BULLE DU DESIR
Chapitre 1
Les muscles s'échauffent à monter chaque pilier. Les hommes sont coordonnés entre eux pour finir dans les temps. Les gestes sont automatiques signe de la grande habitude dont ils font les frais. Les visages se crispent lorsqu'il faut tirer sur une corde, les corps suent et la fatigue s'installe doucement. Les hommes hissent les drapeaux, la toile rouge et raccordent les derniers éclairages. De leur côté les femmes installent les chaises dans les loges et le tapis centrale et circulaire rouge plein de poussière. Elles s'adonnent alors à son nettoyage avant d'aller nourrir les animaux. Le camion principal est enfin vide et son contenu monté laissant sur la place éloignée d'un village allemand un chapiteau. Bienvenue au cirque Jörg Kaulitz.
Il n'est que huit heures du matin mais les artistes sont tous sur le qui vive près à entamer leur journée qui ne se terminera que très tard. Les fauves se reposent tandis que leurs deux dompteurs Georg et Gustav astiquent leurs tenues pailletées alliant classe et fantaisie. Une fois leur tâche terminée ils se rendent dans le chapiteau pour aider les autres à terminer le montage des gradins.
Dans le même temps, un père et son fils discutent sur un sujet épineux. La venue d'une nouvelle recrue dans la troupe. Les deux esprits sont en conflits dans le camion à l'entrée du chapiteau, là où les billets seront en vente. Le père n'est autre que Jörg Kaulitz, un homme grand, brun à l'allure affirmée. Son fils, est grand lui aussi, mais blond et dreadé, il s'appelle Tom et vient de souffler ses dix neuf bougies. Monsieur Kaulitz vient de regarder un CV envoyé par un artiste et il est très septique, il ne veut pas l'engager. Il n'y a pas de photo et le numéro proposé est celui d'une femme, or le postulant est un homme. Il trouve cela juste…étrange. Tom trouve à lui répondre :
« Mais voit le au moins, imagine que tu rates une occasion en or de donner à ton cirque un coup de punch, car il faut avouer qu'on en aurait bien besoin. »
« Non Tom, regarde, il fait un numéro qui est habituellement fait par des femmes. Et même s'il est jeune, je suis désolé mais je n'imagine pas un homme faire cela, où serait la grâce ? Et puis il n'y a pas de photo, je n'ai même pas une idée de son physique et tu sais qu'au cirque c'est très important. Je n'ai pas envie d'avoir un rendez-vous avec lui et de perdre mon temps si jamais ça ne va pas du tout.» Renchérit le père.
« Ecoute Papa, t'as pas d'autre CV sur la table là dont la personne habite à proximité du lieu où on se trouve actuellement, on est d'accord ? » Expose Tom.
« Oui mais… »
Le jeune blond coupe la parole à son père et continue :
« Laisse-moi m'expliquer. Oui donc tu n'as pas d'autre postulant, tu n'as pas trop le choix, et pourtant on a encore un numéro en moins, ça fait déjà trois. Un couple qui a eu des jumeaux qui a quitté la troupe et un autre que tu as viré. A ce rythme là on n'aura plus rien à proposer et là tu peux dire adieu à ton cirque Papa. Imagine une seconde que ce type soit une étincelle qui fasse repartir le succès de ton cirque ? Arrête un peu d'être aussi pessimiste et catégorique. Fait le venir cet après midi. Qu'est-ce que tu as à perdre ? »
Le père Kaulitz ne répond rien et se contente de soupirer longuement, dans le fond il sait que son fils à raison.
Tom attend que son paternel réagisse à son raisonnement :
« Alors ? J'ai raison non ? »
« Oui tu as raison et tu le sais. C'est d'accord, je l'appelle tout de suite et je lui dire de passer cet après midi avec son matériel. Je lui laisserai une heure pour tout préparer et me montrer. Mais y'a intérêt que je ne perde pas mon temps sinon… » Dit alors l'homme mais son fils le coupe dans son élan de pessimisme prononcé :
« Papa…Ne soit pas si négatif. Imagine que ce soit la perle rare…Avant tu n'étais pas comme ça, tu baisses les bras trop facilement je trouve, reprends-toi. »
« Excuse-moi Tom, c'est juste que ça me rend triste de voir mon cirque dépérir. » Avoue Monsieur Kaulitz.
« Aller, appelle ce Bill et voit-le cet après midi. Mais je ne pourrai pas être là je dois répéter mon nouveau numéro pour ce soir. » Fini le dreadé avant de sortir du camion pour se diriger vers le chapiteau à présent totalement monté tandis que son père s'empare du téléphone.
« Allo ? » Dit une voix à l'autre bout du fil.
« Oui bonjour, Monsieur Trümper, je suis Jörg Kaulitz, j'ai vu votre CV à l'instant et je voulais vous demander de venir pour un entretien et une démonstration surtout cet après midi. Vous êtes libre ? Si oui je vous attends à quatorze heures piles, nous sommes tout près de chez vous, la ville voisine.» Explique le patron du cirque.
« Oh oui Monsieur Kaulitz, je suis tout à fait libre, je serai là à l'heure.» S'empresse de répondre l'interlocuteur.
Monsieur Kaulitz clôt alors la conversation téléphonique :
« Très bien, alors à cet après-midi Monsieur. »
« Au revoir. » Termine Monsieur Trümper.
[…]
Il est à présent dix huit heures et Bill est reparti avec son camion contenant tout son matériel. Monsieur Kaulitz a le sourire et pour cause. Il a bien fait d'écouter son fils pour une fois car il vient de dénicher la perle rare pour son cirque. Le jeune homme proposant un numéro aquatique vient d'être engagé par le patron du cirque et il commence dès demain. L'homme, heureux d'avoir trouvé un nouveau numéro à proposer au public cherche son fils partout pour le lui annoncer. Le spectacle de ce soir commence seulement dans deux heures et demie.
Au bout de quelques minutes, il trouve enfin son fils, occupé à répéter encore ses mouvements pour son nouveau numéro de jonglage. Il est fier de lui, il est tellement doué et le meilleur à ses yeux. Tom s'arrête en voyant son père et avance vers lui les massues à la main.
« Alors ? Tu l'as vu ce fameux Bill ? » Demande le dreadé immédiatement.
« Oui je l'ai vu, et même admiré. Tu avais raison, il est génial vraiment. Tu le verras demain, il fera partie du spectacle et puis il sera là pour une répétition dans l'après midi.» Répond Mr Kaulitz.
« Génial ! Enfin un nouveau numéro à la hauteur de tes espérances on dirait. J'ai hâte de voir ce type. Il a quel âge déjà ? » Continue Tom.
« Il a dix huit ans. » Achève le père du blond.
Ce dernier fait un signe de tête puis repart répéter avant de dîner tandis que le tenant du cirque retourne vers le camion qui accueille les visiteurs. Dans moins de deux heures les premiers spectateurs arriveront pour acheter les billets restant. Plus de la moitié ont déjà été vendu dans l'après-midi en pré-vente et ça faisait longtemps que ça n'étais pas arrivé. Peut être un signe que le nouveau venu apportera une nouvelle page à l'histoire du cirque.
[…]
L'artiste joue habilement avec les petites balles blanches. Elles passent entre ses mains de façon fluide et s'envolent presque instantanément au contact de ses doigts agiles. Après plusieurs figures, il rattrape toutes les balles entre ses bras et change d'accessoire. A présent il s'affaire avec des anneaux de couleurs. Il le lance toujours plus haut, il enchaîne parfaitement son numéro. A un moment les lumières s'éteignent et l'ont peut remarquer les anneaux voler dans la sombre atmosphère grâce à leur illuminations. Le spectateur est surpris, il est conquis. Les lumières se rallument et le jongleur va bientôt terminer son numéro. Il saisit les massues lisses et argentées puis continue d'enchaîner des mouvements tantôt modérés tantôt rapide. Il commence par jouer avec trois massues, elles s'envolent lentement. Jongler avec trois massues relève de la facilité pour le jeune homme, il se permet donc de regarder un peu le public durant une ou deux secondes à chaque fois. Les personnes assises dans les petites loges autour de la piste du cirque sont parfaitement visibles. Il y découvre des visages d'enfants émerveillés dont les parents sont admiratifs.
Son regard revient vers ses massues pour ne pas perdre le fil et quelques secondes après il s'approche du bord de la piste sur la droite et sourit au public. C'est à ce moment là que tout son corps devient mou et que ses gestes perdent leur agilité. En regardant une demi-seconde la première personne sur laquelle ses yeux se sont posés, son cœur a loupé un battement et il a vu comme un coup au cœur douloureux. Une montée d'adrénaline qui lui a fait perdre le contrôle en un temps infime. Les conséquences ne sont pas gravissimes, mais il vient tout de même de faire tomber une massue.
Tout en gardant son professionnalisme, le jeune jongleur ramasse bien vite l'objet et répare son erreur. Il revient au centre du chapiteau et termine son numéro en beauté avec plus de huit massues entre les mains. Les projecteurs les font briller et elles tournent si vite dans les mains de l'artiste que les spectateurs ont du mal à suivre. La musique s'arrête lorsqu'il rattrape toutes les massues et qu'il salue énergiquement. Il fait un signe de la main sur la gauche, salue de nouveau, puis se tourne vers la droite, avance de deux pas pour saluer mais surtout recroiser ce regard charbonneux qui vient de le faire chavirer.
Son cœur a l'habitude de battre vite lorsqu'il fait son numéro à cause de l'appréhension et du bonheur d'y être, seulement cette fois, il a perdu sa force, son corps ne lui a plus répondu pendant une seconde et il a raté son numéro même si c'était une seule faute. Il l'a raté oui, mais ce soir, ça lui passe au dessus. Il ne pense plus qu'à ce visage si beau, si fin qui l'a envouté en si peu de temps. Des yeux brillants et presque noirs. Un regard magnifique qui a fait éclater sa bulle de concentration.
