Bonjour, lecteur ! J'espère que tu vas bien !

Figure-toi que je viens de revoir In The Flesh (il faut croire que c'est devenu une tradition de vacances d'été) et une fois de plus, j'ai été inspirée... Alors voici un petit quelque chose pour toi si comme moi tu te sens encore amèrement frustré par l'annulation de cette série absolument formidable.

(le titre est tiré du poème du même nom, écrit par René Char.)

Bonne lecture !

...

Tu avances porté par une conviction plus forte que toi-même, la tête résonnant des citations bibliques du Prophète, ton être empli à craquer de l'importance capitale de ta mission. Tout est flou et clair à la fois, et tu as l'impression de marcher au fond d'un aquarium, les sons de la réalité étouffés et noyés par le bourdon constant de tes pensées.

Pour le plus grand bien, elles répètent et susurrent d'un ton monocorde. Il le faut, pour le plus grand bien.

Ta crise de panique et tes doutes passagers dans la chambre d'hôtel sont loin derrière toi, indignes de ton attention et de ta concentration dans cette heure cruciale ; tu te souviens à peine du trajet en train entre la ville et Roarton, mais tu sens le poids du métal contre ton flanc, le couteau sacrificiel choisi entre toutes les lames offertes par le Prophète.

J'ai choisi mon destin, tu penses avec insistance. Je trace ma propre voie.

Tu vois Gary le pousser à l'arrière de sa voiture, et tes plans sont momentanément retardés, mais même ton irritation ne dure pas ; tu es au-dessus de ça, porté par une volonté bien plus puissante.

(Ils étaient là pour toi, tu seras là pour eux. À ce moment-là seulement la seconde Résurrection pourra-t-elle commencer.)

Tu voles à leur poursuite, tes pieds rapides et silencieux sur la route de campagne, et tu observes d'un œil éteint Gary pousser un Premier Éveillé chancelant dans la direction générale du cimetière.

Tu le suis à travers les champs d'herbe jaunâtre, les yeux fixés sur la tache bleue de son sweatshirt, et il est presque trop facile de t'abandonner à ton instinct de chasseur, de le traquer comme une proie, comme la victime inévitable de la mission la plus importante de ta vie…

Il y a des gens à l'entrée du cimetière, et tu te baisses par réflexe pour demeurer hors de leur vue, mais tu prends garde de rester concentré sur l'Élu, ton but, ton moyen… alors même que lui s'arrête aussi, comme conscient que sa vie s'arrêtera bientôt, et tu le vois s'agiter autour d'une tombe, sa silhouette pâle et nerveuse un contraste grotesque avec les croix immaculées qui l'entourent.

Tu ne le quittes pas des yeux, tu attends ton moment, l'observant avec détachement alors même qu'il se met à se tordre sur lui-même, titubant derrière une tombe ; ses dernières miettes de conscience l'abandonnent et il s'avance, démarche lourde et gauche, vers les murmures curieux de la foule entassée un peu plus loin…

Lorsque le premier coup de midi retentit, sonore et clair, tu es prêt à te lancer en avant, lame dénudée et brillante dans la lumière blafarde de ce milieu de journée… et lorsque Gary arrive dans ton dos et te place un couteau en travers du cou tu penses seulement bien, un obstacle de plus pour prouver ma foi.

C'est à ce moment-là, quand avec une inspiration profonde tes yeux retrouvent Kieren, debout dans le cimetière, tremblant sur ses jambes maigres devant son père et secouant la tête avec confusion comme pour en chasser le brouillard, et que la lame presse avec insistance contre ta peau, que ton monde s'écroule autour de toi.

La cloche sonne, et en une fraction de seconde, tout disparaît. Le coton qui semblait entourer tes pensées fond comme de la barbe à papa au fond d'une flaque, et tu vois soudain la situation comme au ralenti ; les villageois rassemblés à l'entrée du cimetière, la femme au regard déterminé derrière le canon de son pistolet, Jem Walker, ses yeux grands et effrayés, son doigt tremblant sur la gâchette de son arme, Steve Walker, les mains en avant et le regard presque fou de confiance… et puis finalement lui, Kieren, cheveux d'or brûlé dans un triste rayon de soleil, la bouche barbouillée de noir et le teint marbré de veines trop sombres.

Kieren.

Oh, comme il t'était facile de rejeter tout doute, de croire en ton entreprise insensée, quand ton esprit s'appliquait à ne pas conjurer l'image de celui que tu devais sacrifier ! À présent qu'il est devant toi ton souffle est court et tes lèvres sont sèches, et le poids du présent s'écrase sur ta poitrine comme les kilos de terre dont tu t'es extirpé il y a déjà si longtemps…

Tu ne t'es jamais senti plus alerte, plus conscient de la peur qui fait gronder les rangs de la foule, de la tension qui crépite dans l'air, de la force irradiante qui émane de Kieren, ton Kieren, enragé et abusé mais encore battant, encore invincible, ses phalanges blanches crispées contre le manteau de son père tandis qu'il lutte de toutes ses forces contre le pouvoir corrupteur du Blue Oblivion.

Mais quelqu'un va tirer, tu peux le sentir.

Quelqu'un va tirer et une balle va siffler et la pensée que cette balle puisse atteindre sa cible, puisse se lover dans le front pâle de Kieren et éteindre à jamais son impossible flamme, te glace les sangs.

Ton cœur inerte n'a jamais été aussi vivant ni aussi proche de la mort.

Ce n'est pas la foi, ou une quelconque fidélité pour ta cause, qui projette ta tête en arrière pour assommer Gary, car à cet instant, la Cause et le Prophète et le destin de tes frères n'existent plus ; seule reste la terreur viscérale, absolue, que Kieren s'effondre sans vie sous tes yeux, son corps rigide et abandonné pour toujours.

L'arrière de ton crâne heurte le visage de Gary avec un bruit à la fois écœurant et insignifiant, ce dernier s'effondre comme une masse, et tu t'élances en avant. Tu fuses, tu voles, tu n'as jamais couru aussi vite de ta vie, et quand tu tacles Kieren, trois choses se passent simultanément : un coup de feu retentit, claquant et agressif, dans l'air piquant ; vous plongez tous deux vers le sol, comme au ralenti, et son corps est collé contre le tien, mais qui a tiré, qui est touché ? ; et tu te retrouves totalement impuissant, abandonné dans les mains d'un Dieu que tu n'as jamais supplié plus humblement.

Je vous en prie, laissez-le vivre.

...

J'espère que ça t'a plu, n'hésite pas à laisser derrière toi une petite review si c'est le cas. ;)

Le second chapitre sera publié bientôt, alors si tu veux continuer cette aventure avec moi, clique follow !

Quant à moi, je te souhaite une excellente fin de week-end ! ^^