Il était 18 heures passés quand un fiacre déposa John Watson et son fidèle compagnon à quatre pattes, Gladstone, près de Baker Street. Alors que le médecin s'appuyait sur sa canne pour avancer, l'animal trottinait gaiement à côté de son maître. Ou plutôt de l'un de ses maîtres.

Depuis le départ de Watson du 221B Baker Street, il avait convenu d'une sorte de garde partagée pour Gladstone avec son ami de longue date, le célèbre Sherlock Holmes. Bien que ce dernier ne portait que peu d'intérêt à l'animal s'il n'en avait pas besoin pour l'une de ses expériences farfelues, il avait insisté pour que le médecin le lui rapporte chaque lundi à 18 heures, et qu'il vienne le chercher la semaine suivante au même horaire.

Franchissant la porte d'entrée de son ancien logement, John salua Mrs Hudson, la logeuse. Il apprit de la bouche de la vieille femme que Holmes avait mis par trois fois le feu à son ancien bureau cette semaine, et qu'à cause des imprudences du détective, le plancher serait très certainement abîmé à jamais.

Quand il entra dans la chambre de son ancien colocataire, il ne fut pas surpris de constater que la pièce avait été privée de soleil par des planches posées contre l'unique fenêtre. Il y régnait une très forte odeur de brûlé, et le matériel de chimiste de Sherlock était étalé sur le sol poussiéreux. Soudain, un homme bondit face à Watson, de la suie couvrait ce visage qu'il aurait reconnu entre mille. Visiblement habillé d'une peau de bête, la barbe qui commençait à pousser sur son menton indiqua à Watson que Sherlock Holmes avait bien besoin d'être rasé.

« Holmes ! Mais à quel jeu jouez-vous ? »

Le regard du détective semblait froid.

« Il est 18 heures et onze minutes. Vous êtes en retard, docteur. »

Holmes jeta un rapide regard en direction de Gladstone, qui avait profité de l'inattention de ses maîtres pour aller s'allonger sur la peau de tigre disposée sur le plancher.

« Étiez-vous inquiet que je ne vous ramène pas Gladstone ? »

Le médecin était amusé par l'attitude de son camarade. Ainsi donc, le grand Sherlock Holmes, qui n'éprouve que très rarement, voire jamais, de sentiments envers quelqu'un, aimait ce chien ?

« Je n'étais pas inquiet, je savais que vous alliez venir. Et si vous vous mettez à penser que ce chien représente quelque chose pour moi, c'est que vous devenez fou, mon cher Watson.

- Oui, bien sûr. Le grand homme que vous êtes ne pourrait se laisser aller à ressentir de l'affection pour Gladstone. Comme j'ai été sot de penser le contraire.

- Exactement.

- Affaire résolue. Je dois vous laisser avec cet animal qui vous laisse si indifférent, Mary m'attend pour dîner. »

Holmes se contenta de grimacer légèrement à l'évocation du nom de Mary, mais s'abstint de tout commentaire. Le fait que la célébration du mariage approchait ne l'avait toujours pas éclairé sur les raisons des sentiments du médecin envers sa future épouse, et à chaque fois qu'il abordait le sujet avec son ami, cela se terminait souvent en dispute.

« Eh bien, bonsoir Holmes !

- Bonsoir, transmettez mes amitiés à votre fiancée. »

Il n'en pensait pas un mot, et John le savait. Il était ici question de politesse, rien d'autre.

« Je n'y manquerai pas. »

Quand Watson eut franchi la porte et l'eut fermée derrière lui, Holmes se trouva face à Gladstone, et ses pas le conduisirent près de l'animal, qu'il gratifia d'une caresse sur la tête. Le chien tira la langue, et aboya, visiblement heureux de retrouver son maître. Un sourire se dessina sur les lèvres de Sherlock, qui s'installa près de son compagnon. Aimer cet animal ? Watson employait de ces mots...

FIN.