deux armes de poing.
Quand une balle effleura le flanc de son ennemi, la lumière tressauta et le ton de la voix changea. Le volume était toujours étouffé mais il était évident qu'elle hurlait. Est-ce que l'autre l'entendait ? Est ce qu'elle lui demandait à lui aussi d'arrêter ? Qu'ils ne devaient pas blesser cet homme, qu'il était important ?
Qu'il l'entende ou pas, elle ne l'empêchait pas de se battre. Le soldat avait une mission à accomplir - ils avaient une mission à accomplir - et rien n'était plus important. Ils devaient stopper cet homme et le tuer était le meilleur moyen d'y parvenir.
Il voulait s'arrêter, il n'avait pas envie de le blesser. Et puis, il devait écouter la lumière et la voix qui lui disaient de le protéger, mais la chaise l'avait affaibli. Et c'était sans compter le fait que, pour une fois, il était dans un endroit presque confortable. Il était conscient de ce qui se passait autour de lui mais les émotions qu'il savait être là ne l'atteignaient pas. Il n'était pas certain de vouloir quitter ce lieu.
Lorsque le couteau pénétra dans l'épaule de son ennemi et qu'une vive douleur irradia la sienne, une partie du voile se leva. Son propre corps se rebellait à l'idée de blesser leur cible, lui indiquant sans équivoque que ce qu'il faisait était mal. Il ne s'arrêta pour autant.
Il accueillit avec soulagement la douleur qui traversa son bras lorsque son adversaire le lui brisa - il méritait de souffrir pour ne pas réussir à arrêter l'autre, pour ne pas avoir au moins essayé - et il ne combattit pas les ténèbres qui l'envahirent peu de temps après. Sa dernière pensée avant de s'évanouir fut qu'une fois mort, il ne pourrait plus faire de mal.
Sauf qu'il se réveilla après quelques minutes. L'autre était une présence enragée dans son esprit mais ce n'était plus lui qui les dirigeait. Il était vivant. Leur adversaire leur avait laissé la vie sauve alors qu'ils avaient essayé de le tuer à plusieurs reprises. Il était à sa mercie et il avait préféré continuer sa mission plutôt que d'en terminer avec lui.
Il regarda avec confusion l'homme tenter de remonter sur la passerelle. Pourquoi ne l'avait-il pas achevé ? Maintenant, ils allaient échouer et être punis et ils devraient retourner en cryo. Et il ferait du mal, encore et encore. Pourquoi ne les avait-il pas tué ? Il sentait la peur et la colère monter en lui et, pour une fois, ce n'était pas celles du soldat. Il avait presque trouvé une fin à son existence, presque trouvé la paix, mais même cela lui avait été refusé.
Ils attrapèrent leur pistolet et tirèrent sur leur cible. La balle traversa sa cuisse mais il continua à monter. Le voile qui avait recouvert le monde s'était entièrement dissipé et plus rien ne l'empêchait de ressentir la douleur de leur adversaire ainsi que la tempête d'émotions dans son esprit : les siennes, celles du soldat et de la lumière. Sans compter que plus rien ne bloquait la voix qui hurlait et hurlait.
La balle suivante fit s'écrouler leur opposant. La blessure fantôme dans son propre abdomen le fit tomber à genou lui aussi. Il se redressa et hésita, il ne voulait pas tuer cet homme, mais il était sa mission.
En fin de compte, il le laissa insérer le circuit imprimé dans la console centrale. Il resta à sa place pendant que les trois héliporteurs se détruisaient mutuellement. Il devait quitter cet endroit et retourner à la base, du moins ce qu'il en restait. Il frissonna en pensant à ce qui l'attendait là-bas. Sa cible était toujours sur la passerelle. S'il ne bougeait pas rapidement, il sombrerait avec le véhicule sur lequel ils se trouvaient.
La lumière lui ordonnait de monter le chercher, de l'aider, de le protéger, mais le soldat ne voulait plus rester passif, ils devaient rentrer. Il ne savait plus à qui obéir, sa tête était remplie d'ordres contradictoires, de sentiments qui n'étaient pas les siens et qu'il n'arrivait pas à démêler. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il ne remarqua la poutre de métal que trop tard.
La douleur lui arracha un cri et il tenta immédiatement de se dégager. Il ne pouvait pas rester ici, il était blessé et vulnérable, n'importe qui pourrait l'attaquer et il n'avait aucune chance de se défendre. Mais malgré toute la force de leur bras, ils ne réussirent pas à repousser la poutre.
Du coin de l'oeil, il vit apparaître leur adversaire : il était blessé mais vivant et il s'approchait. Cloués au sol par plusieurs dizaines de kilos de métal, ils étaient à la mercie de cet homme.
La panique augmentait à chaque pas que faisait leur ennemi, mais étrangement, la lumière semblait heureuse de le voir, soulagé qu'il soit vivant et persuadé qu'il allait les aider. Personne ne les avait jamais aidé, il n'avait jamais connu que les coups et la violence, seule sa force, son entraînement et la haine du soldat les avaient protégés, gardant tout le monde à distance.
Quand il sentit la colère provenir de la lumière, une furie qu'il voyait également dans la posture rigide de leur cible, il crut qu'il allait le frapper. Il fut surpris quand il souleva la poutre le clouant au sol.
Il se dégagea et se releva. Il l'avait libéré. Ils avaient essayé de le tuer à mainte reprise et cet homme dans son costume bleu l'avait libéré. Il ne comprenait pas. Peut-être que la lumière avait raison, peut-être qu'il ne lui voulait aucun mal. Mais ils s'étaient battus, il lui avait cassé le bras. Pourtant, il ne l'avait pas tué alors qu'il en avait eu l'occasion.
Il ne savait plus quoi penser. Maintenant qu'il était libre, il pourrait le tuer, terminer une partie de sa mission. A peine cette idée lui avait-elle traversé l'esprit que la voix se remit à parler : NonProtègeSteve. Steve... Il connaissait ce nom, mais il ne savait pas qui il était et où le trouver.
L'héliporteur continuait sa descente lorsque son adversaire lui parla :
"Tu me connais."
"Non !"
Il ne le connaissait pas ou ne s'en rappelait pas, ce qui revenait au même. Et ils étaient bien trop proche l'un de l'autre. Il le frappa pour le pousser à reculer.
"Bucky. Tu me connais depuis toujours."
Qui était Bucky ? Il n'était personne, juste une arme, un soldat. Il n'avait pas de nom. Cette fois, c'est la confusion qui le poussa à frapper son adversaire.
"Tu t'appelles James Buchanan Barnes."
"Tais-toi !"
Il ne voulait pas l'écouter, parce que c'était la vérité. La lumière le lui confirmait, mais cela ne pouvait pas l'être. Alors il le frappa à nouveau. Cette fois, leur cible tomba au sol et quand il se releva, il enleva son casque et lâcha son bouclier.
"Je ne me battrai pas contre toi. Tu es mon ami."
Un ami ? Il n'avait pas d'ami. Il n'avait que la mission.
Mais il le connaissait. Maintenant qu'il voyait ces yeux bleus et ces cheveux blonds, il savait qu'il l'avait déjà rencontré. Ses traits lui étaient également familiers, même s'il ne se souvenait pas des détails.
Tout cela ne fit qu'augmenter sa confusion, il ne savait plus qui croire. Cet homme disait être son ami et il l'avait laissé vivre alors qu'il avait eu plusieurs fois l'occasion de le tuer. Et puis la lumière - qu'il avait toujours protégé - était liée à lui d'une façon ou d'une autre. Parce que les émotions qui lui parvenaient : le calme, l'acceptation, la sincérité, elles provenaient toutes de cet homme. Mais le soldat n'était pas de cet avis. Et le soldat les avait gardé en vie, leur avait évité de nombreuses punitions en faisant ce qu'il y avait à faire, alors que lui en était incapable. Le soldat l'avait protégé et il voulait terminer la mission.
Ils se jetèrent sur leur adversaire et le collèrent au sol. Comme il l'avait promis, il ne bougea pas et ne chercha pas à se défendre.
Il ne savait si c'était lui ou l'autre qui hurla :
"Tu es ma mission !"
Et il commença à le frapper. La confusion avait laissé place à une colère sourde, il ne voulait pas lui faire du mal mais il le devait. Pourquoi est-ce qu'il ne pouvait pas choisir pour une fois ? Pourquoi devait-il toujours accomplir ces missions ? Pourquoi est-ce que cet idiot ne se défendait pas ? Il devait se défendre, sinon il allait le tuer.
Alors il frappa et frappa et frappa encore, ponctuant chacun de ces mots par un coup plus violent que le précédent.
"Tu. Es. Ma. Mission !"
"Alors achève-la."
Ces mots arrêtèrent net son prochain coup. Il ressentait les émotions de cet homme. Le profonde tristesse de ne pas avoir pu le sauver dans un passé dont il ne se souvenait pas, la détermination à donner sa vie à cet instant, son refus de se battre, de lui faire mal, son désarroi de ne pas pouvoir l'aider.
Et cet idiot avait des larmes pleins les yeux lorsqu'il parla à nouveau :
"Cause I'm with you till' the end of the line"
Il connaissait le pouvoir des mots. Ceux du livre étaient capable de les enfermer, lui et le soldat, dans leur propre esprit. Mais ceux-là étaient différents, ceux-là le libérèrent. D'un seul coup, la lumière et ce qui s'y cachait devint clair : Steve. L'homme en face de lui était Steve et il l'avait connu toute sa vie.
Il sentit les larmes lui monter aux yeux quand il remarqua les dommages qu'il avait provoqué : il lui avait certainement cassé la pommette et l'arcade sourcilière. Son rôle était de le protéger, il l'avait toujours été et il avait failli le tuer.
Brusquement une partie du toit se détacha et s'écrasa à côté d'eux, brisant la vitre sur laquelle ils se tenaient. Il n'eut le temps que de s'accrocher à une des poutres métalliques et il observa avec horreur Steve sombrer dans le fleuve en dessous d'eux.
Sans réfléchir, il tomba à sa suite. L'eau était trouble et pleine de débris mais il se laissa guider par la lumière et il retrouva sans aucune difficulté l'homme qu'il cherchait. Il était inconscient et le remonter à la surface fut compliqué. Son bras et ses côtes cassées ne lui facilitèrent pas la tâche, mais il parvint à déposer Steve sur la berge. Il resta quelques secondes à l'observer afin de vérifier qu'il respirait toujours. Mais quand il entendit des pas sur le chemin au dessus d'eux, il s'éloigna.
ooOoo
Après avoir abandonné son ancienne cible sur les berges du fleuve, il se mit en route vers un de ses points d'extraction.
Il ne voulait pas y retourner, ils allaient le remettre sur la chaise et il allait oublier.
Et il ne voulait surtout pas oublier.
Chaque pas était un peu plus difficile, son esprit était envahi par la lumière. Elle lui demandait de faire demi-tour, de rejoindre Steve, de s'assurer que les secours l'avaient trouvé, que ses blessures n'allaient pas le tuer. Mais il ne pouvait pas, ils allaient le retrouver et s'il était trop proche, ils termineraient la mission qu'il avait abandonnée.
Et il y avait le soldat.
Pour le moment, il semblait avoir disparu et tout ce qu'il ressentait, c'était la lumière et la voix : protègeSteveprotègeSteveprotègeSteve. Mais cela ne voulait pas dire qu'il ne reviendrait pas ou qu'il arriverait à le contrôler. Et si l'autre rencontrait Steve... il frissonna à l'idée. Non, il ne devait pas s'approcher de sa cible. Il devait retourner à la base et accepter sa punition.
Mais à quelques centaines de mètres du point d'extraction, la panique l'envahit.
S'il allait là-bas, ils le puniraient. Il avait échoué. Ils le puniraient et il le mettraient sur la chaise et peut-être que cette fois, la lumière n'y survivrait pas. Et après ils se lanceraient à la poursuite de Steve. Peut-être même qu'ils l'enverraient, lui, pour terminer sa mission. Et sans la lumière, il ne saurait pas qu'il ne doit pas lui faire mal, sans la lumière, il n'arriverait pas à arrêter le soldat, sans la lumière, ils le tueraient.
Il arrêta de marcher.
Une seule chose était claire au milieu de toute cette confusion : il devait protéger Steve, des autres et de lui-même. Il ne pourrait pas le faire s'ils l'effacaient avec la chaise ou le renvoyaient en cryo. S'il voulait réussir cette nouvelle mission, il devait faire demi-tour, se cacher, s'équiper.
S'il voulait protéger Steve, il devait être assez proche pour intervenir en cas de besoin.
S'il voulait protéger Steve, il devait rester libre.
S'il voulait protéger Steve, il devait enfreindre ses ordres, enfreindre les règles.
Il se souvenait de la dernière fois qu'il avait désobéi - à quand cela remontait-il ? - et des sévices qui avaient suivi, mais il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait vraiment voulu quelque chose, au point d'en braver les conséquences. Faire un choix était perturbant, mais il ne pouvait pas rester planté ici, il était à découvert et bien trop notable, dégoulinant d'eau et en tenue de combat.
De sa position, il voyait distinctement sa destination. Il vit la porte s'ouvrir et plusieurs hommes en sortir. Ils étaient habillés en civil, mais son excellente vue et son entraînement lui permirent de voir qu'ils étaient tous armés. L'un d'entre eux leva les yeux et le remarqua. Dans quelques secondes, il n'aurait plus aucun choix. Il devait se décider : fuir ou rester.
Il entendit un bruit sur sa droite, provenant d'une petite ruelle et il se tourna vivement dans cette direction. Il eut juste le temps de voir un chat s'enfuir à travers un trou dans un grillage. L'endroit était sombre et une poubelle en métal gisait au sol, son couvercle rond avait roulé un peu plus loin.
Brusquement, il vit un jeune garçon blond, les yeux aussi bleus que Steve et une lèvre fendue, debout à côté de ce couvercle. Le garçon - non, maintenant qu'il voyait son visage, c'était clairement un jeune homme, même s'il était petit et bien trop maigre - lui sourit :
"Allons Buck, j'aurai pu m'en occuper tout seul. Ne fais pas cette tête. Viens, rentrons à la maison."
Des pas s'approchaient et il se tourna vers les trois hommes qui n'étaient plus qu'à quelques dizaines de mètres.. Ils avaient sorti leurs armes et les pointaient vers lui.
Il jeta un œil vers la ruelle, il voulait rentrer lui aussi à la maison, même s'il ne savait pas où c'était. Quelque part, au fond de son cerveau, la lumière lui souffla que la maison, c'était où était Steve. Il se jeta sur les trois hommes, les désarmant et les mettant hors d'état de nuire en moins d'une minute. Il disparut ensuite dans la ruelle où le jeune homme s'était tenu.
