Prologue :
Le froid.
Les ténèbres.
La douleur.
Elle ouvrit soudain les yeux en grand. Mais il n'y eut aucun changement : toujours la même chose : le froid, les ténèbres et la douleur. Tout était pareil : dans son être et à l'extérieur.
Elle ne savait même plus si elle était couchée ou assise ou même debout.
Lentement, elle essaya de bouger ses membres endoloris. Sa main droite d'abord, doucement elle l'ouvrit et la ferma et remua ses doigts. Elle fit la même chose avec sa main gauche.
Lorsqu'elle voulut bouger ses jambes, des ondes de douleur la firent frémir. Elle poussa un faible gémissement et n'insista pas.
Contre son dos meurtri, elle sentait la pierre froide et humide. Sous ses jambes, c'était la même sensation, mais il y avait autre chose : de la paille sans doute. Elle en conclut qu'elle devait être assise contre un mur.
Sur sa droite, elle entendait le sempiternel ploc d'une goutte d'eau qui venait s'écraser au sol. C'était le seul bruit qui parvenait jusqu'à elle. Il lui rappela cruellement la soif qui la tenaillait.
Elle ne savait pas depuis combien de temps elle se trouvait dans ce lieu, ni pourquoi on l'y avait enfermée.
Tout était si confus.
La seule chose qu'elle gardait en mémoire était la douleur, douleur qui revenait à intervalle régulier et qui envahissait sa chair et son âme.
Si quelqu'un lui avait demandé son nom, elle aurait été incapable de répondre. De son existence passée, elle ne se souvenait de rien : avait-elle été autre chose que ce corps rempli de souffrance avant cela ? sans doute … mais pour le moment, plus rien ne lui revenait en mémoire.
Le temps lui paraissait suspendu, pourtant les gouttes qui s'écrasaient au sol cadençaient son inexorable avancée.
Soudain un fracas qui lui parut retentissant la sortit de sa torpeur. Des cliquetis et des bruits métalliques se firent entendre. Une lumière aveuglante s'empara des ténèbres. Eblouie, elle dut fermer les yeux. Des murmures se firent entendre, puis une voix plus forte, plus dure.
Levez-toi !
Elle ne réagit pas. De toute façon, jamais ses jambes n'auraient pu la porter.
Une eau glacée s'abattit sur elle, elle gémit doucement.
Debout, gronda l'homme.
Voyant qu'elle ne bougeait pas, il fit signe à deux silhouettes de s'avancer vers elle. Elle sentit des bras musclés la saisir sous les épaules et la traîner hors de la pièce.
Ce qui se passa ensuite resta flou dans son esprit.
Elle retrouva rapidement les ténèbres glacées de sa cellule, le corps encore plus meurtri qu'auparavant, un goût de sang dans la bouche.
L'obscurité était moins profonde.
Elle leva les yeux : loin au-dessus d'elle, un minuscule carré lumineux éclairé par la pâle lueur de la lune.
Dans la pénombre, elle aperçut au sol un quignon de pain et une cruche. Elle s'en approcha en rampant malgré la douleur et se jeta sur la nourriture. Le pain était rassis mais elle l'avala en une seule bouche. L'eau avait une odeur de boue. Elle n'en avait que faire.
Ce frugal repas n'atténua nullement sa faim, elle devrait cependant s'en contenter.
Les jours et les nuits s'écoulaient toujours semblables. Lorsque le carré de ciel devenait plus lumineux, on venait la chercher. Elle ne retrouvait sa cellule que le soir. Au bout d'un moment, elle finit par ne plus sentir la douleur qui déferlait dans son être.
Elle restait prostrée dans un coin, n'attendant plus qu'une seule chose : que la Mort vienne la chercher. Mais la Mort ne venait pas, son heure n'avait pas encore sonné. Alors elle attendait encore et encore.
Les questions qu'on lui posait là-bas, elle n'en connaissait pas les réponses, mais chaque jour, c'était les mêmes …
Pourtant, un changement arriva brusquement.
Toujours les mêmes questions, soudainement interrompues.
Une bousculade ou quelque chose dans le genre.
Une voix énervée s'éleva soudain.
Qu'avez-vous fait ? Vous saviez pourtant que nous n'acceptons pas ce genre de méthode !
Elle retrouva presque aussitôt le froid de sa cellule.
La voix résonnait dans sa tête … voix qu'elle avait déjà entendue, il y a si longtemps …
Comme un flot dévastateur, tous ses souvenirs lui revinrent en mémoire. Elle se coucha en boule et pleura.
La souffrance dans son corps n'était rien comparée à celle qui déchirait maintenant le voile de ses souvenirs.
