HAND BY HAND
Ça m'aura pris presque deux ans à écrire, mais ça en valait la peine!
Enjoy!
Angie
(1)
Gee courait dans les couloirs déserts du lycée. S'il se dépêchait, il pouvait encore échapper à la retenue, mais ses chances s'amenuisaient – surtout qu'il fallait en plus qu'il récupère des affaires à son casier, ce qui lui faisait faire un sacré détour.
Gee accéléra, la perspective d'être puni lui donnant des ailes. Il négocia maladroitement le dernier virage et, manquant tomber, il déboula dans le couloir dans lequel se trouvait son casier. Sans même s'arrêter pour reprendre son souffle, il se dirigea droit dessus en repoussant les cheveux qui lui étaient tombés dans les yeux. C'est alors qu'il remarqua qu'il n'était pas tout seul.
À l'autre bout du couloir, manifestement pas plus en avance que Gee, se trouvait ce garçon, le nouveau. Gee ne lui avait jamais parlé, mais il l'avait remarqué dès le jour de la rentrée. D'après les bruits qui couraient, il venait de Californie, mais Gee n'était pas sûr de pouvoir y accorder beaucoup de crédit.
Gee se secoua. Ce n'était pas le moment de rester prostré au milieu du couloir. Il était en retard, et puis regarder fixement quelqu'un sans rien dire n'avait rien d'une première approche rassurante. Il se retourna vers son casier et le déverrouilla. Évidemment, ce dernier était couvert d'insultes homophobes, mais Gee les remarqua à peine. Ça faisait deux ans que c'était comme ça tous les jours, il avait appris à faire avec.
Gee attrapa ses livres en laissant son imagination vagabonder. Ce garçon était vraiment très beau, avec ses traits fins et harmonieux, et son sourire... Même si Gee ne tenait pas à l'admettre, il était loin d'être insensible à son charme. Si seulement ils s'étaient retrouvés dans la même classe...
Gee poussa un soupir. Ça ne servait à rien de rêver, à part se faire du mal. De toute façon, il était très peu probable que ce mec soit gay, et si jamais c'était le cas, il n'avait aucune raison de s'intéresser à lui. Gee referma son casier d'un geste las, et se retrouva tout d'un coup nez à nez avec le nouveau. Il sursauta de surprise et eut un mouvement de recul. Il ne l'avait pas du tout entendu se déplacer, et il ne sut comment réagir. Sa respiration se bloqua, et il se sentit idiot comme pas possible. Gee remarqua alors que le garçon ne le regardait pas lui, mais examinait son casier. Il sentit sa lassitude se transformer en désespoir. Les tags donnaient une idée très précise de son orientation sexuelle, et il n'avait envie ni de se justifier sur quelque chose qu'il n'avait pas choisi, ni d'essuyer des insultes gratuites.
Gee ouvrit la bouche pour dire quelque chose (tout plutôt que ce silence oppressant), mais le nouveau le devança :
« Ça t'arrive souvent ? »
Gee le regarda sans comprendre.
« Les tags, je veux dire. » précisa le garçon. « Tu en as souvent ? »
« Euh... Ouais, on peut dire ça comme ça... »
Une expression songeuse sur le visage, le garçon marqua un temps avant de poursuivre :
« Et tu en as parlé à quelqu'un ? Pour que ça s'arrête ? »
Gee était de plus en plus perplexe. Au lycée, les gens lui parlaient rarement pour prendre de ses nouvelles, alors quoi ? Que pouvait-il bien lui vouloir ?
« Ouais... » lâcha-t-il prudemment en refermant son cadenas.
Maintenant, Gee ne voulait qu'une chose, que cette conversation se termine. Il était encore plus dérouté que d'habitude, et il en voulait au nouveau de le mettre dans un état pareil.
« Et ça n'a servi à rien, je suppose. »
Gee releva les yeux, étonné par le ton de sa voix. On aurait dit que le nouveau comprenait ce qui lui arrivait… Bien malgré lui, l'espoir envahit son cœur, renversant le contrôle qu'il avait essayé d'avoir sur lui-même. Ce garçon était en train de lui parler gentiment (fait exceptionnel en soi), et il compatissait.
Gee se traita d'imbécile. Qu'est-ce qu'il lui prenait de tirer des conclusions pareilles à partir d'une intonation ? Il était vraiment prêt à faire confiance à n'importe qui, comme s'il ne l'avait pas déjà assez regretté.
La pendule du couloir sonna discrètement le quart, officialisant le retard de Gee et du nouveau. La même panique passa dans leurs yeux, et ils échangèrent un sourire gêné.
« Je crois qu'on ferait mieux d'y aller. » fit le garçon en se passant une main dans les cheveux.
Gee opina et remit prestement son sac sur ses épaules.
« Tu as cours de quel côté ? »
« Euh, au troisième étage... » répondit Gee.
« Ah, moi aussi, on y va ensemble ? »
Alors qu'ils couraient dans les escaliers, Gee sentit une drôle de félicité l'envahir. Même s'il avait été extrêmement mal à l'aise, il n'était pas prêt d'oublier ces quelques minutes passées dans le couloir. Sa vie était bien triste pour qu'il se réjouisse autant d'une simple conversation…
Arrivé devant la porte de sa classe, le nouveau lui adressa un sourire avant de frapper. Gee le lui rendit, mais il avait été momentanément ébloui, et lorsqu'il en fut capable, le garçon avait disparu dans sa classe depuis longtemps. Gee se traita une nouvelle fois d'idiot, mais rien ne pouvait atténuer la joie qu'il ressentait – pas même les regards moqueurs qui se posèrent sur lui quand il entra dans sa propre classe.
(2)
Sans surprise, Gee écopa d'une retenue pour son retard du lundi matin, et il retourna donc au lycée le samedi suivant. Il était d'une humeur massacrante : il n'avait pas assez dormi, mais il n'avait surtout aucune envie de se taper plus de lycée que son quota habituel. Comme fait exprès, Gee arriva en avance, et l'ironie de la chose ne lui échappa pas. Mais il décida de se focaliser sur le point positif : au moins, ça lui laissait le temps de fumer une cigarette.
Huit heures arrivèrent cependant bien vite, et il entra dans le lycée d'un pas morne. Tous les regards se portèrent sur lui quand il pénétra dans la salle de retenue, mais il n'en tint pas compte. Tant que les autres élèves se contentaient de le regarder, ça lui allait très bien. Il s'installa à une table du fond, et il attendit que le surveillant distribue les devoirs.
Gee était en train de parcourir avec désespoir ses exercices de mathématiques quand la porte de la salle s'ouvrit à la volée, laissant entrer le nouveau à bout de souffle. Gee sentit son cœur bondir dans sa poitrine.
Il avait beaucoup réfléchi à ce qu'il s'était passé dans le couloir ce matin-là. Il ne savait toujours pas s'il pouvait faire ou non confiance à ce garçon, mais il en était venu à considérer leur conversation pour ce qu'elle était, à savoir une simple discussion, sans motivation cachée. D'après son expérience, si le nouveau avait voulu l'insulter et/ou le frapper, ça se serait déjà produit. Il avait certainement eu un élan isolé de compassion, et c'était tout. D'ailleurs, s'ils s'étaient bien recroisés dans la semaine, le nouveau l'avait à peine regardé, ce qui confirmait les conclusions de Gee.
Cependant, une partie de lui continuait à espérer. Depuis qu'il avait mis les pieds dans ce lycée, presque personne ne s'était montré aussi gentil avec lui. Quelques élèves avaient bien essayé, mais ils s'étaient vite arrêtés. Gee ne leur en voulait pas : la réputation qu'il se traînait était tout sauf enviable, et il ne pouvait pas blâmer les gens de ne pas avoir envie de partager son sort.
Et voici que maintenant il y avait ce garçon, qui venait lui parler, qui semblait le comprendre, et qui lui souriait de son sourire magnifique… Gee sentit sa mauvaise humeur le quitter, et il se dit que son samedi n'était peut-être pas complètement foutu.
« Je… je suis désolé, je... » s'excusa le nouveau en haletant. « Mais je suis parti en retard, et... »
Le surveillant coupa court à ses explications et le pria d'aller s'asseoir. Le garçon traversa la salle et s'installa non loin de la table à laquelle se trouvait Gee. Lorsqu'il le vit, il lui adressa un signe de la main et ouvrit la bouche pour le saluer, mais le surveillant l'interrompit :
« Eh, Iero, j'te rappelle que t'es pas là pour t'amuser. Ne m'oblige pas à te rajouter deux heures pour bavardages. »
Le nouveau baissa sagement la tête, non sans avoir prit le temps d'adresser un petit sourire à Gee.
(3)
Les deux premières heures passèrent lentement. Gee éprouvait un certain mal à rester concentré sur sa copie. Tout d'abord, il ne pigeait rien aux exercices, et puis il n'arrivait pas à penser à autre chose qu'à la présence du nouveau. Elle le troublait plus qu'il ne l'aurait pensé. Son esprit ne cessait de revenir à lui, et il devait user de toute sa volonté pour ne pas passer son temps à le regarder.
Lorsque la cloche sonna dix heures, le surveillant autorisa les élèves à sortir prendre un peu l'air. Ce n'était pas vraiment autorisé, et Gee lui en était reconnaissant. Il fallait qu'il fasse une pause, ou il allait exploser.
Il attrapa ses cigarettes et son briquet, et se dirigea vers la sortie. Une fois dehors, il s'éloigna des autres élèves punis, n'ayant aucune envie de rester trop près d'eux. À son grand étonnement, le nouveau le suivit, et, tout à fait naturellement, il s'arrêta à côté de lui et commença à fumer. Gee le regarda avec surprise avant d'allumer mécaniquement sa propre cigarette. Son cerveau était de nouveau tombé en rade.
« Alors, tu as aussi été collé lundi ? » demanda l'autre garçon après un moment.
« Euh, ouais… Comme tu peux voir... »
Le silence retomba. Gee ne savait ni quoi dire ni quoi faire. Il aurait donné cher pour être loin, très loin d'ici. Ce garçon était peut-être gentil avec lui, mais il lui faisait perdre tous ses moyens.
« Tu bûches sur quoi, du coup ? » reprit le nouveau.
« Euh, maths... » répondit Gee d'une petite voix. « Et… Et toi ? »
« Espagnol, ma matière préférée… Et vu que la prof me déteste, j'te raconte pas les exercices qu'elle m'a filé... »
Le silence s'épanouit une nouvelle fois. Gee faisait tout son possible pour garder son calme, mais la panique commençait à le gagner. Il n'avait pas l'habitude de parler aussi longtemps avec les gens et pour rajouter à son malaise, ce garçon lui plaisait beaucoup. Il avait beau essayer de se contrôler, il ne pouvait s'empêcher de se demander ce que ça ferait s'ils commençaient à se parler régulièrement, et à se voir, et...
Gee sortit de ses pensées lorsqu'il réalisa que l'autre garçon lui avait posé une question :
« Qu-quoi ? Je n'ai pas... écouté ce que t-tu as dit... » bredouilla-t-il, le rouge aux joues.
Ah, c'est sûr qu'ils allaient vraiment commencer à se parler, surtout s'il ne daignait même pas l'écouter.
L'autre garçon ne parut pas du tout contrarié, et il répéta avec un petit sourire :
« Je me suis juste rendu compte que je ne m'étais pas présenté quand on s'est parlé la dernière fois, alors voilà : je m'appelle Frank. Et toi ? »
« Je... Gee... Je m'appelle Gee... »
Il se sentait mal, mais mal, et son visage était à présent en feu. Il savait bien qu'il n'avait rien dit dont il puisse avoir honte, mais c'était plus fort que lui. Il se sentait misérable. Pourquoi communiquer avec des gens était aussi difficile ?
« C'est cool comme prénom ! » commenta Frank, sa clope coincée au creux de ses lèvres.
Gee ne pensait pas que ce fut possible, mais sa gêne augmenta encore d'un cran. Ce compliment inattendu le prenait de court, et il ne savait pas quoi répondre.
Ils continuèrent de fumer en silence, puis la cloche sonna la fin de la pause. Ils regagnèrent ensemble la salle de retenue et Gee se rassit à sa place, légèrement fébrile. Durant les deux heures suivantes, il n'avança pas vraiment sur ses exercices. Le prof de maths lui avait filé un devoir compliqué, et Gee n'avait pas besoin de ça pour ne rien comprendre. Il devait sa moyenne correcte dans cette matière à son frère, qui l'aidait toujours quand il en avait besoin.
Midi arriva enfin. Gee rendit sa copie, certain de devoir la refaire tellement elle était pitoyable. Il rassembla rapidement ses affaires, bien décidé à quitter cet endroit le plus vite possible. Il sortit de la salle, et sursauta lorsque quelqu'un l'appela. Le cœur battant, il se retourna pour voir son interlocuteur.
« Oh, excuse, je ne voulais pas te faire peur... » fit Frank, sincère. « Je me demandais juste... Tu pars tout de suite ou tu as le temps de fumer une cigarette ? »
Gee se sentit tout chose.
Frank…
Venait de l'inviter…
À fumer avec lui… ?
Son cerveau mit un moment à traiter l'information, et quand ce fut fait, l'espoir explosa dans sa tête. Frank était gentil avec lui, non ? Et il avait l'air de s'intéresser à lui, n'est-ce pas ? Il ne l'aurait pas invité si ce n'était pas le cas, non ? Peut-être que…
Gee se força à redescendre sur terre. Il allait un peu loin, là.
« Euh, je… Il ne faut pas que je traîne trop, mais, je… Oui, je crois que j'ai le temps de fumer avant de partir... »
La journée ne semblait plus si horrible maintenant que leur retenue était terminée. Le soleil avait fait son apparition, et Gee apprécia la chaleur de ses rayons sur son visage.
Ils fumèrent une nouvelle fois en silence. Ne pas parler gênait Gee, mais il ne savait pas quoi dire, alors il préférait se taire. Il jetait des regards furtifs à Frank, persuadé qu'il allait finir par partir, mais ce dernier semblait tout à fait à son aise. Il fut le premier à terminer sa cigarette, et, s'en allumant une seconde, il demanda en se tournant vers Gee :
« Tu pars comment ? »
« Euh… À pied, je… Comme il n'y a pas de bus le samedi... »
« Non, c'est vrai. Tu habites vers où ? »
« Euh… Vers… Vers ce côté-là... » lâcha vaguement Gee en désignant le bout de la rue.
C'est vrai qu'il aimait (beaucoup) Frank, mais ce n'était pas une raison pour lui déballer toute sa vie. Moins de personne connaissait son adresse, et mieux il se portait. Il ne tenait pas à ce que les problèmes qu'il avait au lycée le poursuivent jusque chez lui.
Heureusement, Frank s'en contenta, et il continua :
« Je vais dans le centre, perso. On se voit lundi ! »
Gee resta interdit une seconde, puis parvint à hocher la tête. Il regarda Frank s'éloigner, en espérant que la nouvelle clope qu'il s'allumait l'aiderait à retrouver ses esprits. Ça faisait beaucoup d'un coup.
Enfant solitaire, Gee n'avait jamais été très à l'aise avec les autres, et tout ce qu'il lui était arrivé depuis qu'il était au lycée l'avait rendu méfiant. Alors, même s'il rêvait de pouvoir lui faire confiance, il ne pouvait croire que Frank désirait tout simplement lui parler, et il retournait chacune de leurs rencontres à la recherche de son véritable but.
Pensif, Gee prit lentement le chemin de chez lui. Il allait passer le week-end à ruminer tout ça, sans que ça ne l'avance à quoi que ce soit. Mais il fallait qu'il fasse attention à ne pas se laisser emporter par son espoir, aussi flamboyant soit-il.
