Le bateau voguait depuis une semaine sur des flots aux rives désertes, quand la rivière déboucha sur une mer. Une grande mer d'huile. Eragon ouvrit de grans yeux et appela mentalement la dragonne:

"Saphira!

-Oui?

-Tu savais que la mer était si proche?

-...Oui?

-Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé?

-Parce que nous allons la traverser?"

Le dragonnier jeta un regard noir à Saphira.

"Il ne nous reste plus que cela à faire, de toute façon, maugréa-t-il. Les terres que nous avons visitées sont stériles, et trop petites pour accueillir une colonie de dragons et de dragonniers. Mais la mer est une distance considérable pour les futurs dragonniers qui feront la route pour obtenir leurs oeufs et être instruits."

Lupusänghren s'approcha de lui. Il s'accouda à la rambarde, regarda l'horizon et déclara:

"Il nous reste un long chemin à parcourir, Argetlam. Je te propose de nous arrêter sur la côte pour la nuit."

Eragon hocha la tête. Lui aussi avait besoin de repos. Ne fût-ce que pour faire le point.

Le bivouac fut levé en un rien de temps. Eragon, prononçant un simple Brisingr, alluma un feu et les elfes sortirent des instruments ramenés du Du Weldenvarden. Bientôt une douce musique flotta dans les airs. Le dragonnier alla rejoindre Saphira, qui s'était allongée dans l'ombre, loin des flammes crépitantes.

"Nous partirons demain à l'aube, annonça-t-il. Même les elfes ne savent pas quand nous atteindrons l'autre rivage."

Saphira ne répondit pas. Elle le dévisagea quelques instants, avant de détourner son regard vers la mer.

"Nous finiront bien par accoster, de toute façon, continua Eragon. Il n'y a tout de même pas les limites du monde là où nous allons. La terre est ronde."

Il aimait se répéter cette découverte qu'il avait faite lui-même, particulièrement à ce moment. Il voulait se persuader que leur mission n'était pas vaine.

"Il y a une terre, là-bas."

Eragon sursauta. Saphira l'observait à nouveau. Elle continua:

"Les rouleaux de la bibliothèque d'Ellesméra parlaient de terre inexplorées, te souviens-tu? Tu as même proposé de demander de l'aide à leurs populations.

-Mais elles étaient trop éloignées pour répondre à temps. Et elles ont sans doute leurs propres problèmes.

-Sûrement. Mais des peuples, des royaumes et des territoires dans fin nous font face. Je le sais.

-Comment peux-tu en être sûre?

-Tu m'as toujours fait confiance, non?"

Le jeune homme marmonna quelque chose d'incompréhensible en réponse, et s'allongea à son tour, le dos appuyé contre le flanc de la dragonne.

"Bonne nuit, Saphira, murmura-t-il avant de s'abandonner à ses songes.

-Bonne nuit, petit homme."

L'aube arriva, porteuse d'espoir, car ce matin le groupe prenait la mer. Au loin, un nouveau monde les attendait, peut-être un havre de paix pour une future colonie.

Après un dernier adieu à la terre quil'avait vue naître et grandir, Eragon embarqua et le bateau quitta la côte.

"Ce que nous trouverons là-bas, personne ne peut le prévoir, Argetlam, répondit Lupusänghren après que le dragonnier lui eût rapporté les propos de Saphira. Mais les dragons restent des mystères, même après des milliers d'années à les fréquenter, même pour leur personne. Il ne serait pas étonnant que Saphira puisse entrevoir les terres que nous allons découvrir dans son esprit. Comme je te l'ai dit, les dragons recèlent beaucoup de secrets. Nous constaterons que Saphira a vu juste - et j'espère qu'elle a vu juste- quand nous atteindrons une côte inconnue."

Sur ces mots, le bâtiments s'éloignait, porté par le vent d'Ouest. Il ne resta bientôt sur la ligne d'horizon qu'un miniscule point, qui disparut quelques minutes après.