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Me revoilà !

J'explore ici un nouveau fandom. Cette fic, "le Souffle du Sable", est un projet longuement mûri (il le faut bien, pour oser tenter de se frotter à cette oeuvre...). J'ai vu et revu les épisodes, lu et relu les livres... J'espère ne pas faire dévier la trame du récit !

Mon OC n'est pas une Stark, pas une Targaryen et pas une Lannister. C'est une bâtarde à moitié étrangère : pas de dragon, de super-pouvoir ou de loup géant. Elle est pauvre, débrouillarde et a le feu au cul, et c'est tout. Je suis pour la lutte contre les Mary-Sue !

Enfin bref. Merci à a correctrice Hiyoru, et à la communauté du Fil de la Plume qui m'a toujours remonté le moral et ont beaucoup rigolé à certains passages x) J'espère que Thalia aura autant de succès ici !

Sur ce... Enjoy !

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Chapitre 1

Le Tournoi de la Main

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Thalia mit le doigt dans l'engrenage de la guerre sans s'en rendre compte.

Tout commença à Port-Réal, le jour du tournoi de la Main. Thalia, avec ses cheveux coupés très courts et le visage caché sous la capuche de sa cape, pouvait aisément se faire passer pour un jeune homme assez mince, et se fondait dans la foule qui regardait jouter les chevaliers. Elle et son jeune demi-frère, Anguy, seraient sans doute repartis après le concours de tir à l'arc en temps normal : mais une curiosité morbide les avait poussés à regarder l'affrontement des chevaliers, qui étaient tous désarçonnés par la Montagne.

Thalia et Anguy étaient des Dorniens : le fait de simplement voir la Montagne leur donnait des frissons.

Thalia était morose ce jour-là. Pas à cause de Gregor Clegane, même si le savoir si près lui donnait des sueurs froides : à cause de son frère. Car c'était Anguy qui avait gagné le concours de tir à l'arc.

Elle aurait aimé participer au concours. Elle se savait aussi bonne que son frère, peut-être même plus. Moins de puissance mais plus de précision : elle ne manquait jamais son coup. C'était pour ça qu'elle et son frère s'étaient inventés ce nom de famille d'Archer.

Mais elle était une fille et à Port-Réal, les filles ne se battent pas. Elles minaudent, marchandent, écartent les cuisses mais elles ne se battent pas… La bonne blague. Thalia se savait meilleure que bien des hommes. Elle crevait d'envie de le leur prouver.

Mais personne ne l'aurait prise au sérieux. Alors elle avait rangé son arc, et laissé Anguy gagner à sa place.

D'une certaine façon, elle s'étonnait presque de l'amertume qu'elle en tirait. Elle laissait toujours Anguy avoir les lauriers à sa place. Il était un homme et elle une femme : quand on les engageait pour un travail, c'était lui qu'on remerciait et qu'on payait quand ils discutaient avec des gens, c'étaient vers lui que se tournaient spontanément leurs interlocuteurs pour aborder un sujet sérieux. C'était injuste, mais Thalia ne l'aurait jamais reproché à Anguy. Il était son frère et elle l'aimait.

Même si ça ne l'empêchait pas de râler, de temps en temps.

– Tu ne me filerais même pas une pièce, hein ? marmonna-t-elle à l'adresse de son petit frère.

Anguy se contenta de rire. Contrairement à sa sœur, qui ne tenait de leur mère que ses cheveux noirs et son visage fin, il était roux aux yeux noisette, et avait le visage couvert de taches de son. Son père était sans doute de Dorne. Le père de Thalia, lui, venait de Braavos et avait légué à sa fille son teint hâlé, ainsi que son regard. Des yeux d'un brun si clair qu'ils en paraissaient ambrés, comme des yeux de chat.

Anguy et Thalia avaient pourtant un air de famille, dans leur nez droit, leur air sarcastique, leur façon de faire des clins d'œil langoureux, leur maigreur de lévriers, ou leur manière de se tenir. Ils avaient la même mère après tout, même si ce n'était qu'une prostituée de Dorne.

– Tu peux toujours rêver. Je suis riche et oisif, je n'abandonnerai ni mon or ni ma liberté !

En plus d'avoir gagné un paquet d'or, Anguy avait reçu la proposition d'Eddard Stark de faire partie de sa garde. Il avait refusé avec l'arrogance de la jeunesse, mais Thalia espérait qu'il changerait d'avis quand son argent serait épuisé. Ça ne lui ferait pas de mal d'avoir un vrai boulot.

– Quelle ingratitude, siffla-t-elle alors que Ser Loras et Ser Gregor saluaient le roi. Je te rappelle que c'est moi qui t'ai entretenu durant nos premières années d'indépendance !

– Dette que j'ai amplement remboursée ces dernières années, riposta Anguy. Je ramène pas mal d'argent, espèce de vieille avare.

– Argent que tu dépenses en putes et en jeux avant que j'en ai vu la couleur ! J'exige une part de ton prix. Je t'ai appris à tirer à l'arc, petit frère, il est temps de payer ton apprentissage.

Anguy leva les yeux au ciel puis tenta de changer de sujet, voyant que les chevaliers se plaçaient en lice et s'apprêtaient à charger :

– Le cheval de la Montagne est nerveux.

– Ne change pas de sujet, grogna hargneusement sa sœur. Je veux un tiers de ton or.

– Un tiers ! s'étouffa Anguy.

– Et encore, je suis généreuse.

– Tu auras une bourse pleine pour survivre pendant que je m'amuserai, femme, et c'est tout.

Anguy avait parlé sur le ton de la plaisanterie, mais quand sa sœur lui jeta un regard noir, il sembla se liquéfier sur place. Depuis tout petit, il vivait aux crochets de Thalia, et elle n'avait jamais hésité à voler ou à vendre son corps pour qu'ils aient à manger…

– Bon, un quart, d'accord ? plaida-t-il.

Thalia hocha lentement la tête. Avec son capuchon qui noyait d'ombre son visage, où seuls ses yeux de fauves se détachaient nettement, elle avait un air assez effrayant.

Les chevaliers s'élancèrent, ramenant leur attention au combat. Les lances se heurtèrent dans un fracas assourdissant alors que les chevaux se croisaient, et l'étalon noir de Clegane fit un écart qui le fit tomber. La Montagne et son cheval s'écrasèrent sur la lice qui les séparait de leur adversaire.

Anguy et Thalia eurent la même grimace, tandis qu'un grand cri montait de la foule.

– Ça ne va pas plaire à la Montagne, marmonna Anguy.

– Tu parles, il va faire un massacre, renchérit sa sœur.

À Dorne, là d'où Anguy et elle étaient originaire, la réputation de la Montagne n'était plus à faire. Il avait brisé le crâne du petit Aegon, tué et violé la princesse Elia… Ser Gregor Clegane était le Croque-mitaine de tous les petits Dorniens.

Anguy et elle, comme le reste du public, poussèrent un cri de frayeur quand Gregor sortit son épée et coupa la tête de son cheval. Thalia se pencha en avant pour mieux voir, les yeux écarquillés : il avait coupé l'encolure d'un coup, les os y compris !

– Il va tuer l'autre ! comprit Anguy avec effroi.

Loras, qui s'inclinait devant le roi, s'était retourné en entendant les cris de la foule : juste à temps pour parer l'épée de la Montagne. Le coup le jeta à bas de son cheval mais ne le tua pas. Un brouhaha de cris de frayeur s'éleva du public, aussi bien celui du peuple debout derrière les barrières que celui des nobles, assis sur des gradins.

La Montagne frappa de toute sa monstrueuse force, mais Ser Loras, toujours à terre, réussi à interposer son bouclier entre eux. Gregor leva à nouveau son arme, à deux mains, et Thalia sut à l'instant que ce coup-là serait fatal.

Mais l'épée ne s'abattit pas sur Ser Loras. Quelqu'un rugit « laisse-le tranquille ! » et une lame s'interposa entre l'épée de la Montagne et le corps du Chevalier des Fleurs. L'archère retint un halètement de surprise. C'était le Limier, son horrible face brûlée tordue par la haine et la fureur.

Elle avait déjà vu le Limier auparavant, de loin. Anguy et elle voyageaient beaucoup, et ils avaient sillonné l'ensemble des Sept-Couronnes. De ce fait, ils étaient déjà passés par Port-Réal, traînant dans les quartiers pauvres pour détrousser les ivrognes –pour Thalia– et filtrer avec les putes –pour Anguy–, ce qui leur avait permis de voir le chien des Lannister dans plusieurs tavernes.

Mais malgré leur curiosité, les deux Archer n'étaient pas fous, et ils l'avaient soigneusement évité.

Cette fois, lorsque Ser Gregor Clegane et le Limier se jetèrent l'un sur l'autre comme deux chiens enragés, Thalia ouvrit de grands yeux. C'était la première fois qu'elle voyait le Limier se battre et elle ne regrettait vraiment pas de l'avoir laissé en paix dans ces tavernes.

Gregor Clegane était immense, un vrai colosse, massif et terrifiant. Une montagne en action, une force de la nature. Une sorte d'ours sauvage, déchaîné. À le voir rugir en abattant son épée, si fort qu'il aurait fendu Ser Loras en deux, il était terrifiant, et n'importe qui aurait eu envie de se cacher dans un trou.

Le Limier qui était pourtant un géant baraqué, semblait presque petit à côté de lui. Mais il était bon, excellent même. Il se battait avec une épée à deux mains, comme son frère, et il arrivait à résister aux formidables coups que Gregor assénait. Il était peut-être moins immense mais il était plus vif que la Montagne.

Deux géants en plein combat. La Montagne, cette brute cruelle et invaincue, et le Limier, le chien de garde et d'attaque des Lannister. Pendant quelques secondes, l'archère se demanda absurdement qui gagnerait… Mais trop tard.

Le roi Robert leur ordonna d'arrêter, et le combat cessa aussitôt. Thalia garda ouvert de grands yeux admiratifs. Elle avait rarement vu deux chevaliers se battre comme ça. C'était effrayant et fascinant à la fois.

– C'était effrayant, murmura Anguy.

– J'ignorais que le Limier était si fort, lâcha Thalia en suivant du regard le guerrier acclamé par la foule. Il a tenu tête à la Montagne !

Tout le monde acclamait et applaudissait, et elle se joignit de bon cœur aux ovations, tout comme Anguy. Néanmoins, ce dernier cessa bien vitre de battre des mains, réticent :

– Il est quasiment aussi terrifiant que l'autre.

– Non, mais, la Montagne quand même ! s'enthousiasma Thalia qui applaudissait toujours. La bête noire de Dorme, le monstre sans cœur, la sauvagerie en marche ! Ce type a des tripes ! Ah, si seulement il l'avait coupé en deux !

Anguy lui lança un regard oblique, soudain méfiant :

– Ne t'approche pas de lui, Thalia. Les Clegane ne sont pas gentils.

Thalia fouinait toujours partout sans aucun souci des conséquences de ses actes. Certes, Anguy faisait pareil. Mais lui, il était un homme, un jeune homme qui attirait la sympathie et qui pouvait éviter les ennuis d'une pirouette et de quelques plaisanteries. Thalia, elle, était une femme… Si jamais elle s'intéressait aux affaires d'un des Clegane et qu'il décidait qu'elle l'agaçait… Elle risquait fort de subir le même sort que la princesse Elia.

Et, en plus d'être une fouineuse, Thalia avait un penchant prononcé pour les conquêtes d'un soir, exactement comme son frère. Elle usait de son corps sans pudeur, sans respect. Un frisson d'horreur parcourut Anguy, et Thalia devina aisément ce qui lui traversait l'esprit tandis qu'il imaginait sa sœur, sa sœur qui avait le feu au cul, rôder autour du Limier ou de la Montagne…

Thalia balaya les craintes de son frère avec un reniflement dédaigneux :

– Aucun Clegane ne posera les mains sur moi, petit frère. Je suis peut-être une bâtarde mais je reste une Dornienne.

Anguy grogna pour toute réponse, visiblement mécontent. Au bout d'un instant, cependant, il se récria d'un ton presque geignard :

– Et tu as vu son visage brûlé ? Il est terrifiant. Il a l'air encore moins aimable que la Montagne, et je pèse mes mots.

– Le feu et moi avons aussi un rapport conflictuel, petit frère, déclara Thalia d'un ton égal.

Machinalement, Anguy posa les yeux sur le dos de sa sœur, comme s'il pouvait voir la marque cachée par ses vêtements. Cette marque humiliante qu'on apposait généralement aux esclaves, jadis, les réduisant à une condition inférieure…

La réplique de Thalia avait visiblement suffit à lui clouer le bec, car il ne poursuivit pas le débat. D'autres chevaliers entraient en lice, et leur attention se focalisa à nouveau sur le tournoi.

Le Limier avait retrouvé sa place aux côtés de Joffrey, silencieux et vigilant, l'air aussi féroce qu'un chien de garde.

Tandis qu'elle tirait de sa poche une pomme, et qu'elle croquait le fruit avec nonchalance en observant la suite du tournoi, Thalia posa à nouveau son regard sur le Limier. Il irradiait le danger, exactement comme un molosse dressé pour le combat, et la jeune femme profita du fait que la foule la dissimulait pour le dévisager effrontément.

Tout ce qui était dangereux l'avait toujours intrigué. Ses quelques amis avaient tous été avec des canailles capables de tuer de sang-froid. Et malgré ce qu'elle avait dit à son frère, Thalia avait bien envie d'en savoir plus sur ce type…

oOoOoOo

Anguy avait été fidèle à sa parole, et Thalia avait désormais un quart de son prix, et sans doute un peu plus avec les quelques dragons d'or qu'elle lui avait subrepticement dérobés.

Anguy ne savait pas plus gérer son argent que le surveiller…

Thalia, elle, savait faire durer ses économies un peu plus longtemps. Après avoir connu la faim des jours de jeûne, on est plus enclin à faire des réserves. Elle dissimula donc une partie des gains dans sa ceinture, dans ses bottes, et dans les poches cousues dans son pantalon. Elle conserva cependant une grande partie de l'or pour elle-même.

Ils étaient à Port-Réal, quand même, il fallait bien s'amuser un peu !

Thalia jeta un regard par la fenêtre de la chambre qu'elle et Anguy occupaient à l'auberge. À en juger par la luminosité, il lui restait une bonne heure avant le coucher du soleil, peut-être une heure et demie. Elle avait tout son temps : Anguy était parti dès qu'il lui avait donné sa part d'or, les poches pleines et un sifflement joyeux aux lèvres. Il ne rentrerait pas avant longtemps. Il allait vraisemblablement finir dans un bordel jusqu'à ce que son or soit épuisé, oubliant jusqu'à l'existence de sa sœur.

Thalia passa une main dans ses mèches courtes, et jeta un œil critique à sa tenue. Elle portait des bottes et un pantalon relativement neufs, mais sa longue tunique fendue aux cuisses commençait à être bien usée. En dessous, elle portait une chemise qui avait jadis été blanche mais qui était à présent presque jaune.

Thalia boucla une ceinture à ses hanches, et y fixa les fourreaux de son poignard et de son couteau de chasse. Puis elle glissa une autre lame, plus fine et plus courte, dans sa botte. Quand elle sortait sans son arc, elle portait toujours trois lames, jamais une de moins. Ça lui faisait trop fois plus de chance de s'en sortir en vie en cas d'attaque imprévue.

En quittant la chambre, elle ferma la porte à double tour, et glissa la clef dans le lacet qu'elle portait au cou afin de ne pas la perdre. Elle enfila son manteau et rabattit sa capuche en descendant les escaliers grinçants de l'auberge.

Tara, la femme de l'aubergiste, la croisa dans l'entrée et lui adressa une grimace en guise de salutations :

– Ce n'est pas une heure pour sortir, Archer.

Quand Tara était mécontente, elle l'appelait par son nom de famille, alors que le reste du temps, elle utilisait son prénom. L'aubergiste s'était prise d'affection pour la jeune mercenaire, et avait parfois un comportement presque maternel à son égard.

Tara avait eu une fille, jadis. Elle aurait sans doute eu l'âge de Thalia si elle avait vécu. A sept ans, la gamine était morte d'une mauvaise fièvre. Tara était devenue une femme féroce et taciturne, mais elle maternait toujours ses clientes féminines. Surtout celles qui, comme Thalia, n'avaient pas de famille.

– Je n'ai pas peur du noir, s'amusa Thalia. Et je vous promets de revenir en vie ce soir… Ou demain au plus tard.

Tara grommela une réprimande, mais après tout Thalia était grande, alors elle laissa la jeune femme quitter l'auberge sans tenter de la retenir.

Thalia erra dans les rues sans réel but. Elle acheta une nouvelle tunique, vert sombre et de meilleure qualité que celle qu'elle portait, et la fourra dans son sac. Elle se joignit avec enthousiasme à un jeu de hasard où elle gagna, et comme son adversaire était un jeune homme tout à fait à son goût, elle le laissa l'entraîner dans une chambre à l'étage.

Le garçon s'appelait Eric, ou peut-être Edric. Peu importait. Ce n'était pas son nom qui l'intéressait…

Thalia aimait séduire. Être désirée. Oublier la marque dans son dos et les cicatrices sur son corps. Cet homme-là ne la déçut pas. Il avait les mains douces et avides, caressant tout le corps de Thalia comme s'il voulait s'en repaître. Il lui murmurait des mots crus à l'oreille, la faisait frémir quand les suçons se transformaient en morsures où la douleur se mêlait au plaisir, et l'agrippait avec force par les hanches en assénant ses coups de butoirs. Thalia gémissait comme la dernière des traînées. Ils testèrent plusieurs positions, luttèrent pour prendre la direction des opérations, et même quand il vit la brûlure, son regard sur elle ne changea pas.

Elle était attirante, il la désirait, et rien d'autre n'était important.

Après une bonne heure d'intense exercice physique, et deux orgasmes très satisfaisants, ils redescendirent en arborant une identique expression satisfaite. En descendant les escaliers, ils échangèrent quelques plaisanteries grivoises, et Thalia glissa mine de rien une remarque salace sur la taille de ses attributs. La flatterie, ça marchait à chaque fois.

Les choses se gâtèrent, ensuite. Ils jouèrent à nouveau. Cette fois, Thalia perdit, traita son adversaire de tricheur et quitta la taverne après le déclenchement d'une bagarre confuse.

Elle continua sa route, au hasard des rues. Elle vola la bourse d'un homme ivre mort qui tentait la draguer, et pour faire bonne mesure s'enfuit après lui avoir fait un croche-pied. Elle échappa de peu à deux hommes qui, ayant vu l'altercation, lui courraient après sans intentions louables, et ne s'échappa qu'en entrant dans la première maison ouverte qu'elle vit… Et qui s'avéra être un luxueux bordel.

Elle discuta cinq minutes avec une prostituée rousse du nom de Dancy, qui lui expliqua où elle se trouvait et lui indiqua les auberges qui faisaient les meilleurs plats et qui servaient le vin le moins cher. En guise de remerciement, Thalia lui promit de revenir papoter.

– Les putes font de mauvaises fréquentations, lui dit doucement Dancy.

– Je suis moi-même une très mauvaise fréquentation, sourit Thalia. Et il y a de fortes chances que mon frère passe dans le coin…

La prostituée émit un petit rire, amusée :

– Ton frère ?

– Dix-huit ans, roux, taches de son sur le visage, vêtements sales, un paquet d'or en poche depuis le tournoi. Anguy l'Archer, il s'appelle. Sois gentille avec lui s'il vient : c'est un grand nigaud, mais je l'adore.

– Je n'y manquerai pas, fit Dancy d'un air entendu.

Elles échangèrent un regard complice, le regard qu'échangent les femmes quand elles parlent de choses qu'elles seules connaissent. Puis Dancy reprit :

– Que comptes-tu faire ce soir ? Tu as l'air de ne pas connaître la ville…

– M'amuser. Ce n'est pas souvent que j'ai assez d'or pour me permettre des excès ! Et si je tombe sur un joli garçon pas trop maladroit, j'irai tester son lit pour clore la nuit en beauté. Le mieux serait un soldat : ils ont toujours de bons potins à raconter…

Dancy pouffa, approuvant le programme de tout cœur. Toute femme n'ayant jamais vécu dans un bordel aurait été horrifiée, mais pas une putain. Et Thalia pouvait être sûre que Dancy n'avait pas d'arrière-pensées. Les prostituées ne mentaient jamais, sauf quand on leur demandait.

Thalia continua son chemin, le cœur léger et la bourse lourde. Elle avait tout intérêt à profiter de cette opulence : dès la fin du tournoi, Anguy et elle reprendraient la route, et ils connaitraient à nouveau la pauvreté.

Enfin, sauf si Anguy s'engageait chez les hommes de Stark. Dans ce cas, il n'y aurait qu'elle qui connaîtrait à nouveau la pauvreté…

Ça n'avait jamais posé problème à Anguy de tout garder pour lui. Quand Thalia avait quelque chose, elle le partageait toujours. Son frère, non.

Thalia prenait soin d'Anguy, faisait toujours de son mieux pour qu'il ne manque de rien, terrifiée à l'idée de le perdre. Anguy était le seul à l'accepter telle qu'elle était, avec la marque dans son dos et les actes qu'elle avait commis par le passé. Elle avait besoin de lui.

Anguy, lui, n'avait pas besoin d'elle. Et elle en était douloureusement consciente.

Elle joua aux cartes dans une taverne, et cette fois, elle gagna haut la main, augmentant encore son capital. Son adversaire, un blond au regard malicieux, flirta joyeusement avec elle. Et quand Thalia reprit sa route, après un ou deux verre de vins échangés avec le jeune homme et une nouvelle partie de cartes, perdue celle-ci, le soleil s'était couché.

Thalia hésita entre rentrer à l'auberge pour y dormir… Ou aller boire dans une taverne quelconque jusqu'à être ivre. Finalement, comme n'importe quel être humain qui ne sait pas ce que la vie lui réserve demain, elle décida de profiter de sa nuit et poussa la porte d'une taverne encore relativement calme.

Il y avait peu de monde, et le patron tourna un regard absent vers elle quand elle franchit la porte. Elle inclina brièvement la tête vers lui :

– Du vin.

Le patron lui désigna l'ensemble de la salle d'un geste vague, lui indiquant de trouver une place. Thalia baissa sa capuche tout en se dirigeant vers une table au fond, sous une fenêtre : la meilleure place pour s'enivrer en paix. Une personne y était déjà assise, mais ce n'était pas ça qui allait l'arrêter : boire avec quelqu'un, quel qu'il soit, était toujours mieux que de boire seule…

Elle se stoppa à mi-chemin quand l'homme assis leva la tête et qu'elle vit son visage. Un visage à moitié brûlé.

Un rictus narquois étira le visage défiguré du Limier en voyant la jeune femme statufiée à quatre pas de lui, et il émit un rire rauque et sans joie, semblable à un aboiement de chien :

– On a peur, gamine ?

Thalia se drapa dans sa dignité, et hésita une seconde à tourner les talons. Mais le Limier la regardait d'un air tellement moqueur que sa fierté la fit rechigner à fuir.

Le Limier était déjà bien imbibé et il n'avait visiblement pas d'intention meurtrière… Alors, dans un accès de témérité, elle redressa fièrement la tête et se laissa tomber sur le banc en face du Limier, le plus loin possible de lui.

– Non, mentit-elle avec aplomb.

Le Limier avança son visage brûlé vers elle, et elle eut un mouvement de recul. Son regard de posa instinctivement sur l'épée à deux mains que Clegane portait dans le dos, et dont la poignée dépassait de ses épaules. S'il l'attrapait et l'abattait sur elle, elle aurait sans doute le temps de bondir en arrière…

Le Limier recula pour reprendre sa position initiale avec un grognement :

– Tu crèves de trouille. D'ici cinq minutes tu te seras enfuie en chialant.

– Je ne suis pas si trouillarde que ça, se vexa Thalia.

Clegane émit à nouveau son rire rauque et sans joie, avant de porter à ses lèvres son verre de vin d'un rouge sombre :

– Dans ce cas tu es encore plus bête que je ne le pensais.

La jeune femme préféra ne pas répondre. Le patron lui apporta son vin, lançant au passage un regard méfiant au Limier. Thalia le remercia d'un hochement de tête et lui glissa son paiement, avant de reposer son regard sur Clegane. Il la dévisageait, sans qu'on puisse lire quoi que ce soit sur son visage brûlé.

Des brûlures vraiment horribles, songea Thalia en se versant du vin, se forçant à ne pas laisser ses doigts trembler. Il avait dû se prendre une torche dans la figure, ou bien tomber dans un champ de braises… Au moins, ses brûlures à elle étaient propres et nettes, presque lisses. Infâmantes, certes, mais pas hideuses.

Et elles n'étaient pas sur son visage.

Le Limier commençait à la regarder bizarrement. Thalia s'était rarement sentie aussi mal à l'aise de toute sa vie. Elle commençait à réaliser l'ampleur de sa folie, et de la trouille qu'elle avait. Elle décida fermement de quitter l'établissement dès qu'elle aurait fini sa cruche de vin. Ivre ou pas ivre.

– Quoi ? finit-elle par grogner avec agressivité.

Le Limier plissa les yeux et Thalia jeta un nouveau coup d'œil à la poignée de son épée. Finalement, le chien des Lannister se contenta de porter son verre à sa bouche et de grogner :

– Tu as du cran.

Et comme la jeune femme le fixait avec incompréhension, il rajouta d'un ton rogue :

– De ne pas détourner les yeux.

Thalia lui jeta un bref regard, incertaine. Si elle faisait allusion à son visage, est-ce qu'il allait dégainer son épée et la couper en deux ? Elle, elle l'aurait fait si quelqu'un mentionnait ses brûlures. En dehors d'un lit, cela allait de soi.

Comme le Limier ne disait rien d'autre, se contentant de se resservir du vin sans faire mine de toucher son épée, Thalia se détendit, et osa dire :

– Les brûlures ne me font pas peur.

Le Limier émit un ricanement incrédule et méprisant, la toisant de haut en bas avec dédain, et les doigts de Thalia se crispèrent sur son verre. Cet homme n'était pas juste horrible à regarder : il était horrible à fréquenter. Probablement aussi odieux et haïssable qu'un sale chien galeux.

– Dans ce cas pourquoi es-tu aussi terrifiée ?

– Je ne suis pas terrifiée, feula Thalia.

Et même si c'était le cas, c'était parce qu'elle avait peur de l'homme, et non de ses brûlures. Elle préféra cependant ne pas dire ça à voix haute.

Elle but son verre de vin d'une traite. Durant plusieurs minutes, ils se contentèrent de boire en silence, se dévisageant avec méfiance des deux côtés. Le niveau de leurs cruches de vin baissait vite. Au bout d'un moment, Thalia commença à se sentir d'humeur intrépide. L'alcool lui donna assez de courage pour regarder le Limier en face et lâcher :

– Vous êtes chevalier ?

Le Limier la regarda avec surprise, puis se renfrogna aussitôt :

– Non.

Encore une fois, sa réponse tenait plus du grognement mécontent que de la parole. Est-ce que cet homme savait exprimer autre chose que de l'agressivité ? Genre… Parler calmement ? Non, probablement pas. À chaque fois qu'il parlait, Thalia avait l'impression qu'il lui aboyait dessus.

Elle fit tourner le vin dans son gobelet, songeuse.

– Je pensais que vous étiez chevalier.

– Pourquoi j'le serais, gamine ? grogna le Limier en se servant un autre verre. Je suis déjà chien de garde.

Thalia haussa les épaules, provocante :

– Ils donnent le titre à n'importe qui, pourquoi pas à vous ?

Le Limier émit un reniflement de pur mépris, son visage tordu par la colère et le dégoût :

– Tu vois ce qu'ils ont comme chevaliers ? Je préfère être un chien.

Cette fois la jeune femme le dévisagea avec intérêt. Elle aurait plutôt pensé que Sandor Clegane envierait les chevaliers, qui étaient traités avec infiniment plus de respect que lui. Elle hésita, but un autre verre pour ne pas flancher, et lâcha soudain :

– Vous auriez dû tuer la Montagne.

Clegane se figea et pendant une seconde Thalia se dit qu'elle était allée trop loin, que le chien allait mordre. Mais le Limier se contenta de remplir à nouveau son verre.

– Si le combat n'avait pas été arrêté…

Il n'acheva pas sa phrase, et se contenta de vider son gobelet d'une traite. Thalia avait les yeux fixés sur sa cruche, pensive. Les paroles prononcées par son frère lors du tournoi lui revinrent en mémoire, et elle retint un ricanement. Un type qui détestait Gregor Clegane était d'office un bon compagnon de beuverie. Mais un type bien ? Alors là, certainement pas.

– Si je croise sa route, moi, je ne raterai pas, fit-elle avec bravade.

Le Limier laissa échapper un grand rire moqueur, qui fit sursauter Thalia. Mais il n'avait pas l'intention d'attaquer, et il se contenta de poser sur elle un regard narquois :

– J'aimerais beaucoup voir ça !

Il se fichait d'elle, la toisant de toute sa hauteur avec son épouvantable sourire railleur et cynique. Le premier mouvement de l'archère, déjà bien alcoolisée, fut de se lever et de s'indigner, mais elle n'avait pas perdu toute prudence. Pas encore du moins. Elle se contenta de se redresser sur son banc :

– Avec une flèche. Je tire dans la fente du heaume et… Terminé.

– Une flèche, répéta Clegane avec amusement.

– Oui, une flèche, fit Thalia avec sérieux. Je l'ai observé durant le tournoi, les seuls endroits où on peut tirer sont sous le bras et dans le heaume. Une flèche dans l'aisselle ne ferait que limiter ses mouvements… Mais si je le touche dans l'œil, il mourra d'un coup. Pouf ! Personne ne peut survivre à une flèche dans la tête.

Le Limier la regarda avec un mélange d'amusement et d'incertitude. Thalia savait qu'elle parlait avec la conviction des gens qui ont un coup dans le nez, mais ses paroles avaient du sens et c'était sans doute ça le plus surprenant.

– Il faudrait être un très bon archer, dit lentement Clegane.

– Je suis la meilleure.

Le Limier ricana. Il ne la croyait pas. Et de toute évidence, il avait pas mal bu, lui aussi. Il articulait moins et sa posture était plus avachie.

– C'est vrai, insista Thalia. C'est mon frère qui a gagné le concours de tir ce matin. Et je suis encore meilleure que lui !

Elle se versa un nouveau verre, et en renversa quelques gouttes sur ses doigts. Elle commençait à être doucement bourrée. Le retour à l'auberge allait être délicat.

– Le garçon qui a refusé l'offre de Stark ? demanda le Limier avec intérêt.

Thalia fronça les sourcils, contrariée à ce souvenir.

– C'est un crétin. Mieux vaut avoir une paie régulière que de vagabonder pour trouver à manger. Moi je peux me débrouiller, mais Anguy, tout seul…

Elle rit bêtement. Elle voyait mal son frère gagnant son pain en se prostituant… Rien que l'idée était drôle.

Le Limier, lui, grogna à nouveau en servant un nouveau verre. Thalia ouvrit de grands yeux. Cet homme avait une résistance exceptionnelle à l'alcool. Elle-même n'avait plus les idées très claires, mais lui il continuait à avaler ça comme si c'était de l'eau.

– Il devrait refuser, lâcha le Limier d'un ton bourru. Les Lannister et les Stark vont vite se sauter à la gorge, et la Main va perdre.

Thalia Archer mit le doigt dans l'engrenage à ce moment-là. Peut-être à cause du vin, peut-être à cause de son insolence, elle fit la sourde oreille à l'avertissement prophétique du Limier. Tout aurait pu être évité si elle l'avait écouté…

Mais au lieu de ça, vaincue par l'alcool, elle mit sa tête sur ses bras, bâilla et se mit à somnoler à moins d'un mètre d'un des meilleurs tueurs de Westeros. Comme si elle était totalement inconsciente du danger… Enfin, peut-être qu'elle l'était, à ce moment-là : elle avait tellement l'habitude d'avoir quelqu'un –Anguy– pour surveiller ses arrières…

À travers ses paupières mi-closes, elle vit Sandor Clegane lui jeter un regard indifférent et continuer à boire, comme s'il était seul à table.

Elle dut s'endormir, car elle rêva d'une course éperdue entre les maisons d'une ville de Dorne, une course éperdue qu'elle se souvenait d'avoir réellement vécu. Elle courait, le bras droit alourdi par le poids de son larcin qu'elle tenait à la main. Derrière elle, son poursuivant courait, lui aussi. Vite. Elle savait qu'il allait la rattraper, mais elle avait un couteau.

Dans le passé, dans la réalité, elle n'avait pas eu de couteau.

Mais dans son rêve, elle éprouvait un mélange de peur et de férocité en attendant que l'homme la rattrape. Elle courrait, elle l'entendait se rapprocher, son souffle rauque et le martellement de ses pas, et sa main libre à elle se glissait vers la poche où se cachait sa dague…

Elle fut soudain réveillée par une poigne dure qui la secouait sans douceur par l'épaule, presque douloureusement.

Elle releva la tête, toujours un peu à l'ouest à cause de l'alcool, et fit un bond prodigieux sur son banc quand elle vit que c'était le Limier qui l'avait réveillée. Clegane se contenta d'un rire rauque en voyant sa réaction.

– Il fait pas bon pour une fille de roupiller ici. Lève-toi.

Thalia obéit, vérifiant machinalement qu'elle avait toujours ses dagues et sa bourse. Elle secoua la tête, cherchant à s'éclaircir les idées, et fronça les sourcils en constatant qu'elle ne se souvenait déjà plus de son rêve.

Elle avait rêvé de maisons, de rues, et d'un souffle court et rauque. Mais les détails se brouillaient dans sa tête, et elle cligna des yeux tandis que les dernières brumes du songe se dissipaient dans son esprit.

Dans la taverne, à présent presque pleine, plusieurs hommes l'observaient à la dérobée et elle comprit rapidement ce que le Limier voulait dire. Sans l'aura intimidante de Clegane à sa table, elle aurait tôt fait de finir entre les pattes des ivrognes du coin. Et cette fois, ce n'était pas un bon moment de plaisir qui l'attendait…

Mieux valait finir sa nuit ailleurs.

Elle tangua sur ses pieds, puis reprit son équilibre, et réfréna un hoquet. Elle se sentait toujours grisée par l'alcool, mais sans aucune fatigue, grâce à sa petite sieste.

– Il est quelle heure ?

– L'heure d'aller dessouler, gamine, grommela le Limier d'une voix rogue.

– Je suis loin d'être une gamine !

Le Limier grogna d'un air exaspéré, et la poussa dans le dos, l'obligeant à franchir la porte de la taverne en trébuchant. Il sortit derrière elle et referma la porte.

– M'en doute et c'est pour ça que tu devrais rentrer chez toi. Avance.

Le ciel était encore noir, mais moins qu'à l'heure du loup. Le soleil se lèverait dans une heure ou deux. Thalia s'étira, puis regarda le Limier, l'esprit un peu plus clair qu'avant.

– Merci.

Clegane lui lança un regard oblique que ses brûlures rendaient très effrayant. Thalia retint un mouvement de recul, mais le Limier se contenta de lui grogner :

– Barre-toi avant que je te coupe en deux.

Thalia ne se le fit pas dire deux fois, et s'éloigna quasiment en courant. Mais elle ne résista pas à l'envie, quelques mètres plus loin, de se retourner et de lancer par-dessus son épaule :

– Bonne journée !

Seul un grognement peu amène, sans doute une insulte, lui répondit. Mais Thalia, ivre, se mit à rire, et elle gloussait encore de façon sporadique quand elle retourna à l'auberge de Tara, gravit péniblement les escaliers, et s'effondra sur son lit

– C'était une drôle de rencontre, marmonna-t-elle dans la chambre vide.

Elle avait déjà oublié l'avertissement du Limier. Elle ôta ses bottes avec maladresse, se déshabilla à demi, puis, vaincue par le sommeil, elle ferma les yeux et s'endormit aussitôt.

Comme toutes les nuits depuis dix ans, ses songes furent peuplés d'éclats froids et métalliques, de torrents rouges, de flammes qui se tordaient, et de ricanements narquois.

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A suivre...