Chapitre 1
Kyla.
Suivant l'officier devant moi, je jouai nerveusement avec ma bague, la tournant encore et encore. Je n'étais jamais entrée dans une prison et ça ne m'avait pas manqué jusqu'ici. Tout semblait sombre là-bas: les couloirs, les murs d'une couleur verdâtre, le visage des gens…Mes yeux se portèrent vers les fenêtres où de faibles rayons de soleil s'aventuraient à travers les barreaux. Je me sentais opprimée, en danger et je me demandai comment les criminels pouvaient s'améliorer dans un endroit pareil. "C'est ici" dit l'officier, me désignant un petit box. Je le remerciai d'un hochement de tête et m'assit sur la chaise dure, mise à ma disposition. Je n'arrivai pas à tenir en place, tantôt me tenant droite, tantôt essayant d'adopter un comportement plus décontracté. Depuis mon enfance, j'avais eu l'habitude de cacher mes sentiments, mais à présent, j'éprouvais des difficultés à contenir ma nervosité. Enfin il apparut, vêtu de sa salopette orange, lui qui était toujours si bien habillé… Ses yeux se posèrent sur moi et je crus voir une pointe de rancœur percer dans son regard. Mais ce fut bref car elle fut très vite remplacée par la fatigue et la tristesse. Je remarquai aussi que l'expression de son visage était devenue plus dure, une dureté que je n'avais jamais vue chez lui. Ca faisait un an et je ne le reconnaissais plus. Il s'assit et m'observa un instant, comme si lui aussi avait oublié à quoi je pouvais ressembler. Il décrocha le téléphone et j'en fis de même alors que l'ambiance devenait tendue, aucun de nous deux ne voulant commencer à parler. C'est lui qui finit par craquer. Il n'avait pas tort, le temps de visite était compté.
"Tu as fait bon voyage?"
Cette phrase semblait si irréelle. C'était la première fois que je le revoyais et on était dans une prison fédérale. Cependant, ça me permettait de parler de choses plus légères, d'oublier l'endroit où l'on se trouvait.
"Pas vraiment. Les voyages en car ce n'est pas ce qui a de plus agréable. Il y avait une femme obèse à côté de moi qui n'a pas arrêté de me parler. J'ai remercié le ciel quand elle s'est endormie…" je répondis alors que je vis un petit sourire se dessiner sur son visage.
"Je parie qu'après, tu as écouté de la musique en regardant défiler le paysage, plongée dans ton petit monde…Laisse-moi deviner: Jeff Buckley? Coldplay? Sting?"
"Tu me connais si bien" je murmurai, baissant les yeux.
Encore ce silence, dérangeant, agaçant, trop présent. Une question me brûlait les lèvres, mais j'avais trop peur de la poser, trop peur d'entendre la réponse. Comme s'il avait lu en moi, il me répondit avec un gentil sourire, comme il avait l'habitude de faire.
"Je ne t'en veux pas…"
"J'aurais dû venir plus tôt, j'aurais dû…" je soupirai " Jamais je n'aurai dû partir. Je t'ai abandonné."
"Je comprends pourquoi tu as fait ça, tu avais le droit de faire ta vie aussi. Et puis j'avais 20 ans quand tu es partie, je pouvais très bien prendre soin de moi-même…"
"Je vois ça, tu as magnifiquement réussi!"
Il rigola doucement, comme pour me montrer que cela n'avait pas d'importance. Je m'en voulais, me sentant responsable de sa situation. C'était lui qui avait enfreint la loi, mais si j'étais restée, ça ne se serait pas passé ainsi.
"Tu es passée voir les parents?" me dit-il d'un ton hésitant. Les parents.
"Oui" fut ma seule réponse. Je n'avais pas envie d'aborder ce sujet, mais il en avait décidé autrement.
"Comment va maman?"
"Elle pense trop."
"Et papa?"
"Il boit trop."
Il me regarda tristement. Rien n'avait changé depuis notre enfance. Papa buvait beaucoup et quant à maman, c'était les médicaments. Elle en prenait pour tout. Une pilule pour dormir, une pilule pour maigrir, une pilule pour sourire…et ça défilait. Si elle avait pu trouver une pilule pour vivre tout simplement, notre existence aurait été bien différente. Elle n'était pas heureuse, je le concédais, mais est-ce que ça lui donnait le droit d'avoir été aussi dure avec nous? Il baissa les yeux et serra les dents.
"Ils ne sont pas venus me voir."
Je ne répondis pas, ça ne m'étonnait guère.
"Je les ai déçus"
"Bienvenue au club, l'entrée est gratuite" je rigolai alors qu'il en fit de même. Le sujet était clos. Je regardai le garde derrière lui. Les bras croisés sur la poitrine, il observait les alentours d'un regard froid.
"Comment ça se passe ici?" je me risquai à lui demander.
"Ca va…" il me dit d'une voix qu'il voulait assurée.
"Non, mais en réalité?"
Si lui me connaissait bien, je le connaissais encore mieux.
"J'ai la trouille, mais montrer ses faiblesses ici, c'est signer son arrêt de mort." Il me répondit alors que mon cœur se serrait.
"Tu as eu des ennuis?"
Il secoua la tête, mais je ne le crûs pas.
"Arrête! C'est moi, tu peux me le dire. Tu fais 50 kilos tout mouillé et t'es tendre comme un brownie, tu es la proie rêvée." Je lui dis, le forçant à me dire la vérité. Depuis toujours, je l'avais protégé et je voulais savoir si quelqu'un cherchait à lui faire du mal.
"J'ai un protecteur."
"Comment ça?"
"Un mec me protège, il empêche que les autres s'en prennent à moi. Quand je suis arrivé, il y a deux gars qui voulaient faire des trucs avec moi, enfin tu vois, mais il s'est approché et a dit que j'étais à lui. Les autres m'ont laissé tranquille sur-le-champ. Vu sa tête, je ne me suis pas senti plus en sécurité, mais il m'a vite rassuré. Il m'a dit que tant que je resterais près de lui, rien ne pourrait m'arriver."
J'écoutai son histoire, les sourcils froncés. J'étais sceptique.
"Et il veut quoi en échange?"
"Rien." Quand il vit mon visage, il s'empressa de continuer. "C'est vrai. Il a dit que je lui rappelais son petit frère et que cette fois-ci, il ne manquerait plus à ses devoirs. Il fait peur, mais ce gars est cool. Il a une femme et deux enfants. D'ailleurs, tu peux le voir, il est dans le deuxième box à ta droite."
Je me reculai pour voir qui s'occupait ainsi de mon frère. Il avait raison, il était plutôt impressionnant; on voyait qu'il était un habitué des lieux et la vie avait laissé sur lui des marques indélébiles. Seules ses oreilles décollées lui donnaient un côté amusant. Néanmoins, je n'aurais pas voulu me retrouver seule avec lui, quoiqu'en disait Colin.
"Il doit avoir de l'autorité auprès des autres détenus, ça c'est sûr."
"Murphy, je t'assure, il est clean."
Je souris. Murphy, ça faisait longtemps que je n'avais plus entendu ce surnom. C'était lui qui l'avait trouvé, faisant référence à ma mauvaise chance. Cependant, celle-ci s'était nettement améliorée depuis que j'avais quitté New York.
"Et il a un nom ce sauveteur?"
"Rafael Alvarez, mais tout le monde l'appelle Rafi."
Nous continuâmes de parler de choses et d'autres pendant le reste de la visite. Le malaise du début s'était dissipé et à présent, nous reprenions nos éternelles conversations. Il voulait savoir comment ça allait pour moi à Détroit et je lui fit un résumé de cette dernière année passée dans cette ville. Très vite, trop vite, un garde nous informa qu'il était l'heure de se quitter. Colin mit sa main sur la vitre et je la recouvrai de la mienne. J'avais vu ça au cinéma et maintenant, je me rendais compte combien ce geste pouvait être important. Il se leva et un autre garde l'accompagna jusqu'à sa cellule. Je le regardai s'éloigner d'un air pensif. Mon frère.
Alors que je me dirigeai vers la sortie, je remarquai qu'un homme quittait le box de Rafael 'Rafi' Alvarez. Du même âge que moi, il possédait des traits communs avec le protecteur de Colin. Sûrement son frère, me dis-je. Quand enfin je sortis au grand jour, respirant l'air frais et sentant le soleil sur ma peau, je réussis seulement à me détendre. L'homme de tout à l'heure était toujours là, occupé avec son portable. Je m'approchai de lui d'un pas hésitant et l'abordai.
"Excusez-moi, vous connaissez Rafael Alvarez?"
Il me regarda et mon cœur s'arrêta quelques secondes. Il était d'une beauté à couper le souffle, surtout dans la lumière de ce mois de juillet. J'observai son visage, ses yeux, sa peau tannée, ses lèvres…
"Oui, je suis son frère. Pourquoi?"
"Oh euh, je me présente, je suis Kyla Mayer."
"Enchanté, Danny Taylor"
Il me serra la main. C'est comme ça que je fis la connaissance de Danny. Cependant, il ne comprenait toujours pas ma relation avec Rafi.
"Mon frère, Colin, est en prison et il semblerait que votre frère le protège. Vous pourrez lui dire, enfin, le remercier de ma part?"
Il me regarda, les sourcils froncés.
"Vous êtes sûre qu'on parle du même homme?"
