1: Veni, Vidi, Cadat

Le monde n'a pas toujours été ce qu'il est aujourd'hui. L'Homme en a simplement, joyeusement oublié les origines. Trop occupés étaient-ils à se gorger des fruits de leur pouvoir, de leur force qu'ils croyaient inégalée, suprême. L'Armageddon n'était que le commencement. Un commencement qui n'a pas eu la suite logique qu'il méritait. Qu'ils méritaient tous. Je suis Isaak Fernand von Kämpfer. Je vais vous raconter mon histoire... et par la même occasion faire un peu de lumière sur cette ère de noirceur que nous avons entamée. Or je ne commencerai pas par mon début. Quel intérêt de savoir que mes parents m'ont abandonné et sont morts, que je me suis élevé seul parmi leurs centaines de livres. Quel intérêt, vraiment... car ma vie ne commença vraiment que lorsque je l'ai rencontré. Contra Mundi. Voilà comment il se fait appeler. Je n'ai jamais su exactement d'où il vient. Il ne me l'a jamais dit clairement, et je n'ai jamais posé de questions à ce sujet. Je me suis toujours contenté de le servir. J'aimerais pouvoir vous dire qu'il me sauva d'un quelconque danger et que, ayant une dette envers lui, je le suivis, puis j'appris à l'aimer et ma vénération n'a aujourd'hui aucun égal. Mais c'est faux. Avec Cain-sama, les choses ne suivent jamais... ou du moins presque jamais, leur cour habituel. J'ai pu m'en rendre compte maintes fois au fil du temps que j'ai passé à ses côtés. Je disais donc que notre première rencontre ne se fit pas comme ces rencontres épiques dans les livres. J'étais las de la vie. Terré dans un village reculé, perdu dans les marécages, j'avais passé les quelques heures qui précèdent l'aube à massacrer et à me repaître de pauvres idiots qui s'étaient rassemblés pour un enterrement. J'avais depuis longtemps abandonné mes vêtements pour tenter de retourner à une sorte d'existence primaire, sauvage... mais mon esprit de philosophe, de savant, me faisait rempart. J'analisais et je réfléchissais à chacun de mes mouvements, à tout ce qui m'entourait. Je mesurais du regard le mouvement des feuilles des buissons pour déterminer la direction et la vitesse du vent. Beaucoup trop de pensées, beaucoup trop de questions, beaucoup trop de haine, et je ne disposais de rien pour les canaliser. J'avais depuis longtemps compris que le dieu que prêche et vénère le Vatican n'existe pas, et qu'il n'existe en ce monde rien qui puisse aspirer à une telle puissance. Les Methuselah étaient certes plus près du divin que ces pauvres humains, mais en réalité nous avions... nous avons tout autant de faiblesses que notre bétail. J'en étais las. Couvert de sang, je me suis assis sur un de ces sarcophages de marbre qui peuplent parfois les cimetière. Là, parmi les mausolées et les tombes, j'ai regarder le ciel alors qu'il s'éclaircissait à l'approche imminente de l'aube. Mes yeux brûlaient, mais je m'en fichais. Une espèce de montée d'adrénaline s'est emparée de tout mon corps, mais je suis resté immobile. Pareil aux statues qui semblaient me regarder tantôt avec étonnement, tantôt avec dégoût. Puis je l'ai vu. Un grand oiseau qui est apparu de nulle part, son corps noir, mais ses ailes, trois paires de belles ailes blanches, semblaient presque capturer la lumière de l'aube et rayonner... Il volait vers moi... puis il s'est mis à chuter. Je n'ai pas réfléchi. Pour la première fois, j'ai posé un geste sans réfléchir avant. J'ai bondi et je l'ai attrapé avant qu'il ne s'écrase au sol. Je l'ai serré contre moi alors que, frénétiquement, j'ai ouvert un mausolée et je m'y suis engouffré avec lui avant de refermer la porte pour m'isoler des rayons du soleil. Je ne comprenais pas. Était-ce un ange qui venait de tomber du ciel? Si c'était le cas, m'étais-je trompé depuis le début et Dieu existait-il vraiment? Ces questions et d'autres semblables m'envahissaient la tête jusqu'à m'en donner la nausée. Que pourrais-je bien faire d'un ange? Qu'étais-je sensé en faire? Et s'il était blessé? Et s'il était mort? Sous mes doigts je sentais sa chair carbonisée par endroits, liquéfiée à d'autres, et j'étais paniqué. Puis soudain j'ai senti son bras autour de mon cou alors qu'il se hissait. Et la douleur même a étouffé mon cri alors que j'ai senti ses crocs dans mon cou. Lentement, l'agonie a commencé à faire place à l'euphorie alors que je le sentais boire de mon sang. Mon sang, à moi qui suis Methuselah. C'était impensable. Contre nature. Tout bonnement rafraîchissant. J'ai sombré dans les abysses de l'inconscience et du sommeil avant d'avoir senti ses crocs quitter mon cou. À mon réveil, mon premier réflexe a été la surprise. J'étais surpris, d'abord et avant tout, de m'être réveillé, et ensuite de le voir étendu près de moi. Mon ange déchu. Avec précaution et malgré mon atypique manque d'énergie, quoique je n'aurais pas dû m'en étonner, j'ai ouvert la porte du mausolée. Au-dehors, il faisait à nouveau nuit. J'ai ouvert la porte entièrement et je l'ai regardé. Il était nu, mais son corps... semblait vouloir se décomposer et tomber en poussière de son propre chef. Sa respiration était laborieuse, sifflante... mais maintenant que j'avais les idées claires, je pouvais le constater. Cette puissance. Ce magnanisme. Et quand il a ouvert les yeux... qu'il les a posés sur moi... deux points bleu glacier... je ne pouvais que mettre un genou en terre et m'incliner devant lui. J'avais réellement eu tord pendant toutes ces années. Il m'a fait signe d'approcher... et je lui ai obéis. Il m'a fait signe de me pencher, et je lui ai obéis. Une de ses mains s'est posée sur ma hanche, puis a glissé caresser mes fesses alors que l'autre s'est aventurée sur mon torse. J'ai frémis de tout mon corps, mais je l'ai laissé me caresser, alors que ses ongles cassés frôlaient mes tétons, alors que son autre main s'attardait entre mes cuisses. Ma respiration a tressauté. Ses lèvres craquelées telles celles d'une vieille statue s'étirèrent pour révéler des crocs en ce qu'il m'a semblé être un sourire. Il gardait le silence, mais je n'avais pas besoin de mots.

Je me suis penché sur lui alors que ses doigts remontaient titiller mon intimité. "Mein Gott, puis-je être votre dévoué serviteur? Je saurai me rendre utile...", lui ai-je murmuré alors que sa main encerclait ma gorge.

"Et que feras-tu pour moi?", me demanda-t-il. Sa voix était puissante, divine, magnifique... Elle résonna dans le torse que j'osais à peine frôler.

"Je serai à vous corps et âme... Je ferai tout ce que vous voudrez..."

"Ce que je veux... Et si ce que je veux c'est annéantir les humains?"

"Il en sera selon vos désirs..."

Une sorte de toux le secoua, et je me rendit compte qu'il riait. "J'aime bien ton attitude. Dis-moi ton nom."

"Isaak Fernand von Kämpfer, Mein Herr."

"Je suis Cain Nightroad, mais tu peux m'appeler Contra Mundi."