Quand vous êtes perdus dans un monde qui vous est totalement inconnu, vous sentez qu'il est déjà difficile de trouver sa place. Et si, en prime, les merveilles qu'il peut vous offrir ne sont qu'illusions alors ce monde, Eldarya, est dangereux à quiconque ne sachant pas à quoi s'attendre.
Et comme si cela ne suffisait pas, lorsque les seules personnes sur lesquelles vous pensiez pouvoir vous appuyer un tant soit peu, vous trahissent de manière éhontée… « Que vous reste-t-il ? »
Je me posais encore et encore la question mais ce n'était pas la seule.
Ma colère était retombée face à leur trahison, mais je n'avais plus le goût de rien, ni envie de faire quoi que ce soit. Je restais enfermée dans cette chambre. C'était à peine si je sortais pour manger. Je prenais la plupart du temps ma portion et je remontais dans mon antre aussi rapidement que je passais inaperçue.
Le temps n'avait plus d'emprise sur moi. Je ne pouvais dire depuis combien de temps je végétais ainsi, ni même s'il faisait beau dehors. J'étais devenue l'ombre de moi-même.
« Que me restait-il ? »
La seule chose qui me maintenait un tant soit peu la tête hors de l'eau était la compagnie des familiers.
J'appréciais réellement leur présence. Les seuls qui ne m'avaient ni trompée, ni laissée tomber. En plus, comme s'ils voulaient me réconforter, ils me ramenaient tout un tas de babioles inutiles comme des fleurs et des plumes à ne plus savoir qu'en faire.
Mojito, une Minaloo ou plus simplement une louve à la crinière mentholée, revenait de sa balade en tenant dans sa gueule un petit haut. Je remerciais la louve d'une caresse avant de lui donner sa ration de steak mentholé quotidienne.
Je décidais par la suite de ranger ce vêtement. Mon regard se balada alors dans la chambrette. Les différentes babioles faisaient de jolies décorations.
Autrefois, cette chambre semblait spartiate à quiconque aurait foulé le seuil de la porte. Aujourd'hui, elle me faisait penser à un petit magasin ethnique. En gros, le bordel était maître à bord, mais en cherchant bien, on pouvait faire de belles trouvailles.
M'approchant de l'armoire, je me vis dans le grand miroir attenant. Je ne me reconnaissais pas.
La première chose frappante, fut ma perte de poids. Il y avait encore quelques mois, j'étais en surpoids, ce n'était plus du tout le cas. Je n'étais pas trop maigre non plus, juste comme j'aurais aimé être sur Terre...
Hormis ça, mes cheveux avaient poussé. Je n'avais même pas pris la peine de les coiffer. Mais bon, comme ils étaient lisses, ça ne faisait pas sac à nœuds. Si je devais décrire ma coiffure, une crinière de lion fatigué serait la première image en tête.
Enfin, j'avais les traits tirés, la lassitude certainement...
Je chassais cette image qui me rebutait en ouvrant la porte et soupirant un bon coup.
Je soupirais énormément ces temps-ci.
Mon armoire, à l'image de la pièce, commençait à bien se remplir également.
En bas de celle-ci, j'y retrouvais mon sac en bandoulière. Il avait une odeur familière de cuir et de parfum.
Prise de nostalgie, je fouillais à l'intérieur de celui-ci. Il y avait plein de choses inutiles, entre-autre un portefeuille, un livre, des notes, des clefs, des crayons, mais surtout mon téléphone.
En voyant, au début de cette aventure, que je n'en avais pas besoin, je l'avais éteint puis rangé. J'en avais même oublié son existence.
Je le rallumais. Il ne me restait plus beaucoup de batterie mais assez pour relire quelques SMS, regarder certaines photos, ainsi qu'écouter une ou deux chansons… Tout me faisait penser à la Terre, ma famille, mes amis. Tout ce que j'avais perdu à cause de cette foutue potion. Tout ce qui faisait que j'étais moi.
Je me mis doucement à pleurer sans un bruit. Je ne me rendis compte de mon état que lorsque je sentis mes joues se mouiller.
Le téléphone s'arrêta. Je ne pouvais pas le recharger. Toutes les images qui tourbillonnaient dans ma tête s'évanouissaient petit à petit.
Je ravalais mes larmes autant que je le pouvais. C'était difficile.
Je me jetais sur le lit ressassant encore et toujours les mêmes idées noires, mais en musique cette fois ! La dernière piste de lecture ne m'avait pas quitté. Elle tournait en boucle dans mon esprit. Elle aurait pu m'énerver, mais la musique… Quelques notes, un air, une chanson… ça me manquait cruellement.
Il faisait maintenant nuit, mais comme d'habitude, le sommeil ne venait pas. J'étais pourtant fatiguée, mais rien n'y faisait. Soudain une idée folle me traversa l'esprit.
« Comment n'y avais-je pas pensé avant ? »
Je traînais dans mon lit en pyjashort à cet instant. Mais je devais vérifier par moi-même. Pour cela, je devais sortir de ma tanière. J'enfilais rapidement un manteau et des bottines pour mieux me précipiter dans les allées du jardin du QG.
Le vent frais de la nuit cinglait sur mes jambes dénudées. Cela ne m'arrêta pas.
Une allée m'intéressait d'avantage, et je comptais bien m'y rendre ! J'arrivais à destination : le jardin de la musique.
Il y avait devant moi des instruments bien réels alors que je n'avais jamais vu ou entendu quelqu'un jouer ou chanter. « Connaissaient-ils la musique ou bien était-ce simplement des vestiges ? »
A ce moment précis, je n'avais pas de réponse. Quoiqu'il pouvait en être, ce n'était pas ma préoccupation première.
Je grimpais avec prudence pour essayer de jouer du piano.
« C'était trop beau pour être vrai ! », pensais-je sarcastiquement.
Utiliser un piano comme fontaine n'était pas ce qu'il se faisait de mieux. Le son était vraiment horripilant.
Un autre soupir s'échappa de mes lèvres.
Pendant un moment, je restais plantée-là, en haut, effleurant du bout des doigts les touches froides et blanches.
« _ Erika ? »
Je sursautais à mon prénom et reconnu Leiftan immédiatement. Je ne bougeais pas pour autant.
« _ Que fais-tu là haut ? » s'enquit-il aussitôt.
J'étais gênée. Je ne savais pas trop quoi répondre. Je réalisais que je ne savais pas moi-même ce que je faisais précisément. Je balbutiais tentant de répliquer comme si j'étais fautive de quelque chose :
« _ J-Je me p-promenais… Je… J'avais besoin de… me rafraîchir les idées. »
Leiftan ne pipa pas un mot. Son attitude calme et posé ne trahissait rien. Je ne pensais pas un seul instant que mon explication l'avait convaincu. Elle ne m'avait pas convaincue non plus…
Cependant, il me tendit galamment sa main pour m'aider à descendre en douceur.
Le lendemain matin, à l'aube, comme à mon habitude depuis que je ne pouvais voir personne en peinture, j'arpentais l'allée des corridors avec ma ration du jour. Je songeais à ma virée de cette nuit.
Leiftan avait été assez charmant pour ne me faire aucune remarque. En même temps l'échange fut bref. Après avoir pris sa main, je l'avais remercié. Puis il avait continué sa balade nocturne et j'étais naturellement retournée dans « ma » chambre.
Je m'arrêtais subitement dans mes pas et mes songes. Il y avait des voix non loin de moi. C'était ma veine ! Moi, qui cherchais à esquiver les autres… Je ne pouvais pas me cacher dans ce couloir ou peut-être dans la salle de cristal ? Plus je m'approchais de celle-ci, plus les voix devenaient fortes. Vu les intonations, je comprenais qu'il y avait un problème.
Je pouvais enfin reconnaître les voix et elles venaient justement de la salle de cristal. Je savais que ça ne me regardait pas, mais je tendis l'oreille :
« _ Je ne suis pas de cet avis. Il faut prendre en considération qu'il est bien trop tôt ! », s'enquit Leiftan.
J'avais l'impression que son tempérament posé était mis à rude épreuve. Je ressentais comme une pointe d'inquiétude dans son intonation. Je ne pouvais pas les voir d'où j'étais et je n'étais même pas certaine de mon interprétation. Tout ce que je pouvait dire était qu'il y avait anguille sous roche.
« _ Non ! », répliqua sèchement Miiko. « Nous n'avons pas le luxe d'attendre. Il s'agit d'une urgence !
_ Qu'en est-il alors ?», questionna Ezarel.
Mon sang se glaça immédiatement. Cet elfe était vraiment ignoble ! Jamais je n'aurais dû lui demander son aide pour cette potion… Je n'étais pas certaine qu'avec les deux autres chefs de garde, cela aurait été mieux. Ça se pourrait qu'ils aient sauté de joie à la simple idée de me torturer.
Ok, là j'exagérais un poil, mais mon ressentiment restait fort.
« _ L'un de vous trois devra faire le nécessaire. Débrouillez-vous ! »
La voix de la renarde sur cette dernière phrase était autoritaire et sans contestation.
Je ne le sentais pas très bien. Leur entrevue allait sûrement se terminer dans peu. Je filais rapidement avant qu'on me repère.
Par la suite, j'eus la grande surprise de rencontrer Valkyon devant ma porte…
« _ Que me vaut tant d'honneur ? », balançais-je laconique.
Il semblait gêné, son regard déviait le mien. « Était-ce parce que je tirais la tronche ou était-ce à cause de mon pyjama ? » Pourtant il s'expliqua :
« _ Nous avons besoin de toi pour piéger un monstre qui... »
Je n'écoutais déjà plus ses paroles. Je n'étais qu'un appât pour eux.
« _ Évidemment, quoi de plus alléchant qu'une semi-humaine fragile ? », Dis-je à haute voix sans réfléchir.
Il s'arrêta net. Il m'attrapa par les épaules sans sourciller, ni dévier mon regard cette fois. Son expression était très sérieuse lorsqu'il me confia :
« _ Il ne t'arrivera rien. Je garderai toujours un œil sur toi et au moindre mouvement suspect, tout le monde sera prêt à réagir. Je te le promets.»
Je soupirais tout en reculant pour qu'il ôte ses mains.
« _ Ok ! »
Valkyon fit de gros yeux ronds en recroisant ses bras sur son torse. « Avait-il bien compris ? » Je précisais plus clairement, au cas où :
« _ J'accepte.
_ … Bien… Je vais prévenir les autres. Soit prête d'ici peu.»
Il lui avait fallut quelques secondes pour me répondre. Tout ce qui me restait à faire était d'acquiescer.
