« Taliesin ! »

L'homme se retourna en entendant son nom et attendit que le jeune garçon le rejoigne :

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

Le garçon reprit son souffle avant de répondre :

« Les anciens te demandent. »

L'homme hocha la tête et suivit le chemin par lequel l'enfant était arrivé, le garçon se mit à trotter derrière lui, toujours ravi de pouvoir suivre son héros. Taliesin tendit la main et l'enfant alla se nicher contre lui en souriant, l'homme lui rendit son sourire et demanda :

« Tu sais pourquoi ils veulent me voir ? »

Le garçon haussa les épaules en disant :

« De ce que je sais ils ont reçu un message pour toi, ca à dut les surprendre ca fait deux heures qu'ils radotent autour du feu. Ah moins qu'ils aient besoin que tu leur chante quelque chose. »

Taliesin secoua la tête en souriant :

« Je ne chante plus depuis longtemps, donc ca doit plutôt être pour ce message »

L'enfant fit la moue :

« Pourtant tout le monde dit que tu avais une voix d'or, tu étais le meilleur barde de l'île de Bretagne, alors pourquoi avoir arrêté ? »

Le barde soupira :

« Je crains que tu ne sois un encore un peu jeune pour comprendre Mordred, mais repose moi la question dans quelques années, là je devrais pouvoir t'expliquer. »

L'enfant hocha gravement la tête, et Taliesin sut qu'il n'oublierait pas de lui poser la question quand le temps serait venu.

A peine étaient-ils parvenus au camp que les Anciens entourèrent le barde et chassèrent le garçon. Après un instant de cacophonie, où chacun d'eux parla en même temps, ils se souvinrent de leurs rangs et laissèrent le plus âgé d'entre eux parler. Le druide était l'archétype même de sa fonction, cheveux et barbe longs et blancs, les yeux clairs, le visage aussi ridé qu'une vieille souche, mais, en lui, un feu qui ne s'éteindrait jamais. Le vieil homme s'assit devant le feu et désigna sa droite au barde, qui prit place à ses cotés.

« Nous avons reçu une lettre pour toi, une lettre d'Uther Pendragon. »

Taliesin sursauta, pour une surprise cela en était une de taille, que le roi, après près de 20 années de chasse aux sorcières et 10 années de silence à son endroit, lui envoie un message, jamais il n'aurait cru cela possible. Le barde se demanda même si il ne s'agissait pas d'une mauvaise plaisanterie ou d'un piège, mais l'ancien apaisa ses craintes :

« La lettre est parfaitement authentique, nous n'en avons évidemment pas pris connaissance, cependant nos différentes information nous permette d'en supposer le contenu. Mais avant d'aller plus loin il vaut mieux que tu la lise. »

Il lui tendit une feuille parchemin pliée, scellée du sceau du dragon, et Taliesin se perdit une seconde dans la contemplation de ce sceau, combien de fois l'avait-il vu devant la salle du conseil, sur la bannière d'Uther, et même sur les vêtements d'enfant d'Arthur ? Ce sceau représentait sa vie dix ans plus tôt, et il n'était pas sur de vouloir y replonger, mais Uther ne lui aurais jamais écrit sans une excellente raison, et, au final, sa curiosité fut la plus forte. Il brisa le sceau et commença à lire :

« Taliesin

Je me doute que tu dois être plus que surpris de recevoir une lettre de moi après dix ans d'un silence absolu. J'aimerais pouvoir te dire que la seule raison qui m'ai poussé à cela, est l'envie de prendre des nouvelles d'un vieil ami, mais hélas, cela n'est pas.

Si tu l'ignore, apprends qu'Arthur est très malade, à tel point que même Gaius à renoncer, il pense qu'il a été empoisonné, mais s'avoue incapable de le sauver. Selon lui seul la magie le pourrait, et c'est pour cela que je t'écris, de tout ceux qui pratique la magie tu es le seul en qui j'ai confiance. Et je sais que malgré toutes nos rancœurs, tu as toujours porté beaucoup d'amour à Arthur, j'ose croire que ton affection pour lui sera plus forte que la haine, certaine, que tu éprouve pour moi.

Je ne puis évidement pas t'ordonner de venir, je ne m'y risquerais pas, je ne peux que tu supplier de venir au plus vite pour sauver mon seul enfant, sauver ton filleul. Bien entendu je garantis ta sécurité lors de ta visite, tu ne serras en rien inquiété, tu pourras venir et repartir librement tu as ma parole.

Encore une fois je te supplie de venir au plus vite, Arthur est au plus mal et je crains qu'il ne survive plus bien longtemps.

Celui qui fut ton ami

Uther Pendragon. »

Le barde relut la lettre encore deux fois, pour être certain qu'il avait bien tout saisi, et, constatant qu'il n'y avait pas d'erreur, sentit sa colère gonflée en lui. Le culot de cet homme était décidément incommensurable, comment osait-il seulement suggérer une telle chose ? Il l'avait banni pendant dix ans et aujourd'hui débarquait comme une fleur pour réclamer son aide.

Taliesin était à deux doigts de jeter la lettre dans le feu et d'oublier tout de cette histoire, mais il repensa à Arthur, il repensa au petit garçon blond qui courrait dans les couloirs du château rendant chèvre ses nourrices et précepteurs. Un sourire éclaira son visage, son filleul lui avait énormément manqué, Arthur avait toujours été un enfant extrêmement attachant, avide d'attention et personne ne lui en accordait plus que le barde, combien de fois avait-il réclamé un chant pour s'endormir ? En fait Arthur était la dernière personne pour laquelle il avait chanté. Allait-il laisser mourir un enfant pour les crimes de son père ?

Bien sur que non, surtout pas Cet enfant.

Il se retourna vers l'ancien et dit :

« Je pars immédiatement. »

Il fit mine de se lever, mais le druide le retint :

« Attends un peu, j'aimerais lire cette lettre si tu permets – Taliesin hocha la tête, et le vieil homme lut la lettre – Oui, c'est bien ce que nous pensions, nous n'avons bien sur aucune objection à ce que tu sauve le prince, il nous à prouver qu'il valait mieux que son père, mais un détail nous inquiètes. – Taliesin lui fit signe de continuer – L'Emrys, il devrait être aux cotés du prince et il aurait déjà dut le soigner, je crains qu'il ne lui soit arrivé quelque chose, peut-être a-t-il été surpris à utiliser la magie, dans ce cas, si il est encore en vie, tu devras tout faire pour le sauver, et le ramener parmi nous. »

Le barde acquiesça, il connaissait l'importance de l'Emrys, on ne pouvait effectivement pas le laisser mourir.

Tout étant dit, il se rendit sous sa tente, empaqueta quelques affaires et sorti. Du moins le voulu-t-il mais, un rayon de soleil vint frapper sa harpe et il hésita, l'emporterait-il ? Même sans elle sa magie était puissante, mais quand ses doigts courraient sur les cordes, il tissait des sorts d'une puissance presque sans égale. Et surtout, Arthur souhaiterait peut-être une chanson.

Souriant tendrement au souvenir de l'enfant, Taliesin attrapa son instrument, vérifia sommairement s'il était toujours accordé, et le glissa délicatement dans son paquetage. Il ébouriffa gentiment les cheveux de Mordred qui l'attendait devant sa tente, lui dit au revoir et se dirigea vers son cheval. L'enfant le suivit, et quand le barde fut en selle, il lui tendit quatre objets entourés de tissus en disant :

« Un pour Arthur, un pour Gwen, un pour Morgane et un pour l'Emrys. Pour les remercier de m'avoir sauvé. »

Taliesin promit qu'il leur remettrait et partit au triple galop en direction de son passé.

Son cheval étant l'un des meilleurs qui soit, d'autant plus soutenue par la magie comme il l'était, Taliesin couvrit rapidement la distance le séparant du château, il arriva peu après le couché du soleil.

Par habitude, il ne prit même pas la peine de descendre de cheval en arrivant au pont levis, et pénétra dans la cour au galop. Les gardes, tout d'abord surpris, ne tardèrent pas à l'entourer pour lui demander de quel droit il pénétrait ainsi monter dans le château.

Heureusement, Gaius traversait la cour à ce moment précis et le reconnu, il écarta les gardes en disant :

« Le roi l'attends ! »

Même si le médecin n'était pas noble, tous savait qu'il avait l'oreille du monarque, et tous lui devait, qui un bras, qui une jambe, quand ce n'était pas simplement la vie. Aussi s'excusèrent-ils et l'un d'eux prit le cheval du barde en disant :

« Je vais le mettre avec ceux du prince il serra bien traité. »

Taliesin le remercia et s'éloigna en compagnie de Gaius, ils n'échangèrent pas une parole avant d'arriver au laboratoire. Mais sitôt la porte refermé les deux hommes se tombèrent dans les bras en riant. Après de longues embrassades, Taliesin s'assit et demanda :

« Alors, qu'à donc le petit bout ? »

Gaius sourit :

« Il n'a plus grand-chose d'un petit bout – il redevint sérieux – Honnêtement je ne sais pas, je n'ai jamais rien vu de pareil, il s'affaiblit de jour en jour, il arrive à peine à boire, mais pas à manger, son estomac rejette toute nourriture ou potion, il a beaucoup maigrit. J'ai peur que même si on parvient à le sauver il ne garde des séquelles. »

Sachant que Gaius était certainement le meilleur médecin qui soit, Taliesin ne prit pas ses paroles à la légère et décida d'aller immédiatement voir le malade, ce à quoi le vieil homme répondit :

« Tu devrais peut-être aller voir Uther d'abord. »

Le barde secoua la tête :

« Fait le prévenir que je suis arrivé, et que je m'occupe d'Arthur, mais je n'ai pas l'intention de le voir plus que nécessaire. Et qu'il ne vienne pas me déranger pendant que je soigne mon filleul. »

Gaius n'insista pas, si il y avait bien une chose que le magicien et le roi avait en commun c'était leur obstination, pour ne pas dire qu'ils étaient têtus comme des bourriques. Ils se dirigèrent donc vers les appartements du prince, en chemin Gaius fit avertir le roi de la présence de son « invité », puis continua à décrire les symptômes du prince :

« Ca a commencé il y a un mois, il perdait peu à peu l'appétit, dormais mal et avait des crises de tremblements léger, mais il n'est pas venu me voir, c'est son serviteur, qui est aussi mon protégé qui m'en a avertit. Arthur m'a laisser l'examiner, mais je n'ai rien trouvé, son cœur était un peu rapide, mais rien d'autre.

Mais au fil des jours il se renfermait sur lui-même, il ne sortait plus, ne mangeait plus, et toute présence lui était importune à l'exception de Merlin, c'est d'ailleurs le seul qui n'ai pas quitté son chevet depuis qu'il n'a plus la force de quitter son lit. Ce pauvre garçon fait preuve d'une fidélité envers le prince que je n'avais vu que chez toi.

Je suppose que ce Merlin est le serviteur dont tu parlais ?

Oui, c'est ca.

D'où sort-il c'est peut-être bien lui le responsable ?

Je suis certain que non, Merlin est tout dévoué au prince.»

Ayant confiance dans le jugement du médecin, il n'insista pas. En arrivant à la dernière portion de couloir, Taliesin s'arrêta brusquement et empoigna le bras de Gaius :

« Gaius il y a un sorcier prêt d'ici ! »

Le vieil homme sourit et murmura :

« C'est Merlin, personne d'autre n'est au courant. »

Le barde hocha la tête, les druides appelant toujours le sorcier Emrys, et personne ne lui ayant dit qu'il était le serviteur d'Arthur, Taliesin venait seulement de comprendre que ce Merlin était l'Emrys. Le jugement de Gaius le concernant n'en eut que plus de poids.

Les appartements du prince était plongée dans une pénombre entretenue par les pans de tissus cachant les fenêtres, visiblement Arthur supportait mal la lumière, seules deux chandelles était allumées. Le barde vit une ombre se lever d'un fauteuil situé au chevet de l'imposant lit à baldaquin et une voix s'éleva tout bas :

« Gaius ? Qui est avec vous ? »

Le choc que ressentit Taliesin à l'écoute de cette voix le figea sur place, choc encore renforcé quand l'ombre entra dans la lumière, lui permettant de distingué ses traits. Le barde reconnu tout, les yeux clairs, les oreilles décollées, le visage fin et ces cheveux d'un noir de jais. Il eut soudain du mal à respirer et Gaius dut le faire asseoir tant il semblait prêt à tourner de l'œil.

Il mit quelques instants à reprendre le contrôle de lui-même et plaqua un sourire aimable sur son visage en disant :

« Je suis Taliesin, le roi m'a demandé de venir pour soigner Arthur. Tu dois être Merlin ? – Le jeune homme hocha la tête – Désolé, mais tu m'as causé un choc mon garçon, j'ai cru reconnaitre quelqu'un que j'ai connu il y a longtemps. »

Merlin sourit et Gaius expliqua :

« C'est le fils de Hunnith d'Ealnor, tu t'en souviens ? »

Taliesin hocha la tête :

« Bien sur, c'est ca, il y a très longtemps que je ne l'ai pas vue, comment va-t-elle ?

Bien merci, je lui dirais que je vous ai vu – Taliesin hocha la tête – Excusez-moi, mais que pourriez vous faire de plus que Gaius ? »

Le barde sourit :

« La même chose que toi Emrys. – Une lueur de panique traversa les yeux du sorcier – N'ai pas peur, ton secret ne risque rien avec moi, tu as ma parole. »

Le hochement de tête appuyé de Gaius finit de rassurer le jeune homme qui expliqua à mi-voix :

« J'espère que vous ferrez mieux que moi, je ne suis arrivé à rien, j'ai essayé toutes les formules curatives que j'ai put trouver, sans aucun résultat. J'ai même demandé au dragon, mais il c'est contenté de débiter une énigme – la voix du barde se joignit à la sienne – comme d'habitude. »

L'adolescent et l'homme échangèrent un sourire complice, et Taliesin demanda :

« Peut tu me dire quels sort tu as utilisé que je ne perde pas de temps à les essayer ? »

Merlin lui en donna la liste précise et l'homme soupira :

« Pour que son mal est résister à tout cela, son origine doit être extrêmement puissante… Merlin pourrait tu aller me chercher mon sac dans le laboratoire de Gaius ? Fais attention il y a des choses fragiles dedans. »

Le sorcier acquiesça et sorti, Gaius en profita pour questionner son ami :

« Merlin ne ressemble pas à sa mère, alors qu'à tu vu dans ses traits pour que cela te fasse un choc pareil ? »

Le barde soupira lourdement :

« Il semblerais que tu ai besoin qu'on te rafraichisse la mémoire Gaius. »

Disant cela, il rabattit le capuchon qui dissimulait une partie de son visage, libérant ainsi une longue chevelure de jais, il n'eut pas besoin de prononcer un mot, Gaius étouffa un cri :

« Dieux, c'est ton fils ! »

Taliesin hocha la tête :

« Il semblerait, quel gâchis, dire que j'ignorais tout de son existence, pourquoi Hunnith me l'a-t-elle cachée ? »

Gaius secoua la tête avant de se hasarder à expliquer :

« C'était la grande purge, toi tu étais protégé, mais elle à sans doute craint que ta présence révèle ses pouvoirs. Ou bien que tu l'emmène. Accessoirement j'ignorais que toi et Hunnith… »

L'homme secoua la tête :

« C'est arrivé une seule fois lors de la nuit de Samain. Elle venait de perdre son fiancé, je n'étais là que pour la soutenir, mais la magie de cette nuit à fait que… »

Le médecin hocha la tête, la Samain était un jour spécial, pendant lequel la magie était encore plus puissante que d'habitude, pas étonnant qu'un magicien aussi puissant que Taliesin en est ressenti les effets, et il était encore moins étonnant d'apprendre que Merlin avait été conçu lors de cette nuit magique.

« Tu compte lui dire ? »

Ca, c'était la question à un million, question à laquelle le barde n'avait pas de réponse. En fait, il avait peur, il était mort de peur, effrayé par et pour son fils. Tant que l'Emrys restait un inconnu, son destin, certes dangereux, n'avait que peu d'importance pour lui. Mais là il s'agissait de son fils, son enfant, comment aurait-il pu rester stoïque et objectif dans ces conditions ?

A cette peur s'ajoutait celle du rejet, Merlin pourrait lui reprocher son absence, involontaire certes, mais cela, l'adolescent pourrait ne pas le croire. Alors que faire ? Et puis quelle vie avait-il à offrir à son fils ? Celle d'un hors-la-loi vivant dans la forêt ? Ici au moins il était protégé, serviteur du prince, protégé de Gaius, tant qu'il restait prudent il serrait en sécurité au château.

Mais malgré cela, il voulait lui dire, il voulait pouvoir le prendre dans ses bras, pouvoir lui apprendre la magie, pouvoir le conseiller, lui expliquer l'amour, faire tout ce qu'un père doit faire.

Il prit finalement sa décision, mais avait besoin d'un soutien aussi demanda-t-il :

« Qu'en pense tu, après tout tu le connais mieux que moi ? »

Gaius sourit :

« Dit lui, je suis sur qu'il serra ravi. »

Conforter dans son choix, Taliesin attendit avec impatience le retour de son fils. Malheureusement, avant lui, Uther entra dans la chambre et l'atmosphère se chargea d'électricité.