Disclaimer: les personnages, hormis les OC, et les lieux appartiennent à J. R. R. Tolkien et à ses ayants droits.


-1-

Ils étaient tout près maintenant. Dans quelques minutes ils allaient la rattraper. Elle n'ignorait pas qu'elle ne pourrait pas tenir encore bien longtemps. Tous ses muscles étaient extrêmement douloureux et elle avait les poumons en feu. Chaque inspiration était une véritable torture. De plus, malgré le froid de cette nuit printanière, elle transpirait et la sueur lui coulait dans les yeux, brouillant sa vue. Mais même si elle avait la certitude que c'était inutile, que de toutes façons ils la rattraperaient bientôt, elle courait toujours, ne pouvant se résoudre à abandonner. Pas encore. Pas tout de suite.

Elle les entendait clairement à présent. Leurs horribles couinements de sales rats lui donnaient la chair de poule. Quand elle imaginait leurs visages hideux, elle avait la nausée. Dans un instant, ils allaient poser leurs mains répugnantes sur elle, elle devrait supporter leurs sourires atroces, pendant qu'ils la ligoteraient cruellement. La peur que distillaient ces pensées était insuffisante toutefois pour qu'elle accélère sa course. Elle n'en avait plus l'énergie.

Elle vit soudain un mouvement sur sa gauche et elle tressaillit. Un orc était en train de la rattraper. Elle savait qu'elle avait beaucoup ralenti, mais elle avait espéré avoir encore un peu d'avance sur eux. Durant un court moment, elle sentit des larmes lui monter aux yeux. Elle avait échoué et elle allait bientôt en payer le prix. Puis elle secoua la tête et chassa sa peur et ses sombres pensées. Elle n'était pas encore entre leurs mains. Elle bifurqua brusquement vers la droite et s'enfonça vivement entre les arbres. La forêt était très dense et elle avait une mince chance d'échapper à son poursuivant en se glissant entre les arbres. Il en viendrait d'autres, bien sûr, mais elle préférait ne pas y penser pour l'instant.

Au bout de quelques minutes, elle aperçut un bosquet de jeunes saules, devant elle. C'était l'idéal. Avec leurs branches tombant jusqu'au sol, les arbres la dissimuleraient. Sans s'arrêter, elle se précipita vers le buisson et elle y plongea la tête la première. Elle se reçut sur les mains et roula ensuite brusquement sur elle-même. Quelques branches lui griffèrent le visage et les bras au passage, mais rien de grave. Une fois sous les branches, elle resta immobile, tâchant de contrôler sa respiration.

Il ne se passa rien durant un long moment et elle en profita pour se reposer un peu. Elle pouvait entendre les cris de ses poursuivants, un peu partout autour d'elle. Elle savait qu'ils la cherchaient. Et qu'ils ne renonceraient jamais. Et soudain, les cris se modifièrent, devenant tout à coup des cris d'alerte. Ils étaient attaqués. Elle tendit l'oreille, tâchant de comprendre ce qui se passait en dépit des cris incohérents des chasseurs devenus proies. La panique régnait parmi ses agresseurs. Au bout d'un moment, elle parvint à saisir quelques phrases et elle fut en mesure de s'expliquer ce qui arrivait. Des elfes avaient tendu une embuscade aux orcs qui avaient pénétré leur territoire. Elle eut alors un frisson d'appréhension. Elle ne savait absolument rien des elfes, excepté qu'ils étaient de terribles guerriers et les ennemis jurés des orcs. Ces derniers les haïssaient et les redoutaient.

Elle comprit aisément qu'elle allait être prise entre deux feux. Les orcs la tueraient, plutôt que de la laisser s'enfuir. Et les elfes la prendraient certainement pour un orc ou pour l'un de leurs alliés et ils l'abattraient sans hésiter. Elle décida de rester cachée là où elle était et d'attendre que tout soit fini.

Malheureusement, à peine quelques minutes plus tard, elle entendit un petit groupe d'orcs se diriger droit vers elle. Retenant son souffle, elle se figea, espérant qu'ils ne la verraient pas. Mais ils étaient accompagnés par un fureteur et ce dernier suivait facilement sa piste. Dans quelques minutes, il allait découvrir sa cachette. Les fureteurs étaient très efficaces lorsqu'il s'agissait de flairer une piste. Ils n'étaient pas très rapides cependant, ce qui lui avait permis de leur échapper jusqu'ici.

Bondissant soudain hors de son abri, elle se remit à courir aussi vite qu'elle le pouvait. Elle entendit les cris que poussèrent ses poursuivants lorsqu'ils l'aperçurent et cela lui donna des ailes. Sa courte pause lui avait fait du bien, mais elle savait que son regain d'énergie ne durerait que quelques minutes. Il lui fallait semer ses poursuivants et trouver un nouveau refuge au plus vite.

Elle réussit encore une fois à échapper à ses ennemis. Puis, trouvant un arbre dans lequel elle pourrait grimper, elle s'y appuya un court instant, tentant de reprendre son souffle. Elle attendait de trouver la force nécessaire de sauter pour atteindre les premières branches. Son épuisement était tel qu'elle faillit renoncer pour s'étendre sur le sol et se reposer. Mais elle n'avait jamais abandonné et elle n'allait pas le faire maintenant, alors qu'il y avait un infime espoir de s'échapper. Elle rassembla son énergie et sauta pour attraper la branche la plus basse de l'arbre. Malheureusement, ses mains moites glissèrent sur l'écorce rude et elle retomba lourdement sur le dos. En gémissant, elle se remit péniblement sur ses pieds, découragée.

Alors qu'elle allait faire un nouvel essai, elle entendit un grognement et vit un orc courir vers elle. Elle crut que l'orc l'avait aperçue et qu'il cherchait à l'attraper. Mais soudain, l'orc trébucha et tomba en avant, une flèche plantée dans le dos. Sans réfléchir, elle se mit à courir à toutes jambes, serpentant entre les arbres pour ne pas s'offrir comme cible.

Legolas venait d'abattre l'orc qu'il poursuivait depuis quelques minutes. Il s'était déjà beaucoup éloigné des autres et il s'apprêtait à revenir vers sa compagnie quand un nouvel ennemi apparut devant lui, fuyant. D'après la petite taille de l'orc, ce devait encore être l'une de ces sales fouines dont ils se servaient comme pisteurs. Un orc avec un excellent odorat, mais pas très courageux, si l'on se fiait à leur façon de détaler à la moindre alerte. Leur présence, cependant, lui faisait soupçonner que les orcs poursuivaient quelque chose ou quelqu'un. Mais pour l'instant, il devait se contenter de rattraper son ennemi et de l'abattre.

Elle était à bout de force et elle trébuchait à chaque nouveau pas. Elle avait de nouveau courut pendant de longues minutes, mais à présent, elle n'en était plus capable. Elle espérait simplement avoir réussi à semer son poursuivant. Elle n'entendait plus rien derrière elle, ce qui ne voulait pas dire que l'elfe n'était plus là. Le bourdonnement dans ses oreilles l'aurait empêchée d'entendre quoi que ce soit. Elle s'arrêta tout de même et s'adossa à un arbre. Elle respirait très fort et son cœur battait à tout rompre. Elle essaya de faire moins de bruit, espérant être suffisamment loin des combats pour s'échapper. Les battements de son cœur se calmèrent peu à peu et elle reprit lentement son souffle. La douleur dans ses jambes et ses bras était toujours présente, mais elle y était habituée à présent.

Lorsqu'elle se fut un peu reposée, elle se remit en route. Elle avançait péniblement, les jambes lourdes. Elle sentait la peur monter en elle de minute en minute. De temps en temps, elle jetait des regards par-dessus son épaule, cherchant à apercevoir celui qui la pourchassait. Elle savait qu'il était là, elle sentait sa présence, mais elle ne pouvait pas le voir. Soudain, elle se retourna vivement. Presque au même moment, elle sentit une flèche s'enfoncer dans sa poitrine. Sous l'impact, elle recula de quelques pas. La douleur était si aiguë que durant de longues secondes, elle fut incapable de respirer. Puis elle ferma les yeux et s'évanouit.

Quand elle s'éveilla à nouveau, la douleur était toujours là, terrible, persistante. Et chaque fois qu'elle inspirait, la sensation s'intensifiait et devenait quasiment intolérable. Elle s'efforça donc de ne pas respirer, mais c'était évidemment impossible.

Durant de longues minutes elle observa les feuilles se balancer doucement dans le vent, juste au-dessus d'elle. Puis elle regarda la longue flèche toujours enfoncée dans son thorax. L'empennage était fait de trois plumes soigneusement taillées. L'une d'entre elles était d'un brun doré alors que les deux autres avaient la même couleur que les feuilles de chêne. Cela indiquait clairement que c'était un elfe qui l'avait blessée. Les orcs utilisaient toujours des plumes noires pour fabriquer leurs flèches. De plus, c'étaient de très mauvais archers. Ils enduisaient donc généralement leurs flèches de poison. Ainsi, la moindre blessure causée par l'une de leurs flèches causait une mort lente et douloureuse. Elle réalisa alors qu'elle connaîtrait un sort semblable et elle maudit mentalement celui qui était responsable de son agonie. Pourquoi l'elfe n'était-il donc pas venu l'achever?

Elle prit peu à peu conscience du silence qui régnait. Elle ne pouvait rien entendre d'autre que le bruissement des feuilles. Elle avait l'impression d'être tout à fait seule dans la forêt. À l'idée qu'elle allait mourir ainsi, sans personne près d'elle, ses yeux s'emplirent de larmes et sa gorge se serra. Elle avait si peur, qu'elle tremblait et avait la nausée. Soudain, elle eut envie de vomir et par instinct, elle se tourna sur le côté. La douleur que lui causa son mouvement fut si vive qu'elle poussa un cri qui se termina par un long gémissement puis elle s'évanouit de nouveau.

La bataille était terminée, les orcs avaient été éliminés jusqu'au dernier. L'heure était maintenant venue de ramasser les cadavres afin de les emporter vers le grand bûcher qui avait été préparé à leur intention. Legolas se dirigeait vers l'endroit où il avait abattu deux de ses ennemis, un peu plus tôt. Accompagné par Ratholis, il avançait en silence.

Les deux elfes retrouvèrent rapidement le cadavre du premier orc. Ils le transportèrent jusqu'au sentier le plus près, puis ils se mirent à la recherche du second orc. Quand ils arrivèrent près du deuxième corps, Legolas poussa une exclamation de surprise. Il se précipita vers le cadavre et s'agenouilla doucement à son côté. Il fit délicatement basculer le corps sur le dos puis, la mine sombre il caressa doucement le visage blême et glacée de la jeune fille sur laquelle il avait tiré.

- C'était elle qu'ils poursuivaient, murmura-t-il.

- Je vous demande pardon? lui demanda Ratholis.

- Je me suis douté qu'ils recherchaient quelqu'un, à cause de ces sales fouines qu'ils utilisent pour pister leurs proies. Il y en avait plusieurs, cette nuit. Je… J'aurais dû être plus prudent…

- Vous ne pouviez pas savoir que…

- J'ai tué une jeune fille, à peine sortie de l'enfance. Elle était poursuivie par ces monstres et moi, je lui ai tiré dessus.

Ratholis ne répondit pas. La mort de l'enfant l'attristait lui aussi, mais les regrets étaient inutiles.

- Nous allons la transporter jusqu'à la caverne, dit Legolas, toujours troublé. Nous devons au moins lui offrir une sépulture décente.

- Voulez-vous que nous fabriquions un brancard? demanda Ratholis.

- Non… Je… Je la porterai. Occupez-vous de l'autre cadavre.

En courant d'un pas léger, Ratholis s'éloigna rapidement. Pendant ce temps, Legolas souleva délicatement le corps de la jeune fille. Il fut surpris par sa légèreté. Elle ne devait pas avoir beaucoup mangé durant les derniers jours. Cela ajouta à son trouble. L'enfant avait sûrement beaucoup souffert alors que les orcs la poursuivaient et il s'en voulait beaucoup d'avoir ainsi mis fin à sa courte et triste existence.

Se dirigeant vers la caverne où il habitait, Legolas marchait lentement, observant le mince visage couvert de crasse de la jeune fille. Elle avait des traits fins et harmonieux. Son petit nez était légèrement retroussé, ce qui avait dû lui donner un air espiègle. De grands cernes sombres soulignaient ses yeux et révélaient son épuisement. Ses lèvres craquelées étaient bleues. La flèche s'était enfoncée dans le poumon gauche de la jeune fille et celle-ci devait avoir suffoqué, incapable de respirer.

Soudain, la jeune fille poussa un léger gémissement. Legolas en fut si surpris, qu'il faillit la lâcher. Puis, aussi doucement qu'il le pouvait, il déposa son fardeau sur le sol. L'enfant gémit à nouveau puis elle se mit à trembler. Elle toussa et un liquide d'un rouge sombre s'écoula de sa bouche, contrastant vivement avec la pâleur de son visage. Délicatement, l'elfe essuya son menton. La jeune fille ouvrit alors les yeux et Legolas eut un nouveau sursaut. Malgré la pénombre, il pouvait voir les yeux d'un vert brillant de l'enfant. Aucun elfe n'avait les yeux d'une telle couleur, ni aucun des nombreux humains qu'il avait rencontré au cours de sa vie. Les pupilles de la jeune fille avaient la couleur et l'éclat des émeraudes.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, Legolas se sentait désemparé. La jeune fille, qu'il avait cru morte, était encore en vie et il fallait la soigner au plus vite. Malheureusement, sa blessure était très grave et le moindre mouvement risquait de lui être fatal. Il n'osait donc plus la porter. Il aurait dû écouter Ratholis et fabriquer un brancard. Avec l'aide de son compagnon, il lui aurait été plus facile de transporter l'enfant sans la bouger. Il jura tout bas. Indécis, il regardait la jeune fille allongée devant lui. Devait-il la laisser là pour aller chercher de l'aide ou valait-il mieux la transporter le plus rapidement possible à la caverne?

La jeune fille respirait par saccade. Elle avait les yeux grands ouverts, mais elle ne semblait pas réellement consciente de ce qui l'entourait. Elle se mit à geindre et à se débattre. Craignant qu'elle n'aggrave sa blessure, l'elfe lui prit doucement les mains pour l'immobiliser.

- Doucement, hini1. Tu ne dois pas bouger, murmura-t-il à son oreille.

Il répéta plusieurs fois les mêmes paroles et sa voix eut pour effet de calmer la jeune fille. Elle cessa peu à peu de s'agiter, mais ses tremblements reprirent. Legolas se décida enfin. Il ne pouvait pas la laisser seule. Elle risquait de recommencer à se débattre. Et puis, si elle devait mourir, il pourrait au moins lui apporter un peu de réconfort. Il glissa donc un bras sous les frêles épaules de l'enfant, l'autre sous ses genoux et il la souleva avec précaution. Puis, marchant d'un pas rapide et léger, il la ramena jusque chez lui.

Il arriva à la caverne alors que le soleil venait à peine de se lever. Il avait croisé de nombreux elfes sur sa route et ces derniers s'étaient dépêchés d'aller prévenir le Roi que l'on amenait une jeune blessée. Une chambre avait été préparée pour la jeune fille et deux guérisseurs l'attendaient.

Lorsque Legolas la déposa enfin sur son lit, la jeune fille ne broncha pas. En fait, il y avait un bon moment déjà qu'elle ne s'était pas manifestée et, durant un instant, l'elfe crut qu'il était trop tard. Il se pencha vivement vers elle et il fut soulagé de constater qu'elle respirait encore, bien que superficiellement.

Les médecins prirent alors le relais. Ils découpèrent l'horrible tunique de cuir noir que portait la jeune fille puis ils examinèrent sa blessure. Lorsque l'un d'eux palpa délicatement la poitrine de l'enfant, celle-ci gémit doucement mais elle ne s'éveilla pas. Les guérisseurs discutèrent ensuite un moment à voix basse. Puis, la mine sombre, l'un d'eux s'approcha de Legolas, debout dans un coin de la pièce, pendant que l'autre s'efforçait de faire avaler un médicament à la jeune fille.

- Nous ne pouvons rien faire pour cette enfant, mon Seigneur, dit le premier médecin. Nous allons simplement lui donner quelque chose pour apaiser sa douleur. Nous retirerons ensuite la flèche, cela la soulagera également.

- Vous devez la soigner du mieux que vous le pouvez, répliqua Legolas.

- Nous ne ferions que prolonger inutilement ses souffrances, répondit le médecin. Elle ne s'en sortira pas. La flèche a transpercé le poumon. En fait, je suis étonné qu'elle soit toujours en vie.

Legolas secoua tristement la tête. Il s'approcha doucement du lit et il s'assit au chevet de la jeune fille. À l'aide de compresses humides, le second médecin nettoyait délicatement le visage de la blessée.

Hini, tu dois t'accrocher, murmura-t-il à l'enfant.

Celle-ci ouvrit à nouveau les yeux, comme si elle reconnaissait la voix de l'elfe. Elle prit une grande inspiration mais un sourd gémissement l'interrompit. Elle toussa deux ou trois fois et elle se remit à geindre. Elle agrippa la flèche, toujours fichée dans sa poitrine, et elle tenta de la retirer. Le médecin s'empara de l'une de ses mains, Legolas de l'autre et les deux elfes empêchèrent la jeune fille de bouger jusqu'à ce qu'elle perde à nouveau conscience.

- Vous devez faire quelque chose pour l'aider, dit doucement Legolas. Vous ne pouvez pas la laisser mourir de cette façon.

- Le médecin réfléchit un instant puis il hocha lentement la tête.

- Elle semble décidée à se battre. Nous ferons de notre mieux pour l'aider, répondit-il.

Pendant que Legolas et l'un des guérisseurs maintenaient fermement la jeune fille, le second médecin retira adroitement la flèche de sa poitrine. Un important flot de sang s'écoula de la blessure et le guérisseur exerça une forte pression sur la plaie pour faire cesser l'hémorragie. L'enfant se réveilla en poussant un cri de douleur lorsque la flèche fut retirée, puis elle se mit à se débattre quand le médecin s'appuya sur sa poitrine. Elle tentait vainement de se libérer des deux elfes qui la retenaient. Legolas se pencha près de son oreille et il lui murmura de douces paroles pour la rassurer. Il fallut cependant un long moment avant qu'elle ne se calme. Elle cessa alors de remuer et tourna la tête vers le visage de l'elfe. Pour la première fois, elle sembla le voir réellement. Puis elle ferma lentement les yeux et s'endormit.

Durant les jours qui suivirent, l'état de la jeune fille empira. Malgré les soins qui lui étaient prodigués, sa blessure s'infecta et elle se mit à faire de la fièvre. On appliquait des compresses d'eau froide sur tout son corps mais sa température ne cessait d'augmenter, ce qui inquiétait particulièrement les médecins. De plus, elle n'avait apparemment rien mangé depuis plusieurs jours et elle souffrait de déshydratation. On tentait régulièrement de la faire boire, mais elle recrachait la majeure partie de ce que l'on arrivait à lui mettre dans sa bouche. Elle s'affaiblissait d'heure en heure et il semblait évident pour tous qu'elle ne survivrait pas.

Très tôt le matin du cinquième jour, un grand silence régnait dans la petite chambre de la blessée. Celle-ci était allongée sous un mince drap blanc et elle était aussi pâle que le fin tissu qui la recouvrait. Elle n'avait pas bougé depuis plusieurs heures déjà et sa respiration était si légère que l'elfe qui la veillait devait tendre l'oreille pour s'assurer qu'elle était toujours en vie.

L'un des médecins entra alors dans la chambre et examina la blessée. Il eut un léger sourire et il salua l'elfe d'un signe avant de sortir de la pièce. Il se rendit ensuite dans la salle du trône ou se trouvaient le roi Thranduil et son fils, Legolas.

- La fièvre est enfin tombée, dit-il d'une voix douce.

Thranduil et Legolas eurent tous deux un soupir de soulagement.

- Je ne peux pas encore garantir qu'elle s'en sortira, mais elle est sur la bonne voie.

- Je vous remercie, répondit Legolas.

Quelques heures plus tard, la jeune fille dormait toujours. La chambre était plongée dans la pénombre quand Legolas entra sans bruit et s'approcha du lit.

- Elle dort toujours, dit le guérisseur qui veillait la jeune fille, à voix basse. Son état est stable, mais je ne peux rien dire de plus tant qu'elle ne s'éveillera pas. Elle risque de garder quelques séquelles de sa blessure.

- Des séquelles?

- Une fièvre aussi forte et ce, pendant plusieurs jours, n'est pas sans danger. Et puis, il y a autre chose qui m'inquiète.

- Quoi donc?

- Elle n'a pas prononcé un seul mot depuis son arrivée ici. Je sais bien qu'elle a été inconsciente presque tout ce temps, mais en général, lorsque les gens délirent, ils appellent leurs proches, prononcent des phrases incohérentes. Mais elle n'a rien dit du tout.

- Que croyez-vous que cela signifie?

- Je ne sais pas mais… Vous avez vu les marques de fouet, sur son dos! Certaines sont récentes, mais d'autres datent de plusieurs années. Je dirais qu'elles ont été faites il y a plus d'une dizaine d'années.

- Mais elle a à peine quinze ans!

- C'est exact. Ce qui signifie qu'elle est entre les mains des orcs depuis très longtemps. Peut-être bien depuis sa naissance. Cela expliquerait qu'elle n'ait jamais appris à parler.

Legolas jura tout bas. L'idée que ces êtres ignobles qu'étaient les orcs puissent avoir torturé un enfant lui était insupportable. L'elfe se pencha doucement au-dessus de la jeune fille.

- Tu n'as plus rien à craindre, hini! murmura-t-il à son oreille.

Comme si elle avait attendu ce signal pour s'éveiller, la jeune fille ouvrit lentement les yeux. Elle inspira prudemment, puis elle regarda autour d'elle. Elle eut un regard craintif lorsqu'elle aperçut Legolas, mais ce dernier sourit pour la rassurer.

- Bonjour, lui dit-il. Comment te sens-tu?

La jeune fille n'eut aucune réaction. Elle se contenta de dévisager l'elfe.

- Est-ce que ça va? répéta Legolas.

- …

- Si tu as mal, nous pouvons te donner quelque chose pour te soulager, insista encore une fois l'elfe.

La jeune fille ne disait toujours rien. Legolas commençait à croire que le guérisseur avait raison et que l'enfant ne savait pas parler, ou bien qu'elle ne connaissait pas le langage commun.

- Est-ce que tu… Est-ce que tu comprends ce que je dis? demanda-t-il d'une voix très douce.

- Tu… tu es un elfe, murmura la jeune fille d'un ton interrogateur.

Legolas sourit, soulagé de l'entendre enfin parler.

- Oui, je suis un elfe, répondit-il. Je m'appelle Legolas. Et toi, comment t'appelles-tu?

Cette fois encore, la jeune fille ne répondit pas. Elle semblait pourtant avoir compris la question.

- Tu as bien un nom, insista l'elfe.

- Je… Je ne sais pas, murmura-t-elle.

Elle fronçait les sourcils et semblait profondément troublée. Ses yeux s'emplirent de larmes et ses lèvres tremblèrent légèrement.

- Je ne sais pas… je ne sais pas… répéta-t-elle.

Legolas se pencha d'avantage vers elle et il lui caressa doucement le front.

- Tout ira bien, murmura-t-il. Tu as seulement besoin de te reposer.

La jeune fille finit par se calmer et se rendormir. Legolas sortit alors sans bruit de la chambre afin de discuter avec les médecins.

La jeune fille reprit lentement conscience quelques heures plus tard. Elle regarda avec attention ce qui l'entourait. Elle était allongée sur un grand lit très confortable. L'édredon de son lit était blanc et des feuilles de différentes teintes de vert y avaient été brodées. Sur chacune des petites tables de chevet, une jolie lampe diffusait une douce lumière dorée. La pièce, plutôt petite, était très simplement décorée : les murs, lambrissés de bois étaient peints en vert. Les meubles faits en bois clair eux aussi, étaient joliment sculptés. Toute la pièce dégageait une impression de calme qui convenait bien à la jeune blessée.

Celle-ci sursauta légèrement lorsqu'une elfe entra dans la chambre. Cette dernière avait de long cheveux si blonds qu'ils paraissaient être blancs et de grands yeux bleus remplis de douceur. La jeune fille eut un mouvement de recul lorsque l'elfe s'approcha d'elle mais la gentillesse qu'exprimaient ses yeux la rassurèrent.

- Bonjour, je m'appelle Aliana, lui dit-elle d'une jolie voix très douce. Je vais m'occuper de toi jusqu'à ce que tu ailles mieux.

- Bonjour, murmura timidement la jeune fille.

- Comment te sens-tu?

- Je… Je ne sais toujours pas qui je suis, répondit la jeune fille dans un murmure.

- Tu retrouveras sans doute la mémoire lorsque tu iras mieux, hini, répondit l'elfe.

La jeune fille fronça les sourcils. C'était un sentiment étrange et angoissant que de ne pas pouvoir se souvenir de son nom. Elle ne savait pas qui elle était ni d'où elle venait. En fait, elle ne se souvenait de rien du tout avant de s'être éveillée ici, dans cette jolie petite chambre. Avant ça, c'était le vite total.

Un second elfe entra alors dans la chambre, portant un chaud et odorant bouillon sur un petit plateau. Les deux elfes aidèrent la jeune fille à se redresser dans le lit, replaçant les oreillers dans son dos pour la soutenir. Puis l'elfe posa le plateau devant la jeune fille avant de sortir doucement. Celle-ci hésita un court instant, puis elle prit la cuillère et goûta la soupe. C'était délicieux, et elle sourit à Aliana. Elle mangea lentement l'excellent bouillon, et chaque nouvelle gorgée la faisait se sentir beaucoup mieux.

Pendant qu'elle mangeait, Aliana lui expliqua qu'elle avait été inconsciente plus d'une semaine et qu'ils avaient craint pour sa vie. Elle lui dit aussi qu'elle était encore faible, qu'elle devait se reposer le plus possible et que sa mémoire lui reviendrait probablement peu à peu, avec du calme et du repos.

Quand elle eut fini de manger, la jeune fille déposa doucement sa cuillère et Aliana enleva le plateau. Puis l'elfe l'aida à s'allonger de nouveau et la jeune fille ferma les yeux et soupira. Aliana était sur le point de sortir de la chambre quand la jeune fille lui demanda d'une petite voix:

- Où sommes-nous? Comment suis-je arrivée ici?

L'elfe revint s'assoir près du lit.

- Nous sommes à Mirkwood, dans le palais du roi Thranduil. Et… nous t'avons trouvée dans la forêt après une bataille avec des orcs.

Le mot « orc » fit surgir une série d'images dans la mémoire de la jeune fille. Elle voyait toutes sortes d'orcs, des plus petits aux plus grands, défiler devant ses yeux. Elle secoua la tête pour chasser ces images et regarda l'elfe d'un air inquiet.

- Les orcs… ce sont eux qui m'ont blessée, murmura la jeune fille.

Ce n'était pas véritablement une question mais il y avait une légère interrogation dans sa voix. Aliana hésita un moment, mais elle préféra ne pas lui révéler la vérité pour le moment.

- Ne t'en fais pas, hini, dit-elle doucement, ils ont tous été tués.

Cela sembla rassurer la jeune fille qui ferma à nouveau les yeux et s'endormit.

Quelques jours plus tard, Aliana lui apporta un paquet de vêtements. Elle était enfin autorisée à se lever. Lentement, elle s'assit sur son lit, puis elle bascula les jambes hors du lit et posa les pieds sur le sol. Sans se presser, elle vérifia que ses jambes arrivaient à la porter, et elle se leva. L'elfe se tenait à côté d'elle prêt à la soutenir si elle en avait besoin. La jeune fille fit quelques pas hésitants. La tête lui tournait un peu, mais dans l'ensemble, elle se sentait bien. Aliana l'aida alors à s'habiller. La jeune fille défit le paquet de vêtements et y trouva un pantalon d'un brun foncé, une légère chemise vert pâle et une longue tunique d'un vert plus sombre. La veille, l'elfe était venue lui apporter une jolie robe décorée de fines dentelles, mais elle avait refusé de porter un tel vêtement. Elle avait déclaré à Aliana qu'elle se sentirait trop vulnérable vêtue ainsi. Elle avait réclamé ses propres habits, mais l'elfe lui avait appris, avec un air dégoûté, qu'ils avaient été brûlés.

La jeune fille enfila rapidement les vêtements apportés par Aliana et fut surprise de constater qu'ils lui allaient parfaitement. La tunique lui descendait jusqu'au-dessus des genoux, et le tissu avec lequel elle était fabriquée était souple et doux sous ses doigts.

Durant quelques minutes, Aliana contempla la jeune fille et remarqua pour la première fois à quel point celle-ci était jolie. Ses cheveux roux avaient été lavés et une longue tresse pendait dans son dos. Quelques boucles rebelles s'en échappaient et encadraient son visage aux traits délicats. Ses grands yeux avaient la couleur des émeraudes et brillaient à la lueur des lampes. Elle était vraiment très petite. Elle ne lui arrivait même pas à l'épaule, mais elle était svelte et gracieuse comme un roseau.

Aliana entraîna alors la jeune fille le long d'un large corridor éclairé par des torches rouges. Elle la mena jusque dans une jolie petite salle aux murs décorés de grandes tapisseries représentant des scènes de chasse. Un feu joyeux flambait dans une haute cheminée de pierre. Elles s'assirent dans de confortables fauteuils, près du feu. La jeune fille admirait en silence tout ce qui se trouvait autour d'elle, heureuse de voir autre chose que les quatre murs de sa chambre.

Durant les jours qui suivirent, Aliana lui fit visiter l'immense cité souterraine des elfes de Mirkwood. Impressionnée, la jeune fille admirait chaque salle, les magnifiques tentures accrochées aux murs, les superbes tapis recouvrant les pierres taillées du sol, les somptueuses colonnes de pierre, sculptées avec beaucoup d'habileté. Et les splendides lampes finement ciselées et qui renvoyaient la lumière dans toutes les directions.

Elle n'était pas encore très solide cependant et chaque visite ne durait pas très longtemps. Dès qu'elle se sentait un peu fatiguée, Aliana ramenait la jeune fille à sa chambre pour qu'elle se repose.

Lors d'une de ces visites, la jeune fille et l'elfe croisèrent Legolas. La jeune fille se figea soudain et la vision de l'elfe lui tirant dessus s'imposa à elle. L'image était très nette, chaque détail semblait s'être enregistré très clairement dans sa mémoire. Elle recula lentement d'un air craintif.

- C'est vous, murmura-t-elle. C'est vous qui m'avez attaquée…

L'elfe voulut s'approcher doucement mais la jeune fille recula encore une fois, apeurée.

- C'était un accident, expliqua-t-il d'une voix douce. Je t'ai prise pour un orc. Je suis vraiment désolé.

La jeune fille hocha lentement la tête. Elle se souvenait vaguement avoir été poursuivie par des orcs. Elle se rappelait surtout de la peur et de la fatigue qui l'avaient habitée pendant la longue poursuite.

- J'ai couru très longtemps, dit-elle d'une petite voix triste.

- Sais-tu d'où tu venais? lui demanda alors Aliana.

La jeune fille plissa le front un instant puis elle secoua lentement la tête. Elle ne voyait que les arbres défiler autour d'elle, encore et encore.

- Je ne sais pas, je n'arrive pas à me souvenir.

- Ce n'est rien, lui dit doucement Aliana.

- Et si je ne me souvenais jamais? Je ne sais même pas qui je suis.

- Ne dis pas ça, hini. Ça te reviendra quand tu iras mieux.

- Vous voyez, je n'ai même pas de nom. Vous m'appelez hini, mais ce n'est pas un nom. Et puis, je ne suis pas un enfant.

Legolas aurait voulu chasser l'air triste de la jeune fille.

- Tu as raison, nous ne pouvons pas continuer à t'appeler hini, dit-il. Tu devrais te choisir un nom en attendant de retrouver le tien.

La jeune fille haussa les épaules puis secoua la tête. Comment pourrait-elle se choisir un nom?

- Je ne… je ne connais pas de nom, dit-elle.

Les deux elfes se regardèrent un moment, perplexes. Puis Legolas sourit.

- Tu as une marque de naissance sur l'omoplate gauche, dit-il. Une petite tache blanche en forme d'étoile. Dans notre langue, étoile blanche se dit nimroël.

Aliana approuva doucement d'un signe de tête puis se tourna vers la jeune fille.

- Qu'en dis-tu? lui demanda-t-elle.

- Nimroël, répéta cette dernière doucement.

Elle sourit, soudain ravie par le nom que venait de lui choisir Legolas.

- C'est très joli, j'aime bien ça. Je vous remercie, lui dit-elle en le saluant.

- Alors sois la bienvenue à Mirkwood, Nimroël, lui dit-il.


1 Enfant

25 Juin 2017