CHAPITRE 1 Rebelle
" Princesse Emma ! Princesse Emma ! S'il vous plaît attendez moi."
Le souffle court l'homme d'une quarantaine d'années traînait son encombrant embonpoint derrière sa princesse rebelle. Depuis maintenant six mois qu'il avait été mis à son service comme chambellan il ne cessait de se heurter au tempérament enflammé de la jeune héritière. Le regard fixé sur le dos de cette dernière il ne pouvait s'empêcher de penser que cette crinière dorée digne des plus douces demoiselles aurait dû avoir une autre teinte. Un roux ardent ou un noir ténébreux, n'importe quoi qui mette en garde contre la personnalité explosive de la jeune Dame.
" Princesse, je vous en prie. Vous savez pertinemment que j'agis sous les ordres de la Reine. "
À ces mots le dos devant lui ne fit que se tendre davantage et sa foulée s'allongea encore pleine d'une détermination renforcée. Quand il avait pris son poste c'était avec un entrain joyeux et confiant. Outre les avantages immédiats qu'il y gagnait, cette fonction qui le plaçait au cœur du quotidien de la princesse pouvait être le tremplin pour un avenir glorieux. En effet il n'était pas rare qu'un lien de confiance se crée et qu'une fois sur le trône le nouveau souverain choisisse de promouvoir ce confident à la charge de Conseiller ou mieux de ministre. Évidemment Markus Lukas avait rapidement déchanté et il avait dû depuis renoncer définitivement à ce doux espoir. Il n'avait pas cru aux rumeurs et mal lui en avait prit. La délicate princesse qu'il avait imaginé avait laissé place à la furie qu'il poursuivait actuellement dans les couloirs du Château Blanc le cœur au bord des lèvres. Comment le peuple pouvait-il se tromper à ce point sur la nature de leur future dirigeante ? Était ce les poèmes mensongers que déclamaient les troubadours en son honneur, ou les pièces de théâtre trompeuses que les saltimbanques montaient à la moindre occasion ? Ou les statues d'elle la montrant en jupe dans une pose humble les bras sagement croisée devant elle? Une posture humble ! Quelle imposture !
Il faillit la percuter quand la jeune femme s'arrêta brusquement, lui faisant prendre alors conscience de son environnement. Ils se trouvaient devant une petite porte de service menant à la cour les séparant des écuries. Messire Lukas resta un moment ébahi. Cette harpie sortie tout droit de ses pires cauchemars l'avait forcé à traverser tout le château au pas de course et en un temps record. Il recula prudemment quand elle lui fit soudain face le visage fermé mais les yeux étincelants d'une rage à peine contenue.
- Non, non et non Lukas ! Vous ne me ferez pas mettre cette chose, en aucune façon, grinça-t-elle
- Mais Madame votre Mère...tenta-t-il
- Madame ma Mère va devoir renoncer à ses idées absurdes. Je ne me plierai pas à son petit jeu. Je ne me ridiculiserai pas en publique avec cette...cette...
- Robe Princesse
- Ne vous foutez pas de moi, déjà que ce soit une robe ce n'est pas anodin ! Mais rose Lukas ! Et je ne vous parle pas des fanfreluches stupides ni de ce décolleté digne d'une catin !
- Princesse... supplia-t-il désespéré.
- Non Lukas et c'est non négociable. J'ai accepté d'aller à ce bal dans une tenue que ma mère jugeait décente, quoique du coup je me pose des questions sur son idée de décence. Mais j'ai mes limites Lukas, tonna-t-elle, je porterai mes couleurs et avec sobriété.
- Mais gris et bordeau Princesse..
- Et alors ?
- Nous sommes dans le château Blanc, dans le royaume Blanc, gouverné par Blanche-Neige…
- Pas ma faute si le noir et violet était déjà pris, rétorqua-t-elle avant de le planter la bouche béante.
Profitant de son choc passager Emma prit la poudre d'escampette. Cette énième dispute avec son Chambellan ne rimait à rien. Elle connaissait sa mère par cœur et se doutait qu'elle voudrait prendre les choses en mains jusqu'au bout. Heureusement la jeune femme avait déjà pris ses dispositions de son côté commandant une robe plus à son goût que ce que Snow voudrait lui imposer. Elle n'avait juste pas imaginer une telle horreur... L'amas de mousseline rose bonbon qui occupait les trois quarts de son lit quand elle avait fini ses ablutions l'avait mise dans une colère incoercible. Comment la femme qui l'avait mise au monde, qui l'avait vu grandir avait-elle pu penser qu'elle porterait un pareille abomination. Avec ce truc elle aurait eu l'air d'une...d'une petite fille bon sang ! Alors qu'ils étaient censés fêter sa majorité. Ce n'était pas suffisant qu'elle ait dû attendre ses vingt-un contre dix-huit si elle avait été une garçon ? Apparemment pas. Mais ce mélange entre le côté petite fille sage avec le rose et les dentelles et l'aspect aguicheur du décolleté plongeant et du dos à moitié nu… Ça avait été trop pour elle quand elle avait compris les implications d'une telle tenue. Sa mère déclarait ouverte la chasse à la gazelle !
Alors, son cœur cognant dans sa poitrine un mélange de dégoût de rage et de déception l'envahit. Elle avait enfilé avec brusquerie son pantalon en cuir gris anthracite avant de passer une tunique ajustée grise et bordeau s'évasant sur les cuisses. Elle noua sa tunique avec une gestuelle brusque tout en marmonnant sur les milles et une ingérences de la si parfaite Souveraine Blanche. La vérité c'est que la reine avait une vision bien à elle du monde, faite d'éclat de lune, de Véritable Amour et de fin heureuse et elle s'attendait à ce que le monde s'y conforme. Et dans ce monde parfait de conte de fée les jolies et gentilles princesses portaient des robes roses pastelles, jouaient de la harpe en récitant des poèmes et surtout restaient bien gentiment à leur place au coin de la cheminée pour ne gêner personne. Bien sur sa folle jeunesse à elle ne comptait pas puisque la pauvre, pauvre Snow avait dû fuir la vindicte d'une belle-mère sanguinaire, l'horrible Méchante Reine dont le nom lui même avait été effacé des annales depuis sa mystérieuse disparition vingt ans plus tôt. Alors comme le répétait ad nauseaum la sage Souveraine oui elle avait dû vivre d'incroyables aventures à crapahuter dans la forêt l'arc au poing mais cela avait été surtout des années d'horreur et de peur. Sans parler du poids de toutes ces vies perdues afin de la protéger. Elle en avait gardé une volonté farouche de retrouver l'époque bénie de son enfance ou tout du moins la version idéalisée qu'elle s'en était forgée.
Au fil des années, leurs divergences se faisant de plus en plus sentir, son père lui avait expliqué tout ça,lui demandant de s'armer de patience, qu'un jour sa mère verrait quelle merveilleuse jeune fille elle était. Car oui, dans son monde rêvée Snow n'avait pas vraiment compté sur son garçon manqué de fille. Toute petite déjà à peine habillée d'une robe à froufrous elle s'enfuyait à toutes jambes dans les quartiers des serviteurs. Elle y dérobait pantalon et chemise dans les uniformes des pages et des gardes indifféremment. Elle passait ensuite ses journées à éviter sa mère sous l'œil curieux du personnel qui avait rapidement appris à ne pas se mêler au conflit mère/fille. Évidemment les activités aussi avaient été un sujet de discorde. Emma avait parfois l'impression que sa mère avait planifié sa vie dès sa naissance et sûrement jusqu'à sa mort. Elle prendrait des cours de maintien et de bonnes manières, apprendrait à jouer de la harpe et à chanter d'une voix qui ne pourrait qu'être mélodieuse. Elle danserait avec grâce prenant des leçons des meilleurs.
Tant pis si Emma rêvait de chevaucher dans le vent ou d'apprendre à défendre son peuple à la pointe de son épée. Tant pis si la jeune femme voulait connaître le monde qui l'entourait, son histoire tout autant que l'équilibre des pouvoirs actuel. La princesse était une femme d'action elle l'avait toujours été et ça ça ne cadrait vraiment pas avec les projets de Madame sa Mère. Alors elles s'étaient affrontée avec Charming comme arbitre récalcitrant. Il les avaient obligé à des compromis mais les tensions restaient tenaces.
Emma soupira longuement en arrivant devant le box de son meilleur ami. Le hongre ayant sentit son humeur se mit à piaffer d'impatience, s'il connaissait bien sa maîtresse, et il l'a connaissait parfaitement, elle allait le faire galoper librement à travers la lande. Elle avait besoin de se défouler et lui aussi depuis des jours qu'ils n'avaient pu dépasser les prairies.
La blonde s'empara de son matériel et passant de l'autre côté de la barrière commença à brosser le magnifique cheval gris pour le débarrasser de toute poussière. Ses gestes mécaniques milles fois répétés et que d'autres laissaient volontier aux palefreniers lui apportaient un début de sérénité. C'était son rituel, avec la poussière elle se débarrassait de ses propres préoccupations pour se concentrer sur l'animal. Une fois impeccable elle positionna d'abord le tapis puis la selle avant de fixer méticuleusement chacune des attaches, elle finit par le bridon dont elle déposa les rênes sur l'encolure. Gris et bordeau, encore, c'était une manière bien peu subtile et ô combien puéril de défier sa mère mais c'était devenu plus fort qu'elle. La jeune femme en devenait mesquine elle le savait et ça aussi ça l'agaçait prodigieusement. Emma n'avait pas l'impression d'être si exigeante pourtant, Elle voulait simplement être elle même sans avoir à se soucier de ressembler à un stéréotype insipide. Elle soupira encore une fois, sa colère n'était décidément pas retombée. Elle avait besoin d'évasion.
Elle mena Tempête par la bride dans la cours principale avant de prendre le chemin de la ville de la même manière. Son rang lui permettait de chevaucher librement en ville mais si la pratique en avait été réduite c'était bien pour les dangers qu'elle faisait courir au peuple. Hors de question qu'elle mette qui que ce soit en danger pour d'éviter quinze minutes de marche. Elle croisa sans vraiment les voir les promeneurs matinaux et répondit machinalement aux saluts qui lui étaient adressés. Emma n'avait plus qu'une chose en tête enfourcher Tempête et cavaler après un semblant de liberté. Ce soir elle se présenterait au bal et jouerait son rôle mais pour l'instant le ne demandait qu'un peu de paix. Alors quand elle pu enfin faire face à un horizon dégagé la jeune princesse abandonna derrière elle, banquet, projet maternelle, et même le plan qu'elle avait élaboré pour y échapper. Ne resta plus qu'une jeune demoiselle anonyme et sa monture intrépide.
Libre !
*
Derrière une épaisse porte en chêne millénaire renforcée de délicates arabesques de fer forgé, des éclats de voix se faisaient entendre. Les deux gardes de factions échangèrent un regard entendu, le couple royal était encore en train de parler de leur fille, unique sujet de dispute. Ils savaient que dans ces cas là ils devaient se faire les plus petits possible et ne laisser personne approcher à portée d'oreille, pour tous les Charming devaient rester étroitement unis.
À l'intérieur du bureau Blanche-Neige faisait les cents pas vitupérant contre l'ingratitude de sa fille indocile. Alors qu'elle avait tout préparer avec minutie, allant jusqu'à envoyer des échantillons de la robe sélectionnée à certains des meilleurs prétendant pour qu'ils puissent s'accorder, voilà qu'elle apprenait par le Chambellan de sa fille que celle-ci s'était enfuie le mord aux dents non sans avoir catégoriquement refusé le choix de la Reine. Pourquoi Emma s'obstinait à s'opposer à ce qui était le mieux pour elle ? Il lui fallait un prince c'était évident, seule elle ne pourrait jamais tenir le royaume contre une noblesse capricieuse. Et pour ça il fallait bien qu'elle accepte de jouer le jeu de la féminité.
- Tout ça c'est de ta faute, s'en prit elle à son époux à défaut d'autre cible. Si tu ne l'avais pas encouragée dans ses lubies, si tu m'avais un peu plus soutenu on ne se retrouverait pas avec une princesse ingérable.
- Mon amour… tenta-t-il de l'amadouer.
- Non tu sais que j'ai raison ! Aucun prince n'épousera une rebelle qui se bat mieux que lui !
- Je l'ai bien fait moi!
Elle le fixa, un instant attendrie en se remémorant leur jeunesse tumultueuse. Et puis elle se rappela des nuits humides à se pelotonner pour essayer de trouver un peu de chaleur, cachée dans un fourré. Non sa fille méritait mieux que ça, elle n'avait nul besoin de se battre.
- Les temps ont changé, répondit-elle à la place. Elle n'a pas à être une reine guerrière, juste à être là plus belle du royaume.
David contempla tristement son épouse. À se braquer ainsi elle allait finir par pousser leur fille à bout. Il se demanda brièvement s'il devait prévenir sa femme des dernières recherches effectuées par Emma avant d'y renoncer. Après tout si Blanche-Neige refusait d'ouvrir les yeux sur leur enfant il se pourrait que la jeune femme ait agi avec clairvoyance. Las, l'homme s'installa plus confortablement, la diatribe de sa femme pouvait être longue.
Ô mon petit Cygne j'espère que tu trouveras ta voie.
