La nuit était belle et la lune brillait haut dans le ciel. Seule une douce brise faisait frémir les feuilles des arbres dans le calme de cette belle nuit d'été. Doucement, une silhouette avançait sur l'herbe qui bordait les allées de gravier blanc, en silence. Il savait parfaitement où se rendre. Allée 42, près d'un sycomore centenaire. Encore quelques mètres à faire, malgré lui, il ralentit son pas. Il appréhendait cet instant.
L'immense arbre se dressait devant lui. Il s'approcha lentement, posa sa main sur le tronc craquelé et ferma les yeux un instant. Puis, après avoir pris une profonde inspiration, il avança de nouveau. La stèle d'albâtre semblait briller sous les rayons de la lune.
Bonsoir… J'espère que tu ne m'en veux pas si je ne suis pas venu plus tôt. Ne crois surtout pas que je ne voulais pas.
En fait tu as raison, je ne voulais pas. Je ne peux décidément rien te cacher. Mais aujourd'hui, c'est différent. Je devais être là. Je le devais… pour toi, pour moi, pour nous…
Il marqua une pause, la gorge nouée. Une larme se mit à couler le long de sa joue et vint s'écraser sur le col de son lourd manteau de laine qu'il supportait malgré la chaleur estivale. Il ne l'avait plus quitté depuis un an, il avait l'impression d'y sentir encore son odeur.
L'éternité n'a plus la même saveur depuis qu'ils t'ont enlevé à moi. Je… J'aurais…
Il vacilla légèrement et se rattrapa sur le rebord de la stèle. Il s'agenouilla. Au loin, une plainte stridente s'éleva.
Tu lui manques aussi tu sais. Oui, elle passe tous les soirs sans exception. Elle a dû trouver un endroit où se nicher à l'abri des regards pas loin d'ici. Je ne l'ai même pas encore découvert. Oui, j'ai du chocolat dans ma poche. Tiens, je t'ai apporté ça. J'espère que tu apprécieras. Je sais qu'il ne sera jamais aussi bon que le tiens mais j'ai fait ce que j'ai pu.
Il déposa ce qu'il tenait dans la main. Il fixa l'inscription de la stèle du regard et se mit à caresser tendrement les lettres gravées.
Tu n'aurais jamais dû venir avec moi, j'ai été égoïste. Et si, j'aurais pu t'en empêcher, ne dis pas le contraire ! J'aurais…
Il laissa tomber sa tête en avant, serrant son poing sur sa jambe gauche.
J'aurais dû te répondre, te dire que je t'aimais. Je n'aurais pas dû te laisser partir comme ça. Tu avais peur, tu avais mal et je ne t'ai pas répondu. Alors… Je te le dis ce soir : Je t'aime, tu me complétais en tout point, tu étais l'équilibre qui manquait à mon existence, l'ancre qui me rattachait à ce monde. Maintenant, je vogue sans attache, je fuis cet univers qui m'a tout pris. Je…
Un courant d'air le fit légèrement bouger. Une autre silhouette, massive, s'était posée à proximité.
Ah, tu es là toi. Je sais… Tiens, attrape ça.
Il resta encore là un instant, sans parler. On n'entendait plus que le bruit de sa lente respiration. Il était de nouveau seul avec sa peine. A l'horizon, on pouvait voir le ciel se parer d'orange. Le jour allait se lever.
Je dois y aller. Je ne veux croiser personne et je sais qu'elle viendra aujourd'hui. Alors, au revoir mon amour, au revoir. Que ta longue nuit te soit aussi douce que mes jours me sont durs. Pour toujours et à jamais.
Il se pencha, posa délicatement ses lèvres sur la pierre, se releva et disparut dans la pénombre.
Lorsque le gardien prit son service, il fut étonné de trouver quelques miettes d'aluminium et une tasse de café froid.
Adieu Ianto.
