Timeline : AU à partir de la moitié du dernier épisode de la saison 2.

Dans cette fic, il y a des OCs. Chaque OC a un rôle à jouer.

Anglais/français : Par pure préférence, j'utiliserai les noms anglophones Snow-White, Red, Tinker Bell, Hook et Dark One, tout le reste sera bien sûr en français.

Avertissement pour un peu de violence, de sang et quelques morts.


ONCE UPON A TIME

PROPHETIES


1

L'Agence


SEATTLE, WASHINGTON. 2023.

Un frisson. Une grimace. Elle croisa les bras contre elle pour mieux se blottir dans son manteau et haussa un sourcil en observant les alentours.

« Il est ici ? »

Sa collègue hocha la tête, ses longs cheveux bruns flottant derrière ses épaules.

« Il est là, » confirma t-elle d'une voix posée, un soupçon d'impatience dans la voix.

Elle bougea, passant son poids sur le devant de ses pieds avant de retomber sur ses talons. Le manteau gris qu'elle portait sur un jean noir et une chemise rouge la protégeait efficacement du froid de novembre et son sang battait dans ses veines, ses muscles prêts à donner le meilleur d'eux-mêmes pour l'éventuelle suite.

« Arrête de gigoter, Ruby, » lui reprocha l'autre femme, l'une de ses mains dans ses cheveux noirs et courts pour les maintenir loin de ses yeux.

Elle tapotait quelque chose sur son téléphone et semblait ignorer tout de ce qu'il se passait autour d'elles, dans ce quartier industriel glauque et humide. Mais Ruby savait bien qu'en réalité, absolument rien de ce qui se déroulait alentours n'échappait à la vigilance discrète et constante de son équipière.

« Excuse-moi d'en avoir marre d'attendre là alors qu'on pourrait simplement aller pêcher notre gars. »

« Tu connais la mission. On attend le feu vert. »

« On sait toutes les deux que c'est lui qui l'a tuée. Tu connais beaucoup de gars capables de vider un être humain, toi ? En tout cas, je connais aucun Natif capable de le faire, et même parmi les lignées d'Exilés, ils sont peu. Surtout sans mourir direct d'une telle utilisation de magie. »

« Pas de preuve, pas de coupable. »

« Ouais, ouais, » soupira Ruby en levant les yeux au ciel.

Oh, elle comprenait parfaitement les Lois. Du moins, celles qui les régissaient, elles, leurs collègues et l'ensemble des Fichés. Les enfreindre garantissait un jugement immédiat. Pas de jurés, pas de juge, pas d'avocat, pas de pardon.

Elle comprenait aussi qu'on ne pouvait condamner une personne sans preuve formelle, et que les règles avaient été érigées il y avait de ça bien longtemps pour protéger ce monde, les Natifs et les Fichés. Le système fonctionnait, le monde tournait ainsi, et Ruby était même fière de faire partie de cette machine.

Elle déboutonna son manteau, passa une main sur son arme et s'assura qu'elle était bien prête à servir, avant de danser d'un pied sur l'autre une fois encore. Le loup en elle grondait, réclamait l'action promise, le mouvement, la liberté. Une grimace naquit sur son visage, et elle gratta son poignet gauche lorsque les picotements l'avertirent gentiment. Puis elle fit tourner le bracelet sur lui-même, une fois, deux fois…

Un bip attira son attention sur le mobile de l'autre femme. D'un geste du pouce, sa collègue activa le fichier qui s'afficha sur l'écran tactile.

« Le labo confirme que l'ADN est bien le sien. On y va. »

« Enfin ! »

Elles traversèrent la route, entrèrent dans l'entrepôt en silence. C'était loin d'être leur première mission, et elles connaissaient par cœur leur rôle dans ce genre de situations. L'entraînement avait porté ses fruits, et dix ans de partenariat leur permettaient d'anticiper parfaitement les gestes de l'autre.

Une fois en bas de l'escalier, Ruby se concentra sur son odorat, puis capta le regard chocolat de son équipière et hocha la tête. Leur gars était seul.

Elle laissa passer l'autre femme devant et la suivit de près, ses sens hyper développés en alerte. Une fois en haut de l'escalier en bois, devant la porte close, Ruby sortit son arme, la tint le long de sa jambe et garda sa position sur l'un des côtés de la porte. Elle échangea un regard avec son équipière qui frappa au battant en bois, le son résonnant dans l'usine vide.

« Monsieur Former ? Au nom de l'Agence, je vous demande d'ouvrir cette porte. »

Il y eut un bruit, puis un autre. Le gars ne pouvait aller nulle part, trop tard pour fuir, il ne s'attendait sans doute pas à ce qu'un loup-garou traque son odeur de son appartement jusqu'ici aussi vite.

La porte grinça, et un petit homme à l'embonpoint conséquent leva des yeux gris vers elles, l'air mécontent.

« Quoi ? » demanda t-il en guise de salutations, mais sa voix tremblait un peu trop.

L'Agence résonnait comme l'aide providentielle ou le nom d'une alliée pour la plupart des Fichés ou des Contacts, mais pour ceux qui trahissaient leurs serments, elle n'était plus que l'ombre de leur fin.

« Agent Reynolds, et voici l'agent Wood, » présenta l'équipière de Ruby en montrant rapidement sa plaque, « nous sommes ici pour vous escorter au Bureau le plus proche pour que vous puissiez y être mis aux arrêts. »

« Hey, non, non ! Ecoutez, c'est une erreur, je n'ai – »

« Vous avez assassiné Erika Malone il y a deux jours en usant de vos particularités. »

« Non ! »

Il recula précipitamment de deux pas dans le bureau décrépit et secoua la tête, ses yeux brillant d'une crainte fiévreuse.

« Non, hors de question que je vous suive ! Jamais ! »

« Vous n'avez pas le choix. Le meurtre que vous avez commis n'est pas seulement hautement punissable par les lois de cet Etat. Vous avez brisé votre serment de Fiché, vous avez risqué nous compromettre tous en usant de vos capacités surnaturelles, vous avez ainsi enfreint nos Lois. Vous connaissez les conséquences de vos actes. Suivez-nous sans faire d'histoires, je vous prie. »

Voilà pourquoi Ruby la laissait toujours délivrer les speechs. Sa voix posée prouvait son calme, la politesse qu'elle y injectait cachait tout juste son dédain, mettant ainsi leurs adversaires dans un état qui variait grandement, de la crainte à la rage, et qui amusait toujours autant le loup-garou.

« Jamais ! »

Ah. Un fameux mélange de dégoût et de terreur aujourd'hui. Ça promettait.

Avec une expression grotesque, Former secoua la tête et attrapa le bracelet qu'il portait au poignet gauche depuis sa naissance dans un ridicule geste théâtral. Le sien était bleu nuit, la pierre brillait presque sous la lumière blafarde et le cordon qui la détenait, fin et solide, craquerait sans doute sous la force de sa prise.

Ruby leva son arme pour la diriger immédiatement vers la tête du criminel, et claqua sa langue contre son palais.

« Baisse les bras, » ordonna t-elle d'une voix claire, se plaçant droit dans son champ de vision, légèrement devant Reynolds.

« Si vous bougez, je l'arrache, et alors là mesdames vous aurez un gros problème. »

« Si tu bouges, j'appuie sur la détente et alors là, tu auras un gros problème. »

« Je vais pas finir mes jours dans une cellule sous terre, hors de question ! Laissez-moi partir. De toutes façons, vous allez avoir de bien plus grosses emmerdes sur les bras avec ce qui arrive ! La balance a été modifiée, la Prophétie est en marche ! L'Ombre arrive ! »

« Pour un sang-mêlé de troisième génération, tu as un discours très orienté, dis-moi. »

« L'Ombre arrive, je vous dis, et là, je ne donne pas cher de votre peau ! »

« Bien sûr, bien sûr. »

La dernière syllabe n'avait pas quitté sa bouche que le bougre avait arraché le cordon du bracelet qui s'écrasa au sol dans un petit ting, la pierre virant immédiatement à sa transparence d'origine. Dans la seconde qui suivit, le criminel changea, diminua de taille, sa peau passa au noir, ses yeux au jaune et ses dents s'allongèrent dangereusement. Puis d'un bond vif et rapide, les longs bras rachitiques et griffus en avant, il se jeta sur elle.

Heureusement pour elle, si Ruby ne pouvait se transformer en loup à sa guise sans en subir les conséquences, elle gardait généralement ses sens et ses réflexes et usa d'un soupçon de sa vitesse surnaturelle pour dégager de son chemin. La créature appelée Patrick Former atterrit sur la balustrade branlante de l'escalier et se tourna dans sa direction, crachant un long filet de bave toxique qui manqua sa cible de peu.

Il reprit immédiatement appui sur le bois pourri et bondit à nouveau, rencontrant cette fois-ci la jeune femme de plein fouet. Le choc la projeta contre le mur et tout son souffle quitta d'un coup ses poumons, douloureusement. Une détonation retentit, mais la balle tirée par Reynolds rata le meurtrier ayant déjà sauté sur ses pieds pour rejoindre le loup-garou.

« Former ! »

Ruby venait tout juste de se redresser quand le gobelin lui sauta à la gorge, toutes dents dehors, sans doute dans l'idée d'aspirer ses organes comme il l'avait fait à cette pauvre fille. Avec toute la force dont elle était capable sous cette forme, Ruby saisit ses petits bras gluants et tenta de l'empêcher d'encercler sa gorge. Elle vit du coin de l'œil Reynolds tenter de mettre de nouveau en joue la créature, mais Ruby savait déjà qu'elle ne prendrait pas le risque de tirer. Elle pourrait trop facilement la blesser, ou pire.

« Mais tu vas me lâcher ! »

Pour toute réponse, il lui cracha au visage et elle écarta la tête avec un haut-le-cœur. La magie de Former commençait déjà à faiblir. Nauséabonde et dégoûtante, la salive que reçut Ruby ne contenait bien heureusement plus aucun poison.

« Un peu d'aide… ? » demanda t-elle, à bout de souffle.

Son équipière leva alors un bras et envoya valser le petit monstre à travers l'entrepôt quasiment vide, la magie invoquée faisant vibrer l'air autour d'elles.

Elles se précipitèrent vers la rambarde et observèrent le gobelin s'écraser au loin au sol, dans un nuage de poussière, avec un petit gémissement tenant presque du pathétique.

« Eh ben ça a été fun, » commenta Ruby en grimaçant.

Elle prit un mouchoir dans sa poche et s'essuya le visage, réprimant une soudaine envie de vomir. Elle avait vu pire. Avisant son arme au sol, elle la récupéra et la glissa dans son holster avant de rejoindre Reynolds une nouvelle fois.

« Pourquoi est-ce qu'on a toujours droit aux cinglés ? »

« Je ne sais pas. Jolis réflexes, comme toujours. »

« Merci. »

Elles commencèrent à descendre pour aller récupérer leur cible, mais Ruby se tourna vers son équipière avant de progresser davantage.

« Au fait, Regina, si la prochaine fois tu pouvais éviter d'attendre qu'on me crache dessus avant d'agir... »

Bien sûr, son amie lui sourit, ses yeux pétillants.

« J'essayerai, » promit-elle.

Ruby se contenta de lever les yeux au ciel. Mais elle confiait chaque jour sa vie à cette femme et elle ne l'avait jamais regretté.

« Rafraîchis-moi la mémoire, l'Exilé, c'était bien son grand-père ? Et il a eu un fils avec une Native, c'est ça ? »

« C'est exact. »

Mais si Former reprenait doucement forme humaine, la magie se retournant contre lui, Ruby ne put s'empêcher de commenter :

« Il tient plutôt des hommes de la famille, ça ne fait aucun doute. »

« La plupart des races gardent leurs attributs malgré le métissage. Comme les dons magiques qui se transmettent de génération en génération, même si certains ont tendance à s'affaiblir. C'est bien pour ça que les descendants d'Exilés doivent être déclarés à l'Agence et sont tous fichés. »

« Ouais, je connais la musique, tu sais. Fichés, surveillés, aidés. De génération en génération, ou dès leur arrivée pour les Exilés de première génération. »

« Qui donne un cours, maintenant ? »

« Je ne le touche pas, utilise ton truc de téléportation pour le mettre dans la voiture. »

« Cela va de soi. »

« Encore une mission parfaitement accomplie, » commenta le loup-garou quelques minutes plus tard alors qu'elle prenait le volant de leur Crossover Ford Lincoln Navigator noir aux vitres teintées, courtoisie de l'Agence.

Le gobelin inconscient menotté à l'arrière, à présent sous sa forme humaine, avait une drôle d'odeur que même la vitre blindée séparant l'habitacle conducteur de l'arrière ne parvenait pas à enrayer. Mais Ruby avait décidé que rien ne viendrait lui gâcher cette journée, alors elle endormit ses sens surnaturels et l'ignora.

Regina boucla sa ceinture près d'elle, son regard braqué sur elle.

« Quoi ? » demanda Ruby tout en démarrant la voiture pour mener leur prise au Bureau.

« Ta soirée a été bonne ? » interrogea l'autre femme.

« Pourquoi ? »

Regina lui offrit un rictus.

« Comment il s'appelle ? »

« Pardon ? »

« Ruby… »

« Ca ne te regarde pas. Sans rire, fais attention, tu deviens pire que moi. Tu finis presque par aimer les potins. »

« Il semblerait que tu aies déteint sur moi, c'est un fait. Ça ne répond cependant pas à ma question. »

« Regina… » grogna Ruby, légèrement mal à l'aise.

Non pas qu'elle n'avait jamais eu ce genre de discussions avec l'autre femme (dix années, ça créait des liens), mais elle n'aimait pas beaucoup ce ton que prenait parfois l'ex-reine. Un peu trop parental à son goût. Ce qui était ridicule, puisque depuis six mois, Ruby était officiellement aussi âgée qu'elle.

Du moins, sur le papier.

« Je le connais ? »

« J'évite les agents depuis ce crétin il y a quatre ans, souviens-toi. Tu crois qu'on va enfin avoir une mission intéressante ? Non pas que les enquêtes criminelles ou les recherches soient ennuyantes, mais je partirai bien un peu à l'aventure. Peut-être une extraction ? Ça fait des années qu'on a pas eu l'occasion de passer un portail… »

« Ne change pas de sujet. »

« Je ne change pas de sujet, et je n'ai rien à dire. »

« C'est bien la première fois que tu fais autant de secret autour d'une aventure. »

« Je ne fais pas de secret, » protesta Ruby, grimaçant presque en entendant son ton défensif.

« Tu sais, ces dernières semaines tu as souvent disparu… »

« Je ne disparais pas. »

« Je finirai bien par tout savoir. »

« Il n'y a rien à savoir. »

« Vraiment ? »

« Vraiment. Et je sais que tu pourrais le croire vu la différence d'âge, grand-mère, mais je ne suis pas une gamine et je fais ce que je veux. »

« Tu as seulement quelques années de moins que moi, » répliqua Regina d'un ton plus sec.

« Si – et seulement si – on enlève les vingt-neuf années passées à Storybrooke, ce qu'on ne peut pas enlever dans ton cas puisque tu n'étais pas bloquée dans une boucle sans fin. »

Son équipière plissa les yeux et le timbre de sa voix baissa.

« Non seulement je vais découvrir ce que tu me caches, Ruby, mais je compte bien m'en servir pour te torturer aussi longtemps que je le pourrai. »

« Nous verrons ça, » challengea le loup avec un sourire, soulagée d'avoir évité les questions pour le moment.

« Je me sens mal, » grogna une voix sur le siège arrière.

Regina ne lui lança même pas un regard, occupée à taper leur rapport sur la tablette qu'elle tenait.

« Vous ne vous sentez pas bien parce que vous avez retiré votre bracelet et fait un usage intensif de la magie, Monsieur Former. Cette transformation que vous ne pouvez contrôler sans le bracelet avale votre énergie magique. Dois-je vous rappeler quelles conséquences cela a sur l'organisme dans ce monde sans magie ? Etant donné votre niveau assez faible dans ce domaine, je crains que vous risquiez de payer le prix fort. »

« Vous devez m'aider ! »

« Nous ne devons rien du tout, Monsieur Former, puisque vous connaissiez les risques liés à l'utilisation de la magie, et dois-je vous rappeler que vous avez tenté de nous tuer ? Attaquer des agents est un crime très grave, tout comme le meurtre. »

« Essaye de ne pas crever sur la banquette arrière, tu veux ? » demanda Ruby. « Je viens de faire laver la voiture. »

Le gars gémit une nouvelle fois et eut un spasme violent. Avec une grimace, Ruby le vit baver sur le sol lorsqu'elle leva les yeux vers le rétroviseur.

« J'ai vraiment besoin de casser cette routine, » soupira t-elle.

Elle sentit plus qu'elle ne vit l'amusement de Regina.

O

« Alors, Wood ? Encore un assassin derrière les barreaux ? »

Ruby leva les yeux pour voir devant elle nul autre que Roland Dallon, un grand homme d'une quarantaine d'années à la peau sombre et aux sourires aussi pétillants que ses yeux. Mais cette expression pouvait tout aussi bien se glacer pour devenir cruelle, et le loup-garou en avait bien conscience.

Dans son monde d'origine, on l'avait même surnommé la Main du Diable. Ce qu'il avait fait exactement, Ruby ne le savait pas dans les détails. Leurs identités, leurs histoires, leurs crimes, tout était jalousement enterré et gardé par la direction de l'Agence qui assurait leur protection.

Ainsi, tous les nouveaux arrivés bénéficiaient d'un nouveau départ, d'une page vierge, d'une nouvelle vie.

A condition qu'ils ne trahissent pas leurs serments et ne brisent aucune des Lois, et cela valait aussi pour les descendants des Exilés.

« Pas exactement. Cet idiot a utilisé trop de magie et a fait une hémorragie interne. Il est mort. »

« Merde. »

« Ouais. Il doit y avoir quelque chose dans l'air, en ce moment les crimes, ça n'arrête pas, » commenta Ruby en posant sa tablette sur son bureau de métal couvert d'objets et de dossiers, certains poussiéreux ou tâchés de café.

Accolé au sien, celui de Regina était immaculé, comme toujours.

La vaste salle sans fenêtre dans laquelle ils étaient faisait partie d'un complexe niché en bordure de la ville. Pour des yeux non-avertis, il s'agissait simplement d'une entreprise d'éco-énergie. Entouré d'arbres, le complexe attirait peu l'attention dans cette zone industrielle désuète et ce qu'il s'y déroulait de plus intéressant se faisait dans les niveaux souterrains. Car si les étages étaient bel et bien dévoués au développement des énergies propres, ceux en-dessous du niveau de la terre abritaient le Bureau de Seattle de l'Agence.

Et au -8 étaient installés les locaux des agents spéciaux qui formaient, selon le jargon employé par l'ensemble des employés, la Brigade. Composée de personnes spécialement choisies pour leurs talents, elle s'occupait des affaires délicates, tels les crimes de sang, les affaires magiques de haute envergure ou les missions impliquant de voyager entre les mondes.

Un tel job demandait une pluralité de profils et certaines qualifications, c'était pour cela qu'il n'y avait aucun endroit où l'on pouvait trouver autant d'Exilés de première génération que dans les Brigades. Tout comme Regina ou Ruby, Roland et quatre de leurs collègues se trouvaient être nés dans un autre monde. Les treize autres agents descendaient d'Exilés ou étaient des Natifs.

En raison de leurs interventions occasionnelles dans leurs affaires, du secret entourant leurs actions ou de leur arrogance, beaucoup des autres services du Bureau n'appréciaient guère les agents de la Brigade, même s'ils respectaient leur travail.

Ruby n'avait que faire de telles jalousies. Elle s'éclatait dans son job, et c'était la seule chose qui lui avait permis de tenir aussi longtemps sans savoir si les siens se portaient bien.

« Où est Kevin ? » interrogea Ruby en jetant un coup d'œil alentours.

« Mon cher frère est allé faire son rapport au boss sur l'affaire Keller, » répondit Roland en haussant les épaules. « Tu sais comment est Handler, toujours à vouloir en savoir plus. »

Le directeur du Bureau, Jeff Handler, était en apparence un grand homme maigre et frêle, pas plus de soixante ans, au regard glacial et au sourire inexistant. Rien ne se faisait sans son accord, rien ne se faisait non plus sans qu'il le sache par un moyen ou par un autre. Il restait un vrai mystère pour Ruby. La rumeur voulait que tous les dirigeants de l'Agence soient des Natifs, donc nés de lignées de ce monde. Cela signifiait sans doute qu'Handler avait un passé sinon banal au moins plus normal que les leurs et qu'il ne possédait pas la moindre trace de magie dans son sang.

Mais franchement ?

Handler intimidait Ruby plus que n'importe qui.

« Je vois. Le pauvre. »

« Faut pas exagérer. Et ta frangine, elle est où ? »

Bien sûr, Regina n'était pas plus sa sœur que Kevin Huong n'était le frère de Roland Dallon. Mais c'était ainsi que les équipiers se nommaient parfois. Sincèrement, même si c'était un code de la profession, Ruby n'était pas fana de cette confusion des genres.

Oui, Regina était devenue au fil des ans une amie, sans vraiment que Ruby comprenne comment. Et oui, Regina était sa famille à présent. Bien sûr, dans un univers familial, la relation entre Regina et elle serait fraternelle.

Mais ça ne voulait pas dire que l'entendre ainsi ne ramenait pas des souvenirs d'une autre famille à la surface. D'une autre sœur de cœur. D'une filleule et de son fils. De nains.

Les souvenirs d'une grand-mère qui, comme Ruby, s'était peut-être retrouvée seule dans un monde rempli de gens, elle aussi. Une grand-mère qui, à l'époque, avait déjà eu un certain âge.

Une grand-mère qui, comme tous leurs proches, était peut-être même morte en sautant dans un portail possiblement instable.

« Hey, Ruby ? »

« Hein ? Pardon. Regina a été appelée à l'hôpital. Ils avaient besoin d'un médimage. »

Ce qu'ils appelaient mages étaient simplement les personnes possédant des dons magiques, comme Ruby, Regina ou feu Monsieur Former. Peu importait la nature de la magie habitant la personne. Les médimages, ou plutôt, plus formellement, les mages secouristes, étaient de telles personnes formées auprès de médecins pour mettre à l'occasion leurs dons au service des patients.

Mais le fait même de se servir efficacement de la magie dans ce monde sans immédiatement en subir les conséquences demandait expérience, puissance et contrôle.

Avec le temps (et la montre qu'elle portait au poignet), Ruby savait exactement quand elle avait enfin assez accumulé d'énergie pour pouvoir se transformer, et surtout quand arrêter de se servir de ses dons de loup pour éviter de tomber dans les pommes.

Et se trouver à court d'énergie en raison d'une utilisation inconsidérée de la magie dans un monde sans magie ? Très loin d'être agréable. La dernière fois, Ruby avait passé deux semaines alitée, faible, fiévreuse et souffrant atrocement.

(Et ça n'avait été rien comparé à la colère de Regina.)

« Dis donc, dans tes dernières missions, tu… »

Mais ce que voulait lui dire Roland se perdit soudain dans un son strident qui fit grimacer Ruby.

L'alarme mit en alerte tous les agents présents. Comme ses collègues, Ruby se leva et dirigea son regard vers les écrans incrustés dans les murs. La plupart diffusait des flash-informations provenant des quatre coins du monde, d'autres surveillaient la météo, des graphiques analysaient sans cesse l'atmosphère et le taux d'énergie de la planète, d'autres encore relayaient tout simplement les images de surveillance provenant de la société au-dessus d'eux, des alentours du bâtiment et des souterrains.

Ne voyant rien d'anormal, sachant que si l'alarme avait été liée à l'un de ces écrans Sam, l'analyste, aurait immédiatement diffusé l'image en question sur tous les écrans, Ruby tourna son attention vers le centre de la pièce, autour duquel tous leurs bureaux étaient disposés plus ou moins au hasard mais toujours par deux. Là, une petite table lumineuse s'anima et un hologramme blanc de la Terre apparut au-dessus d'elle. Le globe tourna, pivota, et se transforma pour zoomer sur les Etats-Unis. Tous purent alors voir le point rouge clignotant allégrement en plein cœur du Montana.

« Un portail ? » demanda un agent plus loin, sa forme humaine parfois détrompée par ses yeux virant à l'argent.

« Une tentative, » informa Sam, le vieil homme au visage squelettique voûté sur un fauteuil bourré d'électronique. Un fin sourire satisfait étira ses lèvres gercées et Ruby frissonna. « Une tentative très puissante, » répéta t-il lentement, sa voix rocailleuse vibrante de joie alors qu'il se délectait de ses mots.

Il n'y avait que lui pour se réjouir d'un tel évènement.

Pianotant joyeusement sur les accoudoirs de son fauteuil, l'homme resta rivé à ses écrans sans fournir davantage d'explications, un gloussement dérangeant s'échappant de temps à autres de ses lèvres presque bleues.

« Eh bien, ta conclusion ? » exigea froidement l'un des seuls agents (hormis Sam) que Ruby détestait.

En tout cas, celui-ci était celui dont elle se méfiait le plus. Les cheveux châtains communs, les yeux marron communs, le gabarit et le visage communs, tout chez Zane Toronto aurait pu le faire passer pour le type lambda. Personne dans la rue ne devait lui accorder plus d'un regard, comme ça, en le croisant. Il pouvait passer complètement inaperçu, et pourtant tout chez lui transpirait la glace. Ses yeux portaient rarement une quelconque trace d'humanité, sa voix restait à jamais froide, et il faisait partie des très rares agents à travailler en solo.

Le passé du Natif devait être aussi trouble que son regard, ce qui n'avait rien de très surprenant. Plus que dans n'importe quel service, la Brigade contenait un haut pourcentage d'ex-criminels, un autre fait qui avait tendance à mettre les gens mal à l'aise.

« La signature n'est pas probante, » informa Sam en envoyant à Toronto un regard torve sous ses sourcils gris broussailleux. « Elle n'est pas enregistrée dans nos fichiers, en tout cas. Impossible de déterminer la nature de la magie ayant tenté de percer. »

« Et le monde d'origine ? » interrogea Kevin en prenant place près de son équipier.

La voix traînante lui répondit avec une malice dérangeante :

« Je cherche… »

Son fauteuil vola d'un ordinateur à un autre, d'un écran tactile à un autre, et ses longs doigts presque translucide bougeaient si vite que Ruby était probablement la seule à pouvoir discerner ces mouvements.

Kevin soupira bruyamment et croisa les bras.

Il était un peu plus jeune qu'eux, la trentaine à peine, les traits asiatiques. Alors que Roland venait d'un monde futuriste, Kevin, lui, était né en Chine d'une mère Native et d'un père originaire d'Oz. C'était un type un peu trop sérieux, Kevin, sans doute depuis que ses parents avaient été assassinés par un mage en cherche d'un sacrifice. Mais c'était un gars bien, ses mains n'étaient pas couvertes de sang comme les leurs, et lorsque Ruby partait en mission à ses côtés, elle se sentait presque responsable de lui.

« Samuel, on attend. »

La voix, grave et profonde, résonna dans toute la pièce malgré son ton bas. Le directeur avait fait son apparition, appuyé sur le garde-fou de la plateforme surélevée menant aux diverses sorties de la pièce – les ascenseurs, le couloir menant aux salles d'interrogatoire, les escaliers, le bureau de Handler et la salle de repos.

« Je l'ai ! » s'extasia l'analyste avec un rire aigu qui fit grincer les dents de Ruby.

Elle se demanda s'il lui arrivait de sortir. Certains agents, ceux qui n'appréciaient pas ce monde ou qui ne vivaient pour une raison ou une autre que pour le travail, pouvaient passer des mois dans le complexe. Mais les jardins et le toit leur permettaient à tous de prendre des bols d'air frais.

Sam, lui, avec son allure de cadavre, ne devait pas sortir bien souvent. D'ailleurs, Ruby n'avait jamais vu la salle de la Brigade sans son analyste.

« Alors ? »

« L'origine du portail qui a failli s'ouvrir est… le Monde Imaginaire. »

Le Monde Imaginaire.

Autrement dit, le monde qui avait inspiré Peter Pan et le Pays Imaginaire à un Exilé des décennies auparavant.

Un monde magique sombre et dangereux où peu de gens vivaient et d'où les voyageurs ne revenaient jamais – ou presque.

« C'est un monde classé en catégorie zéro, messieurs dames, » rappela Handler à tous. « Vous n'êtes pas censé ignorer que nous devons tout faire pour empêcher qu'un portail ne se forme entre notre monde et l'Imaginaire. Soyez vigilants dans vos missions futures et laissez vos oreilles trainer pour toute information sur cette situation. Activez vos Contacts et tenez-moi au courant, et restez en alerte. Nous pourrions avoir à intervenir très vite. »

Le directeur Handler tourna les talons et s'enferma de nouveau dans son bureau, peut-être pour discuter de cet évènement avec les postes du monde entier, et Roland soupira.

« Reynolds et toi, vous êtes de garde pour combien de temps encore ? »

Ruby se frotta les yeux. Ces derniers temps, en raison des crimes en augmentation et du nombre d'équipes en mission à l'extérieur, leur charge de travail était devenue lourde et les agents devaient subir des gardes très longues.

« Encore deux jours, » informa t-elle. « Vous ? »

« On rentre demain soir. Permission de deux jours, puis on reprend une semaine de huit à six. »

« On reprend des horaires normaux la semaine prochaine, nous aussi. Heureusement, ces gardes sont en train de tuer ma vie sociale. »

« Tuer ta vie sociale, vraiment ? » s'amusa Kevin. « Je doute que ce soit possible. »

Avec un petit cri outré, Ruby le frappa légèrement à l'aide sa tablette tactile.

« Hey ! »

« Allez, à plus, on a du boulot. »

« C'est ça, sauvez-vous. »

Secouant la tête avec un petit sourire, Ruby se reconcentra sur le rapport qu'elle lisait. Si elle restait assez occupée, elle oublierait peut-être.

Oublierait ce maudit anniversaire.

Cela faisait dix ans jour pour jour que sa vie avait changé. Dix ans qu'elle aurait dû mourir. Dix ans qu'elle avait tout perdu, son foyer, ses amis, sa famille.

Qu'ils soient morts ou non, elle savait que plus jamais elle ne les reverrait.

Dix années, déjà.

Parfois, elle n'avait qu'une envie, sauter dans une voiture et tracer la route jusqu'à Storybrooke. Mais c'était inutile. Il n'y avait plus rien là-bas.

Plus rien à part des arbres, de la terre, de la mousse.

Et des fantômes.

O