Petite introduction nécessaire:

Cette fiction en 4 chapitres est totalement indépendante de la série et des personnages. Elle contient certaines scènes qui peuvent choquer les plus jeunes, mais rien de quoi fouetter un chat si vous regardez déjà la série.
Cela me semble évident mais je préfère quand même préciser que les propos et discours religieux tenus dans cette fiction ne sont que ça: de la fiction. Je n'adhère à aucun des points de vue du personnage principal :)

Enfin, un merci chaleureux à Juste D qui a accepté de corriger et de me donner son avis sur ce texte. Et un merci d'avance à tout ceux qui jugeront utile de laisser un commentaire pour donner leur avis :)

Sur ce, je me tais et vous laisse lire,

Saphi'


Livre I

Ce n'est pas sa faute, se plaît-elle à répéter en boucle. Ce n'est pas sa faute.

Ça, c'est la faute des autres, des tueurs, des violeurs, des sodomites, des menteurs, de tous ces faux prophètes, des ambitieux, des vaniteux, des pervers, de tous ceux qui idolâtrent l'argent et de tous ceux qui se sont détournés de la vérité.

Ce n'est pas sa faute à elle. Ce n'est pas la faute de sa communauté, de ses enfants ou de son mari. Eux n'ont rien fait. Rien du tout.

Elle sait, elle.

Elle sait qu'elle est quelqu'un de bien. Quelqu'un dont elle peut être fier.

Oui, Adèle Carson n'a jamais rien fait de mal.

Elle n'a jamais menti, jamais offensé qui que ce soit, hormis ceux qui l'ont mérité.

Elle prie tous les matins pour le salut de son âme, mais elle n'oublie jamais de prier pour ceux qui ne le font pas. Pour ceux qui ne le veulent pas. Pas question qu'ils fassent payer aux bonnes gens leurs erreurs.

Elle s'occupe de ses enfants, de son mari. Sa maison est toujours propre, elle respire la joie et le respect. Ils n'ont que ce dont ils ont vraiment besoin, rien de plus. Ils vivent dans le bonheur, le bonheur divin, parce qu'ils sont en accord avec leurs convictions.

Adèle sait qu'elle n'a jamais offensé les Cieux.

Elle se signe dès qu'elle passe devant une croix, elle se signe dès qu'elle voit une de ces émissions, entend une de ces chansons ou lit un de ces livres qui ne sont que des signes de la déchéance de l'Homme.

Elle essaie tout le temps de racheter les pêchés de ceux qui n'en ont plus la force.

Elle va à l'église tous les jours. Elle écoute ce que le prophète a à dire, elle ne part jamais avant.

Elle reste là, elle s'abreuve de sa bonne parole, de celle que lui soufflent les Cieux, et s'en nourrit.

Elle essaie de sauver tout le monde.

Tous les soirs, après sa journée à la maison, elle va distribuer des tracts avec son mari, s'exposant à la brutalité du monde, à la brutalité des gens pour leur montrer le droit chemin. Pour les sauver, eux et leurs âmes.

Adèle est un être charitable.

Et ce n'est pas sa faute.

Rien de tout ça n'est de sa faute.

Un cri aigu, transperçant, parvient à ses oreilles, et elle espère en cet instant que quelque chose lui vienne en aide. Elle ne peut pas supporter ça. Pour faire taire ces cris, pour essayer de se maintenir dans la vérité, elle se met à déclamer une série de phrases qu'elle a apprises par cœur :

- Et ce sera la plaie dont l'Éternel frappera tous les peuples qui font la guerre contre Jérusalem: Leur chair tombera en pourriture tandis qu'ils sont encore debout sur leurs pieds, leurs yeux seront pourriture dans leurs orbites, et leur langue pourrira dans leur bouche. 1

Le prêtre priera pour lui et pour son pêché devant le Seigneur, et il rentrera en grâce devant le Seigneur, et son pêché lui sera pardonné. 2

Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. 3

Elle continue à réciter, alors que, tout juste de l'autre côté de la fenêtre qui la sépare de la rue, une femme se fait violemment mordre par un homme, défigurée, hurlant alors qu'une partie de sa chair se fait arracher de son cou, que du sang éclate, gicle, éclabousse de partout.

Que sa vie la quitte.

Elle continue alors que, non loin, une voiture s'écrase contre un arbre et prend feu alors que les pleurs d'un enfant prisonnier à l'intérieur retentissent ; alors qu'un père, désespéré, tente vainement d'ouvrir la portière passager pour aider sa progéniture à sortir. Sachant, d'une certaine manière, qu'il n'y arrivera pas. Essayant quand même.

Elle continue alors que la porte de sa chambre s'ouvre et que deux silhouettes pénètrent dans la pièce mal éclairée. Celles-ci s'avancent puis l'une d'elle dit :

- Maman ! Maman faut qu'on y aille !

Mais elle n'écoute pas.

Elle ne peut pas.

Elle prie.

Elle prie pour ses enfants.

- Maman, s'il te plaît ! Bouge-toi ! Ils vont rentrer !

Elle sent des mains saisir ses aisselles et la tirer sur ses pieds.

Des bras forts.

Ceux de Joseph.

Joseph.

Son grand garçon, qui devient un homme.

Il la fait pivoter et tout de suite, ses yeux sont dans les siens, bleu contre gris, ceux de son père, différents des siens, et il lit dans son esprit, il sait ce qu'elle pense et elle sait.

Elle sait ce qu'il pense.

La Foi contre le Rationnel.

La Dévotion contre le Cartésien.

Elle voit les lèvres pleines de son fils bouger, mais il faut un long moment, un instant divin, avant que le son n'atteigne ses oreilles.

- Maman ! On doit y aller !

Et c'est comme si son fils a enfin réussi à percer la bulle de prière dans laquelle elle s'est réfugiée.

Comme s'il s'est enfin intercalé entre elle et Dieu tout-puissant, comme s'il a légèrement, un bref instant, éclipsé l'intense lumière qu'elle reçoit du Seigneur.

Enfin, l'amour éclatant qu'elle ressent pour ses enfants remplace l'auréole divine qu'elle cherche à approcher.

Elle cligne des yeux et tout à coup, tout semble plus réel, plus présent.

Les odeurs, d'essence, de terre, de sang et ce goût, ce goût métallique qui colle à son palais, et qui ne veut plus s'en aller.

Les sons, les cris et les hurlements. Les grognements et les essoufflements, la poussière qui descend doucement sur la route comme de la cendre, des bouts d'hommes et de femmes, de la suie et de la fumée dans un tourbillon au-dessus de la route.

Elle remarque plusieurs choses coup sur coup, comme si elle vient de se réveiller et que tout ce qui est autour d'elle est nouveau, comme si elle redécouvre le monde : ses enfants, qui semblent avoir tant grandis, le regard sombre, les cheveux attachés et serrés et les sacs qu'ils portent, qui sont pleins à craquer, comme s'ils allaient quelque part.

Mais où ?

Où ses enfants veulent-ils aller ?

- Maman ! Tu es là ? Allez viens, j'ai trouvé une voiture vide.

C'est sa fille.

Aneth.

Sa douce fille, sa Myriam à elle, celle dont elle est la plus fière, celle qui est la préférée du prophète et celle qui aurait dû faire un beau mariage, le plus beau de la communauté.

Le pourrait-elle à présent ?

Impossible.

Le Néant.

L'Enfer sur Terre.

Malédiction.

Punition.

Celui qui vaincra héritera ces choses; je serai son Dieu, et il sera mon fils. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort. 4

Sa douce enfant la prend par la main, comme Dieu la prendra par la main le moment venu, et elle suit le mouvement, docile, comme on le lui a toujours enseigné.

Elle suit, elle file le long du couloir, elle dit au revoir à sa maison et à sa vie, à tout jamais. Condamnée à l'exode.

Comme tant d'autres dans l'Histoire du monde.

Comme le seigneur Jésus-Christ.

La fin de la maison.

La porte.

L'éblouissante lumière et l'éblouissant Dieu qui la regarde de là-haut.

Elle tient son chapelet, il brûle dans sa main, présence divine. Il lui donne du courage. Ce souffle de vie qui lui permet de ne pas s'effondrer et qui lui permet de survivre. Elle marche, elle court, elle avance à l'aveugle, et c'est sa progéniture qui la sauve des griffes du Mal. Elle touche la dureté métallique d'une voiture, la portière s'ouvre, et le cuir, le plastique, et la vitesse.

Elle peut à peine penser, mais dans le nuage de son esprit lui vient cette illumination, message d'en haut.

- Et le prophète ? Il faut l'aider !

- On ne peut rien pour lui.

Elle ne sait pas qui parle.

Mais elle n'aime pas cette voix dénuée de chaleur et de peur, cette voix sobre et impersonnelle, cette voix si peu humaine.

Elle ne comprend pas.

- On a besoin de lui ! J'ai besoin de lui, comment pourrais-je faire, sinon ?

- Il est mort Maman ! On doit partir.

La voiture démarre et le bruit et l'odeur de l'essence qui se répandent autour d'elle, l'enveloppent dans un océan de mensonges.

Ne pouvant plus supporter ça, ne pouvant plus se voir condamnée à une mort éternelle, Adèle se laisse choir et ferme les yeux, permettant à l'ombre bienveillante de l'entourer et de la happer toute entière.

Et elle s'évanouit.


1 Zacharie 14:12

2 Lévitique

3 Matthieu 6 :12

4 Apocalypse 21 :7