Le passé revient quand on l'attend le moins

La neige tombait à flots sur les contrées du Milieu en ce mois de décembre, recouvrant tout sur son passage : maisons, routes et mêmes les lacs qui étaient gelés. Les chemins de terre qui parcouraient les forêts avaient disparu sous les flacons, et se déplacer était devenu vraiment malaisé.

Richard poussa un juron en sentant sa monture glisser encore une fois sur le sol verglacé. Cela faisait près d'une heure qu'il tentait en vain de rejoindre la maison où lui, Zedd et Kahlan avaient trouvé refuge la veille. Ses habitants les y avaient accueillis avec joie lorsque le groupe était venu frapper à leur porte, frigorifié le Seeker et les siens ne comptaient rester que quelques heures seulement, ne voulant pas leur attirer d'ennuis : Darken Rahl s'en prenait en effet toujours aux personnes les accueillant, les persécutant de sa fureur, et Richard n'avait aune envie d'attirer les soldats de D'Haran. Aussi lui et ses amis s'étaient-ils seulement présentés comme des voyageurs égarés, qui cherchaient refuge pour la nuit, et avaient-ils gardé secrète leur véritable identité. La famille les avait accepté sans poser de questions : pour elle, ils n'étaient que trois inconnus tremblant de froid qui se rendaient à Brennidon pour y fêter le solstice d'hiver en famille. Le groupe s'était donc assis autour de la table, avant de déguster un bon repas chaud, privilège dont ils étaient privés depuis plusieurs jours. Puis tous s'étaient couchés, sombrant dans le sommeil du juste.

Ce matin, Richard avait été parmi les premiers à se réveiller, et ce dès l'aube : une habitude qu'il tenait de l'époque où il n'était alors que simple bûcheron, et qu'il avait conservée depuis. Le jeune homme s'était habillé chaudement, avant de sortir voir si la neige s'était calmée avec un certain soulagement, il avait constaté que le ciel était déjà plus clair que la veille, et que le froid semblait un peu moins aigu. Le groupe pourrait bientôt repartir.

« Déjà levé ? »

Richard sursauta violemment avant de se retourner, la main sur son pommeau... et se de retrouver nez à nez avec le père de famille. La surprise se lut dans les yeux de celui-ci devant la réaction du voyageur.

« Désolé, grimaça ce dernier.

- Tu m'as l'air assez tendu, constata Alvar.

- Je... l'habitude, on fait souvent de mauvaises rencontres sur les chemins.

- Exact. Tu m'as l'air bien matinal ? »

Le sourcier eut un sourire :

« J'ai l'habitude de me lever tôt.

- Saine habitude !, rit son interlocuteur. Je ne pense pas que tu ais mangé ? »

Le ventre de Richard grouillonna soudain de façon fort peu discrète, arrachant une grimace à son propriétaire.

« Oh mais tu m'as l'air affamé ! Allez viens te restaurer, tu auras tout le temps de profiter du calme après. »

Les deux hommes rentrèrent dans la maison, et purent constater que tout le monde ou presque s'était levé entretemps.

« Bonjour», leur sourit la femme d'Alvar.

Richard lui sourit poliment, tandis que son mari allait l'embrasser. Le jeune homme chercha des yeux les siens, déjà assis autour de la table : Zedd semblait comme à son habitude affamé, faisant lever les yeux au ciel à Kahlan qui adressa à son ami un grand sourire, faisant manquer un battement de cœur à ce dernier. L'inquisitrice était vêtue comme à son habitude de sa robe verte prune de voyage, et avait recouvert ses épaules d'une chaude cape de fourrure. Ses longs cheveux noirs bouclés étaient remontés en un long chignon d'où s'échappaient seulement quelques mèches qui retombaient en grappes sur son visage, lui conférant une expression mutine qui manqua de faire perdre la tête à Richard. Son cœur se mit à battre violemment, ses sentiments pour la jeune femme devenaient de plus en plus difficiles chaque jour à contrôler, et il savait qu'elle ressentait la même chose. Secouant la tête pour oublier ces tristes pensées, il vint s'asseoir sur le long banc de bois et attaqua avec joie la soupe à la tortue concoctée par la cuisinière.

« Ch'est délichieux ! », s'exclama-t-il, se pourléchant les lèvres avec délice.

La femme eut un sourire de remerciement.

« Merci, mais vous savez c'est bien peu.

- Peu importe, s'exclama le sorcier à coté de Kahlan, vous êtes vraiment très douée Maria ! »

Leur camarade hocha la tête avec frénésie. Maria ne leur répondit pas, les yeux soudainement rivés sur quelque chose derrière eux. Se retournant, ils virent qu'elle fixait un de ses fils, toujours couché.

« Quelque chose ne va pas ?,», s'inquiéta le jeune sourcier.

« Il ne s'est toujours pas réveillé.. », murmura sa mère pour elle-même. « Pourtant cela fait des heures qu'il dort... »

Son mari blêmit et se précipita vers son enfant. S'agenouillant, il posa sa main sur son front brûlant.

« Oh mon dieu ! Il est bouillant de fièvre ! Le froid a dû l'attaquer cette nuit.»

Les autres se précipitèrent vers eux, se levant brusquement de table. Zedd s'accroupit et posa à son tour sa main sur le visage en sueur du garçonnet.

«Il est très malade, murmura-t-il sombrement. Il a besoin de soins immédiats.

«Mais... comment ? Balbutia Alvar. On est à des heures du premier village ! Et je ne suis même pas certain qu'on y trouvera un guérisseur !»

Le silence tomba dans la maisonnée, bientôt rompu par les pleurs de la petite sœur du malade. Sa mère se précipita vers elle pour la réconforter, la serrant dans ses bras.

« J'veux pas que Dean soit malade !, sanglota la petite.

« Ne t'inquiète pas ma chérie on va le guérir je te le promets...

«Mais papa il dit qu'on peut pas !

« Je... »

La femme secoua la tête, ne sachant que répondre. Une immense détresse se lisait sur son visage et celui d'Alvar. Richard tourna la tête vers Zedd, et le regarda fixement. Celui-ci sentit son regard et tourna les yeux vers lui.

« Zedd... »

Ce dernier comprit immédiatement ce à quoi son jeune ami pensait.

«Je ne peux rien faire sans les plantes nécessaires, soupira le vieil homme.

«Si c'est le problème, alors dites-moi où on peut en trouver et j'irai les chercher !,s'exclama le garçon en se relevant.

« Je.. »

Zedd fut interrompu par Kahlan.

«Richard tu es fou ! Tu ne peux pas aller au village !

«Je n'ai pas le choix ! Dean a besoin de soins !

« Mais si on te recon...»

La jeune femme s'interrompit d'elle-même, mais il était trop tard, le sourcier et Zedd la fusillaient du regard. Alvar et Maria les fixaient, la bouche grande ouverte, ne comprenant strictement rien à la discussion, excepté que leurs visiteurs n'étaient pas si innocents qu'ils semblaient le dire. Alvar se souvint soudain de la réaction pour le moins surprenante de Richard quelques minutes plus tôt. Celle-ci le devenait néanmoins beaucoup moins s'il était un fugitif... Ses yeux se plissèrent. Le bûcheron fut le premier à rompre le silence glacé qui était tombé.

«Si on le QUOI ?»

Richard ferma les yeux.

«Qui êtes-vous !?, s'exclama l'homme en faisant reculer sa famille. Que nous cachez-vous ?

«Alvar, calmez-vous, murmura Zedd. On ne vous veut pas de mal, d'accord ? Si notre but avait été de vous détrousser on l'aurait fait cette nuit et on se serait enfuis »

Leur hôte dut reconnaître la véracité des propos du sorcier. Néanmoins, cela ne calma en rien sa peur et sa colère.

« Je veux savoir la vérité ! Je vous ai accueilli sous mon toit, j'ai le droit de savoir qui vous êtes !

« Des gens qui veulent vous aider à sauver votre fils, lui répondit doucement Kahlan.

« Ayez confiance en nous !, dit Richard. On ne vous fera rien de mal, au contraire. Notre ami peut guérir Dean, mais à la condition d'avoir certaines plantes. Et il faut que l'on sache où les trouver. Ensuite, dit-il d'une voix ferme, j'irai les chercher.»

Il avait parlé d'un ton qui n'admettait aucun refus, fixant Kahlan de ses yeux noirs. La jeune femme soupira et hocha lentement la tête, mais son expression criait 'Prudeeeeeeeeeeeeence ! ». Zedd se leva, et l'entraînant à l'écart, lui murmura les noms des plantes dont il avait besoin.

«Ma magie suffira à l'apaiser quelques temps, mais sans elles je ne pourrai rien de plus. »

Son interlocuteur lui fit signe qu'il les avait retenues, puis se tournant vers Alvar, lui demanda :

«Quel est le village le plus proche ?

« Cougstone, balbutia l'homme, mais.. c'est à des heures d'ici ?

« Avez-vous une monture ? J'irai plus vite avec. »

Alvar ne répondit pas. Richard comprit qu'il n'avait plus assez confiance en lui. Soupirant, il s'approcha et posa la main sur son épaule, le faisant sursauter et reculer précipitamment. La peine se lut dans les yeux du garçon.

«Alvar. Je me doute que vous n'avez plus confiance en nous, et votre peur est normale, mais il va vous falloir accepter de nous aider, sinon Dean ne pourra PAS être guéri. »

Il avait insisté volontairement sur la négation, comme pour lui faire comprendre l'urgence de la situation. Le père de l'enfant le fixa en silence, toujours hésitant c'est alors qu'une petite voix s'éleva :

« Papa écoute le monsieur, il dit qu'il peut aider Dean et moi je le crois. »

Les adultes sursautèrent, avant de se tourner vers la petite sœur du malade qui s'était approchée et les fixait de ses grands yeux. Kahlan eut un doux sourire envers l'enfant qui le lui rendit. Cet échange sembla en partie convaincre Maria qui fixa son mari. Celui-ci obtempéra :

« Un cheval, dans la grange. Mais le village est éloigné, vous... tu n'y seras pas avant un certain temps, et cette neige ne va pas aider.

« Raison de plus pour partir immédiatement », rétorqua son invité en enfilant sa cape et ses gants, avant de sortir à l'extérieur préparer sa monture.