Je fais des infidélités à Tony et Steve mais mon amour pour Colin Firth remonte à bien avant de découvrir Chris Evans et... Je suis tombée accro à Kingsman comme pourrait en témoigner mes trois tickets de séances. Heureusement que j'ai pas une carte de ciné illimité. Mon petit voyage à Londres a continué d'alimenter mon fangirlisme parce que je suis allée devant la maison de Harry Hart, le commissariat, le pub de Dean et la boutique ! Bref, en rentrant je me suis dis, faut que j'écrive...
De drabbles, je passe à des petits chapitres pour un pairing que je n'ai pas vu au premier visionnage mais au second. J'espère que cela vous plaira lecteurs ou lectrices.
Ce qui suis, se passe après le film. Bonne lecture!
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My Fair Gentleman
- Die Another Day -
Le taxi noir se gara devant l'entrée de la ruelle pour déposer son passager, repartant immédiatement une fois la portière refermée. L'homme habillé de manière élégante avait les épaules basses, le dos légèrement voûté, son bras droit tenant son flanc gauche.
L'homme s'arrêta pour regarder le petit mews où était son refuge. Une longue allée de pavés gris où étaient alignées les unes en face des autres des maisons identiques. Ce qui les différenciait n'était pas une couleur, les façades étaient toutes blanches, mais plutôt les arbustes en pot que les propriétaires avaient mis devant leur palier pour décorer ce charmant petit lot d'habitations. Au bout de l'allée trônait la seule maison au toit pointu, entouré d'un halo blanchâtre grâce aux lampadaires en cette nuit bien avancée et fraîche.
Une inspiration difficile puis l'homme se mit à marcher vers cette maison, d'un pas lent et titubant. Son regard se leva sur les fenêtres de l'étage comme s'il espérait y voir une personne mais tout était calme et la maison était vide. L'homme récupéra ses clés, dissimulées dans un compartiment secret dans l'énorme pot de fleur qui ornait le côté de son entrée.
Lorsque la porte s'ouvrit, le silence fut immédiatement brisé par des trottinements sur le parquet. Un carlin apparut par l'ouverture du salon pour venir faire la fête à son maître dans le hall d'entrée. Eggsy sourit en voyant son chien. Il le salua d'un signe en disant son prénom avec affection, ne pouvant pas vraiment se baisser pour le caresser. Puis son regard quitta l'animal pour parcourir la maison trop silencieuse. Le hall, le salon, la cuisine, toutes les pièces étaient éteintes.
-T'as de la chance de pas en glander une, grogna-t-il pour la forme.
Son animal de compagnie avait passé la journée à dormir sur le canapé pendant qu'il était absent. Pas de repos pour les chevaliers des temps modernes. Merlin, qui avait temporairement repris la place d'Arthur en attendant que quelqu'un y soit nommé, ne cessait de lui donner des missions pour l'occuper, pour lui éviter de partir en vrille. À moins qu'il l'ait suggéré lui-même.
Le jeune Kingsman referma la porte et la verrouilla. Puis il ramena la demeure à la vie, allumant les lustres des pièces où il passait, ne supportant pas d'être plongé dans le noir. Eggsy marchait doucement et de façon automatique, jetant un regard dans le salon vide avant de rejoindre la salle de bain. Les sons qu'émettaient JB semblaient combler le vide avant que celui-ci ne revienne avec autant de pression qu'un étau qui cherchait à vous étouffer. Les prunelles azurs détaillèrent la pièce avec un vague à l'âme visible. Toujours personne pour l'aider. Même s'il s'était toujours débrouillé seul, il avait de plus en plus besoin d'une présence. Il s'en rendait compte à chaque fois qu'il passait plus de temps dans cette fichue baraque vide de l'aura de Harry Hart.
Un jappement le fit sortir de ses pensées. Le blond entra alors dans la salle de bain tout en déboutonnant sa chemise. Son costume impeccable était bon pour la poubelle. Précautionneusement, il retira les deux vêtements en même temps, pour économiser ses mouvements même s'il grimaçait de douleur. Il posa le tout dans le lavabo et releva la tête pour constater les dégâts. Son reflet dans le miroir lui montrait une belle entaille au-dessus de l'arcade sourcilière, c'était donc le sang qui avait gêné sa vue et qui lui avait valu une belle envolée dans du verre brisé. Son flanc gauche amoché était le résultat de cette faute d'inattention. Avec en bonus les nombreux bleus et entailles qu'il avait sur les bras. Il y avait des missions plus faciles que d'autre. Ou des jours plus faciles que d'autres.
Le jeune homme inspecta les multiples plaies qui s'étendaient de ses côtes à son ventre, celles-ci toujours en train de saigner, puis il attrapa une pince à épiler afin de retirer les morceaux de verres désireux de ne pas le laisser repartir sans souvenir. Eggsy serra la mâchoire à l'étape suivante lorsqu'il désinfecta la chair à vif puis lorsqu'il se fit un bandage. JB commençait à s'impatienter et se mit à renifler ses affaires sur le sol avant de japper pour avoir de l'attention.
-Deux s'condes JB. Assis !
Le chien s'arrêta de tourner en rond et exécuta l'ordre sec de son maître. Eggsy chercha des antidouleurs et avala les cachets après avoir pris de l'eau dans le verre qui lui servait de pot à brosse à dent. Son habitude était plutôt de se pencher pour boire au robinet mais la douleur continue le dissuada de faire ainsi. Il reposa alors le verre et se fixa dans la glace avant qu'un soupir à fendre l'âme ne s'échappe de ses lèvres. Son visage amoché lui disait clairement qu'il déconnait. Il devait arrêter de s'apitoyer sur son sort. Ce n'est pas ce que Harry souhaiterait.
Mécaniquement, Eggsy prit la direction de la cuisine pour remplir de croquettes la gamelle de son fidèle compagnon. Son repas fut principalement constitué d'un verre de whisky, envoyant les recommandations de la posologie des médocs à la poubelle d'un bon coup de pied. Personne n'était là pour le contredire de toute manière. Leurs repas achevés, le blond chercha une veste dans les fringues qui traînaient dans le salon. Le contraste entre le pantalon de costard, les broges et la veste de survêtement grise et orangée aurait fait dresser les cheveux sur la tête de n'importe quel Kingsman. Sauf Merlin évidemment. Eggsy jeta un regard vers JB avant de le siffler puis d'ouvrir la porte et sortir dans l'allée du mews, inspirant l'air frais du soir.
Tandis que son chien s'occupait de ses petites affaires, les prunelles azures parcouraient la longue allée avant de venir sur la maison qu'il habitait. Enfin, plus exactement où il se réfugiait depuis la mort de Harry Hart. Il détailla l'habitation qui était sienne sans l'être complètement, fantôme d'une rencontre rapide et époustouflante. Rencontre qui lui avait donné un but, un job et un abri pour sa mère ainsi que sa petite sœur. Rencontre qui l'avait ébloui, qui lui avait donné de l'espoir et qui maintenant lui laissait un grand vide.
Il était peut-être perdu dans la contemplation de la maison mais les pas qui se rapprochaient lui étaient tellement familiers qu'il ne prit pas la peine de se tourner. JB ne grogna pas non plus, en train de renifler les odeurs contre les murs. La silhouette s'arrêta à sa hauteur, droite comme un « i », le jaugea d'un œil critique à la faible lueur des lampadaires dans la ruelle.
-Merlin m'a demandé de voir dans quel état tu étais.
-Salut Roxy.
Eggsy se tourna vers son amie et lui offrit un petit sourire bravache. Mais elle n'était pas dupe et lui rendit un regard sévère. Il laissa couler les reproches sur lui, stoïque à défaut de pouvoir hausser les épaules puis demanda :
-Tu as d'autres nouvelles ?
-Non.
-Putain, grogna-t-il tout bas en serrant la mâchoire et les poings.
Roxanne leva une main et la posa avec compassion sur son épaule, la serrant doucement. Leurs regards se croisèrent et elle posa sa tête sur son épaule à défaut de pouvoir lui faire un câlin. Merlin l'avait envoyé constater les dommages collatéraux qu'il avait réellement subi puisque le rapport de fin de mission avait été bref et concis. Le jeune homme pencha alors sa tête pour poser sa joue sur la chevelure blonde et impeccable de Lancelot, la remerciant sincèrement pour sa présence par son silence et un soupir un peu ému.
L'attente était interminable. Il n'était que son élève, un parfait inconnu et pourtant, la disparition du corps de Harry Hart devant cette fichue église du Kentucky l'avait bouleversé plus que de raison. Deux longs et douloureux mois que Kingsman enquêtait sur le sol américain afin de retrouver le corps de celui qui avait été Galahad. Deux mois que Merlin avait pris soin de l'occuper. À leur retour au QG après le fameux Valentine's day, l'instructeur avait lui-même annoncé que le corps de Harry était introuvable et l'explosion du jeune homme l'avait laissé temporairement sans réaction. Eggsy s'était mis à hurler que c'était impossible avant de partir bille en tête vers un des avions dans l'idée d'aller remuer ciel et terre pour mettre lui-même la main sur le corps de son mentor. Roxy avait été la première à réagir pour l'arrêter. Elle avait argumenté, il avait crié et le débat fut clos dans les bras de son amie qu'elle avait serrés autour de lui comme un étau contre lequel il ne lutta pas longtemps.
Parce que cet homme était son mentor. Parce que cet homme avait été comme le père qu'il n'avait jamais eu. Parce que cet homme avait une aura qui l'avait attiré et ébloui. Et parce que cet homme laissait un grand vide dans sa vie maintenant qu'il avait disparu.
Un reniflement brisa le silence et la jeune femme vint prendre sa main. Eggsy la serra avec force et besoin.
-Ils le retrouveront, murmura-t-elle avec une conviction élimée.
-Il le faut. Harry mérite mieux que disparaître comme ça.
Un sourire amer étira les lèvres de Lancelot et doucement elle redressa sa tête, son regard venant chercher le sien pour lui offrir tout de même un sourire doux.
-Je dirai à Merlin que tu as besoin de quelques jours de repos.
-C'pas la peine Rox', j'suis prêt à y retourner.
-Hors de question. Tu vas prendre quelques jours de repos et aller voir ta mère et ta petite-sœur, contra fermement la blonde. La perte de Harry nous affecte tous mais te faire tuer sur une mission ne le ramènera pas. Eggsy, tu dois continuer à prendre soin de toi comme il l'aurait voulu. Alors arrête tes conneries, tu veux bien ?
Le jeune homme eut un sourire amusé et plus sincère. Il lâcha sa main pour ensuite lever les deux en signe de capitulation.
-Okay, je suis battu.
-C'est gentil à toi de ne pas m'obliger à frapper un homme à terre, répliqua-t-elle.
Un petit rire leur échappa. Roxanne esquissa un sourire avant de se baisser pour saluer JB qui était venu réclamer quelques attentions.
-Besoin d'autre chose ?
-J'vais me débrouiller, t'inquiète.
-Je m'inquiète et Merlin aussi.
-Merci.
Le silence retomba entre les deux jeunes gens, observant JB qui repartait faire le tour du propriétaire. Eggsy observa la blonde qui sous couvert de venir lorsque Merlin estimait qu'il dépassait les bornes était une véritable amie depuis leur entraînement de Kingsman. Même si ce sale fourbe chauve utilisait un peu trop à bon escient leur amitié. Quand son chien revint enfin, ils se dirigèrent vers la porte et l'ancien banlieusard fit entrer l'animal avant de consulter son amie du regard.
-Je vais rentrer, déclina-t-elle poliment.
Il hocha la tête. Ils se dirent au revoir mais Roxy marqua un temps d'arrêt et le fixa avec intensité.
-Repose-toi bien.
-Merci Rox'.
Eggsy la regarda partir avant de rentrer dans la maison de feu Harry Hart. Elle n'était pas officiellement à lui mais Merlin avait laissé plané que c'était le souhait de son défunt ami. Tout comme il aurait voulu que son protégé hérite de son nom de code. En même temps, le blond n'aurait permis à personne de prendre le nom de Galahad. Avec une tendresse douloureuse, ses doigts effleurèrent les meubles sur son passage, la vieille tapisserie aux couleurs unies et vieillottes. Chacun des objets étaient comme une torture pour lui rappeler qu'il avait vécu ici et qu'il ne reviendrait plus jamais. Et le jeune homme s'était refusé à bouger quoi que ce soit tant que son corps n'aurait pas été retrouvé. Un espoir bien futile puisqu'il l'avait vu se faire tirer en pleine tête par Valentine.
Eggsy monta directement se coucher dans le lit de l'ancien propriétaire des lieux, respirant à pleins poumons une odeur presque absente dans les draps. Un soupir tremblant lui échappa à ce constat et il se roula en boule sur son flanc intact, grimaçant sous le mouvement. JB ne tarda pas à le rejoindre et à se caler près de ses jambes. Il lui grattouilla le crâne tandis qu'il fixait la table de nuit de Harry avec son verre d'eau vide, sa montre et toutes les babioles qui étaient les siennes.
Entre la douleur physique et la douleur mentale, il se disait qu'il devait réagir et arrêter de faire le con, sortir de son apathie mais il ne parvenait pas à le faire.
-Putain Harry, pourquoi, souffla-t-il entre colère et douleur. Tu avais promis de revenir…
Eggsy ferma les yeux pour quelques secondes, espérant que cette action pourrait arrêter son cerveau de ressasser les événements qui le torturaient. Mais l'absence de Harry était comme imprimée en lui, une culpabilité qu'il se refusait à abandonner. L'effet ne fut donc pas immédiat mais le sommeil finit par l'envoyer aux pays des songes pour instaurer un peu de calme dans son esprit chamboulé.
Un calme malheureusement court et temporaire.
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Le jeune homme avait pris la liberté de rester deux jours tranquilles à ne rien faire de plus constructif que commander des pizzas et regarder la télévision. Mais pour se remettre de ses blessures, il avait bien fallu un temps mort dans sa nouvelle vie de super espion avant d'affronter sa turbulente petite-sœur et sa mère. Roxy l'avait appelé chaque soir pour savoir comment il allait avant de papoter de tout et de rien et surtout, lui rappeler d'aller voir les siens.
Puis il s'était secoué les puces. Eggsy passa une journée entière avec sa famille qui habitait dans un mews à quelques minutes de celui où était la maison de Harry. Une charmante petite maison où Michelle et la petite Daisy étaient loin de ce connard de Dean. Sa mère avait d'ailleurs trouvé un emploi et elle était plus resplendissante que jamais. Quant à sa petite sœur, elle était épanouie et semblait s'être rattrapée pour devenir une vraie princesse doublée d'une peste espiègle. Mais ce temps avec les siens lui fit le plus grand bien et à peine arrivé dans son refuge, il envoya un texto à Roxy pour la remercier de sa persévérance.
Même s'il était complètement lessivé.
Le blond grignota un bout de pizza avant de se prendre une bonne douche et d'aller carrément se coucher. Il était encore plus fatigué qu'une mission avec des coups de feux et des combats. Mais un sourire ravi flottait sur ses lèvres en revoyant le sourire de Daisy, ses rires aux éclats tout comme ceux de sa mère. Tout ça, c'était grâce à Harry. Grâce à Kingsman. Et le bonheur de sa famille n'avait pas de prix. En l'occurrence si, le prix d'un mensonge sur la véritable nature de son travail de « tailleur ».
Il tourna la tête dans l'oreiller et inspira profondément.
Ses paupières se fermèrent comme si cela pouvait lui éviter de penser. Il déglutit avec cette boule au ventre présente depuis maintenant deux mois et une semaine. Vraiment, c'était à se demander ce que foutait le plus grand réseau d'espions que de ne pas arriver à remettre la main sur le corps d'un de leurs agents. Le plus simple aurait été de demander à Gazelle ou Valentine mais les deux étaient morts de sa propre main. Le monde à sauver en priorité. Si c'était à refaire, Eggsy s'y prendrait autrement. Sauf qu'il n'avait pas de TARDIS pour voyager dans le temps. Il n'avait que sa culpabilité et sa douleur.
L'épuisement finit par avoir raison de lui, s'endormant sans même sentir JB venir le rejoindre dans les draps et se rouler contre ses jambes dans le coton coûteux.
Son sommeil n'était pas toujours constant et il lui arrivait de faire des cauchemars. Sans doute sa manière de cogiter sur la mort de son mentor, son envie de corriger ce point précis de son histoire. Eggsy inspira plus profondément et ouvrit les yeux. Il n'avait plus aucun souvenir de ce qui avait troublé son sommeil, la main sous l'oreiller et le nez dedans. En revanche ce qu'il aperçut avec netteté, c'était la silhouette qui se découpait dans l'encadrement de la fenêtre éclairée par l'extérieur. Une ombre à la carrure taillée en V, droite et imposante.
Figé, il ne bougea pas d'un poil, sa respiration en suspens tandis que son regard fixait ce découpage en ombre chinoise qui s'étirait sur le lit et sur le mur de la chambre. Un souffle léger et maîtrisé finit par passer la barrière de ses lèvres puis une lente inspiration comme s'il était endormi tandis que sa main attrapait l'arme qui était non loin de ses doigts sous le coussin. Il avait beau dormir en tenue très décontracté tel qu'un simple pantalon, il n'en oubliait pas les principes qu'un Kingsman était toujours prêt à riposter en cas de besoin.
D'un mouvement brusque, il se retourna sans se préoccuper une seule seconde de son chien dans les draps. Il avait manœuvré pour se retrouver à demi assis, les bras tendus devant lui, les muscles bandés par la peur. Eggsy braqua cet homme qui s'était introduit dans son refuge. Un homme qui ne bougea pas de sa place et qui continuait à le regarder avec tranquillité, les mains dans les poches. Son souffle s'accéléra et d'un mouvement rapide, il alluma la lampe de chevet pour voir le visage de l'intrus.
Sa main se crispa sur l'arme à feu, figé devant cette personne. Le blond déglutit avec douleur en dévisageant son intrus nocturne. L'homme était habillé avec goût dans un costume sombre bleu nuit avec de fine rayure grise, une cravate grenat et une chemise blanche. Son visage impassible marqué par les années passées n'avait en rien altéré son charme. Derrière les lunettes noires qu'il connaissait bien, un seul œil le fixait avec tranquillité, l'autre masqué par un cache-œil noir qui rendait la mise impeccable de ses cheveux légèrement décoiffés.
-Harry, soupira avec effarement Eggsy en croyant à un mirage.
L'interpellé lui adressa un sourire doux et fit un pas vers lui.
Mais le jeune homme bondit hors du lit et pointa l'arme qu'il tenait au niveau de sa poitrine, le dévisageant comme un fantôme. Il ne fit absolument pas attention à son chien qui continuait de grogner dans les draps avant de s'en sortir avec triomphe et le regard hagard.
-Tu es mort, je l'ai vu. On l'a tous vu, tu es mort… Tu… tu as pris une balle en pleine tête… tu… ils cherchent ton corps et… bordel de merde ça fait deux mois qu'ils le cherchent et…
Au fur et à mesure que les mots sortaient de la bouche d'Eggsy, l'homme avait tranquillement avancé vers lui jusqu'à ce que le canon du flingue se retrouve contre le tissu coûteux et n'y fasse des plis. Une façon de lui prouver qu'il était bel et bien en vie. Et pour compléter l'absence d'illusion, Harry leva doucement une de ses mains pour venir saisir le poignet nu de son protéger et écarter la menace pointée sur son cœur.
Eggsy avait les yeux brillants de larmes contenues. Mais chaque geste de son vis-à-vis était une douleur et un soulagement. Il ne manquait plus que la parole à cet homme pour qu'il le reconnaisse pleinement. Cette voix calme et posée qui lui avait manqué. Son visiteur nocturne tenait toujours son poignet le long de son corps, son œil critique scannant le torse nu pour y voir les blessures de sa dernière mission. Vraiment dormir avec un simplement pantalon n'était pas décent. Surtout quand il s'agissait de dormir dans son lit à lui.
-Putain Harry mais réponds-moi, s'impatienta le jeune.
-Je suis désolé de ne pas être revenu plus tôt Eggsy, murmura l'homme avec sincérité.
Il n'en fallut pas plus au blond pour franchir l'espace entre leurs deux corps et de son bras libre, venir s'accrocher à son costume au niveau des omoplates. Harry esquissa un sourire et vint poser sa main libre sur la nuque du plus jeune tandis que l'autre récupérait l'arme pour la lui prendre. Il remit le cran de sûreté par automatisme avant de la lancer sur le lit pour venir prendre pleinement Eggsy dans ses bras, son autre main trouvant sa place dans son dos. Le plus jeune en profita pour s'accrocher avec ses deux mains à lui, comme un naufragé à sa bouée.
Ils restèrent quelques minutes ainsi, le plus vieux laissant du temps au plus jeune pour se remettre de ses émotions contre sa poitrine. Le blond finit par se ressaisir et se reculer doucement, séchant les traces de sa faiblesse d'un revers de la main avant de braquer ses prunelles azures troublées sur le visage patient.
-Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Depuis quand tu es revenu d'entre les morts ?
-Surveille ton langage jeune homme, le corrigea immédiatement son mentor. Tu pourrais avoir la politesse de me proposer un thé avant de m'assaillir de questions.
Eggsy ouvrit des yeux surpris à la répartie de l'homme avant d'avoir un rire nerveux.
-Okay, j'te fais un thé et tu me racontes tout dans les moindres détails.
-Je reçois des ordres dans ma propre maison, commenta Harry en roula de l'œil.
-T'es gonflé après…
-Je vais tout te raconter Eggsy, coupa-t-il avec douceur en posant une main sur son épaule. Habille-toi plus décemment et descendons, tu veux ?
Le jeune homme ouvrit la bouche puis la referma pour simplement hocher la tête. Harry se rapprocha alors du lit ou JB les regardait et il salua le petit carlin de quelques caresses sous le regard scrutateur de son élève. Mais c'était bel et bien lui. Sa voix, son allure, cette aura de tranquillité et d'assurance qu'il avait vue dès le premier jour. Harry était revenu. Harry était vivant.
Eggsy le fixa bêtement tandis que l'homme câlinait son chien. Et comme le vieux renard ne voyait toujours pas le plus jeune s'activer pour se rendre plus présentable, il finit par tourner son visage vers lui et lui jeter un regard critique, combiné avec un haussement de sourcil de manière à lui faire comprendre qu'il traînait un peu trop. Un sourire idiot étira les lèvres du jeune banlieusard qui finit par le quitter des yeux pour attraper une veste et la passer sur son corps encore amoché de sa précédente mission. Ces mouvements brusques avaient réveillé la douleur de son flanc gauche mais le bonheur de revoir Harry semblait agir comme le plus efficace des antidouleurs.
Les deux hommes descendirent dans la cuisine et Eggsy se mit en devoir de lui faire un thé, ainsi qu'à lui, constatant qu'il n'était pas loin de deux heures du matin.
-Harry, qu'est-ce que tu foutais dans ma chambre à me regarder comme un vieux creepy ?
Un souffle amusé répondit d'abord à cette question avant que la voix de basse chaleureuse ne résonne dans la pièce.
-Premièrement, c'est ma maison et donc ma chambre. Deuxièmement, j'étais venu te voir mais tu dormais et… Je savais que le moment était mal choisi mais je ne pouvais te laisser dans l'ignorance plus longtemps. Je ne savais pas si je devais te réveiller ou repartir et attendre une autre opportunité.
Le blond servit les deux tasses de thé et s'assit juste à côté de Harry, son chien venant immédiatement sur ses jambes. Eggsy se contenta de le fixer avec intensité, posant la question de « comment ce miracle était-il possible ? ».
-Merlin a préféré te cacher le fait que j'étais en vie car mon sort était incertain. Ils m'ont rapidement retrouvé dans un hôpital où j'ai été pris en charge peu de temps après le coup de feu. J'étais en vie mais dans le coma. Merlin m'a fait rapatrier au QG et j'ai été pris en charge par nos meilleurs spécialistes, même si cela ne m'a pas empêché d'y perdre un œil, fit-il avec un souffle amusé tout en tapotant sa tempe gauche. Un tir à bout portant, je ne pouvais pas être entièrement indemne.
Eggsy buvait littéralement ses paroles. Même si sa nervosité se voyait à travers les caresses qu'il octroyait à son chien pour se rassurer.
-Je suis resté trois semaines dans le coma et à mon réveil, j'avais perdu la mémoire. Merlin n'a pas voulu t'imposer cela alors il t'a gardé dans l'ignorance tout comme Roxy. Seuls quelques pairs de notre promotion étaient au courant. Avec un travail acharné, j'ai fini par me souvenir et ma mémoire s'est débloquée. Tout m'est revenu.
-Tout ? murmura le plus jeune avec une boule dans le ventre.
-Oui, même l'épisode de l'église.
Cette confirmation glaça les entrailles d'Eggsy parce que c'était un événement effroyable. Et pourtant, Harry semblait d'un calme olympien en lui annonçant cela.
-Vous en avez discuté ? conclut-il avec un froncement de sourcil tout de même inquiet.
-Oui. Il est difficile pour moi de me le pardonner même si Merlin m'a répété un nombre incalculable de fois que j'étais sous l'emprise des effets de la puce de Valentine.
-Ce n'est pas de ta faute.
-Je sais, répondit-il tranquillement en posant sa main sur l'épaule du plus jeune pour le rassurer. Mais je ne peux l'oublier.
Eggsy hocha la tête en comprenant le poids de cette culpabilité qui pesait sur la conscience de son mentor. Même si en toute honnêteté, il aurait préféré que celui-ci ne se souvienne pas de cet épisode. Pour être heureux d'être en vie. Il avait bêtement envie que Harry soit bien dans sa peau, parce qu'il ne souhaitait que le meilleur pour cet homme si extraordinaire.
Le jeune le dévisagea avec encore l'appréhension de voir l'illusion s'envoler. JB sauta au sol et il en profita pour se tourner pleinement vers Harry et lever ses deux mains vers son visage. Doucement mais avec familiarité, il vint lui retirer ses lunettes pour les poser sur la table. Le plus vieux ne fit rien pour l'en empêcher, comprenant son besoin de voir sa blessure. Avec toujours autant de précaution, Eggsy retira le cache-œil pour voir les dégâts. L'espion n'avait pas littéralement perdu son œil, il était présent mais il y avait une sorte de voile blanc qui masquait définitivement la couleur noisette de sa pupille, de même que des traces de sang des vaisseaux éclatés par ce traumatisme.
Eggsy ne put s'empêcher d'effleurer la cicatrice qui se voyait sur sa tempe, son arcade et cela fit sourire Harry.
-J'ai eu le droit à une chirurgie réparatrice pour la forme mais je suis définitivement aveugle de l'œil gauche.
-Mais tu es en vie, lâcha avec spontanéité le blond.
Son mentor retira la main chaude et exploratrice de son épiderme tout en lui adressant un sourire doux.
-Je suis en vie. Et je suis de retour.
-Ça veut dire que je vais devoir te céder ma place ?
-Non. Je suis fier que ce soit toi le nouveau Galahad. Même si j'ai quelques critiques à faire sur ton imprudence ces derniers temps. Je suppose que c'est justifié. Et de ma faute.
-Non non non sûrement pas. C'est celle de Merlin. Ce sale fourbe va me le payer, grogna le jeune.
-Il a fait ça pour ton bien.
-Mouais. Comme il envoyait Roxy faire le garde fou ou l'infirmière. Il est sournois.
Harry eut un souffle amusé à ce qualificatif de son ami chauve puis il prit la tasse pour boire quelques gorgées du liquide ambré.
-Je dois encore m'entraîner mais je ne reviendrai pas sur le terrain Eggsy.
Un froncement de sourcil accueillit cette nouvelle avant qu'il n'ouvre les yeux avec étonnement.
-Tu vas être le nouveau Arthur ?
Harry sourit devant la perspicacité de son protégé. Il avait toujours su que derrière cette allure de racaille il y avait quelqu'un à l'intelligence fine et aiguisée.
-Oui. Merlin ne désire pas endosser cette responsabilité et puisque je serai moins habile sur le terrain pendant un temps, je prends la place qu'à laisser notre traître de Chester King.
-Waouh. Tu as d'autres surprises dans tes poches ? se moqua gentiment le blond.
-Mes poches ne sont pas aussi généreuses que le sac de Mary Poppins.
Ils échangèrent un sourire complice avant de boire chacun quelques gorgées de leur breuvage.
-Je vais devoir déménager ?
-Non, mais je te laisserai la chambre d'ami si tu veux bien me laisser récupérer mon lit.
-Pas de problème c'est juste que… Je paie le loyer pour ma mère et j'ai un peu menti sur mon appartement de fonction.
-Je sais et je comprends pourquoi.
Harry le fixa avec un peu d'amertume au souvenir qui avait conduit le père de son protégé à sacrifier sa vie pour la leur. Alors il lui devait bien ça. Il lui devait beaucoup et partager cette maison vide lui ferait le plus grand bien. Elle était assez grande pour deux et cela mettrait un peu plus de vie dans ces murs vides à la routine tranquille. Ses habitudes allaient devoir changer à cause de son nouveau handicap et une présence amicale serait un réconfort bienvenu.
-Je m'en voudrais de laisser seul un vieil infirme, taquina Eggsy avec un sourire.
Son aîné lui lança un regard blasé, son œil unique le fixant avec reproche tandis que le blond avait un rire amusé. C'était agréable de le voir à nouveau aussi vivant. La blessure était encore fraîche mais le temps l'estomperait. Le jeune Kingsman allait enfin pouvoir redevenir lui-même. Et arrêter d'être l'ombre de lui-même avec des tendances à l'imprudence qui aurait pu s'avérer plus mortelles que ses blessures actuelles.
-La condition prend effet dès ce soir. File déménager tes affaires et te coucher.
-Bien chef !
Le ton était moqueur mais tendre. Eggsy lui adressa un grand sourire avant de se lever. Il marqua un temps d'hésitation puis débarrassa la table sous l'œil attentif de l'espion.
-Je ne suis pas impotent.
-Je prends soin de toi. Il est tard.
-Insolent en plus de ça.
Le jeune homme lui décocha un sourire bravache dont il avait si bien le secret avant de prendre la direction du couloir. Il disparut derrière le montant de la porte mais après quelques mètres, le son de ses pas se rapprocha plutôt que de s'éloigner. Eggsy réapparut dans l'encadrement en bois, fixant Harry avec intensité. L'espion qui avait à peine détourné le visage l'interrogea des yeux -enfin d'un œil- sur son retour.
-Bon retour Harry, murmura-t-il en savourant les mots.
-Merci Eggsy.
Ils échangèrent un regard avant que le plus jeune ne lui sourie davantage puis ne rompe le contact visuel pour disparaître à nouveau. Le blond se sentait fébrile, excité comme une puce et pas près de s'endormir mais il s'exécuta. Il transporta ses affaires dans la chambre voisine à celle de Harry, remettant de l'ordre derrière son passage quelque peu chaotique pour montrer qu'il n'avait pas été si envahissant que ça. Il se sentait soulagé, stupidement heureux et c'était tout ce qui comptait.
Harry était en vie et c'était tout ce qui lui importait.
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