« Au Cœur d'un Kirin Impérial »
Lord Ma-koto Chaoying (Lordess Ananda Teenorag)
Titre : « Au Cœur d'un Kirin Impérial »
Auteur : Lord Ma-koto Chaoying (ou Lordess Ananda Teenorag)
Série : Beyblade Métal Masters, Beyblade Métal Fusion.
Genre : Aventure, épopée, Semi-Alternate Universe, avec une pointe de romance. Incursion dans la « Terre du Milieu » (中国 Zhongguo)… la Chine.
Résumé : "Servir. Combattre. Aimer."
On dit que les Kirin sont les Servants des Purs, qui s'allient aux Empereurs afin de faire fleurir leur Royaume. Mais toi qui es le Kirin aux Ailes d'Or, le Maître d'entre Tous les Purs, que viens-tu faire dans ce royaume corrompu ? Se pourrait-il que tu y cherches un protecteur de ta justice et un amoureux de ta vertu ? Trouveras-tu une âme à qui t'attacher, afin que ton cœur heureux disperse ses bienfaits autour de lui ?
Personnage principal : Wang Dashan 王大翔 (Wang Daxiang)
Personnages : Li Chi-Yun 李赤云, Chao Xin 周星 (Zhou Xing), Mei-Mei 美美.
Autres personnages : On verra probablement passer les traditionnels de Beyblade ! Ginga et compagnie.
Pairings : De tout. Shonen-ai, hétéro, shoujo-ai.
Notes : Des liens avec les fanfictions « Cœur de Stratège, Œil de Démon » et « Twin Blade Legacy ».
…
Chapitre 1: Le Mystère du Palais des Songes
…
子日:"克己復禮 ,為仁。"
Le Maître dit : « Accordez vos désirs à la pratique des rites, vous réaliserez ainsi la vertu d'humanité. »
"為仁由己 ,而由人乎哉?"
« Cette vertu émane-t-elle de moi, ou dois-je m'appuyer sur autrui pour la pratiquer ? »
論語, 孔子
Les Entretiens, Confucius
…
?
?
…
Un chant incantatoire monta, emplissant la vastitude de l'espace.
« Kirin d'Or ! Kirin d'Or ! Kirin d'Or ! »
Eût-il un ciel, que la musique n'aurait pas retenti si merveilleusement. Cette acclamation résonnait jusqu'au septième ciel, là où se rendent ceux qui visitent la félicité.
« Honorez les pas de l'être céleste, qui foule le sol de notre terre immense ! »
Où était-il donc ? Au septième ciel, ou plus profond de ses ténèbres ? La lumière baignait cet endroit, et pourtant, on l'appelait le Palais des Ombres, aux Fleurs de Chrysanthèmes.
« L'incarnation de la divine justice et de la vertueuse puissance
Offre le cadeau de son existence au monde.
Le Kirin aux Ailes d'Or nous honore de sa venue,
Chantons sa vertu pour la prospérité du monde !
Il est venu s'unir au Fils du Ciel
Pour la prospérité de notre nation
Et le bien-être de notre peuple !
Accueillons-le,
Comme il se doit ! »
Assis à genoux sur la Place des Emblèmes Divins, le jeune homme aux longs cheveux de jais et d'or était au cœur de la cérémonie. Devant le Paravent des Légendes, la Cérémonie des Unions Célestes et des Mariages Terrestres battait son plein.
'Si je n'étais pas ici… si ce n'était pas moi, qui voyais cela de mes propres yeux… je traiterai celui qui m'en parlerait de fou.'
Ses yeux émeraude emplis de sagacité parcouraient la salle, vaste comme ses pensées qui exploraient les créatures du monde. Car, il en faisait partie, et marchait sur la route de son existence avec tant d'autres à ses côtés.
« Kirin aux Ailes d'Or, le Vertueux ! »
Au cœur de ces orbes profondes, on pouvait lire une légende : la Légende du Vertueux, qui ne connaissait pas encore ses propres secrets.
« Il est venu, il est venu ! »
Ces yeux reflétaient le calme absolu de son esprit : car, en cette heure, le jeune être avait accepté sa destinée. Celle qui parlait dans ses désirs, qu'il avait si longtemps refoulés.
'Et pourtant. Je dois être fou, de me trouver ici, de mon plein gré.'
« Incarnation humaine du Kirin d'Or, approche-toi de ton nouveau Maître ! »
Et, de gracieusement se lever au centre de la place, sa longue chevelure de jais et d'or épousant le ciel. Alors la foule acclama son bienfaiteur, venu d'ailleurs, dont elle admira la beauté dans un cri, et loua la vertu dans un espoir.
'Alors, que ma folie soit récompensée. Et que ce monde de justice et d'harmonie se révèle à moi.'
金麒麟。
Le Kirin d'Or.
Le Symbole de la Justice des temps anciens, réincarné dans un simple homme. Mais un simple homme n'était-il pas l'incarnation des Esprits de la Terre et des Êtres du Ciel ?
« Notre bien-aimé Fils du Ciel accepte de recevoir le cadeau de existence. En échange de sa protection et de son amour, tu lui dévoueras ton cœur et ta vertu. »
'Mon cœur. Ma vertu. Je pensais… que ce n'était qu'un idéal, que je devais de toute mon âme offrir à autrui. Maintenant je sais… que c'était mon propre choix, né de mon désir, et… de ma propre personne.'
Jadis, lorsqu'il servait l'Empereur des Songes, de l'Ere du Grand Changement, une légende lui avait été transmise par les Devins du Temple des Prédictions :
« Tu consacreras ton âme à servir ton maître, mais la pureté de ton intention ne touchera une cible que très loin à travers les ombres. Au moment où tu renonceras à la foi en ton propre royaume, les ténèbres que tu redoutais t'envelopperont de leur protection, et l'être que tu serviras te chérira pour la vie durant : et s'accomplira la justice dont tu rêvais en ton cœur. »
Les paroles de ce grand général restèrent dans le fameux Livre des Odes :
« Mon Altesse n'a point le cœur noir que vous décrivez, comment osez-vous proférer tel propos ? Son serviteur ne saurait souffrir cette infamie : je consacrerai ma vie à effacer ce mensonge ! »
Ces mots s'accomplirent bel et bien, mais ne virent jamais le jour dans la terre où il naquit. Les empires ne sont point toujours justes, mais dans l'ombre des mystères, des refuges du cœur accueillent des êtres vertueux pour faire éclore leur propre âme.
« A présent, noble être. Tu ne quitteras plus ton nouveau maître, que pour répandre la vertu à laquelle tu crois. »
Des légendes d'amour et de vertu existent au cœur même des ténèbres, c'est ce que ce noble être apprit au cours de sa pérégrination sur la terre.
« Ô Mon Empereur. Le plus profond désir de mon cœur est de remettre la plus infime parcelle de mes sentiments au fond de votre âme. Que celle-ci ne se perde jamais dans les ombres, ou s'aveugle dans la lumière. »
Le Palais des Chrysanthèmes.
Fleur de joie, promesse de désir.
Ce palais des ombres, où reclus par un mystérieux tour du destin, il fut envoyé par le ciel qui, après lui avoir offert son incarnation, lui indiqua également sa route. Là où régnait un empereur au cœur de ténèbres, qui s'accorda pourtant à sa propre lumière pour donner naissance à une nouvelle couleur.
« J'entends tes paroles, Noble Kirin d'Or. »
Celui qu'il servait, aujourd'hui.
« Se pourrait-il que vous ayez espéré ma venue ? On m'appelle Kirin, mais je ne suis qu'un être humain. Alors, par quel biais aviez-vous prédit mes pas ? »
« Un Kirin ne peut errer seul… ils ne peuvent que vivre aux côtés d'un Empereur vertueux. Mais, toi, chère incarnation du Kirin d'Or, Maître d'entre tous les Kirin et Souverain des Purs, à quel Empereur te livreras-tu ? Tu es trop entier pour souffrir le mal, mais ne peut vivre sans servir les siens. Alors… me donneras-tu ton cœur, noble être ? »
Je serai ton Empereur et tu seras mon Servant.
Tu seras mon Aimé et je serai ton Protecteur.
Partout où tu iras, mon regard protègera ta liberté,
Et l'envol de ton être emplira mon cœur de fierté.
Tu es le Grand Envol*, Dàxiáng 大翔, celui dont l'élan insuffle le désir de la justice et la vertu du sentiment.
Quiconque t'aime et te chérit recevra le trésor de l'émotion, dans un palais d'harmonie.
Et la nuit de l'espoir se mêlera au jour de l'amour
Dans une éternité de vie.
La silhouette majestueuse, sur l'immense trône aux fleurs de jade, tendit sa main pour toucher le cœur de son élu. Et à travers la différence de leurs mondes, une âme éprise de justice toucha le secret des ombres pour aimer la lumière : car celui qui portait un flambeau de vertu ne se déroba point à l'amour d'une terre ténébreuse.
« Votre Altesse, que votre cause soit juste, et mon cœur sera vôtre. Si nulle infamie n'envahit vos désirs, mon épée ne saurait détrôner vos ambitions. Je consacre mon ardeur à poursuivre la justice et mon âme à épouser vos souhaits. Veuillez m'accorder votre bienfaisante protection et je vous honorerai de toutes les vertus. Votre royaume resplendira dans la force de la vérité, et dans la chambre de vos désirs, votre cœur sera comblé. »
Et, alors qu'il s'inclinait devant son nouveau maître, des doigts caressèrent sa joue en signe de serment.
'Ma place… est là. Vous, mes amis et compagnons qui avaient tant donné pour moi… pardonnez-moi, je dois rester près de Lui.'
Comment celui que l'on nommait 大翔 Dàxiáng, le Grand Envol… en était-il arrivé là ?
…
Six ans auparavant.
Temple de Beilin.
…
Le Temple de Beilin, sur la Montagne des Valeureux, abritait mille secrets. Mille secrets de quatre-mille ans d'histoire, dont la légende avait peut-être retiré quelques siècles.
« Dépêchez-vous ! Les préparatifs doivent avancer. »
Aujourd'hui, ceux qui l'habitaient ne vivaient que pour le Beyblade, et la grandeur de la Terre du Milieu.
« Transportez ça là. »
Un cri, à l'unisson, répondit à ces mots.
« Oui, jeune Maître ! »
D'un œil critique, un petit garçon surveillait les allées et venues de ses pairs, au sein du Temple. Si minuscule était-il, que seule sa tenue élégamment brodée et son expression sérieuse révélait son ascendant sur les habitants du Temple.
« Jeune Maître, que faisons-nous ? Ce mur va nous empêcher de monter les tables pour le banquet. Il semble tellement lourd, qu'il ne sera probablement pas déplaçable… »
« Abattez-le. »
Sa voix était stricte, son ton ne marquait pas la moindre hésitation. Les yeux des autres moines s'ouvrirent grand dans une expression interloquée, mais le jeune garçon ne plaisantait pas.
« Mais, comment… ! Il est si solide, et… »
« Appelez les Esprits de vos Toupies, et envoyez vos plus puissantes attaques. Puisque ce mur nous gêne, il faut l'abattre. Tout doit être prêt pour la cérémonie du Grand Maître, est-ce clair ? »
Pourtant, en dépit de sa petite taille, il ne fut pas un homme pour contester ses ordres. Il n'en avait pas toujours été ainsi : mais, à présent, celui que l'on connaissait comme le strict Maître de Lacerta avait fait ses preuves.
« Bien ! »
Tous les moines obéirent à l'ordre donné, dans un cri de ralliement, et préparèrent leur Toupie, qu'ils éjectèrent ensemble violemment.
« Attaque du Flot des Mille Tigres ! »
Le mur vacilla, mais ne tomba point, en dépit de la férocité de l'attaque. Dans son élégante tenue de sous-chef, le jeune garçon soupira, avant d'armer son lanceur.
« Bon, je vais devoir intervenir. Mais, que ceci ne vous dispense pas de pratiquer l'entraînement ! »
Li Chi-Yun était son nom : un nom, qui ne pouvait qu'imposer le respect, désormais. Lacerta – l'Esprit Lézard des Profondeurs – était puissante. Une puissance, née d'années de travail acharné, fruit d'un labeur infini.
« Lacerta ! Viens à moi, et aide nos frères en détruisant ce mur ! »
En réponse à l'invocation de son maître, l'immense Esprit Lézard jaillit de la Toupie qui tournoyait sur le sol, rapide comme une vrille mécanique, mais puissante comme un char d'assaut. Et frappa violemment, sans plus attendre.
« Attaque du Sabre Ouragan de la Tempête ! »
L'attaque déferla, dans un flot de tempête qui n'était pas sans évoquer une immense arme tranchante. A côté de Lacerta, les esprits des autres toupies paraissaient insignifiants, et leurs Bladers ne purent s'empêcher d'avoir un cri d'admiration devant celui qu'ils connaissaient pourtant bien. Le mur s'effondra sans plus attendre, sans pouvoir résister à cette charge impressionnante.
« Jeune Maître ! Merci, c'était superbe ! »
Autrefois méprisé par ses pairs, à présent, il régnait sur ceux qu'il avait depuis longtemps dépassés.
« Mais, le Grand Maître a dit que vous n'étiez pas remis de vos blessures. Cet assaut de brigands était féroce, et vous étiez seul face… »
« Ne vous souciez pas de cela. Ces préparatifs ne vont pas se faire tout seul, et il faut de la puissance pour détruire ces murs. Au suivant, donc. Lacerta, Sabre Ouragan de la Temp-… »
Mais, comme le grondement du tonnerre, un orage d'or tonna dans le ciel, et une tempête bien plus puissante déferla dans l'enceinte du temple. Surpris, le jeune Maître de Lacerta stoppa son attaque, alors que les autres moines ouvraient de grands yeux. Sa Toupie avait été repoussée par un flot d'or, mais…
« Mais, cette attaque… ! »
« Zurafa ! C'est… Zurafa ! »
« C'est le Grand Maître ! »
Dans un nuage d'or et de blancheur immaculée, une majestueuse silhouette émergea, ses élégants vêtements volant au rythme d'une longue chevelure de jais et d'or. Puissante comme dix-mille tigres, c'était elle qui avait inspiré le nom des Wang Hu Zhong 王虎众.
« Eh bien, que d'agitation. Je vois que vous ne ménagez pas vos efforts… »
Il ne restait plus rien, plus rien devant eux. Alors que l'attaque de Lacerta avait détruit un mur, celle du nouveau venu avait pulvérisé l'ensemble des obstacles : seule une fine poussière se dégageait encore de ce qui avait gêné leurs travaux.
« Merci à vous. Bon travail. »
Car il était un autre, que, bien plus encore, on ne pouvait mépriser : c'était le véritable maître des lieux. En dépit de sa force, Li Chi-Yun n'était le plus puissant Blader du Temple des Beilin. Le plus fort, et celui qui dirigeait tous les autres, n'était autre que ce calme jeune homme au regard émeraude profond, qui perçait leurs ennemis du haut d'une allure impressionnante.
« Petit Frère. »
Mais lorsqu'il parlait, sa voix était grave et bienveillante. Car jamais – et jamais encore – le Capitaine des Wang Hu Zhong n'avait brutalisé les siens, qu'il chérissait profondément en dépit de son apparente sévérité.
« Oh, Dashan ! »
Une lueur d'amitié naquit dans les yeux du petit garçon, à la vue de son aîné. Peu importât qu'il ne fût pas le plus fort, si ce dernier n'était d'autre que son ami. Celui par lequel il avait grandi, et pour lequel il grandirait encore.
« Dashan, que fais-tu là ? Je peux très bien m'occuper de tout ici. Tu n'as besoin de te déranger… »
Avec une grâce qui s'alliait parfaitement à sa puissance naturelle, le Chef du Temple de Beilin sauta à côté de son cadet, tout en rappelant sa Toupie – Rock Zurafa.
« C'est moi qui devrais te poser la question, Chi-Yun. N'étais-tu pas censé te reposer ? Tu as durement combattu pour repousser ces bandits. »
« Je prépare ce qu'il faut pour ta cérémonie. Comme tu vois, ces murs nous gênaient et… »
Mais Wang Dashan – le nouveau venu, et Maître de Zurafa la Vertueuse – le coupa, avec ce mélange de fermeté et de douceur qu'il adressait toujours aux siens.
« J'avais fait en sorte que tu aies un moment de repos après ta dernière opération. Et voilà que, quand je rentre, je te retrouve en train de travailler. Tu n'es vraiment pas raisonnable. Est-ce ainsi que doit se comporter le Maître Adjoint ? »
« Mais, Grand Frère, tu as toi-même durement travaillé ! Parcourir je ne sais combien de Li pour te rendre à la capitale, et protéger nos habitants… »
« Ce n'est pas une raison pour te surmener. Ne me fais pas te donner l'ordre de te reposer, tu sais bien que ni toi ni moi n'aimons cela. »
Le jeune garçon parut contrarié, mais rappela sa propre Toupie – Thermal Lacerta. Et de contempler la fine poussière qui s'éleva des décombres, l'air un peu boudeur.
« Hum… »
Mais soudain le jeune homme aux longs cheveux de jais et d'or s'approcha de son ami, et posa une main sur sa tête avec une expression bienveillante.
« Ah, Chi-Yun, tu ne changeras donc jamais. Toujours aussi sérieux… je te suis reconnaissant pour ton dévouement, cela me touche beaucoup. Mais, pense aussi à toi, veux-tu bien ? »
A présent, le jeune garçon souriait aussi, de son expression plus discrète tant elle irradiait le sérieux.
« Oui, Grand Frère. »
Le Capitaine des Wang Hu Zhong, une fois encore, sourit avec bienveillance. Il parcourut la place en examinant les préparatifs, avant de soudainement se souvenir de quelque chose.
« Mais, dis-moi, Petit Frère, où est Chao Xin ? »
Le jeune garçon eut une grimace, que son aîné jugea très éloquente. Ce dernier se contenta de soupirer, alors que l'autre paraissait en proie à une crise d'estomac particulièrement tenace.
« Très bien, finalement, ne me réponds pas. Je ne veux pas savoir. Je me doutais bien qu'il faudrait compter sans lui… »
« Grand Frère, tu es bien trop tolérant ! Il est vraiment inconvenant. T'abandonner, à la préparation de ta Cérémonie Officielle de Départ du Temple ! Alors que tu vas recevoir une importante charge au Palais, il ne trouve rien de mieux à faire que… ! »
« Chi-Yun, tu me connais assez pour savoir que je suis strict lorsqu'il le faut. Particulièrement avec ceux dont j'attends le meilleur. Mais ici… ce n'est pas un cas ordinaire, et… je pourrais presque le comprendre. »
Alors que le jeune Maître de Lacerta darda sur lui un regard suspicieux, en dépit du respect qu'il lui manifestait toujours, le Capitaine des Wang Hu Zhong reprit simplement.
« Oui, il est assez peu poli, je te le concède. Mais c'est notre frère, ami et coéquipier : de plus, en dépit de son manque total de tenue, il reste quelqu'un d'intelligent. Pourquoi je ne le sanctionne pas, pour cette fois, c'est que… je crois que c'est sa façon de ne pas vouloir me dire adieu. »
Le plus jeune se contenta de renifler de mépris.
« Hum, tu veux dire que chaque fois que quelque chose lui déplaît, il se venge en enchaînant inconvenance sur inconvenance, oui ! »
« Pour cette fois, passons. D'ailleurs, tu auras toute l'occasion d'être sévère avec lui quand je serai parti. »
Wang Dashan avait prononcé ces derniers mots avec humour, comme s'il espérait voir son ami en rire, mais contrairement à ses attentes, ce dernier n'eut pas le moindre sourire.
« Dashan… »
L'air du jeune Maître de Lacerta parut si grave, que pendant un instant, son aîné craignit d'avoir dit quelque chose d'irréparable.
« Je dois… je dois vraiment devenir le chef de Beilin à ta place ? »
« Qui d'autre le pourrait ? A moins que tu préfères que ce soit Chao Xin ? »
« NON ! Je veux dire… c'est vrai que la responsabilité est importante, mais… »
Le Chef de Beilin le coupa avec douceur.
« Tu t'en sortiras à merveille. Je te connais. »
Une fois de plus, il avait parlé en souriant, comme pour dérider son jeune coéquipier. Mais ce dernier n'avait pas changé d'expression, la tête baissée.
« … »
« Chi-Yun ? Ça… ne va pas ? »
Le jeune garçon gardait les yeux fixés sur le sol, sans mot dire. Mais, soudain, à la lueur d'un rayon de soleil, Wang Dashan s'aperçut qu'il se mordait la lèvre inférieure furieusement.
« Pour être honnête, Grand Frère, je… j'ai beau ne pas être d'accord sur les manières de Chao Xin… je… »
Et de détourner les yeux, vers l'envol chaotique d'un grillon sur la terre.
« …je n'ai pas envie que tu partes, moi non plus. »
Tu es pour nous le seul… et l'unique Chef de Beilin. Tu es notre Capitaine, le Capitaine des Wang Hu Zhong.
C'était les paroles, qui parlaient au-delà du langage des mots : ces messages si subtils que leur puissance pouvait renverser les préjugés, et leur délicatesse toucher le plus fermé des cœurs. Mais Wang Dashan était en peu de chose un homme de préjugés ou un être insensible, et en dépit de son air sévère qui avait impressionné plus d'un ennemi, il ne put s'empêcher de montrer son émotion.
« Chi-Yun… »
Et, au plus profond de son propre cœur, le Maître de Zurafa fut si touché, par cette émotion à la fois si délicate et puissante, qu'il choisit de la laisser s'entremêler à un nuage d'humour, qui un jour porterait la pluie de sa tristesse.
« Ha ha, cela m'étonne de ta part, Chi-Yun. »
'Merci… à toi. Mais je dois… faire mon devoir.'
Son Petit Frère parut avoir l'air surpris, devant ce brusque changement de ton. En effet, son Capitaine avait soudainement pris un ton sévère – puisque l'humour n'avait pas marché.
« Douterais-tu des habiletés de ton Grand Frère à assurer la charge impériale ? A moins que tu ne penses que… »
Wang Dashan le savait fort bien : rien de tel, pour embarrasser son Petit Frère par Amitié, que de lui faire croire qu'il manquait de déférence à son égard : chose d'ailleurs aussi probable que de voir les moines du Temple de Beilin mépriser le Beyblade. Et, comme souvent, il vit juste.
« N-non, n-non ! C'est que… ! C'est que… ! »
'C'est que je ne veux pas que tu me manques.'
Le jeune garçon s'étrangla, devant ces mots qu'il ne put prononcer. Avec un sourire bienveillant qui montrait toute la douceur qu'il avait à son égard, le Capitaine des Wang Hu Zhong posa une main sur la tête de son jeune ami.
« Alors assiste-moi pour la cérémonie de départ. Tu sais bien qu'il n'y a qu'à toi que je puis demander cela, Mei-Mei ne saurait pas prononcer un discours sans inverser la moitié des mots, et quant à Chao Xin… je ne préfère pas l'imaginer en cérémonie officielle. »
L'espace d'un instant, le jeune Maître de Lacerta eut un regard vide, comme s'il avait du mal à imaginer quelque chose.
« Mei-Mei… prononcer un discours… Chao Xin… en cérémonie officielle… »
Soudain, ses yeux cuivre rencontrèrent ceux de son ami, qui paraissaient amusés : et ce fut alors, que l'étincelle d'humour qui vivait dans le cœur de Wang Dashan, embrasa un feu de rire dans l'âme de son jeune frère.
« Non, non… Grand Frère, ne redis jamais cela. C'est trop… traumatisant. »
« Tu n'as pas l'air tellement traumatisé. Moi je dirais… que tu as plutôt envie de rire. »
« … »
« … je me trompe ? »
Ce fut au prix d'efforts monumentaux que le jeune Maître de Lacerta put empêcher sa poitrine de se secouer, et ses traits de se contracter.
« …Grand Frère… tu ne… pouvais pas te contenter d'être… un excellent Blader ? Il faut toujours… que tu lises… les expressions des autres, et que… »
En effet, le Capitaine des Wang Hu Zhong avait ce petit sourire en coin, qui, du haut de sa majestueuse stature, montrait qu'il avait percé à jour les défenses de ses adversaires. Mais seules des personnes qui le connaissaient très bien, comme sa Famille – et peut-être certains Bladers de Beilin – étaient capables de comprendre ce signe sur son visage.
« Ha ha ha. Alors, tu vois bien que tu es le seul à qui je puis confier cette tâche. J'attends donc de toi que tu t'en acquittes avec soin. »
Devant lui, malgré sa petite taille, Li Chi-Yun s'était légèrement incliné devant lui, son air redevenu parfaitement sérieux.
'Comme toujours, en fait.' Pensa son interlocuteur. 'Mais j'admets… que je suis mal placé pour te le faire remarquer.'
« Alors je m'en acquitterai avec soin, Grand Frère. »
Wang Dashan était également redevenu extrêmement sérieux, lorsqu'il fixa de ses yeux profonds ceux de son ami.
« C'est un honneur, d'être mandaté par Sa Majesté, pour servir à la Cour du Palais. Notre Grand Temple de Beilin se verra reconnu par le Fils du Ciel lui-même, et tandis que j'œuvrerai à répandre les fruits de son travail, à sa tête mon Petit Frère montrera le cœur vaillant de nos frères et sœurs bien-aimés ! »
Fier de tous ces compliments, ce dernier ne put s'empêcher de sourire – chose rare, quand on sait son sérieux. Car si son Capitaine veillait à toujours encourager ses hommes, ses paroles valaient tout de même de l'or.
« Je te laisse, à présent, Chi-Yun. Je dois aller superviser les préparatifs de l'aile ouest. Occupe-toi de tout ici. »
« Très bien. »
Alors qu'il s'en retournait là d'où il venait, une voix l'arrêta : c'était celle de son jeune ami, qui l'avait appelé, une dernière fois.
« Dashan. »
« Oui ? »
Peut-être une toute dernière fois.
« Mais même si je m'occupe de toutes les charges à ta place ici, tu resteras pour nous le seul Chef du Temple de Beilin. Quand bien même tu serais loin dans le Palais des Songes à plus de dix-mille Li, tu resteras notre seul et unique Capitaine. »
L'espace d'un instant, la voix manqua au Maître de Zurafa, pour répondre. Et, pour la première fois depuis leur entretien, il ne sut que dire, ni même que faire : juste rester planté là, sans pouvoir bouger. Si quelqu'un de Beilin avait pu le voir, il aurait eu du mal à reconnaître son Capitaine, tant cette expression à la fois touchée et choquée était une chose rare à voir sur son visage.
« … »
'Au revoir, mes amis. Je… je… est-ce… la bonne chose, que je suis en train de faire ?'
Et cette dernière pensée emporta le doute, qui sommeillait en son cœur comme pour se réveiller plus tard.
…
Cinq ans plus tard.
Palais des Songes.
…
"王將軍, 字大翔, 號金麒麟。"
'Général Zurafa, Dashan de son appellation, surnommé le Noble Kirin aux Ailes d'Or.'
Désormais, cette inscription honorifique était gravée sur la plaque du Tableau des Mille Honneurs. Il n'était point une personne, dans l'infinie immensité de la Terre du Milieu, qui n'eût entendu un jour parler de Zurafa, la Vertueuse, et de son Maître, Wang Dashan. Mais, au cœur du Palais des Songes, avoir son nom inscrit sur le Tableau des Mille Honneurs signifiait être officiellement reconnu par l'Empereur, et avoir la possibilité de cueillir ces honneurs.
« Général Zurafa, nous feriez-vous la faveur ? »
Pourtant, l'ancien Capitaine des Wang Hu Zhong ne recherchait pas les honneurs, c'était eux qui venaient à lui. Ironique de constater que ce que l'on ne cherchait point venait à soi, mais que ce que l'on poursuivait fuyait devant soi.
« Gentes Dames, je ne puis. Là n'est point ma place, et je ne veux vous offenser, ni offenser Notre Empereur. »
C'était des paroles parfaites – les seules qui pouvaient être dites, en de telles circonstances. Accepter les offres des Dames du Palais eût été considéré comme inconvenant, mais mal refuser ne valait guère mieux. Que le jeune Blader sût employer les mots avec délicatesse fut fort apprécié par ces damoiselles.
« Quel élégant Général que voici. D'ordinaire, les Maîtres des Armes sont de peu de retenue envers nous. »
« C'est fort naturel. Respecter ses semblables est… »
Il fut doucement coupé, par des voix de flûtes et de violons.
« Général Zurafa, l'on dit que vos talents de Blader égalent votre sagesse. Accepteriez-vous, pour le délice de nos yeux, de nous en faire quelque démonstration ? »
Le jeune homme eut un sourire patient. Une fois de plus, il lui fallait refuser.
« Je crains qu'ils suffisent à peine à assurer la sécurité de notre royaume et de Sa Majesté… et que les vôtres surpassent les miens en ce domaine. »
Wang Dashan le savait : en dépit de leurs manières délicates et de leur raffinement au-delà des mots, les Dames du Palais étaient de redoutables atouts pour le Royaume. Certaines étaient des guerrières émérites, d'autres des stratèges, écrivains ou artistes hors pair : il n'était point un domaine qui n'eût son membre. Chacune avait un talent particulier, en plus de sa beauté exceptionnelle. Même l'Assemblée des Lettrés qui comptait des membres d'élite avait peu de chose à leur faire envier.
« Vous êtes bien trop modeste, Sieur Wang ! »
Une nuée de rires s'éleva dans l'air, comme un brouillard de mystère féminin. Le jeune Blader sourit de nouveau, sachant pertinemment qu'il lui était impossible de se retirer tant que les usages ne le permettaient point.
« Jeune Maître de Zurafa, l'on raconte… »
« Oh, je ne prête d'ordinaire point attention aux rumeurs. »
Et les mots arrivèrent à ses oreilles, comme des insectes avides de sang.
« …que votre cœur appartient à Son Altesse. »
Tout intelligent qu'il fût, l'Ancien Capitaine des Wang Hu Zhong dut mettre un certain temps avant de comprendre.
« Que… mon cœur… »
« Ce sont les paroles du Cercle des Lettrés. »
Soudain, alors que les yeux magnifiques des femmes, fardés avec délicatesse, le fixaient sans retenue, Wang Dashan saisit enfin le sens de ces paroles.
« Gentes… Dames ! C'est, c'est… voyons ! »
« Hi hi hi… »
'Rrrr, ces Lettrés ! Dire des choses pareilles aux Dames du Palais ! Je suppose que c'est leur façon de se venger, d'avoir refusé leur offre…'
En effet, lors de son arrivée au Palais, l'ancien Capitaine des Wang Hu Zhong avait dû suivre une formation de Blader Lettré, qu'il avait réussie avec brillance. Il paraissait donc tout naturel qu'il rejoignît leur Cercle, mais le sort en décida autrement : et le Fils du Ciel décréta, devant une assemblée médusée, que désormais, Wang Dashan de Beilin ferait partie de l'Armée Impériale.
« Général Zurafa, est-il vrai que Notre Empereur vous a maintes reprises convoqué dans ses appartements personnels, et que… »
« Mesdames ! »
Son expression parut – un court instant – si choquée, que les Dames durent le prendre en pitié, et raviser leurs paroles.
« Ne vous offusquez point, Sieur Wang. C'est juste qu'il est fort rare que Son Altesse confie aussi rapidement une charge d'une telle importance à un jeune Blader et que… »
Heureusement, le destin parut décider qu'il avait assez souffert. Un serviteur venait de rentrer dans la salle, et l'attendait afin de s'entretenir avec lui.
« Général Zurafa ? »
Espérant un soulagement rapide quant à son calvaire – et surtout, un prétexte pour s'échapper de ce guêpier – l'ancien Chef du Temple de Beilin se tourna vers cet interlocuteur providentiel.
« Oui ? »
« Vous êtes mandé pour la Réunion des Lettrés. Son Altesse vous attend également. »
Un gloussement de rire monta du groupe des Dames, qui en profita pour élaborer mille hypothèses. Wang Dashan, lui, eut un grand soupir intérieur.
'J'ai l'impression… que l'après-midi va être long.'
…
Quelques instants plus tard.
Grande Salle des Mille Fleurs.
…
La réunion des Lettrés en présence de Sa Majesté avait quelque chose d'intimidant : lui-même, pour tout favori qu'il fut lors du Tournoi Mondial de Beyblade, se souvint d'avoir tremblé devant le regard de jais glacé, la toute première fois qu'il parût devant le Fils du Ciel.
Glace ou jade au fond de ces prunelles ?
Il n'avait su dire, tant l'intensité l'avait dévoré dans leur éclat, et englouti dans leur profondeur. Sa fierté face à Julian Konzern lui avait semblé dérisoire, face à celui qui pouvait éteindre son existence d'une seule décision.
« Est-ce donc toi, celui que l'on dit capable de porter les espoirs de la Terre du Milieu ? Es-tu le Capitaine des Wang Hu Zhong, qui a emmené notre nation au Tournoi International de Beyblade ? »
« Oui, Votre Altesse. »
« Désormais, tu seras mon serviteur. J'attends de toi le même dévouement que tu as jadis montré pour notre pays, et le même talent dont tu as déjà fait preuve à maintes reprises. »
Le Grand Empereur ne le brutalisa point : cependant, l'expression de ses prunelles le troubla au plus haut point.
« … »
Il n'était point permis à un servant de regarder droit dans les yeux le Fils du Ciel. Pourtant, malgré sa tête baissée en signe de déférence, Wang Dashan put sentir la force d'une âme pénétrer la sienne au plus haut point.
« Mon Empereur, permettez à Votre Serviteur de se retirer loin de ses yeux. Nombreuses sont les charges qui m'attendent, et lourd est l'apprentissage qui en découle. »
Il lui avait fallu quelque temps pour apprendre les usages de la Cour, au demeurant fort proches des temps anciens. Mais, capable et intelligent comme il savait l'être, ces mœurs ne lui furent étrangères que peu de temps. Cependant, il y avait encore des choses qu'il ne comprenait point.
Comme la raison pour laquelle le Scribe des Affaires Extérieures s'obstinait à lui tenir des propos sans queue ni tête.
…
Flash-back, peu avant la Réunion.
Bureau des Affaires Extérieures.
…
Le froissement du papier arriva à ses oreilles, à travers le mur. Selon le rite ancestral, Wang Dashan s'inclina à genoux devant le paravent, attendant patiemment la permission d'entrer.
« Général Zurafa, c'est donc vous. Veuillez entrer. »
Et d'obéir, avec lenteur. Le jeune homme s'inclina ensuite en une révérence, de toute la majestueuse hauteur de sa fière carrure.
« Je vous remercie d'accueillir l'humble serviteur que je suis. »
Dans ses yeux brillaient la calme fierté des Bladers, et l'émeraude qui les teintait disait le sang-froid des grands généraux et le savoir-faire des combattants aguerris.
« C'est mon humble personne qui est honorée de recevoir telle figure de l'Armée. S'entretenir avec un des Généraux principaux n'est pas affaire si courante. »
Leurs relations étaient particulièrement cordiales, quoique toujours teintées de ce formalisme poli, qui eût fait se tordre de rire un individu moins traditionnaliste. Mais, dans ce Palais mystérieux, les deux êtres qui s'entretenaient respectaient fort la tradition et ne trouvaient pas leur courtoisie étrange.
« C'est trop d'honneur. Que puis-je donc pour vous ? »
« Cette affaire de la Rivière des Ombres… »
« Oh, je conçois votre inquiétude. Mais mes troupes sont prêtes à calmer cette révolte. Aucun sang inutile ne sera versé sans ma permission. Sa Majesté n'a point de souci à se faire, je serai moi-même à la tête des escadrons pour diriger cette opération. »
Mais le scribe leva la main, montrant que ce n'était pas le sujet. Un peu surpris, Wang Dashan s'arrêta, et son interlocuteur en profita pour reprendre la parole.
« Sa Majesté vous fait confiance et sait que vous êtes capable de mener à bien cette opération. A maintes reprises cela fut le cas dans le passé… ce qui contribua encore un peu plus à faire de vous une figure emblématique, qui inspire confiance à notre peuple. Vous êtes donc la personne qualifiée pour ce faire… »
« Mais, dans ce cas, quel… »
« N'y allez point. »
Cette fois, le jeune Blader ne put s'empêcher de marquer nettement sa surprise – mêlée d'incompréhension.
« Mais, mais, vous venez de dire… ! »
« Telle est l'opinion des Lettrés. »
Devant une telle assertion, le jeune Maître de Zurafa ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Ces Lettrés… toujours ces Lettrés. Qu'est-ce qu'ils manigançaient encore ?
« Avec tout le respect que je leur dois, le Cercle des Lettrés n'a que droit d'opinion. C'est le Général qui décide de l'opération militaire, et non eux. »
Devant l'air un peu mécontent du jeune Blader, le scribe ne put s'empêcher de rire.
« Vous voir aller à l'encontre des Assemblées est rare. Le Maître du Kirin d'Or concevrait-il une crainte en son cœur ? »
Les yeux émeraude étincelèrent avec calme et détermination.
« Des craintes, un être sensé en a d'innombrables : un bon général se doit d'en garder les plus raisonnables. »
« Oh ? Et quelles seraient ces raisonnables craintes ? »
C'est ce moment que l'ancien Capitaine des Wang Hu Zhong choisit pour s'avancer, avec fermeté en dépit de son respect manifeste.
« La sécurité de Sa Majesté est essentielle, pour la prospérité de notre nation et le bien-être de notre peuple. La Région de la Rivière des Ombres est menacée par des troubles au sein de la population. Je voudrais lui suggérer de m'envoyer comme émissaire afin d'y rendre la justice et d'y instaurer l'harmonie. »
« Justement, Son Altesse ne souhaite pas non plus que vous vous rendiez en ce lieu. »
Voilà justement une chose qu'il ne saisissait point. Si maintenant, même Son Altesse s'y mettait… !
« Je ne comprends guère les pensées de Sa Majesté… comment puis-je honorer ses requêtes et accomplir mon devoir, si ce dernier va à l'encontre de ses souhaits ? »
« C'est une opération dangereuse, en êtes-vous conscient ? »
« Le danger fait partie de mon métier. Que diantre, je suis un Maître des Armes ! Mon rôle est de veiller à la sécurité de notre peuple ! »
La plume continua à froisser le parchemin royal, dans le silence le plus total. Bien que son apparence extérieure ne marquât pas le moindre mouvement, intérieurement, le jeune Maître de Zurafa bouillait s'impatience.
« Eh bien, pour être honnête… il me semble que Sa Majesté ait peur que vous soyez tenté de la quitter : vous en laisser aller trop loin pourrait vous redonner goût à la liberté, peut-être. »
« Voyons, c'est absurde. »
Le jeune général fronça les sourcils, devant cette assertion.
« Je me dois d'assurer la protection de notre peuple. Servir Sa Majesté est également mon devoir. Comment pourrais-je la trahir ou trahir mon peuple ? »
« Votre cœur est droit et votre dévotion sans appel. Mais vous êtes encore jeune, et nombreuses sont les choses qui échappent à vos yeux pourtant aiguisés… »
Wang Dashan n'aimait pas énormément qu'on lui rappelle son jeune âge – vingt-quatre printemps – mais il s'abstint de soulever le problème.
« J'accomplirai ma mission dans le secret, dans ce cas, et éviterai d'attirer les regards sur ma personne. »
Le scribe royal eut un rire léger, alors que la plume frotta le parchemin.
« Général Zurafa, vous ne pouvez guère ne point attirer l'attention. Mon amie du Bureau des Archives Impériales me tint ces propos lorsqu'elle vous vit : 'Est-ce un grand émissaire qui nous rend donc visite ? La Région de la Rivière des Ombres ne fait pourtant point affaire avec nous…' Votre présence frappe les yeux qui tombent sur vous… et vos talents resplendissent dans la droiture de votre âme. En vous rayonne une aura… qui attire hommes et femmes à vous. Savez-vous qu'il vous serait aisé de trouver compagne ou compagnon ? »
Le Maître du Kirin d'Or eut un sourire patient.
« Mon Empereur est le seul que je puis servir. Je ne puis me consacrer à aucun autre, avec la fonction qu'il m'est donné d'assumer. »
« Il sera heureux de l'entendre. »
Wang Dashan eût juré apercevoir un regard un peu étrange, dans les mots que son interlocuteur avait prononcés. Sans doute… une illusion.
« Notre Souverain souhaiterait vous voir, dans le Pavillon du Doux Repos. »
« Mais, mais ! La révolte de la Rivière des Ombres est affaire urgente. Je dois m'y rendre dans les plus brefs délais ! »
Ce fut au tour au scribe d'avoir un sourire indulgent.
« Son Altesse vous aime bien. Veuillez comprendre ses désirs… tout en accomplissant votre devoir. »
Wang Dashan fut assez interloqué, mais parvint à marquer son assentiment en répondant.
« Très bien, j'honorerai sa requête. Mais j'espère bien pouvoir me rendre là-bas le plus vite possible… notre peuple ne doit pas souffrir à cause de mon retard. Puis-je disposer à présent ? »
« Je comprends fort bien. Oui, vous le pouvez. »
Le jeune général s'inclina avec beaucoup de respect, avant de gracieusement disparaître, sa longue chevelure de jais volant derrière lui. Mais, dans le Bureau où mille parchemins vitaux étaient rédigés, le regard aigu d'un scribe n'avait pas quitté la place où il se tenait, quelque temps auparavant.
« Général Zurafa… aussi intelligent et capable êtes-vous, il reste des choses que vous devez encore apprendre à saisir, dans ce Palais. Surtout quant il s'agit de Son Altesse… »
La plume se posa élégamment dans le pot d'encre, comme un papillon de jade.
« Peu importe ce que pensent les Lettrés, c'est le Fils du Ciel qui décide. Et, il est même probable que Son Altesse conçoive du désir pour vous… même si vous vous obstinez à y demeurer aveugle, Maître d'Entre Tous les Kirin. »
Mais, cette phrase, Wang Dashan ne l'entendit point, tant ses pas l'avaient déjà amené loin de ce Bureau.
…
Quelques heures plus tard.
Pavillon du Doux Repos.
…
La Réunion l'avait fatigué au plus haut point.
S'entretenir avec le Cercle des Lettrés revenait à palabrer avec le vent : au final, tout restait en l'air – si l'on pouvait le dire ainsi. Heureusement, la présence charismatique de Sa Majesté avait évité de rendre cette réunion inutile. Bien au contraire, elle avait réussi – tour de force – à faire évoluer les choses pour le Royaume, et en sa faveur puisqu'elle était donc l'instigatrice de ces mesures concrètes.
« Il sait y faire… il faut le lui accorder. »
Wang Dashan admirait l'autorité de Son Empereur, mais s'inquiétait du fait qu'il l'ait mis au premier plan pour mener à bien ses directives. Ce n'était pas qu'il se pensait incapable de les accomplir, ou qu'il redoutât de se trouver au devant de la scène : lorsqu'il était le Capitaine de la Wang Hu Zhong, c'était devant le Royaume tout entier qu'il devait faire ses preuves. Non, ce n'était pas cela, la raison de son inquiétude.
« … »
Cette dernière résidait ailleurs : dans l'attitude que lui manifestaient les Lettrés. En effet, les hommes aux Sept Talents semblaient de moins en moins le porter dans leur cœur. La raison originelle était sa 'désertion' (non voulue, puisqu'elle découlait d'un ordre direct de Sa Majesté) pour le Clan des Maîtres des Armes, c'est-à-dire l'armée impériale. Ce changement de poste avait été un coup dur pour le Cercle des Lettrés : s'il ne craignait de se montrer trop présomptueux quant à ses talents, le jeune Maître de Zurafa eût dit que ses anciens pairs avaient espéré qu'il fasse briller leur Assemblée par son influence.
'Enfin, je crois que c'est cela.'
Wang Dashan soupçonnait même certains Lettrés de penser qu'il avait influencé la décision de Sa Majesté, ce qui était bien sûr strictement faux (même s'il se pensait aussi utile dans l'armée, du fait de sa présence directe sur le terrain). A tel point qu'il avait sollicité un entretien avec le Fils du Ciel pour arranger la situation, avec peu de succès.
« Il paraît que tu souhaites t'entretenir avec moi. A quel sujet est-ce ? »
« Votre Altesse, le Cercle des Lettrés montre force de mécontentement. Si je ne craignais de paraître irrespectueux, ou présomptueux, je dirais que c'est la conséquence de la nomination dont vous m'avez fait honneur. »
« … … … as-tu toi-même sujet de plainte ? »
« Non, Votre Majesté. Mais je crains que cela ne cause remous et conflits au sein de notre organisation, ce qui porterait préjudice au royaume. Aussi voudrais-je vous adresser cette requête : serait-il possible que je fusse – même provisoirement – réintégré au Cercle des Lettrés ? Je pourrais servir Son Altesse sous la direction d'hommes plus expérimentés, et venir en aide à notre peuple d'une autre façon. »
« C'est hors du question. Tu resteras à la place de Général Principal. »
« … »
« Tu es la figure qu'il me faut pour représenter l'autorité royale. Te laisser dans le Cercle des Lettrés reviendrait à laisser un diamant dans un écrin, au lieu de le porter à son doigt. Tu es connu dans la Terre du Milieu comme représentant principal des Bladers, et de surcroît tu as des dons en matière de gestion militaire. »
« Mais, Votre Majesté… »
« Il suffit. Vas-tu discuter mes ordres ? »
« … »
Et ce fut ainsi qu'il continua à exercer comme Maître des Armes, menant les opérations à la tête de ses escadrons. L'armée impériale de Bladers avait nombre de missions, dont celle, principale, de pacifier les régions et de venir au aide à la population. Chose qu'il avait faite avec soin.
« Ah… je n'en peux vraiment plus. Si seulement… je pouvais avoir un peu de répit. »
Epuisé par toute cette réflexion, le jeune Maître de Zurafa se laissa aller contre une colonne de marbre, la tête rejetée en arrière. Ses mains musclées retombèrent également sur le côté, avant que l'une d'entre elle touchât sa ceinture où se trouvait sa Toupie.
'Zurafa.'
Mais elle ne s'y arrêta pas, et poursuivit, pour toucher un papier qu'elle sortit lentement. Ou, plus exactement, une enveloppe.
« Je suis mort… j'espère que c'est un lettre de mes amis de Beilin. Je n'aurais pas la force de lire des doléances… »
Confortablement installé dans le Pavillon du Doux Repos, Wang Dashan décacheta l'enveloppe qui lui avait été apportée. Puis, ses doigts puissants déplièrent la lettre, en même qu'un sourire éclairait son visage, en voyant le nom du destinataire.
« Bien le bonsoir Dashan,
Parce que, tu t'attendais peut-être à que je t'appelle Général Zurafa, ou Sieur Wang du Noble Kirin aux Ailes d'Or ? Rêve toujours, mec ! Pour moi, tu seras toujours Dashan, le gars trop sérieux que j'ai pour capitaine dans la Wang Hu Zhong, mais qui reste un bon Blader et une compagnie un peu près convenable pour des discussions le soir, avec un verre de thé, ou autour d'une partie de Go.
Bien que tu sois un traître de nous avoir lâchement abandonnés, nous tes dévoués amis et équipiers de Beilin, je t'envoie quand même une lettre – que tu ne mérites pas du tout – pour te mettre sous le nez la seule question existentielle qui compte :
Quand passeras-tu nous voir, espèce d'infâme lâcheur à notre cause ? Ta visite remonte au dernier Festival de la Floraison des Pruniers et j'ai eu le temps de rompre six fois avec mes dernières petites copines. Trois fois, passe encore, mais SIX fois, non, c'est trop !
Oh non, laisse-moi deviner : tu t'es trouvé une super nana à la Cour, et du coup, nous, on existe plus, c'est ça ? Je le savais, tu n'es qu'un traître, Dashan !
Bon, sinon, à part ça, rien de spécial, à part Chi-Yun qui a décidé de se charger du monde entier sur le dos à ta place (le bougre, il a même osé me faire une remontrance sur ma, euh, 'légèreté' ! Je n'ai pas très bien compris ce qu'il voulait dire, mais de toute façon il m'ennuie. Y'a qu'avec toi que je peux me détendre un peu, même si tu es plutôt du genre coincé de temps en temps…)
J'espère que tu te ramèneras vite – non, en fait, tu as intérêt à vite te ramener. Je ne suis pas sûr de supporter encore la direction de Chi-Yun, et c'est pas Mei-Mei qui va le contredire, malheureusement.
Ton meilleur ami et légendaire Blader aux mille fans, le grand Chao Xin »
Le vent souleva la feuille légère, mais les doigts musclés du Blader ne laissèrent jamais échapper la lettre. Il n'aurait pas permis cela.
« Ha ha ha… tu ne changeras jamais, mon ami. »
Pour la première fois, depuis très longtemps, Wang Dashan se mit à rire, sans retenue. Tant et tant, qu'il dut s'essuyer les larmes de rire, la tête dans une main. Son ami et fidèle Lieutenant de Beilin avait le don de le faire sourire, et de l'amener à être plus détendu – ce qui n'était pas forcément chose facile avec sa personnalité, ce qu'il concédait totalement. Chi-Yun était un Petit Frère exceptionnel, mais un peu trop semblable à lui de ce point de vue pour ce faire. Mei-Mei, quant à elle, si elle le faisait sourire, c'était plutôt par sa maladresse involontaire.
« Je regrette tant que tu ne sois plus à mes côtés… mais ce n'est pas comme si tu m'aurais accompagné ici. Ce lieu ne te va pas du tout… et moi, pourtant, j'y appartiens. Enfin, je crois. »
En réalité, Chao Xin avait également été invité à servir à la Cour. Mais s'était empressé de refuser, avec un sursaut d'horreur qui eût fait se tordre de rire le premier inconnu, si son interlocuteur n'avait pas eu une certaine expression de tristesse. Expression dont il avait vite – trop vite – compris la raison.
« Dashan, ne me dis pas que… tu comptes y aller ? »
Sans doute pensait-il qu'il refuserait également, par égard pour le Temple du Beilin et leurs compagnons. C'était sans compter cette volonté de servir autrui qui le poussait à assumer plus de charges, à un niveau encore plus haut, pour plus d'influence encore.
« … »
Ce fut une des rares fois, où le Capitaine de l'équipe Wang Hu Zhong ne regarda pas quelqu'un dans les yeux. Tout Maître de Zurafa qu'il fût, il ne pouvait pas blesser un des siens. Quant à mentir, c'était tout à fait hors de question.
« Chao Xin… je parie que tu m'en veux toujours. Tu t'attendais à ce que je refuse, n'est-ce pas ? »
Et de fermer les yeux, méditatif sous la lune argentée, qui éclairait la pagode où il était agenouillé.
'Si seulement… nous n'étions pas aussi différents. Peut-être nos vies seraient-elles plus proches alors…'
C'était connu : le Maître de Virgo détestait tout ce qui avait rapport avec la tradition, l'ordre ou le labeur. Il avait été un des premiers habitants de la Terre du Milieu à adopter les usages des autres pays où il avait voyagé, comme d'appeler autrui par son prénom ou de privilégier le mode de vie moderne. Ce qui excluait totalement les manières ampoulées de la Cour, et tous les titres impériaux issus des temps anciens. Si cette attitude avait choqué les personnes les plus traditionnalistes, elle avait pourtant séduit bien d'autres également. Et le fait qu'il fût un membre à part entière de la Wang Hu Zhong avait contribué à diffuser cette façon de penser.
« Dès que j'aurai du temps, je te ferai une longue réponse pour me faire pardonner. »
Il y avait encore d'autres lettres : dont deux, très importantes, qu'il voulait absolument lire. Chi-Yun et Mei-Mei avaient probablement dû lui écrire, mais il avait été si accaparé par ses charges qu'il n'avait pas pu récemment leur répondre. Chose qu'il se devait de rectifier.
« Voyons voir… »
Il fouilla dans le tas de papier, et finit par y trouver les deux intéressées : l'enveloppe de Chi-Yun était fort reconnaissable, tant elle était impeccablement cachetée et adressée :
"王將軍, 字大翔, 號金麒麟。"
'Général Zurafa, Dashan de son appellation, surnommé le Noble Kirin aux Ailes d'Or.'
Alors que Chao Xin ne s'était pas foulé et avait simplement écrit – au grand dam des coursiers du Palais – 'Dashan' (en fait, il le soupçonnait d'avoir purement fait exprès), celle de son cadet comportait son titre complet avec sa charge impériale actuelle. Celle de Mei-Mei, en revanche, était bourrée de ratures (il pouvait voir qu'elle avait encore inversé les mots, mais que Chi-Yun avait dû la corriger), mais également ornée de fleurs et d'oiseaux joliment dessinés.
« Eh bien, eh bien, tu t'es encore améliorée ! Je vois que tu n'as pas lésiné sur l'esthétisme ! Ces couleurs sont magnifiques ! »
De toute l'équipe des Wang Hu Zhong – et même des Bladers de Beilin – Mei-Mei était de loin la plus douée en arts graphiques : peinture, dessin, et bien d'autres encore. Les arts du 'Délice des Yeux' était la grande spécialité de la Maîtresse d'Aquario. C'était également elle qui avait conçu le design de leurs vêtements, que Chi-Yun et elle avait passé des heures à broder.
'Je me souviendrai toujours de ces heures, la nuit, où nous restions ensemble, alors que vous brodiez nos costumes et que je discutais avec Chao Xin, autour d'un verre.'
D'ailleurs, un paquet avait été joint à sa lettre. Soudainement, en dépit de son âge, Wang Dashan se sentit comme un enfant avide devant un cadeau, ou un jeune frère devant une enveloppe rouge lors de la Tradition du Nouvel An. Habituellement, il n'ouvrirait jamais un cadeau des siens avant d'avoir lu sa lettre – vu le temps qu'il passait à leur faire morale sur les bonnes manières, c'aurait été osé – mais… il n'avait pas le temps de savourer lentement les mots de sa 'famille' – l'Empereur n'allait pas tarder à le faire mander – et hors de question de gâcher ce plaisir en lisant en diagonale. Mais, il avait tant envie de profiter de ce petit présent…
'Bon…'
Le jeune homme jeta des discrets coups d'œil aux alentours.
'Il n'y a personne, non ?'
« Chao Xin, Chi-Yun, Mei-Mei, ainsi que tous les frères de Beilin… vous n'avez rien vu, hein. Votre Grand Frère va faire une petite entorse à la règle… mais c'est parce que vous lui manquez trop. »
En cette heure, le grand et célèbre Général du Royaume – reconnu comme l'Ancien Capitaine de l'Equipe Nationale et un des meilleurs Bladers de la Terre du Milieu – était comme un enfant impatient, un peu solitaire, trop éloigné de sa famille. C'est pourquoi, ces caprices que personne ne lui avait jamais connus, il allait se permettre d'en faire un. Que diantre…
'Non, mais ! Après tout, je ne suis pas si vieux que ça…'
Ses doigts puissants défroissèrent le papier, révélant le présent de ses bien-aimés. Et sa curiosité impatiente – presque enfantine – fut amplement récompensée. Car, à l'intérieur, se trouvait…
« Oh, par le Mandat Céleste ! C'est… magnifique, Mei-Mei ! »
…un nouveau costume pour lui, couleur rouge et or : immense robe masculine qu'un blanc pur traversait. Un magnifique animal brodé d'or scintillait au milieu d'un décor d'argent, fait de bambous et de fleurs de chrysanthèmes. Mille couleurs semblaient s'y mêler dans l'harmonie la plus complète qu'une âme peut éprouver…
'Un… Kirin ?'
Et, sur le magnifique habit, des caractères y étaient visibles, à la fois tracés au pinceau et brodés.
金 Jīn
德 Dé
麒 Qí
麟 Lín
'Le Kirin à la Vertu d'Or.'
Un petit mot était joint au paquet :
'C'est pour tes cérémonies officielles à la Cour, ou durant tes missions représentatives à l'étranger. Un Grand Général sans grande tenue, n'en est pas un !
PS : La calligraphie est de Chi-Yun, je n'aurais jamais pu la tracer sans faire de faute. Hi hi. Oh, et il a aussi corrigé cette missive.'
En effet, 'missive' n'était pas un mot qu'aurait à priori utilisé Mei-Mei. Un peu trop compliqué… et ce style sans faute… c'était certain que la plume à la précise et élégante de Chi-Yun était passée par là.
« Merci… merci à vous deux. »
Plus heureux que jamais, l'ancien Capitaine des Wang Hu Zhong serra l'habit contre son cœur, en fermant les yeux. A le voir ainsi, personne n'eût pu imaginer que l'un des plus puissants Bladers de la Terre du Milieu et le jeune homme si attaché aux siens, ne faisaient pourtant qu'un.
'Vous êtes ma force.'
Seule chose qui l'inquiétait un peu : le choix des couleurs. Quoique magnifique sous tous les aspects, il n'était pas sans conséquence. Le jaune… était, dans les traditions antiques, la couleur réservée à l'Empereur. Bien que l'époque moderne tolérât désormais cet usage, Wang Dashan n'était pas sûr qu'au Palais, où les traditions étaient si fermement ancrées, cela ne véhicula un message lourd de conséquence.
« Bah, j'aviserai quant il s'agira de mettre ce costume. »
Seul, face à ces lettres et ces cadeaux qui disaient tout le chaud sentiment de ses très chers, Wang Dashan se sentait heureux. Depuis son entrée en fonction au Palais, sa vie avait bien changé et ses rapports avec les autres en avaient subi les conséquences. Lorsqu'il était chef du Temple de Beilin et le Capitaine des Wang Hu Zhong, il était au centre de l'attention de tous : sans pourtant rechercher les honneurs, il lui était donné de servir les siens avec toute l'influence qu'il détenait alors.
'Mes amis… comme vous me semblez loin, bien que nous soyons si proches dans notre cœur…'
Régler les différends, rétablir la justice, veiller sur les siens, encourager ses compagnons, porter leurs espoirs – bref, en un mot, s'occuper de ses amis… toute cette responsabilité était devenue une seconde nature, chez lui. Les aimer ou les servir, c'était une seule et même chose.
« Si seulement… je pouvais éprouver la même chose ici… »
Mais depuis qu'il était venu servir à la cour, tout cet ordre harmonieux s'en était retrouvé bouleversé. Et, bien que son dévouement n'eût pas changé d'un iota, il ne trouvait plus des oreilles aussi attentives et des cœurs aussi ouverts à son expression. Les administrateurs royaux n'étaient pas sensibles à son intention, et même ses pairs militaires ne semblaient pas avoir besoin d'attention.
'N'étant utile à personne… c'est là que je me sens seul.'
Heureusement, il n'en était pas de même avec les escadrons de Bladers sous ses ordres directs. Hommes et femmes semblaient apprécier sa présence et ses actions – certains d'entre eux lui rappelaient même ses amis de Beilin. Pourtant, d'autres choses troublantes venaient gâcher cet élément encourageant. Certains de ses semblables avaient un étrange comportement à son égard : sans lui marquer le moindre respect – en dépit d'une absence totale d'agressivité de sa part – ils s'obstinaient à le côtoyer et à le poursuivre de leurs moqueries.
« Tiens, tiens, tiens… mais si ce n'est pas le petit nouveau, qui est là ? »
Le plus gênant était que bon nombre d'entre eux étaient des Bladers – ses pairs, ses semblables – et ça, c'était une chose qu'il ne pouvait supporter. Le sens de l'honneur était une vertu qui lui était totalement intrinsèque : y porter atteinte, c'était comme l'insulter lui.
Lui et Zurafa.
« … »
« Oh, tu ne dis rien, petit général. Aurais-tu donné ta langue au Kirin ? »
« … »
« Il n'a pas l'air de comprendre grand-chose. On dirait qu'il fait semblant d'être intelligent aux réunions, mais que dans la réalité, il ne comprend pas grand-chose ? »
« … »
Wang Dashan mourrait d'envie de les remettre à leur place, avec Zurafa : elle-même le désirait ardemment, il pouvait l'entendre le lui dire. Mais ce qui était une tradition dans les rues de sa région natale, et même dans l'enceinte du Temple de Beilin, était prohibé entre les quatre murs du Palais des Songes. La seule – et dernière – fois où il avait relevé le défi, manquant de se lancer dans un combat contre une trentaine de Toupies – c'est dire la lâcheté de ses adversaires – des gardes du palais étaient rapidement intervenu pour faire savoir le dérangement causé à Sa Majesté.
« Ouh-hou, tu entends ce qu'on te dit ? »
« … »
Malheureusement, cela n'avait pas empêché ses agresseurs de continuer à le tourmenter – le réduisant à subir leurs insultes la tête haute, l'air impassible.
« On dit que tu as reçu les faveurs de Sa Majesté. Il paraît que… tu lui plais bien. »
« … »
Derrière eux, une jeune femme – Bladeuse probablement – riait sans retenue. Encouragés par cette démonstration de bêtise, les deux hommes poursuivaient leurs moqueries.
« Apparemment, comme Sa Majesté t'aime bien, tu nous ignores, nous tes pairs. On ne doit pas être assez bien pour toi, c'est ça ? »
« … »
C'est alors que la jeune Bladeuse s'avança, détaillant son visage.
« Pourtant, c'est dommage. Il est plutôt mignon… »
Soudain, les hommes qui le tyrannisaient se mirent à le regarder avec plus d'attention – sans qu'il ne marquât le moindre mouvement.
« … … …c'est vrai qu'il est pas mal. »
'Pas mal' n'était pas un mot qui rendait justice au Maître de Zurafa. Avec sa longue carrure, qui se déplaçait au rythme d'une longue chevelure de jais et d'or, son visage aux traits fermes exprimait toute la puissance de Zurafa, la Vertueuse. Mais, surtout, ses yeux émeraude irradiaient une force de moralité et de sévérité qui ne laissait pas de marbre – qu'elle attirât profondément ou qu'elle agaçât un peu.
« Mais c'est pas une raison pour qu'il nous ignore. Il se croit peut-être trop bien pour nous, avec son bel air et ses talents… et toujours à faire son travail, par ci par là, au lieu de venir avec nous, et… »
Wang Dashan ne pouvait pas encore saisir le sens de ces paroles, à l'époque. Il manquait encore d'expérience pour comprendre la portée de ces actes – et le sens véritable qui s'y trouvait. S'il avait compris, il eût certainement désamorcé la situation en montrant plus de complaisance.
« On est tes semblables, et toi… »
« Vous n'êtes pas mes semblables. »
Mais il n'avait pas l'expérience. Et ne voyait en eux que des militaires piétinant l'honneur du Blader, et de surcroît incapables de lui parler convenablement.
« Qu'est-ce que tu oses d-… ! »
S'il avait pu lire derrière les rodomontades, il aurait compris qu'en réalité, il attirait les gens par ce qu'il dégageait.
« Je ne suis pas et ne serais jamais comme vous. Des Bladers qui méprisent le sens de l'honneur… n'en sont pas ! »
Ses yeux émeraude étincelaient, et, pour la première fois, leur détenteur montra sa colère – la colère qu'il ressentait depuis le début, mais qu'il s'efforçait de détourner afin de ne point aller à l'encontre des ordres de Sa Majesté. D'abord choqués par cette démonstration soudaine, les agresseurs se mirent à souffler de mépris.
« Je le savais, il se croit trop bien pour nous. »
« Humph, en fait, il a juste une belle allure et un peu de talent. Derrière ça, rien. Certainement rien dans les tripes… ou ailleurs. »
« Il a dû charmer Sa Majesté pendant qu'on avait le dos tourné, il n'y a pas d'autre solution. Comme avec ses potes du Temple… sinon, comment il serait devenu chef aussi vite ? »
« … »
Prenant son silence comme un affront sans mots, le groupe s'avança personnellement devant lui, brandissant un poing devant son visage.
« Sans doute tes copains du Temple étaient trop bêtes pour comprendre ta nullité… ils avaient trop bu, le jour où ils ont fait de toi leur chef ? A moins qu'ils aient le cerveau ramolli ? »
Wang Dashan décida, aujourd'hui, que c'en fut trop. Cette fois, ils étaient allés trop loin. S'en prendre à lui, c'était une chose, mais insulter ses amis, c'était inacceptable. Alors, sans le moindre avertissement, il attrapa le col d'un de ses agresseurs, qui glapit devant la fermeté du geste.
« Ne redis jamais du mal de mes amis de Beilin. »
« Lâche-moi ! »
Sa main, qui avait intercepté les doigts en une clé adroitement placée, fit craquer les jointures ennemies sans la moindre hésitation. Un cri de douleur sortit du malheureux, mais le Maître de Zurafa ne desserra jamais sa prise.
« Le Temple de Beilin a porté les espoirs de toute la Terre du Milieu. Où étiez-vous, lorsque nous avons combattu contre la Gan Gan Galaxy, Excalibur et tant d'autres ? »
Le regard émeraude était si froid, et le ton aussi glacial, que pour la première fois durant cet entretien, les agresseurs furent incapables de lui répondre.
« Un seul d'entre eux est plus valeureux que vous tous réunis, et n'importe lequel de mes équipiers pourrait vous battre sans problème. Quant à moi, qui suis le Capitaine de la Wang Hu Zhong… »
Une lueur glaciale – comme celle d'un tigre prêt à l'assaut, et pourtant si calme – fit reculer ses adversaires.
« …je ne suis pas sûr de ne pas totalement vous annihiler si je ne me retiens pas. Alors ne m'énervez plus jamais. »
Un silence de mort s'était installé, dans la sordide scène qui se jouait. Et, sans même qu'il eût à sortir Zurafa – fort heureusement – le jeune général avait imposé sa loi. Ce n'était pas après tout pour rien qu'on prétendait qu'il était un des rares – avec ses autres coéquipiers – à avoir atteint le sommet de Beilin.
« … »
Puis ses adversaires détalèrent, dans une retraite chaotique, alors qu'il leur dardait un regard méprisant. Mais le combat n'était pas fini, et le jeune homme le sut lorsqu'il entendit ces paroles.
« Tu es peut-être très fort, mais tu n'es plus le Capitaine de la Wang Hu Zhong. »
Brusque comme une embuscade, ces mots percèrent son cœur. Et, pour la première fois depuis leur confrontation, le jeune Maître de Zurafa ouvrit la bouche, sans pouvoir répondre quoi que ce fût.
« Pas plus que tu n'es encore le chef du Temple de Beilin. »
Car, en dépit de tout le fiel qui y coulait, leur sens portait une vérité qu'il ne voulait entendre.
Cette vérité, sur sa solitude, celle dans laquelle il s'était lui-même conduite.
« Tu es le Général Zurafa, servant de Sa Majesté. Et il peut disposer de toi comme bon lui semble. »
De nouveau, le jeune Blader eut une expression glaciale.
« Ce n'est pas votre affaire, mais celle de Sa Majesté. »
Comme pour appuyer ses dires, une voix impérieuse résonna dans le Jardin des Orchidées.
« Il a tout à fait raison, c'est de mon ressort seul. Alors, quittez ces lieux, à moins que vous ne désiriez endurer le Supplice de la Bastonnade pour outrage à ma personne. »
Apeurés devant la soudaine mais imposante présence du Fils du Ciel, les agresseurs se turent, saisis devant la colère froide qui émanait de lui. Avant de fuir sans demander leur reste, sous les prunelles glacées de leur maître.
« … »
Silencieux, l'Empereur contempla leur point de fuite, son expression toujours fermée. Wang Dashan n'osa troubler sa méditation, songeant qu'il ne serait pas bon d'offenser celui qui régnait sur la Terre du Milieu. Mais, lorsque ce dernier se tourna vers lui, ses yeux de jais avaient perdu leur éclat glacial. Ne restait plus que leur profonde couleur, avec une lueur légèrement plus douce.
« Mon cher Général. »
Dans une attitude de calme déférence, le Maître de Zurafa s'agenouilla lentement sur le sol, devant son Souverain. Ses longs cheveux noirs touchèrent gracieusement le sol, comme pour mieux s'y poser. Et alors que le vent jouait avec les quelques mèches blondes qu'il avait, le jeune homme prononça avec un air profondément solennel ces quelques précieux mots.
« Veuillez me pardonner, Ô Mon Empereur. »
Le Fils du Ciel parut détourner la question, et mettre également de côté le geste fort respectueux de son serviteur.
« As-tu encore été tourmenté, jeune et vaillant général ? »
« Rien qui ne vaut la peine d'être mentionné, Votre Altesse. »
Une main s'approcha de son visage, saisissant avec fugacité sa joue droite, avant d'y laisser la trace d'un toucher subtil.
« Votre Majesté ? »
« Ton bien-être m'importe, jeune Maître de Zurafa. »
La tête toujours inclinée vers la terre, ce dernier répondit calmement.
« Votre serviteur vous est reconnaissant de vos attentions… mais le vôtre importe plus que ma seule personne. Votre rang fait de vous le seul être irremplaçable pour la prospérité de la Terre du Milieu. »
Un peu contrarié par cette démonstration profonde de déférence, l'Empereur s'avança vers lui, réduisant la distance qui les séparait. Un bruissement de robe, et, soudain, Wang Dashan se sentit frémir intérieurement, avec force de violence : son maître venait de poser ses mains sur ses épaules, au dessus de lui !
'Votre… Altesse ? Un tel… geste ?'
« Ne sois pas si formel. J'aimerais te traiter en ami… en proche, même. »
Toujours agenouillé à terre, le jeune général garda la tête baissée vers le sol, ses longs cheveux de jais et d'or posés sur le dallage empierré. En dépit du contact royal sur ses épaules et de la surprise profonde qu'il avait ressentie, de l'extérieur, le Maître de Zurafa n'avait pas fait le moindre mouvement. Comme avec obstination, son regard émeraude restait tourné vers la terre, loin du visage de Son Altesse.
« Je ne puis, Votre Majesté. Vous êtes mon roi et je suis votre servant. »
Soudainement, les mains avaient disparu de ses épaules, comme les abandonnant.
« En effet, je suis ton roi et tu es mon servant. C'est pourquoi tu vas m'obéir. »
Le ton paraissait plus froid que lors du début de leur entretien. Incertain quant à l'attitude qu'il devait adopter, le jeune Blader choisit de se taire, sans faire le moindre mouvement.
'L'ai-je… contrarié ?'
Mais, soudainement, un froissement de robe impériale l'avait effleuré, avant de révéler le chemin devant lui.
« Suis-moi. »
'Il… s'est levé ?'
Sans oser le suivre du regard, le jeune Blader avait demandé.
« Qu'attendez-vous de moi, Mon Souverain ? »
« Escorte-moi sur le Chemin des Prières. Je n'aime pas me déplacer avec mes gardes du corps, mais tu feras une compagnie appréciable. Et nul ne peut remettre en cause tes aptitudes de Blader, c'est chose certaine. Tu sauras donc me protéger. »
Avec sagesse, le jeune général ferma les yeux, avant de lever.
« Vous êtes en sécurité entre les quatre murs du Palais des Songes. Je vais toutefois vous ouvrir la route avec ma Zurafa, et vous protéger de toute improbable agression. »
Et d'armer les pièces de son lanceur, avec l'agilité d'une longue expérience et du talent certain, plaçant sa Toupie dedans. Puis, de déplier son corps avec une grâce profonde, ses longs cheveux flottant au rythme du vent.
« Veuillez me suivre, Votre Majesté. »
A côté de lui, le Fils du Ciel observait ses gestes avec attention. Ses yeux sombres allaient à la bandoulière où était rangé l'armement du Blader, que l'ancien Chef de Beilin avait sorti avec prestance. Sur la ceinture qu'il portait en permanence, était brodé le symbole des Maîtres des Armes Royaux.
« … »
« Qu'y-a-t-il, Votre Altesse ? J'ai dit que j'assurerais personnellement votre sécurité, et un Blader d'honneur ne revient pas sur sa parole. »
Alors que le Fils du Ciel s'engagea à sa suite, suivant son général dans l'allée dégagée, il ouvrit la bouche pour dire calmement ces mots.
« Zurafa est puissante, n'est-ce pas ? »
Pour la première fois, Wang Dashan eut un sourire sur son visage, alors qu'il cheminait prestement sur le dallage de pierre. Agile, son long corps musclé se mouvait avec une telle légèreté, que seule l'aura de puissance qui s'en dégageait parlait de sa réelle force.
« Il n'est pas de plus puissante qu'elle dans tout l'Empire du Milieu. Elle a défait nombre d'ennemis et rencontré d'innombrables grands adversaires. »
'Mais des Bladers d'autres pays, comme Ginga, ne sont pas seulement de grands adversaires, mais aussi… de grands amis.'
Son maître et celui de la Terre du Milieu poursuivait, d'une voix toujours neutre.
« Et tu es très puissant, toi aussi. »
Le jeune homme posa une main sur son cœur, contemplant l'immensité étoilée devant eux. Et alors qu'il parlait pour lui-même, un sourire auréolait son visage d'un souvenir d'amour filial profond.
« Ce sont mes amis de Beilin qui m'ont donné cette force. Tous ces quatre-mille ans de tradition, transmis par mes frères et sœurs, vibrent dans mes veines. Je ne suis rien sans eux, et je ne serai jamais rien sans eux. »
'Et vous, encore plus que les autres… Chao Xin, Chi-Yun, Mei-Mei.'
Mais, comme un étrange augure de mystère sombre, une aura impériale vint troubler cette expression du cœur, qui rendait son âme si pure.
« Tu te trompes. »
Et ces émotions de tendresse, qui habitaient le fond de son âme pour la nourrir, s'évanouirent devant ces trois simples mots. Interloqué, Wang Dashan se tourna brusquement vers Sa Majesté, mais cette dernière ne déroba pas ses yeux à ces émeraudes interrogatrices.
« Cette force ne provient pas de tes frères et sœurs. »
Cette affirmation fut si choquante pour le Maître de Zurafa, que, pour la première fois, ce dernier en oubliât à qui il s'adressait, et tout le protocole qui allait avec.
« Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Cette force, ce sont les espoirs de tous mes amis qui ont été à mes côtés, lorsque j'aspirais à grandir et m'élever… elle m'a accompagné durant tout mon chemin jusqu'à ici, et il n'est pas un jour sans que je pense à deux : c'est donc d'eux que je tire ma force ! »
« Non, elle ne provient pas d'eux, mais de toi. »
Abasourdi par une telle assertion, l'ancien Chef de Beilin resta immobile, sans mot dire. C'est ce moment-là que le Fils du Ciel choisit pour s'avancer, très près de son général, avant de poser une main sur la poitrine de ce dernier.
« Il y a, à l'intérieur de toi, un pouvoir très fort. Ne le ressens-tu pas ? »
Son cœur battait, comme un tambour de vie obstiné que rien ne veut arrêter. Mais c'était plutôt la chamade d'une angoisse latente, devant le geste osé de Son Empereur et de la situation incompréhensiblement inquiétante.
« … »
« Calme-toi. Je ne vais pas te faire de mal. »
Wang Dashan parvint à articuler avec simplicité, en dépit de l'émotion qui le traversait inconsciemment.
« Je ne doute pas des intentions de Son Altesse. »
Peut-être ce formalisme dut-il cacher un certain sentiment de peur, et le Fils du Ciel le sentit, en cette heure. C'est pourquoi il choisit de s'éloigner de son servant, lui permettant de souffler un peu, et, d'adopter une autre approche par-dessus le marché.
« Sais-tu… qui sont réellement les Kirin ? »
Redevenu parfaitement immobile comme un fauve, à la fois prêt à l'assaut et calme, le jeune général se contenta de sonder la nuit ténébreuse, de ses orbes émeraude aigus. Leur sagacité semblait enregistrer le sens des mots qui lui étaient donnés, dans le plus profond silence.
« Il est une légende, à leur sujet. »
Le Blader du Temple de Beilin continua à fixer l'immensité nocturne, où les étoiles semblaient s'évanouir. Devant lui, son interlocuteur poursuivait, d'une voix toujours calme.
« On dit que lorsqu'un Kirin vient sur terre, une ère de prospérité et d'harmonie se prépare.
Mais ils sont extrêmement rares, et peuvent déserter une ère qu'ils jugent corrompue. »
C'est à ce moment que le Maître de la Terre du Milieu se tourna, faisant brusquement face à son servant. N'étaient-ce les années de travail au Temple, qui avaient soudé sa personnalité en un sang-froid profond, que le jeune général eût certainement sursauté devant le geste.
« Mais, c'est lorsqu'il se présente devant un Empereur, que le Kirin juge ou non s'il le servira. »
Les yeux sombres de l'Empereur le fixaient sans la moindre retenue, de ce même regard qui, à leur première rencontre, l'avait profondément mis mal à l'aise.
« … »
« … »
« Êtes-vous en train de me dire… que les Kirin sont les Servants des Empereurs ? »
Le regard inquisiteur du Fils du Ciel continuait à fouiller au plus profond de son âme, comme pour y trouver quelque chose. Cette fois, même le puissant Maître de Zurafa – connu comme un des plus courageux et forts des Bladers de la Terre du Milieu – ne put s'empêcher d'avoir un mouvement de recul.
« Les Bladers capables de maîtriser un Kirin sont extrêmement rares. Ils constituent tout autant un présage que la venue du Kirin lui-même. »
Cette fois, Wang Dashan avait volontairement détourné le regard de celui de son maître. Même lui ne pouvait supporter l'expression qu'il y lisait.
« Zurafa… est un Kirin, n'est-ce pas ? »
Peu importait la vaillance, désormais. Cet entretien était trop étrange, et il fallait y mettre fin.
« Il me semble. Mais… »
Par ces mots, les seuls qu'il voulut prononcer à présent.
« …ce n'est qu'une légende, Votre Majesté. »
« … »
Et de choisir la porte de sortie la plus efficace, comme l'application la plus évidente du Meilleur des Trente-Six Stratagèmes.
« Mon Empereur, Votre Serviteur a fort à faire pour vous servir. La Rivière des Ombres est en proie à une troublante révolte, et il ne sera pas bon d'attendre afin de la pacifier. Permettez donc que je me retire. »
« Va donc. »
Et de laisser le joyau de la Terre du Milieu, briller en son sein afin de la servir, tandis qu'une longue chevelure se dépliait gracieusement dans la nuit, ses éclats d'or brillant dans le reflet de la lune.
« … »
Emportant avec, toute la promesse d'une ère à venir. Et de la plus délicate des fleurs qui éclorait dans le printemps de ce nouveau désir.
« Tu es encore jeune… tu ne saisis pas. C'est pourquoi tu es encore immature, malgré ton intelligence. Ton potentiel est énorme, mais peu importe toute la valeur que tu as déjà démontrée : cette dernière n'est rien face aux réelles capacités dont tu pourrais faire preuve en t'alliant à moi. »
La robe aux mille ornements s'envolait au rythme d'une inquiétante brise nocturne. Et une branche de cerisier s'éleva, pour se déposer doucement sur ce linceul coloré.
« Zurafa n'est pas un seulement un Kirin. C'est le Maître des Kirin, le Kirin d'Or. Si un Kirin apparaît une fois par siècle, un Kirin d'Or s'incarne tous les mille ans. »
Linceul d'une ancienne ère, avec ses vieilles traditions, dont les pensées archaïques ne pourraient plus soutenir le changement.
« Ne pense pas que je te laisserai t'échapper, Maître d'Entre Tous les Kirin. Ce pouvoir que tu refuses de voir… se trouve dans ton cœur, et c'est pourquoi j'en prendrais possession, d'une façon ou d'une autre. »
La branche s'était brisée, comme une promesse piétinée. Et la fleur tomba sur la robe royale, comme l'ultime ornement d'un pouvoir ténébreux.
Note :
(1) Le prénom de Dashan (大翔 Daxiang) signifie "Grand Envol".
(2) "Kirin" se dit 麒麟 Qilin en chinois. Zurafa est un Kirin. (D'où tout ce trip sur l'Esprit de la Toupie de Dashan.)
(3) Le "Fils du Ciel" fait référence à l'Empereur, qu'on dit doté du "Mandat Céleste", c'est-à-dire du droit de gouverner le monde. (d'où l'expression de Dashan "Par le Mandat Céleste !")
(4) Appeler autrui par son prénom est très rare en chinois. Il faut être très proche de la personne pour ça...
(5) La Tradition des "Enveloppes Rouges" (红包 Hongbao) est une tradition du Nouvel An Chinois, qui consiste à donner à des membres de la famille plus jeunes de l'argent dans des enveloppes rouges qui portent des inscriptions porte-bonheur. (Donc, Dashan, qui est le plus âgé... s'est bien fait avoir, car y'a personne pour lui donner quoique ce soit ! ^^)
(6) Wang Dashan est vraiment trop. ^_^
Wang Dashan, entrant respectueusement : Ah-hem... cette dernière note me semble déplacée, si je puis me permettre.
Ananda : Ah bon ? Moi, je trouve que c'est la plus importante...
Wang Dashan : ... ... ... je ne sais si c'est sérieux.
Ananda : Tu es déjà sérieux pour mille, il faut bien que quelqu'un déconne à ta place. Admets que ce n'est pas ton point fort...
Wang Dashan : Je le concède tout à fait.
Ananda : ... ... ...ah, tu vois ! Même là, t'es trop sérieux ?
Wang Dashan : ?
Ananda : A propos, Hyoma qui a tourné dans la fanfiction "Coeur de Stratège, Oeil de Démon" voulait te remercier pour lui avoir traduit les "Trente-Six Stratagèmes" (三十六计 San shi Liu Ji).
Hyoma : Oui, tout à fait. Merci.
Wang Dashan : C'est tout naturel.
Ananda : Mais, qu'est-ce que tu fais là, Hyoma ? Ce n'est ton plateau de tournage...
Hyoma, sourire doux : En même temps, on peut se demander ce que toi, tu fais là, alors que tu n'apparais même pas dans les fics. Un auteur qui discute avec ses personnages, au lieu de faire son devoir - c'est-à-dire, écrire - comme ce brave Wang Dashan... tu ne crois pas que ce n'est point convenable ? /Sourire encore plus doux/
Ananda, soupir : J'ai compris, je m'en vais.
