Les HML tendaient leurs sommets comme si le béton désirait immuablement rejoindre le ciel, du même teint que lui. A leurs pieds, un petit parc laissait mollement onduler sa pelouse ainsi que le feuillage de sss arbres parfaitement alignés, sous lesquels gisaient quelques jeux pour enfants éventrés par les insanités gravées dans leur peinture craquelée. Des tessons de bouteilles ici et là, quelques pigeons hagards, l'absence d'être humain pour profiter du point de verdure. Plusieurs affiches, tâches de couleurs criardes, exhibaient des canons de beautés plastiques rayonnants d'un bonheur artificiel qui ne parvenaient qu'à faire ressentir plus intensément le manque de vitalité et d'espoir de la citée. D'autres panneau représentaient les visages de politiciens, sous-titrés d'idéologies nocives tentant de se dissimuler sous des lettres blanches. Des bruits de pas égarés sur les trottoirs, des visages fermés en des masques indifférents, des dos voûtés par le poids de journées sans fantaisie ni rêve. Pas tous, heureusement. Mais beaucoup trop...

Suspendu sur un fil électrique, entre la grisaille du ciel, des murs et du sol, un minuscule moineau ébouriffa ses plumes. Sa tête pivota vivement dans trois directions différentes, jugeant d'un œil évasif ce qui l'entourait. Avec un gazouillement déçut il prit maladroitement son envol à la recherche d'un autre perchoir. Quiconque aurait pris la peine de lever le regard se serait interrogé sur le vol solitaire et étrange, presque méthodique, de l'oiseau. Mais ce jour là, personne ne distingua le point de vie ocre qui s'agitait dans la froideur factice d'une journée estivale.

Le moineau se posa sur la rembarde d'un balcon. Après un instant d'observation, il fit claquer son bec d'un air satisfait en fixant son regard sur une horloge par delà la vitre. L'oiseau resta immobile un temps, contemplant la lente progression des aiguilles comme s'il en comprenait le sens, sautillant une fois de temps en temps sur ses frêles pattes. A l'instant où celle des heures se plaça sur le chiffre 5, le volatile décolla vivement. Fébrilement. Plusieurs gazouillement joyeux retentirent par dessus le son sourd de la circulation tandis que le moineau effectuait par deux fois le tour du même immeuble. Puis, d'un geste, l'étrange oiseau se glissa dans une fenêtre grande ouverte, cessant ainsi de perturber le quotidien de la citée.

La fenêtre en question donnait sur une petite chambre, rendue plus petite encore par l'amas d'affaire désordonné qui s'y étalait. La petite bibliothèque semblait avoir rendu son contenu sur le sol, une malle encore pleine tenait en équilibre dans un angle débordant d'ustensiles parfois étranges tel qu'un petit chaudron en cuivre, des galets gravé de signes indistincts, un globe représentant la lune... L'oiseau tenta de se poser sur le petit bureau avant de renoncer compte tenu du manque d'espace. Il se dirigea vers le lit défait, pris un peu de hauteur, cessa de battre des ailes.

L'air se froissa.

Un garçon s'écroula bruyamment sur le matelas, accompagné d'une plume ocre.

- Note pour moi même! S'exclama t'il aussitôt son apparence humaine retrouvé. Le sois disant sort de dépistage anti-animagi du gouvernement est complètement bidon! Ça fait trois jours exactement que j'aurais du être interpellé pour transformation illégale... Ce qui signifie...

Le garçons soupira d'aise en s'allongeant confortablement.

- … qu'à l'instar des pouvoirs que possèdent les créatures magiques, la transformation en animagus est un type de magie largement différent de celui pratiqué avec une baguette. Reste à savoir en quoi...

Il jubilait. 5 ans d'efforts, d'acharnement, de prises de têtes et de discrétion. C'était le temps qu'il lui avait fallu pour devenir un animagus malgré ses lacunes en métamorphose. Le jeu en valait la chandelle! Dans un pays où cette transformation était rigoureusement interdite, le fait d'y être parvenu en secret lui offrait un délicieux sentiment de liberté et de puissance.

- Ceci dit, ce n'est pas étonnant que cette pratique soit prohibé et que la sentence soit si lourde... S'ils ne peuvent pas me localiser, j'ai acquis une invisibilité magique quasi parfaite! Ça pourrait faire des dégâts entre de mauvaise mains...

Il est dans sa chambre, fit une voix sourde depuis la pièce adjacente.

Un bruit de course retentit aussitôt dans le couloir.

- Alohomora!

La porte s'ouvrit violemment, envoyant au passage voler un bon nombre d'objets qui entravaient l'entrée. Dans un grand «blam» une jeune femme s'écroula, entraînée par son élan, sur les vêtements tapissant le sol de la chambre. De longs cheveux teints en verts dissimulaient son visage pointés vers le sol.

- Pour la énième fois Sophie, fit le garçons en ébouriffant ses cheveux châtains. Je ne ferme jamais la porte de ma chambre à clé. Le linge est propre cette fois, si tu te pose la question.

- T'es juste jaloux parce que tu ne prendras 17 ans qu'en octobre, répondit l'intéressée d'une voix étouffée.

- Ouiii ne pas être en droit d'utiliser la magie malgré, je le précise, mon sublime diplôme (ce qui, entre parenthèse, est une preuve supplémentaire de la stupidité de cette loi) est agaçant au possible mais ce n'est pas une raison pour me narguer en permanence. Ni pour... Tu vas rester comme ça longtemps?

- C'est confortable.

Sophie se redressa tout de même, révélant des traits harmonieux et des iris aussi vert que sa chevelure. Elle rangea sa baguette d'une mains évasive en lançant d'un air sérieux:

- Emil. J'ai une question de la plus haute importance!

- Ouiii?

- Ta voisine du dessous, est ce qu'elle est lesbienne?

Le garçon de put retenir un soupir de soulagement. Pendant un instant, il avait eut la stupide impression que son amie portait à son encontre un message du service de régulation magique. Voyant que Sophie était suspendue à ses lèvres, il prit une expression contrite:

- Hélas je l'ai vue plusieurs fois avec un garçon.

- Oh... Mais elle a peut être l'esprit ouvert!

- Je sais pas... Enfin si tu te prend un râteau, dis le moi! J'irai la «consoler» de ta goujaterie.

- Toi je te préviens, la prochaine fois je transplane directement dans ta chambre! Tant pis pour la politesse, tu ne la mérite pas!

Deux rires fusèrent dans la chambre étroite. Sophie et Emil se connaissaient depuis leur première année à l'académie française de magie Beauxbâtons. Le hasard les avaient placé régulièrement côte à côte lors des cours et, l'un et l'autre commettant en permanences maints erreurs stupides, ils étaient très vite devenu bons amis.

- Enfin! Coupa Emil. Regarde ça!

Il quitta son lit d'un bond, adressa un sourire provoquant à son amie puis se jeta depuis la fenêtre du sixième étage. Un instant plus tard, un moineau entrait et se posait sur le dossier de la chaise de bureau. Sophie le fixa bouche bée.

- Tu vas avoir des problèmes si tu te transforme ici!

- L'air se froissa, Emil se tenait à présent assis sur la chaise comme si de rien n'était.

- Et non! J'ai déjà fait le test figure toi, rien ne peut détecter ceci même une analyse de baguette!

- C'est pour ça que tu m'as demandé d'en faire une hier?

- Exactement!

La jeune femme le fixa avec une moue dubitative.

- Tu étais obligé d'enfreindre encore la loi Emil? Dans l'enceinte de l'académie encore, je reproche rien, tu l'as dis toi même: d'après le règlement ce n'est pas toi que le ministère peut attaquer. Mais ici enfin! Tu as conscience de ce que tu risque?

- Je m'ennuyais!

D'un geste il désigna son bureau, encombrés d'objets couverts de gravures diverses.

- Les runes, c'est formidable! Mais si je n'ai pas le droit de les activer ça devient vite lassant. Et là je suis certains de me faire prendre lors de l'inspection des baguettes. En plus j'ai brisé mon graveur.

- Il n'y a pas que les runes dans la vie Emil! Tu pourrais sortir, ou essayer de te trouver une copine ou...

L'intéressé roula ostensiblement les yeux. Son amie n'avait donc toujours pas compris qu'il était inutile d'essayer de lui ouvrir l'esprit?

Car oui, Emil ne s'intéressait pas à grand choses, et ce malgré tout ses efforts! En plus de cela il était peureux, si bien que ce qui ne l'ennuyais pas abusivement ne parvenait à provoquer chez lui une frayeur improductive. Et ce, aussi bien dans le monde sorcier que moldu. C'était d'ailleurs la raison principale pour laquelle ses notes restaient volontiers dans la moyenne malgré des capacités évidentes.

Toutefois, lorsqu'un élément parvenait à l'intriguer, il faisait soudain preuve d'un enthousiasme fascinant. Mieux valait alors ne pas se trouver entre lui et son objectif. Il y a cinq ans, il avait trouvé «sympa» le concept d'animagus. Il y en a six, il avait découvert les runes.

- … tu sais tu vas vraiment passer à côté de ta jeunesse à ce rythme!

- Les runes, coupa t'il violemment. Ne sont pas une perte de temps! Contrairement à la magie classique dont chaque sort n'a qu'une utilité, les gravures nordiques ont une vrai complexité. Tout y est affaire de combinaison, un peu comme un jeu de légo, selon les lettres que l'on associe et leurs supports, les résultats sont complètement différents!

Ses yeux brillaient tandis que sa voix semblait s'accélérer, Sophie ne dissimula pas son soupir ce qui n'empêcha pas son ami de poursuivre:

- … Il y a tant de possibilité, comment se retenir de les explorer? Alors oui, en comparaison un vulgaire "stupefix", ça parait simpliste et clinquant à mes yeux.

- Tu es vraiment une cause perdue...

La jeune sorcière sorti de sa poche une liasse de parchemin lié les un aux autres.

- Je suis juste venue te rappeler que c'est aujourd'hui le dernier délais pour envoyer le dossier de réinscription à l'académie, comme tu n'as pas de hiboux je viens chercher le tient.

Emil sentit son cœur s'accélérer tandis qu'une longue sueur froide parcourait son dos.

- Aujour...d'hui?

- Bah oui! Tu n'as pas commencé c'est ça?

- J'en avais l'intention promis!

Sophie se frappa ostentatoirement le front de la paume de sa mains.

- Emil, tu exagère... C'est super long à remplir tu sais! Tu ne veux pas retourner à Beauxbâtons ou quoi?

- Bien sûr que si! C'est juste que l'administratif c'est pas mon truc.

- En attendant tu as encore oublié de...

- Je n'ai pas oublié ce dossier voyons! Je l'ai perdu. C'est différent.

Un «accio dossier!» plus tard, les pages parcheminée vinrent se placer docilement sur les genoux de Sophie.

- Allez au boulot fainéant!

L'intéressé observa un instant l'amas de cases à remplir, un nouveau frisson lui parcouru l'échine.

- Je... Heu, tu veux bien m'aider?

Un son strident répondit à la demande piteuse. Sophie sorti aussitôt une montre à gousset clignotante qui semblait sonner l'alarme.

- Rooh, mon père fouine encore dans ma chambre. Je file Emil, je repasserais ce soir pour ton dossier!

La détonation propre au transplanage éclata dans la pièce, laissant le jeune garçon seul et démuni devant le démon administratif.

L'appartement de la famille Picasso n'était pas suffisamment grand. Il comportait en tout et pour tout: une salle d'eau, deux chambres ainsi qu'une pièce principale qui faisait à la fois office de salon et de cuisine. Un espace bien restreint pour une femme élevant seule ses trois enfants.

Laurène Picasso était une personne avenante et bienveillante, quoique parfois un peu porté à la mélancolie. Personne ne l'en blâmait. Son mari avait déserté le giron familial depuis longtemps emportant avec lui bien des ressources financière, laissant ainsi sa compagne seule dans une situation précaire et contrainte de reprendre un nom de jeune fille qui lui infligeait la même question à chaque nouvelle rencontre.

Laurène aimait ses enfants plus que tout au monde et, dans d'autres circonstances, elle aurait été une femme comblée. Mais même pour le moins matérialiste des êtres, la difficulté financière peut être un fléau. La mère de famille pratiquait un travail ingrat pour subvenir tout juste aux besoins de ses trois enfants tout en s'employant à s'occuper des affaires quotidiennes propre à l'entretien d'une maison. Et ce, sans jamais demander d'aide. Les traits tirés et les cernes la vieillissait constamment, le poids d'une vie rude pesant déjà sur ses épaules.

- Lise, tu as vu ma montre? Lança Emil depuis sa chambre.

- Oui! Répondit une fillette assis sur l'unique canapé de la cuisine (qui faisait également office de lit pour sa mère). Je l'ai là! Tu me la donne?

Emil surgit dans la salle afin d'entreprendre d'expliquer à sa sœur pourquoi les gravures sur la montre rendait l'objet dangereux. Laurène s'arrêta un instant pour regarder son fils sur le départ.

Les cheveux châtains clairs qu'il tenait de son père étaient ébouriffés comme la plupart du temps, couronnant un corps frêle. Ses mains fines tapotait nerveusement le dossier du fauteuil, en action comme toujours. Un jeune sorcier. Le seul de la famille. Elle retint un soupir.

Jamais elle ne le dirait à qui que ce soit mais c'était en partie à cause de ces dons que l'homme de la maison avait pliés bagages. Au départ il n'avait été qu'intrigué par les phénomènes étranges qui entouraient son fils. Puis, petit à petit, la peur avait germé en lui comme une mauvaise herbe. Le jour où Emil fut joint par l'académie avait achevé de faire pencher la balance.

- … et en plus tu vas de nouveau avoir une chambre pour toi toute seule quand je serais parti. Conclut Emil qui s'était manifestement éloigné du sujet de départ.

- Tu me ramèneras un cadeau à Noël?

- Promis!

Le jeune garçon se redressa, croisa un instant le regard de sa mère. Une étincelle de culpabilité passa dans ses yeux. Certes la plupart des choses n'avait aucun impact sur lui, mais il aimait sa famille et ne supportait pas l'idée d'avoir de nouveau passé un été à ses crochets sans rien en retour.

Après cette pensée morose il s'en retourna à sa valise en se promettant de décrocher cette année un ou deux gallions en guise de loyer.

En attendant il devait trouver un moyen de faire rentrer sa montre et une ceinture couverte de runes dans sa valise déjà pleine à craquer. Il allait peut être même devoir renoncer à un stock de galet vierge pour cela!

- Tu pars demain alors?

- Oui.

- Essaye de nous écrire, Lisa est toujours folle de joie quand elle voit un hiboux. Et ça fait plaisir à maman tu sais.

- Je verrais si j'ai le temps.

- Tu sais j'en peux plus de cette ville.

- ...

- J'ai l'impression d'être en prison! On a peur tout les jours de tout perdre, il n'y a rien à faire à part imaginer le monde au travers des écrans télés et des livres de géos tout ça pour se rappeler encore plus durement qu'on est coincé dans ce trou à rat avec le manque de fric comme geôlier! Toujours les mêmes immeubles en boucle, les mêmes gueules, être obligé de trimer comme un chien à l'école pour garder une lueur d'espoir. J'en peux plus de cette ville. J'en peux plus de cette vie. Si seulement j'étais né ailleurs!

- Tu es injuste. Maman fait de son mieux pour nous, tu devrais être reconnaissant tu sais. Il y a pire.

- C'est facile pour toi de dire ça! Tous les ans tu part à la découverte d'un monde magique regorgeant de surprises, de merveilles et d'aventures! Tu sais pas ce que c'est que de se réveiller et de voir tous les jours le même décor moche. Tu sais pas ce que c'est que de perdre la boule. Alors franchement, tes leçons de morale elles sentent l'hypocrisie.

- ...

- Désolé.

- Non, tu as raison. Je ne sais pas ce que tu... Ce que vous vivez.

- Tu pourrais pas nous tirer de là? D'un coup de baguette magique?

- Quand j'en aurais le droit. Je te promet d'essayer.

- Tu vas quand même me manquer un petit peu Emil, même si je suis content d'avoir ma chambre pour moi tout seul.

- Toi aussi tu me manqueras petit frère.