La Capoeira

Prologue

Ici se trouvait le sanctuaire, le saint des saints. Ici se trouvait L.

Dans cette pièce close, sans fenêtres, rivé à son écran, dans sa position favorite, L. trônait en maître des lieux.

Seul Watari était autorisé dans le cercle intime de L. C'est lui qui servait l'orphelin de la Wammy's en thé, café et autres douceurs sucrées. Du sucre. Des tonnes de sucre ! Le cerveau brillant de L. y était drogué. Sans sucre, L. tournait au ralenti. Le jeune homme ne prenait aucun gramme tant son cerveau brûlait immédiatement toutes les calories apportées par les mets sucrés. A dire vrai, L. tenait haut la main la ligne haricot vert !... Grand, souple, voûté en avant, faisant penser à un panda géant avec ses cernes et ses déplacements lents, L. paraissait placide à prime abord. Or, il n'en était rien. L. avait du sang. Beaucoup de sang !... Il lui était nécessaire pour traquer ses adversaires sans s'exposer inutilement. Il savait user de méthodes que certains jugeaient discutables - utiliser sans vergogne des condamnés à mort ne lui avait jamais posé aucun problème de conscience - et sur ce point ne rejoignait-il pas, en un sens, à la fois sa Némésis B.B., voire Kira lui-même ?

L. se prétendait être la justice personnifiée. Il avait été formé pour cela et avait montré, très jeune, des dispositions de surdoué. Exceptionnellement avancé pour son âge, d'une logique implacable très supérieure à la moyenne, L. avait vu son Q.I. exploser. Mais ce que préférait L. étaient les probabilités et les déductions.

A lui seul, L. supplantait une bonne dizaine de cellules d'investigations.

L. était muré dans la solitude, du fait de sa fonction. Il était pourtant un être sociable. Mais il avait tout sacrifié à la juste cause !...


L. savait que l'affaire Kira le mènerait au-delà de ses limites, de ce qu'il avait toujours pratiqué, à savoir diriger les polices du monde et les bureaux d'enquêtes à distance, sans se montrer. La voix synthétique de L. se faisait uniquement entendre lors de cas très ardus, impliquant plus d'une dizaine de victimes. Et Kira en avait déjà plus de deux cent à son actif !... Le fait était que Kira était capable de tuer rapidement, sans se trouver sur les lieux. Voilà qui relevait de l'exploit criminel !... Kira intriguait fortement L., déterminé à tout mettre en œuvre pour lui barrer la route et le démasquer. Seulement voilà... la méthode habituelle semblait insuffisante face à un tel gabarit. Kira était la quintessence même d'une nouvelle vague de criminalité sans précédent.

L. avait longuement réfléchi. Il lui faudrait sans doute se rendre sur le terrain. Et pour cela, autant être préparé. L. décida alors de mettre en œuvre ce qu'il avait repoussé depuis des mois, voire des années : maîtriser un art martial. Et c'était une agent du FBI, Naomi Misora, qui lui avait soufflé l'idée du choix. Oh, il aurait très bien pu rappeler Misora pour qu'elle lui enseigne cet art et il avait déjà fait appel à ses services par le passé, en étant très satisfait de ses prestations. Mais L. demeurait très curieux et friand de nouvelles rencontres, même si, cette fois, celle-ci le mettrait directement en scène.

L. observait les données, les farfouillant de son regard habile et cerné. Il réprima un bâillement. C'était d'un ennui !... Soudain, son regard tomba sur le portrait d'une jeune étudiante en japonais. "Hmm... Okay, les 64 % de probabilité que l'homme s'attache d'abord au physique ne sont plus à démontrer..." s'amusait-il, attrapant quelques sucreries, en vrac, dans la paume de sa main pour les savourer une à une, doigts faisant pince, dans une gestuelle hors du commun.

L. fouilla dans le dossier de la jeune femme. Il découvrit, entre autres, qu'elle se faisait appeler Tsuki sur les réseaux sociaux. "Haha !... Lune... c'est pour le moins original." concéda L. Il nota également qu'elle faisait couramment appel à tout un vocabulaire autour du thème de la lune, toujours en japonais, comme "Kagen" (le dernier quartier de lune), "Gekkou" (rayon de lune), "Gesshoku" (éclipse de lune), "Tsukiyo" (clair de lune), "Mikazuki" (nouvelle lune / croissant de lune), "Jougen" (premier quartier de lune), ...

Donc cette jeune femme, étudiante en japonais - une des six langues que L. maîtrisait parfaitement - pratiquait la capoeira depuis l'adolescence.

Le choix de L. était établi. Il ne lui restait plus qu'à établir le contact, la faire venir dans sa tanière et lui demander un retour de faveur.