Chapitre 1

« Vacances » sur Naboo

Sheyla Skywalker se prélassait au soleil, étendue dans l'herbe, un brin de chiendent dans la bouche, yeux fermés, bras en croix. N'importe qui passant dans ce champ aurait pu croire qu'il avait affaire à un cadavre immobile, mais il n'en était rien… Loin de là. En fait, elle ne dormait même pas. Elle écoutait simplement chanter les oiseaux, ruisseler la cascade d'eau à côté d'elle… Juste écouter siffler le vent dans les herbes hautes, frémir les brindilles des arbres… Juste un peu de repos bien mérité. De plus, cet endroit était parfait pour méditer et se détendre, ce qui lui manquait cruellement ces derniers temps. De la détente… Le Conseil Jedi lui avait accordé quelques jours de congés, lui soulignant bien que c'était parce qu'elle devenait hargneuse et plutôt rebelle en ce moment, et non pas pour la récompenser de son travail. Elle avait été tellement occupée ce mois qu'elle n'avait même pas eu le temps de rendre visite à Luke, cloîtré dans son Académie Jedi sur Yavin IV, bien trop occupé à narguer le Conseil et à lui voler la prétention d'être le seul à pouvoir former et entraîner de jeunes Jedi. Cependant, il restait humble, et respectait le choix qu'avait fait son ancien Padawan en choisissant de demeurer au service du Temple… Cela faisait bien longtemps que l'Ordre Jedi s'était scindé en deux, et Sheyla, déchirée entre le désir de suivre son ancien maître ou de rester du côté du Conseil, avait fini par ne pas se démarquer et rester à Coruscant. Coruscant… Une si belle planète… Peut-être un peu trop « gratte-cielée » mais si attirante… Si éclatante de vie… Lorsqu'on avait prié Sheyla de prendre des vacances, elle avait failli y rester, mais finalement avait opté pour Naboo qu'elle n'avait pas eu l'occasion de voir depuis des lustres. La beauté pure et simple de Naboo, le soleil, les grands bâtiments recouverts de verdure, les fontaines d'eau claire jaillissant un peu partout dans les rues… Sans compter que la planète était très peu habitée, juste assez pour la rendre agréable à vivre sans gâcher la nature verdoyante qui encerclait les cités. Sheyla se trouvait dans un champ à l'écart de la ville de Theed, une plaine recouverte de hautes herbes, entourée de lacs et d'immenses chutes d'eau étincelantes sous le soleil. Elle se relaxait tranquillement, à l'écart des batailles et des négociations avec des bandits de grand-chemin pour un bout de temps… Même si son sabre-laser était accroché à sa ceinture, prêt à l'emploi, elle savait qu'elle n'aurait pas à s'en servir ici. Naboo était probablement la plus calme et pacifique de toutes les planètes de la Nouvelle République, c'était d'ailleurs l'une des raisons de sa venue…

Elle s'était pratiquement endormie à force de méditer et de laisser son esprit vagabonder avec la Force qu'elle sursauta en entendant une voix l'appeler. Elle se redressa, et aperçut un gosse apeuré qui courait en sautant par-dessus les herbes, visiblement poursuivi…

AU SECOURS ! Madame !

Il s'immobilisa en voyant Sheyla, qui s'était mise debout, ses deux longues mèches flottant au vent. On aurait cru voir une statue, droite et fière, immobile dans la plaine. Le gamin reconnut tout de suite l'uniforme des Chevaliers Jedi, d'où son expression figée, à mi-chemin entre l'admiration et la peur.

Madame ! S'il vous plaît ! cria-t-il.

Elle alla vers lui, il se jeta dans ses bras, terrorisé. C'est alors qu'elle les vit. Au loin, dans la plaine, des objets volants au-dessus du sol, d'une rapidité extraordinaire, fondaient sur elle et le jeune garçon.

Maître Jedi ! Je vous en prie, aidez-moi !

Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, inquiète.

Ils sont arrivés chez moi, je ne sais pas pourquoi, ils ont tout détruit, tout bombardé… Des gens en blancs…

Sheyla eut soudain un flash, ressentit ce qui allait se passer une seconde avant que cela ne se produise, et jeta à terre le garçon, se plaquant dans l'herbe.

Couche-toi !

Quelques secondes plus tard, des speeders gris et blancs passèrent au-dessus de leur tête. Sheyla se colla au sol, sans bouger, maintenant l'enfant immobile. Par chance, les herbes étaient si hautes que les propriétaires des speeders ne les virent pas ; une fois qu'ils furent passés, Sheyla se releva brusquement, puis aida le petit garçon à se remettre debout.

Ça va, pas de bobos ? demanda-t-elle.

N…non, ça va… répondit-il, apeuré, ne cessant de jeter des regards alentours pour voir si les speeders revenaient.

Sheyla l'observa quelques secondes, afin de mieux cerner sa personnalité. Le garçon était maigre et élancé, devait avoir une douzaine d'années environ. Il avait des yeux très bleus et clairs, des cheveux bruns légèrement longs, et portait des vêtements typiques des villageois de Naboo, simples et faits d'étoffes légères avec quelques pièces de cuir. La peur pouvait se lire dans ses yeux. Sheyla se risqua à envoyer quelques ondes de la Force vers lui et ne perçut en retour que des vibrations d'angoisse et de malheur.

Il vaut mieux ne pas traîner ici, dit-elle en l'entraînant vers le sentier qui ramenait à Theed. Ils vont revenir.

Il ne répondit rien et la suivit sans broncher. Elle se tourna vers lui.

Comment t'appelles-tu, dis-moi ?

Alderaan, maître Jedi, répondit-il d'un ton peu assuré.

Superbe nom, pensa Sheyla, que celui d'une planète détruite il y a fort longtemps par le démoniaque Empire Galactique.

Bien. Où sont tes parents ? Que fais-tu ici et qu'est-ce qu'ils te veulent ?

Je… je ne sais pas où sont Papa et Maman… J'étais seul à la maison, et puis ils ont ouvert la porte, ils ont crié : « où est-il ? ». Alors j'ai demandé « Qui ? », et ils ont dit « John Rosamund ! ». J'ai… j'ai eu très peur, je ne connais pas ce monsieur, ni les gens qui sont entrés… Alors j'ai dit que je ne savais pas, ils m'ont traité de menteur, et j'ai couru aussi vite que j'ai pu en passant par la sortie de derrière… J'ai cru qu'ils m'avaient semé, mais ils ont du aller chercher leurs speeders…

Sheyla et lui continuaient à marcher. Theed apparaissait au loin, ses monuments de pierre étincelants dressés droitement au milieu de l'horizon.

Tu vas m'emmener chez toi, d'accord ? Je vais parler à tes parents…

Ils ont dit qu'ils sortaient…

Ils doivent être revenus, dit posément Sheyla.

Ils marchèrent encore une heure pour atteindre enfin les portes de Theed, vers la fin de l'après-midi. La ville était magnifique : le coucher de soleil la rendait plus belle encore, couvrant les murs des maisons aux courbes douces d'une étrange lueur orangée. L'eau des fontaines prenait des teintes violacées en ondulant calmement dans les bassins. Alderaan montra sa maison à Sheyla, une maison retirée dans une des rues parallèles à l'allée principale. On y accédait en traversant une petite cour recouverte de massifs et de plantes. Quelques lampes commençaient à éclairer l'entrée. Puis la porte s'ouvrit et Sheyla eut tout juste le temps d'apercevoir une forme aux bras tendus se jeter sur Alderaan en hurlant :

Mon fils ! Oh, merci Seigneur, tu vas bien !

La mère du jeune garçon le serra dans ses bras en pleurant de joie. C'était une petite femme aux cheveux tressés, l'air gentil et compréhensif. Peu de temps après le père, un homme d'environ quarante ans, la stature droite et haute, apparut dans l'embrasure de la porte et courut vers son fils, lui aussi l'air très soulagé. Puis, lorsqu'ils eurent fini d'embrasser le pauvre Alderaan, sa mère se tourna vers Sheyla qui assistait à la scène d'un œil attendri.

Comment pourrais-je vous remercier, maître Jedi ? Nous avons eu si peur ! Si peur pour lui… Loran Mallek, enchantée… Et voici mon mari, Jen… à qui avons-nous l'honneur ?

Sheyla Skywalker, répondit la jeune femme, Chevalier de l'Ordre Jedi.

Ravie de faire votre connaissance. Je vous en prie, entrez…
Sheyla accepta l'invitation et suivit les deux parents jusque dans leur pièce principale. L'homme lui proposa de s'asseoir avec un sourire chaleureux. Elle ne se fit pas prier et s'installa sur un pouf rouge, autour d'une table basse en transpacier.

Alors, racontez-nous, que s'est-il passé ? Nous somme rentrés tout à l'heure, et il avait disparu…
Sheyla raconta ce qu'Alderaan lui avait dit, sans oublier un détail. Ils écoutèrent attentivement ce qu'elle disait.

Il n'y a pas de Rosamund ici, dit Jen Mallek pensivement. C'est vraiment très étrange…

Pourtant, c'est bien ce que j'ai entendu, dit Alderaan qui se tenait assis sur un sofa à côté de sa mère qui tenait sa main.

Sheyla ne dit rien, réfléchissant.

Attends voir, dit soudainement Loran. Tu te souviens du nom de l'ancien propriétaire de la maison ? Ce n'était pas ce nom, Jen ?

Mallek hocha la tête.

Si, tu as raison… Rosamund… Oui, John… Je me souviens, il a déménagé avec sa femme et sa fille il n'y a pas longtemps, sur Naboo II je crois…

La lune d'argent ? demanda Sheyla, intéressée.

Oui, acquiesça Loran. Nous lui avons acheté la maison il y a un an… À l'époque, il s'occupait de l'auberge Au Repos Du Contrebandier, dans l'avenue sud…

Oui, je me rappelle, dit Jen. Je le connais bien, mais sous son surnom, John le Rescapé…

Et vous dites qu'il habite maintenant sur Naboo II, la première lune ?

C'est cela. Avec sa femme et sa fille.

Pourquoi ce surnom ? continua Sheyla.

Oh, lui et sa famille se sont enfuis de la Terre peu avant l'explosion, dans les navettes de Corellia envoyées par la Nouvelle République. Ils sont venus s'établir ici il y a environ treize ans. Ils ont déménagé l'année dernière, je crois qu'il a repris une autre auberge sur la lune d'argent…

Mmmh, dit Sheyla, pensive. Vous avez une idée de pourquoi ils le recherchent ?

Non. Mais s'ils reviennent, que feras-t-on ? dit alors Loran, terrifiée.

On les renverras d'où ils viennent, répondit Jen d'un ton assuré. J'ai de quoi me défendre…

Sheyla secoua la tête. Non, ils étaient trop nombreux, et certainement mieux équipés que la famille Mallek. Sans compter qu'elle se doutait qu'ils appartenaient aux Vestiges de l'Empire, formés pour rebâtir l'ancien Empire et détruire la République, d'après les uniformes et les speeders gris…

Je vais régler cette affaire, dit-elle tranquillement. Je me rends de suite sur Naboo II. Le temps de contacter le Conseil…

« Et mes vacances sont fichues, comme toujours » ne put-elle s'empêcher de penser. Un sourire sans joie passa sur ses lèvres.

À bientôt, j'espère…
-Mais s'ils reviennent…

Dites-leur que vous ne connaissez pas de John Rosamund mais qu'en revanche le Temple Jedi va engager des poursuites s'ils recommencent à vous importuner…

Je doutes que cela suffise…

Dans ce cas, ne vous inquiétez pas, je reviens bientôt.

Ils soupirèrent.

Bien. À dans peu de temps, j'espère… Et merci encore…

Ils lui sourirent et elle se retira. Ils la regardèrent un dernier instant disparaître derrière la porte, sa grande cape sombre flottant derrière elle.

Une fois dans la rue, Sheyla alla directement à la résidence à laquelle elle était descendue pour ses « vacances ». Elle se rendit dans un petit appartement avec vue sur Theed. Elle se pencha au balcon, réfléchissant. Pourquoi fallait-il qu'elle se retrouve avec une sale affaire sur les bras alors qu'elle était venue se reposer sur la planète probablement la plus pacifique de la galaxie ? Elle soupira en se disant qu'après tout, venir en aide aux familles menacées faisait bien partie de ses attributions et qu'on lui avait demandé, il y a longtemps, si cette voie était celle qu'elle voulait prendre. Elle avait répondu oui, fière de passer du statut de Padawan à celui de Chevalier. Et Sheyla ne s'en plaignait pas, bien au contraire… C'était une vie merveilleuse et aider les autres avait toujours été sa vocation. De plus, apprendre à contrôler les incroyables pouvoirs qu'elle possédait l'avait bien aidé à se sentir mieux… Certes, la perte de ses parents et de la Terre avait été un coup très dur, mais Luke était un excellent maître Jedi et son enseignement lui avait permis de passer cette épreuve difficile. Qu'aurait-elle fait, sans lui, Leia, Han et le Temple ? Ah, le Temple… La question qui opposait Sheyla et son ancien maître depuis des lustres. Luke jugeait les conseillers trop stricts et prétendait que le Temple Jedi ne reviendrait jamais comme avant, qu'il était inutile de chercher à préserver certaines traditions ancestrales. Il avait ainsi fondé l'Académie, plus libérale, autorisant par exemple la formation de Jedi ayant dépassé l'âge de formation habituel ou le mariage, une question qui faisait que de plus en plus de Jedi quittaient le Temple avec la ferme intention de trouver en l'Académie une nouvelle forme de l'Ordre Jedi, née à partir de l'ancien, qui trouvait parfaitement sa place dans la Nouvelle République. Sheyla s'obstinait à rester avec le Temple, car les conseillers avaient toujours été en bons termes avec elle et trouvait cela bien de conserver les anciennes coutumes. Selon elle et le Temple Jedi, les abandonner signifiait laisser les Jedi s'écarter du droit chemin… Et Luke pensait qu'au contraire, une réglementation trop stricte les amenait à choisir la facilité, en l'occurrence, le côté obscur de la Force. Personne n'était en phase de savoir qui avait raison, pour le moment, et Sheyla se contentait d'approuver les deux parties sans pour autant quitter le Temple. Et la cassure qui avait eu lieu entre elle et Luke s'était pratiquement refermée, depuis sa décision. Chose heureuse, d'ailleurs…

Sheyla cessa de fixer l'horizon le regard dans le vite, interrompant ces pensées, et saisit le petit communicateur holographique qu'elle avait dans l'une de ses poches intérieures. Elle parla alors au petit appareil.

Message crypté en code 5, pour les copains à la maison.

L'appareil émit un petit bip. Quelques secondes plus tard, l'image du maître Kirar Mincho apparut, sous la forme d'un hologramme bleuté.
-Oui, Sheyla ?

Bonjour, maître Mincho, dit Sheyla devant l'hologramme en s'inclinant légèrement.

Kirar Mincho était un homme de forte stature, la cinquantaine bien sonnée, les sourcils toujours froncés comme s'il ressentait en permanence une perturbation dans la Force.

Quelles nouvelles ? Tes vacances se passent bien ?

À vrai dire, soupira-t-elle, pas vraiment comme je les avais espérées.

Il fronça les sourcils encore plus, à tel point que Sheyla crut qu'ils allaient se rejoindre.

Que se passe-t-il ?

Sheyla lui raconta l'histoire des Mallek. À la fin de son récit, le maître Jedi hocha lentement la tête. Elle le vit se tourner à gauche et à droite, visiblement pour obtenir l'avis des autres membres du Conseil qui recevaient également le message. Il inspira profondément.

Bien. Tu as raison, il vaut mieux commencer par visiter cette auberge et trouver ce John Rosamund. Si tu le trouves, amène-le nous, d'accord ?

Mais j'ai promis de rester à proximité de ces gens… Si je vais à Coruscant, il pourrait leur arriver n'importe quoi pendant mon absence.

Dans ce cas tu les emmènera s'ils n'y voient pas d'objection.

Sheyla acquiesça.

Contacte-nous dès qu'il y a du nouveau, Sheyla. Et que la Force soit avec toi.

Merci, maître.

Elle les salua et désactiva le petit dispositif.

Bien, le tout était de se changer avant d'aller sur la « lune d'argent » de Naboo. Car la petite colonie installée sur Naboo II n'avait rien d'un port de plaisance. Sheyla n'y était jamais allée mais savait par ouïe dire que la petite lune avait une très mauvaise réputation et qu'y venir vêtue d'une tunique Jedi n'allait certainement pas la faire passer inaperçu. Sheyla savait que cet endroit n'était habité que par des gangsters, des chasseurs de primes et des contrebandiers. Elle se mit à plaindre John Rosamund qui avait l'air d'un homme respectable et sa famille…

Se dirigeant vers la valise posée sur son lit, qu'elle n'avait même pas eu le temps de défaire complètement à son arrivée, elle l'ouvrit et chercha de quoi s'habiller normalement. Elle trouva enfin une robe simple en toile et une veste, qu'elle s'empressa d'enfiler. Se regardant dans un miroir, elle se rendit compte qu'elle avait encore beaucoup de progrès à faire, mais ça irait pour le moment. Elle repoussa ses cheveux plutôt courts derrière ses oreilles, ainsi que les deux longue mèches qui lui pendaient sur les épaules. « Encore mieux… À rajouter à la liste des choses difficiles à faire lorsque l'on est Jedi : se faire passer pour une personne normale » se dit-elle avec un léger sourire.