VOYAGES AU BOUT DU MONDE, VERS SOI... VERS L'AUTRE

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Londres, Mercredi 7 Avril 2010

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" Bonjour, je suis William Darcy... "

La réceptionniste détourna les yeux de son écran pour les porter sur le post-it collé sur la page du jour de l'agenda.

" J'ai rendez-vous avec... "

Elle releva les yeux sur lui, et lui sourit chaleureusement.

" Oui oui. Installez-vous dans un des fauteuils derrière vous, elle a un peu de retard. " S'excusa-t-elle tout en lui indiquant du doigt les trois grands canapés en cuir gris de la salle d'attente, et décrochant de l'autre main le téléphone qui se manifestait sur son bureau.

" Elder Hospital, bonjour? "

Lui retournant poliment son sourire, William la laissa à sa conversation, tourna son attention vers les sièges et alla s'installer dans celui duquel il pouvait le mieux suivre les allers venus.

Il n'était pas pressé. Il avait même tout son temps. L'article qu'il devait écrire et photographier, couvrant la visite à Londres d'un illustre joaillier Anversois, avait été annulé le matin même. Gabe Ister, l'un de ses collègues, venait de se faire licencier pour faute professionnelle sur l'un de ses documentaires et Jack MacFinson lui confiait l'un des plus importants dossiers qu'il s'apprêtait à finaliser. Et c'est imperturbé par ce changement d'emploi du temps qu'il remplaçait Monsieur Ister au pied levé et se présentait à ce rendez-vous, sans avoir eu le temps de prendre connaissance des notes, des questions et des informations nécessaires qu'il avait réunies avant son départ. Assis, dos à l'unique source de lumière naturelle du hall d'accueil, il observait le contraste saisissant entre la chaleur du mobilier en chêne naturel, loin des courbes froides et laquées noires et blanches du mobilier design dont les plus grosses sociétés raffolaient, et la froideur que le silence et l'absence d'agitation dégageaient. À l'exception de la réceptionniste, qui s'agita soudainement en terminant un nouvel appel, les lieux semblaient déserts.

Il l'avait vue, subrepticement, acquiescer énergiquement à ce que son interlocuteur lui demandait, puis assurer que tout serait en ordre et prêt, avant de raccrocher et se précipiter dans une pièce hors de son champ de vision, pour en ressortir quelques minutes plus tard, et traverser l'immense hall d'accueil, en poussant une desserte de verres et de différentes boissons, jusqu'à la grande salle de réunion, en face de lui.

La blonde quadragénaire revint rapidement reprendre sa place derrière son grand bureau, et le silence s'installa de nouveau.

Dix minutes s'écoulèrent avant que le grand hall du dernier étage voit une nouvelle âme en effleurer le sol.

Avant même d'en voir la silhouette, le bruit de ses talons sur le sol en grès gris foncé annonçait sa présence et son arrivée. Il pouvait déjà prédire qu'elle venait, avec détermination, dans sa direction. Le cliquetis s'amplifia jusqu'à ce que l'image vienne accompagner le son régulier qui avait supplanté la voix de l'hôtesse. Des escarpins noirs, à talons aiguilles indécents, habillés d'une jeune femme aux longues jambes, fuselées dans une jupe rouge s'arrêtant juste en dessous du genou, et à la taille fine, mise en avant par une veste noire soulignée d'une ceinture accordée au ton de la jupe crayon. La jeune femme marqua un arrêt, le regarda et afficha un sourire de bureau, inconsciente du regard qu'il posait sur la longue chevelure rousse qui venait accentuer son allure et son élégance sophistiquées.

Hé bien! La façon dont elle est parvenue à se hisser à la tête de cet hôpital ne fait aucun doute! Se renfrogna-t-il.

" Monsieur Darcy ?... "

Il inclina faiblement la tête, soudainement incertain de ne pas avoir d'objection à prendre en charge le dossier que l'urgence de la situation l'avait convaincu d'accepter.

" Vous pouvez avancer... Le bureau au fond du couloir... " L'invita-t-elle en plongeant ses yeux verts dans son regard azur.

Machinalement, et sans lui rendre son sourire, il suivit son geste du regard jusqu'à ce qu'il voit le couloir sur sa gauche.

" On vient s'occuper de vous tout de suite. "

On ?

William cligna des yeux d'étonnement.

Il allait l'interroger lorsqu'il réalisa qu'elle avait déjà disparu, poursuivant son chemin, du même pas vif qui avait précédé son bref arrêt, dans la direction opposée à celle qu'elle lui avait indiquée.

Il fronça les sourcils et ramassa son sac avant de se lever, jeta un regard dans la direction qu'elle venait de prendre, puis voyant qu'elle ne se retournerait pas en jeta un autre vers la réceptionniste qui, plongée dans une nouvelle conversation téléphonique tout en pianotant pressement sur le clavier de son ordinateur, ne lui prêtait aucune attention. Dans un soupir il remonta le couloir qu'on venait de lui indiquer, dépassa deux bureaux avant de s'arrêter brièvement devant le bureau inoccupé de l'assistante, d'arriver à la dernière porte laissée grande ouverte, et de franchir le seuil d'un pas hésitant.

De part et d'autre de la pièce traversante, de grandes baies vitrées remplaçaient les murs. Le regard de William fut d'abord attiré sur sa droite par le grand bureau et la bibliothèque en chêne blanchi, la vieille architecture de Saint-Mary-le-Bow, édifiée entre deux bâtiments modernes, détonnant, à l'arrière plan, depuis l'autre côté de la rue. Du côté opposé, la vue donnait sur Russia Row et le septième, et dernier étage, de l'un des plus gros groupe bancaire allemand. Des canapés et des fauteuils en cuir taupe autour d'une table basse, du même bois que le bureau, contrastaient avec la blancheur des murs et du plafond.

S'installant dans l'un des sièges faisant face au bureau, il observa plus en détails le décors autour de lui, à la recherche de quelques éléments trahissant la personnalité de celle avec qui il avait rendez-vous. Seul élément qui lui paraissait venir personnaliser la pièce, un immense cadre, était suspendu sur un mur, au dessus du plus grand canapé. Sur un agrandissement en noir et blanc, un jeune homme européen avait été immortalisé, souriant et embrassant sur la joue une femme plus âgée dont les traits physiques et les vêtements témoignaient de son appartenance à un peuple autochtone d'Amérique du Sud.

" Basculez-moi l'appel, Sarah. "

William sursauta à la voix féminine qui venait de crier depuis le couloir.

Sans avoir le temps de se retourner vers l'entrée du bureau pour l'identifier, il vit la jeune femme contourner précipitamment le bureau, les bras chargés de dossiers.

Vétue d'un sweat loose noir, à manches courtes et large encolure bateau, d'un jean, et de converses blanches, la femme, aux cheveux bruns charbonneux et aux yeux noisettes, qui faisait irruption, jurait avec le reste de la pièce et du personnel qu'il avait entraperçu.

Elle pourrait mieux choisir ses assistantes. Pensa-t-il. Ou pour le moins imposer un code vestimentaire... Même aux stagiaires.

Sans prêter attention à l'environnement qu'elle connaissait par coeur, Elizabeth Bennet se rua sur son bureau pour décrocher le téléphone et appuya sur la touche main libre.

" Oui Jane? Demanda-t-elle avant de laisser tomber dans un bruit sourd la pile de dossiers qui manquait de lui échapper.

- Ha tu es rentrée... J'ai appelé chez toi et sur ton téléphone portable sans parvenir à te joindre! Je commençais à m'inquiéter.

- J'arrive à l'instant de l'aéroport. Je ne suis pas encore passée à mon appartement. Répondit-elle en se débarrassant du sac qu'elle portait en bandoulière et qui lui glissait de l'épaule.

- Tu as fait bon voyage? Tu as obtenu ce que tu voulais? "

Avec urgence, Elizabeth se précipita sur le tiroir de son bureau et, tout en répondant à son interlocutrice, y chercha un document en particulier. Sortant, analysant et y replaçant certains papiers.

" Oui tout s'est bien passé. Il m'a retenue plus longtemps que je ne l'aurais souhaité mais je ne suis pas revenue les mains vides.

- Dis-moi que tu seras des nôtres ce soir? "

S'arrêtant net, et laissant sa tâche en suspend, elle réfléchit à toute vitesse puis, ne parvenant pas à mettre le doigt sur ce qu'elle avait de toute évidence oublié, fronça les sourcils et finit par la questionner d'une voix à peine audible.

" Qu'y-a-t-il ce soir?

- Soirée mensuelle entre filles. Boissons, danse et beaux garçons... " Lui répondit Jane d'un ton faussement vexé.

Elizabeth se frotta le visage et soupira en reprenant ses recherches.

" Tu nous as fait faux bon le mois dernier. Lui rapella son aînée. Tu ne peux pas y échapper aujourd'hui! "

- Jane! Attends deux minutes, j'ai un appel sur mon portable. " Lui demanda-t-elle en attrapant et fouillant le fond de son sac.

" Monsieur Bingley, que puis-je pour vous? Répondit-elle, un grand sourire aux lèvres.

- J'ai essayé de te joindre plusieurs fois ce matin.

- J'allais te rappeler, je n'ai pas encore pu écouter mes messages. " Expliqua-t-elle en survolant un document et en l'agitant devant elle avec une expression victorieuse sur le visage.

Le précieux document à la main et le sourire aux lèvres, elle sursauta et stoppa brusquement la rotation de son fauteuil, face à son bureau, lorsque ses yeux percutèrent la silhouette de l'homme qui avait de plus en plus de difficultés à attendre patiemment.

Ce doit être mon rendez-vous de 9h... Se souvint-elle en le dévisageant. Le reporter qui va couvrir l'expédition. Et je suis en retard! Râla-t-elle. Je déteste ça!

Perdue dans ses réflexions et son observation du journaliste, elle ne sut comment elle était parvenue à saisir ce que le chef de service de pédiatrie du Elder Hospital lui disait. De l'autre côté de la communication, Charles Bingley l'informait du problème que le laboratoire pharmaceutique rencontrait sur l'un des lots de médicaments qu'il devait préparer pour être acheminé, quelques jours plus tard, avec la quinzaine de médecins bénévoles de la Elder Foundation.

Prenant conscience du regard désapprobateur que William lui adressait, elle sortit de ses pensées et d'un signe de la tête lui fit comprendre qu'elle se dépêchait de conclure son appel.

J'ai l'impression de déranger, non?... Je dérange, elle regarde sa montre... Elle est peu discrète avec cela... Et ses yeux! On a pas idée d'avoir un regard pareil! Elle cherche à me tuer?

" Jane, je suis désolée, j'ai Charles en ligne pour une urgence.

- Sors ta plus belle robe de soirée et tes chaussures à talons... et sois prête pour 19h.

- Je ferai mon possible. Souffla Elizabeth en grimaçant, avant de raccrocher et de se concentrer sur l'autre conversation. Charles, un instant... "

Elle appuya sur une des touches du téléphone sur son bureau, tout en faisant patienter le journaliste en levant son index.

" Sarah, Caroline...

- À la photocopieuse et à la machine à café... " L'informa la réceptionniste.

Sans essayer de contenir son exaspération elle grimaça.

" Hmm... Merci Sarah. Charles...

- Hé bien, elle est vraiment accro à la caféine dis-moi! Rit-il à l'oreille de la Présidente-Directrice Générale du Elder Hospital.

- Elle pense qu'à rester à proximité de la cafetière, George Clooney finira par venir lui servir un volluto... Rétorqua-t-elle avec sarcasme avant de reprendre un ton sérieux. Bon, il est trop tard pour les retrouver. Demande au laboratoire de nous préparer des lots supplémentaires, Caroline veillera à retourner les lots défaillants dès votre arrivée...

- Je les appelle immédiatement... Tu es libre pour déjeuner? "

Un bref coup d'oeil sur son bureau, et Elizabeth laissa paraître le peu d'entrain que lui provoquait la pile qui l'attendait.

" J'ai des rendez-vous toute la journée et une tonne de dossiers à traiter. Mais tu sais bien que je trouve toujours du temps pour toi.

- Je passe nous prendre quelque chose chez le traiteur au coin de la rue et je serai là vers 12h30.

- C'est parfait. "

Elle posa son téléphone sur son dessous de main et leva les yeux sur l'homme assis en face d'elle, se préparant à se confondre en excuses, lorsque Sarah apparut dans l'encadrement de la porte, un plateau de thé et de café dans les mains.

" Merci d'y avoir pensé. L'accueilla-t-elle. Pouvez-vous me scanner ces comptes rendus et les ajouter à l'ordre du jour de la réunion de cet après-midi? "

Les boissons posées sur le bureau, l'hôtesse prit les feuillets qu'elle lui tendait et lui assura que sa demande serait traitée avant la fin de la matinée.

" Monsieur MacFinson a téléphoné. Ajouta-t-elle.

- Et si vous pouviez rappeler à Caroline de diminuer sa consommation de pap... "

Elizabeth s'interrompit jeta rapidement un oeil en direction de William, fronça les sourcils, et interrogea la réceptionniste du regard

" Il y a un changement de dernière minute. Annonça-t-elle impassiblement. Mais, rassurez-vous rien qui nuiera au voyage. Il a tenu à ce que je vous précise qu'on gagnait au change et que le résultat serait davantage que satisfaisant. "

Et profitant de la surprise de sa supérieure, Sarah la gratifia d'un sourire et s'éloigna. Partagée entre soulagement et interrogations, Elizabeth la suivit du regard jusqu'à ce que la porte se referme derrière elle, soupira avec résignation et posa un regard hésitant sur le journaliste.

" Bien... Monsieur Ister, allons-y. "