Shangri-La
Sam était heureux.
Lui et Jess se trouvaient devant la télévision, à regarder un film complètement pourri sur une bande de trolls végétariens cherchant à transformer une famille normale en légumes pour pouvoir les manger. En résumé, c'était tellement grotesque que le film en devenait involontairement comique.
Ils étaient tous les deux blottis sur leur vieux canapé craquelé, Sam avec son bras autour de Jess et il pouvait sentir les vibrations de son rire quand le film en venait à une scène particulièrement ridicule.
Alors que les pubs commençaient à défiler, Jess se leva pour aller chercher à boire dans la cuisine. Pour sa part, Sam resta assis.
Saisi par un coup de fatigue, il ferma les yeux.
Sans prévenir, une sensation d'étouffement lui tomba dessus, si intense qu'il sentit ses côtes craquer sous la pression.
Il voulut crier, sans réussir. Il était bâillonné, piégé dans une camisole de force, attaché soigneusement à un lit, les paupières fermées au sparadrap, abandonné seul dans l'obscurité et le silence.
Alors qu'il essayait de se débattre – sans grande réussite, il était trop bien ligoté – une voix douce chuchota dans son oreille.
Calme-toi. Tout va bien.
Qui… ? Aidez-moi ! J'étouffe !
Tout va bien. Tu es avec Jessica. Tu es en sécurité. Tu es chez toi.
Aidez-moi…
Tu es avec Jessica. Personne ne te fera de mal.
« Sam ? »
Les yeux bleu-vert du jeune homme se rouvrirent sans difficulté. Jess était devant lui, l'air légèrement inquiet.
Il se passa une main sur la figure.
« Tu te sens bien ? » interrogea la jeune femme. « J'ai cru que tu allais me faire un malaise… »
« Non, c'est rien » affirma-t-il. « J'ai juste eu un étourdissement. »
Sa petite amie lui adressa un sourire éclatant.
« Eh ben, tu me rassures, alors. Fais-moi une place, espèce de voleur de canapé ! »
Avec complaisance, il s'écarta pour la laisser s'asseoir tout contre lui pendant que le film redémarrait.
En dehors de la bulle mentale de son hôte, Gadriel poussa un soupir.
Il avait de la compassion pour Sam. Sincèrement. Après tout, le jeune homme avait enduré des épreuves qui auraient fait irrémédiablement voler en éclats une âme moins résistante.
Mais cela ne signifiait pas qu'il était indemne. Son âme était véritablement massacrée – recouverte de tant de cicatrices et de meurtrissures que lui, l'ange dont le cœur s'était durci après tous ces millénaires d'emprisonnement, en avait pleuré.
Samuel Winchester méritait d'être en paix. Mais il ne pouvait pas l'être tant qu'il vivait. S'il avait su, Gadriel n'aurait jamais passé de marché avec Dean, il n'aurait jamais possédé le jeune homme et l'aurait laissé mourir. L'aurait laissé partir au Ciel.
Mais il n'avait pas su. Alors il compensait de son mieux.
Patiemment, alors qu'il reprenait des forces, il avait tissé un piège mental autour de l'esprit de son véhicule. Et lorsqu'il avait pris le contrôle total du corps, l'ange avait refermé le piège avec rapidité et délicatesse.
A présent, Sam était soigneusement entravé dans un repli de son propre esprit, profondément endormi. Oh, il lui arrivait de s'agiter de temps à autre, mais un léger effleurement de sa grâce suffisait à le replonger dans son coma artificiel.
Sam était heureux. Il rêvait paisiblement de ses plus beaux souvenirs, avec son frère, avec sa bien-aimée, avec ses amis.
Gadriel était également heureux.
Il était un ange. Il était là pour apporter le bonheur et le réconfort aux humains.
Tout comme il les avait donnés à Sam Winchester.
Dans le folklore tibétain, Shangri-La est l'équivalent du paradis terrestre.
