Wolf's Heart
Prologue
Les derniers rayons du soleil s'étaient éclipsés derrière l'horizon. Désormais, les ténèbres pouvaient s'étendre à leur gré dans les profondeurs de la forêt. Leurs épais feuillages obstruaient le ciel qui commençait à s'illuminer de mille petites lumières étoilées. Ces arbres si bienveillants le jour, paraissant plus que terrifiants dans la noirceur de la nuit. Leur tronc et leurs branches semblaient difformes et menaçants dans cette pénombre peu rassurante. Et comme pour amplifier cette atmosphère angoissante, le vent s'insinuait dans les bois comme un hurlement.
Dans ce paysage dantesque où aucune vie ne semblait persister, une enfant se trouvait là. Les mains contre sa poitrine, la fillette s'aventurait d'un pas peu assuré dans cet univers noir. Seul ses cheveux d'un blond pur et illuminés par le petit croissant de lune, paraissait être la seule présence de clarté dans la forêt.
Plus l'obscurité s'étendait, plus la température baissait. Frissonnant de froid, la petite fille réprimait ses larmes depuis quelques minutes. La panique la dévorait à petit feu. Ayant voulu aller se promener dans la forêt, la fillette s'était laissée rattraper par le temps. Et avant même qu'elle ne s'en rende compte, la nuit était tombée, effaçant ainsi son chemin de retour vers sa maison. Perdue et presque aveugle dans ces ténèbres, l'enfant ne savait pas quelle direction elle devait prendre.
Ravalant difficilement sa salive, la gamine sentit les tremblements envahir son frêle et petit corps. Il fallait absolument qu'elle rentre chez elle, sinon ses parents allaient être morts d'inquiétude. Si elle voulait avancer le plus rapidement possible, la petite blonde devait éviter de lever son regard sur les effrayants arbres qui l'entouraient. Ce n'était pas des monstres, mais la fillette ne pouvait pas s'empêcher de laisser cette imagination enfantine envahir son esprit.
Soudain, un bruit se fit entendre derrière la blonde. Se retournant brutalement, cette dernière ne vit rien mis à part les mêmes ombres non-identifiables. De toute manière, comment pouvait-elle voir dans la noirceur de la nuit ? Mais cela n'empêcha pas la gamine de se sentir observée. Il y avait une présence non loin d'elle. Et pour une raison qu'elle ne connaissait pas, cette dernière sembla menaçante.
A ce moment-là, la fillette se rappela des rumeurs qu'elle avait souvent entendues au village. Surtout de celle qui disait que des loups rôdaient dans cette forêt le soir. Complètement affolée, son instinct lui intimait de prendre la fuite et ce fut ce qu'elle fit. Courant à l'aveuglette, la petite blonde partit dans la direction opposée de là où elle avait perçu du bruit. Était-ce le vent ou une créature ? Elle n'avait pas réellement envie de découvrir la réponse.
Dans sa course précipitée, une ronce légèrement redressée lui fit obstacle en attrapant son pied. Perdant l'équilibre, la fille s'écrasa sur le sol, s'écorchant certainement les genoux au passage. Des bruits de pas hâtifs se rapprochèrent de la fuyarde. Ce n'était pas les mouvements d'un homme, mais d'une créature à quatre pattes, si elle pouvait en croire son audition. Et si elle se concentrait encore plus, elle pouvait même entendre les grondements sourds d'une respiration avide et sauvage.
La peur paralysa la petite fille qui n'arrivait même plus à se relever. La panique étrangla sa gorge telle une main meurtrière. Ne pouvant plus tenir, la gamine éclata en sanglot. Ce n'était vraiment pas le moment et elle le savais. Mais c'était plus fort qu'elle ! Impossible de restreindre ce flot d'angoisse et de terreur.
- Claire ?
Cet appel fut comme une épée divine qui pourfendait les ténèbres. Relevant la tête, le visage baigné de larmes, la dénommée Claire découvrit avec surprise et soulagement une personne familière. Accroupie juste devant elle, une fillette aux cheveux aussi sombre que la nuit la dévisageait. Les mains sur ses genoux, la nouvelle venue pencha légèrement la tête en haussant des sourcils.
- Bah alors ? reprit-elle d'un ton calme et rassurant. Qu'est-ce que tu fais ici, championne ?
- Fang... articula difficilement la blonde entre deux sanglots.
Enveloppant son visage entre ses mains pour s'essuyer un peu, Claire tenta de reprendre un semblant de tranquillité. Fang regarda autour d'elles sans ajouter un mot. A ce moment-là, la petite blonde se rendit compte que la présence qui l'avait poursuivie jusque là, s'était évaporée. Était-ce son imagination ?
- Laisse-moi deviner, tu as voulu aller te promener et à force de rêvasser, tu n'as pas vu la nuit tomber, constata la noiraude avec un petit sourire moqueur. Te voilà perdue maintenant !
Sa gorge étant encore trop nouée, Claire ne réussit pas à émettre un seul son. Alors, comme seule réponse, elle se dut se contenter de hocher la tête. Se mordant les lèvres, elle sentait à nouveau les pleurs la menacer.
Fang se releva brutalement, provoquant un sursaut chez son amie. Puis, se penchant légèrement vers cette dernière, elle lui tendit une main chaleureuse :
- Tu me fais confiance, Claire ?
Sans la moindre hésitation, la petite blonde attrapa la main de Fang qui l'aida à se remettre sur ses pieds. Puis, sans se lâcher, les deux fillettes partirent tranquillement. Claire suivait sa guide sans la moindre protestation. Celle-ci semblait savoir où elle allait et aussi surprenant que cela puisse être, la noiraude arrivait toujours à l'avertir des obstacles invisibles à sa vue. Très étrangement, Fang paraissait être dans son élément. Sa seule présence permit à Claire de se calmer.
Après quelques minutes de marche, les lumières du village apparurent au loin. Le cœur de Claire palpita de joie. Elle avait cru ne jamais pouvoir rentrer chez elle. Mais à peine les deux filles avaient-elles atteint la sortie de la forêt que trois adultes s'étaient précipitamment dirigés vers elles. Une femme s'avança hâtivement vers Claire qu'elle prit dans ses bras. Le souffle en panique, elle sera son enfant aussi fort qu'elle le pouvait sans pour autant l'étouffer.
- Oh, Seigneur ! cria-t-elle avec soulagement. Tu n'as rien, mon bébé ?
La blonde se contenta simplement de secouer la tête. Les émotions l'empêchaient une nouvelle fois de communiquer oralement. Elle se laissa simplement bercer par la chaleur de sa génitrice. Les battements du cœur de cette dernière étaient si apaisants.
Les deux hommes se rapprochèrent. Fang reconnut son père ainsi que celui de son amie. Le géniteur de Claire se rapprocha de sa petite famille. Contrairement à sa femme, ce dernier était en colère et fronçait sévèrement des sourcils.
- Mais où étais-tu donc, Claire ? As-tu vu l'heure qu'il est ? Combien de fois t'ai-je dit de ne pas...
- John, je te trouve bien sévère, intervint le père de la noiraude d'un ton doux. Je pense que la petite a déjà été assez punie.
- Des gamines de quatre et six ans ne devraient pas se retrouver dans une forêt la nuit !
Se rapprochant des deux adultes, Fang attrapa le pantalon de son paternel afin d'attirer son attention. Lorsque les deux hommes la scrutèrent avec curiosité, elle annonça :
- C'est ma faute. Je voulais montrer quelque chose à Claire dans la forêt et je n'ai pas vu le temps passer.
- Fang... soupira John en secouant la tête. Je sais parfaitement que tu cherches à couvrir Claire. Enfin, elle est saine et sauve, c'est tout ce qui compte.
John tapota amicalement l'épaule du père de la noiraude. L'inquiétude dissipée, sa colère n'avait plus aucune raison d'être. Mais malgré son calme, son visage paraissait toujours aussi emprunt de froideur, c'était naturel chez lui. Prenant une grande inspiration, il reprit :
- En tout cas, Fargas, je dois remercier ta fille d'avoir ramené la mienne. Il se fait tard, nous en reparlerons demain.
Sur ces mots, la famille Farron s'éloignèrent gentiment. Une fois ses amis éloignés, Fargas se tourna vers sa fille avec un léger haussement d'épaule. Cette dernière grimaça avant de rendre un grand sourire à son paternel. L'homme s'accroupit afin d'avoir son visage au même niveau que celui de son enfant. Contrairement à John, le père de la noiraude avait un visage doux et amical. Mais Fang ne se laissa pas avoir par cette apparence trompeuse. Elle savait que derrière ce masque ce cachait un terrible prédateur.
- Que s'est-il passé, jeune fille ? demanda Fargas en fixant droit dans les yeux de sa progéniture.
- Claire s'est perdue dans la forêt, expliqua Fang en croisant ses bras. Je suis simplement allée la chercher.
- Intéressant... Et comment l'as-tu retrouvée ?
- J'ai suivi son odeur.
Son père rit gentiment avant de lui frotter la tête avec tendresse. Ce contact ravie la jeune fille qui frotta sa joue contre cette main rugueuse, mais si chaleureuse.
- Tu as réussi à pister une proie sans métamorphose ? reprit Fargas avec une pointe de fierté dans la voix. Je suis impressionné. Et Claire ne se doute de rien ?
- Elle était bien trop apeurée pour se rendre compte que je pouvais voir dans le noir, père, répondit Fang avec un moue boudeuse comme si on avait remis ses compétence en question.
- En tout cas, tu as bien fait ce soir. Viens, rentrons au chaud. Je suis sûr que tu meurs de faim.
Le sourire aux lèvres, la noiraude suivit docilement son géniteur vers leur foyer. Son père avait deviné juste son estomac criait famine. Mais ce qui ravit le plus Fang, était le fait qu'elle avait pu secourir son amie.
Le lendemain, assise au bord de la petite rivière qui coulait près du village, Claire trempait gentiment ses pieds. Ses pensées se remémoraient les sermons que son père lui avait assénés le soir d'avant. Il était évident pour la fillette qu'elle n'allait pas retourner seule dans la forêt de si tôt. Mais quelque chose n'arrêta pas de la hanter depuis son excursion nocturne dans les bois. L'étrange présence menaçante qu'elle avait ressentie. Rien qu'en y repensant, la blonde frissonna de terreur. Pourtant, Claire ne pouvait pas s'empêcher d'apprécier la forêt. Elle était comme envoûtée et adorait s'y promener.
Soudain, de l'eau froide lui éclaboussa la figure. Puis, un rire joyeux éclata dans ses oreilles. Claire cligna plusieurs fois des paupières avant de comprendre ce qui venait de se produire devant elle. Fang riait à se tordre en deux. Cette dernière s'était intentionnellement jetée dans la rivière dans le but de tremper sa camarade.
En colère, la petite blonde chercha un instant, tout autour d'elle. Puis, finalement, elle trouva un rocher assez gros qu'elle pouvait porter. Attrapant la pierre qu'elle souleva au-dessus de sa tête, elle se tourna vers la noiraude qui se recula brutalement en ouvrant grands ses yeux.
- Oh ! Oh ! hoqueta-t-elle en tendant ses mains vers l'avant. Hé, doucement avec ça !
Alors que Claire allait lancer son projectile, le poids de ce dernier sembla plus lourd que prévu. Perdant l'équilibre, elle s'écroula dans l'eau sans même pouvoir faire quoique ce soit. L'eau lui envahit une nouvelle fois le visage. Elle faillit même boire la tasse. Mais ce qui surprit Claire fut qu'en un temps éclair, Fang s'était retrouvée devant elle. D'une main, elle maintenait la roche qui en y repensant bien, serait retombée sur la blonde.
La peur était exprimée sur les traits si particuliers du visage de Fang. Mais cette dernière l'effaça immédiatement en reprenant un air malicieux. Le sourire aux coins des lèvres, elle haussa les sourcils avec arrogance. La gêne s'empara de Claire qui rougit furieusement.
- Elle m'a glissée des doigts, argumenta-t-elle en croisant les bras.
- Ce que tu peux être têtue, rétorqua la noiraude avec amusement avant de jeter la pierre dans l'eau un peu plus loin. Je parie que hier soir, tu as dû faire pareil. Genre : ''Mais non, je ne vais pas me perdre et je vais rentrer avant la nuit !''
Claire dévisagea un instant son amie. Fang était une fille si forte et si sûre d'elle. Secrètement, la blonde ne pouvait s'empêcher de l'admirer. Que donnerait-elle pour avoir l'assurance et le courage de cette dernière. La noiraude volait toujours à son secours et ce, depuis toujours. La petite Farron aurait bien souhaité échanger les rôles, rien que pour une fois. Mais ce n'était pas gagné d'avance ! Contrairement à Fang, elle était loin d'être forte. Elle avait peur du noir et pleurait à la moindre occasion.
A nouveau, la noiraude se pencha vers sa camarade et lui tendit sa main. La nuit d'avant, Claire avait accepté cette aide sans la moindre hésitation. Mais aujourd'hui c'était différent. Méfiante, elle dévisagea un instant celle qui s'était auto-proclamée être sa protectrice. Face à cette réaction, Fang grimaça légèrement comme vexée.
- Non, pas de coup bas, promis, ajouta-t-elle avec un grand sourire. Tu me fais confiance ?
Lâchant un grand soupir, Claire accepta finalement l'offre. Elle n'avouerait jamais à son amie toute la confiance qu'elle portait pour cette dernière et encore moins, son admiration. Une fois sur pieds, sans même crier gare, elle se jeta sur la noiraude. Toutes deux retombèrent dans l'eau et les éclats de rire explosèrent joyeusement.
Ravie de voir la blonde sourire, Fang reprit :
- Ça y est ! T'as arrêté de tirer la tête ?
- Ce n'est pas toi qui t'es faite gronder pendant une heure hier soir, rétorqua Claire en faisant la moue.
- Fallait pas aller se promener seule non plus...
- Je voulais voir les fleurs lunaires !
Fang dévisagea un instant son interlocutrice. Puis, deux minutes après, elle pouffa de rire. Interloquée, Claire fronça des sourcils. Qu'avait-elle dit de si drôle ?
Voyant l'air renfrogné de son amie, la noiraude s'empressa de s'expliquer :
- Les fleurs lunaires n'éclosent que les soirs de pleine lune, championne.
- Je ne pouvais pas savoir !
- D'accord, ne te fâche pas ! rit Fang en regardant sa camarde. Bon, si tu me promets de ne plus partir toute seule dans la forêt, je te promets de t'emmener un jour voir les fleurs lunaires.
- Promis ? répondit Claire sans cacher son excitation.
- Je n'ai qu'une parole, termina la noiraude qui tendit son petit doigt en direction de la blonde.
Cette dernière y accrocha sans la moindre hésitation le sien, scellant ainsi leur promesse. Le sourire aux lèvres, Claire semblait être aux anges alors qu'elle ne se trouvait même pas encore devant ces fameuses fleurs. A cet instant, Fang sentit son cœur de réchauffer et se disait qu'elle ferait tout pour rendre son amie heureuse. Oui, elle la protègerait contre vent et marée s'il le fallait.
- Alors, ta petite sœur va bientôt arriver ? reprit la noiraude en sortant de l'eau.
Heureusement pour elles, ils faisaient beau et chaud aujourd'hui. Elles allaient pouvoir sécher au soleil. Mais les cheveux mouillés, ce n'était pas un problème pour Fang car elle les avait courts. Pour Claire, c'était une tout autre paire de manches. La fillette possédait une longue chevelure blonde qui lui descendait jusqu'au bas du dos. Celle-ci tentait d'ailleurs, de les essorer un tant soit peu.
- Maman dit qu'elle va arriver du jour au lendemain, déclara fièrement Claire en redressant le menton. Elle va s'appeler Serah ! J'ai hâte de la voir !
- C'est un joli prénom, concéda Fang. Tu devras bien t'en occuper, hein ?
- Aussi bien que toi, tu t'occupes de moi ?
- T'as tout compris.
Claire sourit. Voilà une bonne façon de montrer ses preuves désormais. Elle se promit intérieurement de protéger sa future petite sœur contre le monde entier. Oh que oui, la blonde choiera sa cadette, il n'y avait pas de doute là-dessus.
Entendant les hurlements de sa mère, Claire sursauta. Ces cris l'avaient extirpée de son sommeil. Surprise, mais surtout curieuse, elle voulait aller voir ce qui se passait. Rapidement, elle bondit hors de son lit avant de se faufiler hors de sa chambre. Heureusement, ses parents se trouvaient dans la pièce juste à côté. Elle n'aura donc pas besoin de faire un long trajet dans le noir.
Arrivée devant la porte de ses géniteurs, la blonde vit sa mère couchée dans le lit tandis que son père était assis sur le bord. Tenant la main de sa femme, John semblait inquiet et excité à la fois. Puis, soudain, il remarqua la présence de sa fille.
- Claire ? hoqueta-t-il en se levant vers elle. Retourne immédiatement dans ta chambre.
- Mais... qu'est-ce qu'elle a, maman ? demanda Claire avec inquiétude. Elle a mal ?
- Ce n'est pas le moment, Claire... Ta mère...
Soudain, de grandes mains se posèrent sur les épaules de la fillette. Se retournant, elle croisa le regard émeraude qui était si semblable à celui de Fang. C'était Fargas. Le sourire aux lèvres, ce dernier s'accroupit devant la gamine.
- Tout va bien, déclara-t-il calmement. Ta petite sœur arrive, Claire. Mais en attendant, tu dois laisser les adultes faire ce qu'ils ont à faire.
- Tu as fait vite, Fargas, commenta John qui retourna près de sa femme.
- Tu croyais vraiment que j'allais rater l'accouchement de la fille de mon meilleur ami ? rit le père de Fang qui se tourna à nouveau vers la fillette. J'ai amené Fang avec moi. Et si tu allais la rejoindre bien sagement, hein ?
Claire acquiesça non sans sentir son cœur de pincer. Apparemment, c'était quelque chose que seuls les grandes personnes pouvaient faire. Elle n'avait donc pas d'autre choix que de quitter la pièce. Lorsqu'elle sortit de la chambre, elle croisa un autre homme qui entra dans la pièce à son tour. C'était le médecin du village. La blonde le savait parfaitement car ce monsieur avait été là quand elle avait eu une grosse montée de fièvre.
Retournant dans sa chambre, Claire découvrit sans grande surprise que Fang était assise sur son lit. Gentiment, cette dernière tapota le matelas pour inviter la propriétaire des lieux à s'installer à ses côtés.
- On va attendre bien sagement que Serah arrive, déclara joyeusement la noiraude.
- Cela fait-il toujours aussi mal ? demanda Claire en s'installant près de son amie. Maman a l'air d'avoir si mal...
Sentant l'angoisse de la blonde, Fang la serra dans ses bras. Sa camarade ne rechigna pas contre ce contact, bien au contraire, elle en avait l'habitude. La jeune Yun comme la plupart des villageois d'ailleurs, était très tactile. Les relations physiques purement amicales étaient monnaies courantes.
Dans cette étreinte rassurante, Claire y trouva assez de réconfort pour tenter d'oublier les hurlements de sa mère. Lentement, la noiraude lui caressa ses cheveux comme pour la bercer. Fang ne le montrait peut-être pas, mais elle aussi, avait peur. D'une certaine manière, elle pouvait ressentir la douleur et les angoisses qui émanaient de la pièce d'à côté. Mais cela, elle préférait le garder pour elle. Tout ce qui comptait pour l'instant, était d'apaiser la future grande sœur.
Subitement, les hurlements de la femme cessèrent. Mais ils furent immédiatement suivis par les cris de désespoir d'un homme. Reconnaissant la voix de son père, Claire sursauta furieusement. Bondissant hors de son lit, elle sentit une angoisse la prendre au ventre. Lorsqu'elle atteignit la porte de sa chambre, les pleurs d'un bébé lui parvinrent aux oreilles.
- Ne la laissa pas venir, Fang ! ordonna Fargas qui se trouvait encore dans la chambre d'accouchement.
Sans même comprendre quoique ce soit, des bras s'entourèrent autour de la taille de la blonde. Puis, elle fut tirée à nouveau dans sa propre chambre. Malgré ses débattements, Claire n'arrivait pas à se libérer. Paniquée, elle se mit à crier et à sangloter.
- Lâche-moi, Fang ! hurla-t-elle comme si elle savait parfaitement que quelque chose de terrible venait de se produire.
Elle ne pouvait pas dire comment, ni pourquoi, mais au fond de son être, elle sentit un vide. Claire avait l'affreuse impression d'avoir perdu quelque chose d'important, une partie de son être. C'était comme si quelque chose s'était brisée dans son âme.
Resserrant l'étreinte, Fang se mordit la lèvres inférieure. La détresse de son amie la frappait comme des coups de griffes sur sa peau. Au bord des larmes elle aussi, elle tenta de calmer avec peine la petite blonde. La noiraude sentit que ses jambes allaient fléchir, mais elle ne pouvait pas se le permettre. Elle devait rester forte, surtout au moment où Claire aurait le plus besoin d'elle. C'est-à-dire, maintenant !
- Je t'en prie, supplia Fang d'une voix enrouée. Calme-toi... Calme-toi, Claire...
Intérieurement, la noiraude entendait des glapissements dans son âme. Une colère protectrice réclamant l'apaisement de Claire. Et dans un excès de rage, cette entité hulula en faisant écho dans l'esprit de Fang. Ce frisson parcourut tout le corps de cette dernière d'une manière inédite. La poussant à vouloir hurler à son tour, mais elle se retint. Dans un moment d'égarement, la jeune Yun tourna le regard vers un miroir. Ce qu'elle vit la stupéfia. Ses yeux d'un vert feuille étaient devenus vert radioactif, brillant avec intensité dans cette sombre pièce. Le regard d'un prédateur... Sa louve venait de se réveiller...
Fang... Sois forte, ma fille... Restreins ta bête ! Ramène-la dans sa cage !
Cette voix était celle de son père. Mais Fang ne comprit pas comment elle avait pu entendre son géniteur alors que celui-ci n'avait pas parlé. Regardant tout autour d'elle comme pour chercher quelque chose, cette dernière se sentit perdue. Tous ses sens étaient en éveille, décuplés. Cet amas de sensations la submergea violemment.
Puis, la noiraude sentit sa peau lui picoter légèrement. Les petits tiraillements devinrent des brûlèrent sur sa chair. La première métamorphose... Ravalant ses cris de douleurs, Fang enfonça son visage dans le cou de Claire. L'odeur de cette dernière lui emplirent les narines. Cette senteur si familière de la peau de la blonde ajouté à un parfum de rose... Si apaisante...
C'est bien, ma fille, je suis fière de toi. Tu ne cesseras jamais de m'impressionner !
Elle n'y était pour rien. C'était Claire qui avait calmé la bête par nul ne sait, quel miracle. Fang scruta discrètement le miroir. Ses yeux étaient de nouveau de la même couleur qu'un émeraude. Se sentant extrêmement épuisée, la noiraude relâcha doucement son étreinte. Heureusement, son amie s'était calmée. Se tournant vers elle, Claire sanglota dans les bras de Fang.
- Arrête de pleurnicher, ricana Fang en croisant ses bras. Tu veux que je me souvienne de toi avec des yeux rouges et un nez qui coule ?
- Mais je ne veux pas partir ! gronda Claire en s'essuyant le visage.
- Je ne veux pas non plus que tu partes...
Quelques jours après la mort de sa femme, John Farron avait décidé de quitter le village. Dans l'état physique et mentale où il se trouvait, le père de famille avait peur de ne pas pouvoir s'occuper de ses deux filles, ses deux derniers trésors. Ce fut pourquoi, il décida de retourner vivre auprès de sa famille. Même si leur relation n'était pas des meilleurs, John avait choisi ce qu'il pensait être le mieux pour Claire et Serah.
Tenant la petite dernière dans ses bras, monsieur Farron avait déjà fini de charger la voiture. Tout était enfin prêt pour le départ. Il échangea donc quelques mots avec son meilleur ami, Fargas. Ce dernier était attristé de voir celui qu'il considérait comme un frère partir.
Un faible sourire sur les lèvres, Fang embrassa la joue de son amie. Elle aurait voulu pleurer, mais ce n'était pas son genre d'être aussi vulnérable. Et de toute manière, Claire pleurnichait pour deux. Cette dernière fouilla hâtivement dans ses poches et sortit un objet qu'elle tendit à son amie.
- C'est un collier que maman m'avait fait, déclara-t-elle en le posant dans la main de la noiraude. Il est trop grand pour moi. Mais toi, tu es plus grande que moi. Peut-être tu pourras le porter ?
- C'est un cadeau de ta mère, je ne peux pas... rétorqua Fang un peu mal à l'aise.
- Garde-le...
Lâchant un soupir, la noiraude ne pouvait que céder. Prenant le collier devant ses yeux, Fang scruta le pendentif. C'était un cristal en forme de prisme où pendait une petite boule métallique au bout. Tout ceci était accroché à un fil ni trop fin, ni trop épais.
- Merci, répondit Fang en serrant le présent contre son cœur. Prends bien soin de toi et occupe-toi bien de Serah, championne !
- Compte sur moi, assura Claire qui avait enfin réussi à calmer ses sanglots. Je ferais tout pour protéger Serah !
