Titre : La Marionnette à fils d'Humanité

Auteur : Deus-Nihil

Couple : Jeremiah Gottwald / Anya Alstreim

Rating : -18 ans

Résumé : « Anya Alstreim ne se souvenait pas du début de sa vie, et c'était une évidence valable pour tout le monde. Pour elle, ses débuts n'en n'étaient pas, parce que d'aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, la vie l'avait mangée, avalée tout entière, et recrachée avec une âme blessée et damnée. »

Notes d'auteur : Je suis désolée, mais mon ancien ordinateur étant cassé, j'ai perdu tout ce que j'avais écrit sur mes précédentes fan-fictions. Et n'ayant pour l'instant ni le courage ni la motivation nécessaire pour les réécrire, je commence cette nouvelle fan-fiction sur "Code Geass". En plus, je constate que je me suis améliorée en écriture ; mais ça, après, c'est à vous de voir si c'est vrai ou non.


La Marionnette à fils d'Humanité

Chapitre 1 : Echec et Mat


La porte d'un autre monde s'était ouvert... Un monde à la fois tellement semblable et différent du précédent qu'Anya ne savait pas ce qu'elle devait en penser. Mais une chose était certaine : elle n'était pas soulagée...

Après la mort de l'Empereur Lelouch, tout était allé très vite. La sœur du défunt lui avait succédé, et la paix promise devenait de plus en plus évidente pour le peuple : les Eleven n'étaient plus inconsidérés que par les puristes, les gens commençaient peu à peu à faire le deuil de leurs morts, et tout se reconstruisait petit à petit. Chacun essayait de tourner la page ; certains y arrivaient, d'autres pas encore, et d'autres encore ne le pourraient peut-être jamais... Mais beaucoup avaient pu se remettre en questions et prendre conscience de ce qui était réellement vrai et moral.

Ça faisait déjà trois mois... Désormais, les militaires étaient enfin autorisés à démissionner. Ce ne serait normalement pas possible, mais après qu'ils aient tous plus ou moins dû subir les préjudices causés par la folie non pas d'un seul homme, mais de tout un peuple, la nouvelle armée avait décidé qu'il serait immoral de les obliger à continuer à servir un pays qui les avait abusés, ne serait-ce que de leur conscience. Anya soupçonnait bien sûr qu'il y avait une autre raison derrière cette autorisation soudaine, mais ce n'était pas à elle d'en décider, et elle estimait que ça ne la regardait pas...

Il avait fallu trois mois pour préparer la démission de tous ceux qui voulaient quitter l'armée. Trois mois - pas seulement par rapport à l'administration, mais aussi et surtout pour trouver et entraîner ( bien que trop rapidement ) ceux qui les remplaceraient...

Bien sûr, il avait fallu à tous les soldats qui souhaitaient démissionner de le signaler le mois suivant la mort de l'Empereur Lelouch, parce qu'il aurait été ridicule de préparer quelque chose sans précision aucune... Et bien entendu, comme supposé par Anya, beaucoup ont souhaité partir : ils voulaient d'une nouvelle vie. Et ils devraient aller confirmer leur demande de démission d'ici les prochains jours.

Mais Anya Alstreim, blessée et cassée, n'en avait que faire : ça ne la regardait pas. Parce que pour quelqu'un comme elle - pour quelqu'un qui n'avait nulle part où aller, l'armée était sa seule maison.

Et qu'importe si cette armée la conduirait à sa mort.


Il ne savait pas quoi en penser, mais Jeremiah Gottwald était sûr d'une chose : il quitterait l'armée, et il vivrait une vie calme, paisible, loin des guerres, des morts, des pleurs et des plaintes. Il ne voulait plus vivre dans la misère que représentait sa vie récente de soldat ; il ne voulait plus non plus avoir à faire du mal à qui que ce soit. Ou plutôt, il ne voulait plus avoir à blesser des enfants.

Dans son dernier combat, il avait du combattre ce qui était certainement le plus talentueux soldat qu'il avait eu à combattre durant toute sa vie. Le pilote de Mordred lui avait donné du fil à retordre, et à cause de ça, sa seule solution pour le battre avait été de sacrifier son Sutherland Sieg, au risque de se blesser en le faisant... Mais grâce à ça, il avait pu directement menacer la vie du pilote.

Et... par l'excitation de la guerre en elle-même, ainsi que par l'excitation de son propre combat, il n'avait pas pris la peine d'être surpris. Il avait juste retenu son souffle une demi-seconde en se rendant compte que le pilote du si puissant Mordred était une fille, et par-dessus tout, n'était rien de plus qu'une enfant ; mais sur le coup, il était prêt à la tuer. C'était une règle de guerre : tuer son ennemi avant de se faire tuer soi-même.

Mais pour une certaine raison, au final, Jeremiah s'était senti incapable de la tuer. C'était quand, des larmes discrètes aux yeux, elle lui avait dit qu'elle n'avait pas de souvenirs... Jeremiah avait alors soupçonné le Geass d'être derrière ça, et ce, même si il ne comprenait pas pourquoi quelqu'un supprimerait la mémoire d'une enfant. Alors sans vraiment réfléchir, il avait annulé le Geass imposé à la pilote du Mordred. Et alors qu'elle s'était évanouie, alors qu'il aurait pu la tuer sans problème, il l'avait épargnée...

Était-ce parce que c'était une enfant? Était-ce parce qu'il n'aurait jamais assassiné quelqu'un d'inconscient? Était-ce par pitié? Ou bien était-ce parce que cette jeune fille était trop mystérieuse et avait ainsi attisé sa curiosité? Jeremiah n'en savait rien... Mais il savait une chose : avoir eu à se battre contre cette enfant avait remis en question tout ce en quoi il croyait au sujet de l'Empire qu'il avait consacré sa vie à servir.

Et c'était une des raisons pour lesquelles il voulait se reconstruire une vie loin de tout ça.

En face de lui, attendant probablement également de confirmer sa demande de démission, Gino Weinberg le fixait sans réellement le voir. Jeremiah se demanda alors si la jeune fille, Anya Alstreim, qu'il était à deux doigts de tuer il y avait encore cinq mois, avait déjà démissionné, où bien attendait son tour pour les prochains jours?

Son intérêt pour cette Anya lui semblait étrange... Jamais il n'avait ressenti une telle curiosité pour un individu, et jamais il n'avait ressenti ce besoin d'en savoir plus sur une personne. Pas même en ce qui concernait Marianne, qu'il avait protégé au péril de sa vie, et chérit d'une façon presque romantique, mais tout à fait détachée malgré tout...

Du peu qu'il avait pu voir d'Anya, elle était une personne froide, la plupart du temps impassible, et qui subissait sans jamais se plaindre ou faire la moindre remarque. Une telle froideur pour une enfant aussi jeune était inquiétante, et Jeremiah aurait pu se demander si la jeune Alstreim n'était pas une sociopathe si il n'avait pas déjà mis son attitude sur le compte d'une vie qu'il supposait sans grand mal difficile et manipulée.

Parce qu'après tout, Anya était bien trop jeune pour être un soldat, et Jeremiah se refusait de croire qu'elle l'était par volonté. Une jeune fille de son âge devrait étudier, vivre une vie normale... mais certainement pas risquer sa vie sur le champs de bataille.

Elle avait seulement quinze ans, après tout, d'après ses renseignements... Il l'avait su il y avait environ cinq mois, en cherchant à se renseigner à son sujet. Il se souvenait avoir d'abord été surpris par son âge : il la croyait plus jeune. Il avait aussi été surpris par le peu d'informations qu'il avait pu trouver sur elle : il n'avait pu lui découvrir aucune famille, aucune adresse non plus, et aucun passé.

Mais il n'avait pas non plus cherché trop loin : son intérêt pour cette jeune fille était déplacé, et parce qu'il ne connaissais d'elle que ce dont il avait été témoin, il était aussi malsain.

Il n'avait pas le droit d'interférer dans sa vie, et il ne comprenait pas pourquoi depuis les cinq derniers mois, ses pensées étaient focalisées sur Anya Alstreim, bien qu'il ne l'avait épargnée que de justesse et qu'il ne savait rien d'elle. Elle était juste... son ennemie. Ou plutôt, une ancienne ennemie...

Il retint un soupir, se rappelant qu'il n'était pas seul à attendre dans cette salle pour être appelé par le Commandant.

Gino était là, en face de lui, comme mort, vide de toute expression... Son apathie ne lui allait pas, et Jeremiah ressentit une once de pitié pour le jeune homme. D'après ce qu'il avait entendu, ce dernier se reprochait la mort de son ami et n'arrivait pas à s'en remettre. Mais Jeremiah ne pensait pas qu'il n'y arrivait pas : il pensait plutôt qu'il ne le voulait pas. La culpabilité dévorait le jeune homme comme la guerre dévorait les soldats, et sa dépression n'était donc que le fruit de ses propres actions. Il n'était pas facile de convaincre un individu qu'il n'avait agi que comme il le devait, même si c'était immoral...

A côté de lui, il y avait Villetta Nu, le ventre très rond et l'air tendrement heureux... Jeremiah savait qu'elle avait été mise enceinte par Kaname Ohgi, et il avait d'ailleurs été invité à leur mariage, qui aurait lieu dans plusieurs mois. Il ne savait pas encore si il irait : il le voulait, mais il ne savait pas comment il devait agir. Quand certains ne savaient pas comment agir avec lui, Jeremiah, lui, ne savait pas comment agir avec les gens. Etant émotionnellement et mentalement instable n'aidait pas son cas : les gens le craignaient de peur d'être blessés, voire tués ; et lui avait peur que la crainte des gens à son sujet se révèle une vérité encombrante, gênante, et lourde.

Autour d'eux, une douzaine de personnes qu'il ne connaissait pas attendaient également leur tour. Jeremiah savait que parmi eux, certains n'avaient pas été directement concernés par ce qu'il s'était passé entre Zero et l'Empire Britannia : ils profitaient juste des événements pour démissionner. Qui entrait dans l'armée le faisait au risque de le regretter, et si l'armée ne convenait pas à celui qui s'engageait, il lui faudrait d'abord attendre trois ans pour pouvoir partir. Si, au bout de ces trois ans, il re-signait un contrat, il lui serait ensuite impossible de démissionner pour les quinze années qui suivraient. L'armée fonctionnait comme ça pour éviter d'avoir à traiter avec trop de démissions soudaines. Mais ces temps-ci étaient plus qu'exceptionnels : l'armée se faisait nouvelle.

Cette fois-ci, Jeremiah ne retint pas son soupir ; personne n'en tint compte. Tout le monde était plus ou moins ennuyés d'attendre, et concernant Gino, c'était à peine si il semblait remarquer où il était.

Villetta le regarda du coin de l'œil, mais il fit comme si il ne l'avait pas remarqué : il ne savait pas comment se comporter avec elle. En fait, il ne savait plus comment se comporter avec qui que ce soit... Ces trois derniers mois, il les avait vécus isolé, faisant tous les préparatifs pour partir et recommencer une nouvelle vie. Il comptait cultiver des orangers... Il n'était pas sûr de comprendre comment il en était arrivé là, mais il allait abandonner sa vie de noble pour vivre modestement et gagner sa vie comme toute personne "normale".

Il sentait qu'il avait besoin de changer, et être occupé et travailler durement l'y aideraient. Ou du moins, ça l'aiderait à ne plus trop penser ; et peut-être à oublier Anya et l'étrange obsession qu'il avait pour elle. A vingt-neuf ans, il ne devrait pas penser autant à une gosse de quinze ans, surtout en sachant qu'il ne la connaissait pas personnellement : ce n'était pas normal. Enfin... ça, c'était ce dont il essayait de se convaincre ; parce qu'en réalité, ce qui lui faisait peur n'était pas son obsession en elle-même : c'était de ne pas savoir pourquoi en premier lieu il faisait une telle fixation sur cette jeune fille, et pourquoi cette fixation existait toujours alors qu'il n'avait plus de nouvelles d'elle depuis déjà trois mois.

- Peut-être qu'elle ressemble juste trop à Marianne, pensa-t-il.

Et c'était vrai : Anya ressemblait à Marianne en d'étranges façons. Non seulement elle se battait de la même manière qu'elle, mais toutes les deux avaient en plus la même façon d'attacher leurs cheveux. Mais ce n'était pas vraiment ça qu'avait d'abord remarqué Jeremiah : il ne saurait comment l'expliquer, mais pour lui, Anya avait un air de Marianne : elle lui ressemblait, mais il n'arrivait pas à dire comment. Et à dire vrai, elles étaient pourtant totalement différentes : là où Marianne était grande, chaleureuse, et sympathique, Anya était petite, froide, et distante. Il avait pu s'en rendre compte en la surveillant pendant les deux mois où elle était prisonnière de l'Empereur Lelouch.

Il n'y avait aucun doute à ce sujet : si Lelouch, fils biologique de Marianne, était celui qui lui ressemblait le plus physiquement, Anya, qui n'avait aucun lien de parenté apparent avec la femme, disposait de sa grâce et de sa dangerosité. Et encore, pensa Jeremiah, Anya était plus gracieuse que Marianne...

Anya possédait en fait une douceur froide, légère, qui la faisait presque ressemblait à un fantôme. C'était comme si personne ne pouvait l'atteindre et la toucher... Ce n'était bien sûr qu'une apparence, mais une apparence à la fois réelle et irréelle. Pendant les deux mois où Jeremiah avait observé discrètement la jeune fille, il n'avait jamais pu comprendre ce qui se passait dans sa tête. Elle n'avait été que comme une poupée - une marionnette dont on avait coupé les fils et qui attendaient qu'on lui en mette d'autres, et qui ne se souciait pas même de disparaître.

C'était comme si la vie de l'enfant ne lui appartenait pas, mais était dans les mains d'autres personnes. Ou plutôt, c'était comme si l'enfant n'avait pas de vie en premier lieu, mais était une machine qui agissait machinalement plutôt que pour survivre.

Cette attitude était probablement la chose la plus étrange d'Anya, mais ça, Jeremiah ne pouvait pas même en être sûr : tout de la fille était étrange. Pas seulement son attitude ou son apparence, mais également son apathie, sa personnalité ( ou son manque de personnalité? ), et les mystères qui l'entouraient.

Il savait qu'Anya avait sa part d'importance, mais il ne savait pas en quoi... Ce n'était pas juste le fait qu'elle avait été sous l'influence du Geass qui lui faisait supposer ça, mais également le fait qu'au final, il ne savait pas pourquoi on lui avait imposé le Geass. Qu'y avait-il de si important chez elle pour qu'on lui efface ses souvenirs?

C'était en y pensant, alors même qu'il ne s'attendait plus à revoir cette jeune fille, que le hasard ou le Destin les avait réunis de nouveau. Car dans le silence pesant d'une salle d'attente trop petite pour le nombre de gens qui s'y trouvaient, le bruit discret d'un pas vif mais léger se fit attendre. Et machinalement, chacun tourna sa tête vers le nouveau arrivant...

De sa hauteur trop petite pour son âge, de sa silhouette trop frêle pour l'armée, la jeune Anya Alstreim fit son apparition, marchant d'un pas décidé vers la porte du Commandant.

Et Jeremiah, qui crû presque halluciner, écarquilla les yeux devant l'état alarmant dans lequel se tenait la jeune fille.

Son rôle dans la vie l'avait cassée.


La vie était comme une pièce de théâtre : il y avait un décor, des gens, une histoire. Il y avait un début et une fin, des acteurs et des spectateurs, des rires et des pleurs. Et parfois, il y avait des morts...

Anya Alstreim ne se souvenait pas du début de sa vie, et c'était une évidence valable pour tout le monde. Pour elle, ses débuts n'en n'était pas, parce que d'aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, la vie l'avait mangée, avalée tout entière, et recrachée avec une âme blessée et damnée.

C'était horrible de penser qu'elle avait vécu sa vie à regretter de ne pas avoir de souvenirs, et que maintenant qu'elle les avait retrouvés, elle voulait les oublier. Elle avait appris ce que la vie lui avait fait, que les gens l'avaient manipulée et faite souffrir dans le seul but de l'utiliser, et que tout ce en quoi elle avait cru était un mensonge abominable jeté sur le monde comme l'on jetait des déchets.

Et alors qu'elle devrait ressentir une énorme colère envers ces gens, alors qu'elle devrait maudire Jeremiah Gottwald pour s'être immiscé dans sa vie et lui avoir rendu ses horribles souvenirs, tout ce qu'elle ressentait n'était qu'un vide atroce qui la dévorait de l'intérieur.

Son âme était cassée, brisée ; sa vie n'était que le fruit du désir malsain de plusieurs hommes de manipuler une poupée humaine et de voir ce qu'il en résulterait. Anya n'avait été qu'un cobaye pour l'Humanité, et alors qu'elle aurait du vouloir cracher sa haine et détruire ces gens, elle ne voulait que cacher ce qu'elle avait subit ; peut-être par honte, elle n'en savait rien. Elle ne comprenait pas ce qu'elle ressentait, mais elle savait qu'elle voulait ne plus rien ressentir.

Peut-être était-ce pour ça qu'elle ne rechignait pas à chaque mission suicidaire qu'on lui donnait... Ou peut-être simplement qu'elle avait apprit à ne rien dire et qu'elle s'y tenait, comme un chien qui n'a nulle part où aller obéirait à celui qui le nourrirait et le logerait, même si ça signifiait être utilisé, battu, et humilié.

Un chien qui n'avait plus rien ne se souciait pas de ce qu'on lui faisait... Anya était pareille, parce qu'Anya n'avait plus rien. Anya avait juste des ordres, et elle s'y tiendrait, même si ça finirait probablement par la tuer. Pas que mourir la gênait : ça lui semblait même être son seul salut... Elle ne savait pas comment vivre, après tout ; et la vie n'était donc pas faite pour elle.

Et alors même qu'elle l'avait toujours su, elle le subissait désormais. Elle savait l'accepter.

C'était donc dans un pas décidé, presque précipité, qu'elle se dirigeait vers le bureau du Commandant, soumise à sa fonction, et indifférente à ce qui l'attendait.

La salle d'attente devant le bureau du Commandant était remplie, donnant l'impression d'être beaucoup trop petite pour les gens qui y étaient. Anya elle-même se serait sentie étouffée si elle devait attendre comme eux ; mais elle ne le devait pas, parce qu'elle n'était pas ici pour quitter l'armée. Elle était ici parce qu'elle avait été convoquée, et qu'elle avait en plus trois jours de retard.

Pas que son retard soit volontaire...

En face d'elle, les deux gardes de chaque côté de la porte la regardait. Le premier, âgé d'une trentaine d'années, lui lança un regard curieux et impressionnée... Le nom de cet homme était Conrad Stein. Il était grand et imposant, mais usé et ennuyé ; malgré tout, un air de malice brillait toujours dans ses yeux, ce que respectait Anya en dépit des temps durs qu'ils vivaient tous à leur façon.

Le second homme était un jeune soldat, probablement un nouveau au vu du regard concerné et impressionné qu'il lui lançait. Il était grand, âgé d'une vingtaine d'années, et le regard jeune et heureux ; il n'avait probablement pas subit directement la discrimination, la guerre, et la perte des êtres chers. Pourtant, Anya ressentit un certains soulagement face à lui : voir quelqu'un comme ce jeune soldat, frais et insouciant, lui promettait un avenir meilleur pour la prochaine génération.

- Alstreim ! fit Conrad, les lèvres tirées dans un sourire narquois. Trois jours d'retard, et tu t'attends à c'que le Commandant t'reçoive?

Anya lui lança un regard vide. Derrière ses airs de géant, cet homme lui avait toujours été sympathique. Il pouvait être dur et brusque, mais jamais il ne se serait permis de lui manquer de respect : Anya était un meilleur soldat que lui, après tout.

- Ne me fais pas perdre mon temps, répondit-elle, le ton froid et tranchant.

- T'es dans un sale état, ma pauv' fille... répliqua Conrad, théâtralement tragique.

Elle était dans un sale état parce que son rôle la mâchait cruellement, parce qu'elle était à la fois actrice et victime de la guerre. Elle n'avait pas choisit la misère du monde ; elle n'avait jamais voulu être témoin de la tristesse et de la haine des gens...

Le monde avait fini par manger ses enfants, et Anya n'était pas épargnée.

D'un ton glacial et menaçant, Anya donna un avertissement en ne prononçant qu'un mot, un nom propre désignant son camarade, son collègue de travail, et l'homme qui lui faisait perdre son temps :

- Stein.

Ce dernier sembla comprendre son empressement, parce qu'il leva les mains devant lui en signe de paix, et avec un sourire maladroit pour un homme de son âge, fit :

- Ouais, ouais. Monte pas sur tes grands chevaux. Attends juste que l'gars avec qui il est dégage, et t'iras.

Il soupira lourdement, puis, avec un air plus sérieux, lâcha :

- Qu'est-ce s'est passé, d't'façon? Z'étiez censés rentrer y a trois jours, mais je vois que vous n'rev'nez qu'aujourd'hui? En plus, personne n'arrivait à prendre contact 'vec vous ; l'Commandant était furax ! Et t'as vu ton état?

Anya se raidit légèrement, inconsciemment...

Les souvenirs de ce qu'il s'était passé la rendait malade. Le sang et les morts n'étaient rien face à la vision d'horreur d'un seul vivant qui s'était vu torturé dans le seul but de les effrayer. Un de leur camarade avait été pris, et ses yeux et ses oreilles y avaient été arrachés ; et non pas pour recueillir des informations comme ils l'avaient d'abord crû, mais juste pour leur faire peur. Lorsqu'Anya et son unité avait retrouvé le jeune homme, elle avait cru que son âme mourrait avec lui. Et pourtant, elle avait déjà vu pire... Était-elle devenue trop sensible pour continuer à s'appeler un "soldat"?

- Une embuscade, répondit-elle froidement. On a été pris dans une embuscade, et on a du quitter la base.

Elle se souvenait encore fraîchement du soldat, de son ancien camarade. Alors qu'il agonisait, ses orbites creux, sans globes oculaires, semblaient la fixer, lui reprochant de ne pas l'avoir sauvé, de ne pas être arrivée plus tôt, et de l'avoir condamné.

Et alors, elle s'était sentie plus misérable encore que ceux qui lui avait fait ça. Elle avait eu l'impression d'être un monstre impuissant, et d'avoir failli à son devoir.

Le garçon, à peine un homme, était mort dans l'hélicoptère, pendant qu'ils l'évacuaient ; il y avait seulement quelques heures... Et ses orbites noirs, terrifiants, étaient restés fixés sur elle jusqu'au bout.

Elle n'avait pas été capable de le sauver.

- Mais encore?

La voix de Conrad, impatient et ennuyé, la sortit de ses sombres pensées.

- Comment t'en es arrivée à êt'es si blessée? continua-t-il.

- Ça ne te regarde pas, répliqua Anya.

A ce moment, la porte s'ouvrit, coupant Conrad - qui voulait répliquer - dans sa lancée, et découvrant un homme sortant du bureau du Commandant. Et sans attendre, au risque de se faire sermonner par son Commandant, elle entra dans son bureau, pressée de partir avant même d'être entrée.

Le Commandant, un homme imposant et presque aussi froid qu'Anya, fut d'abord surpris par l'arrivée de cette dernière. Puis, sans attendre, il fronça les sourcils, l'air grave et la posture raidie, probablement anticipant les horribles nouvelles apparentes qu'Anya Alstreim aurait à lui délivrer.

Anya, terriblement impassible malgré la situation, fit son rapport avec un ton cruellement détaché pour les nouvelles qu'elle annonçait.

Qu'importait les morts ; qu'importait si ces morts étaient inutiles... elle n'avait fait que son travail. Et pourtant, tout au fond d'elle, martyrisant son cœur et compressant ses poumons, quelque chose l'empêchait de se convaincre qu'elle n'était pas un monstre et qu'elle n'aurait pas du mourir elle aussi...

Dans un langage commun, les gens appelaient ça la "culpabilité". Et la culpabilité était une chienne qui n'avait pas besoin de vérités pour s'inviter, n'est-ce pas?


Le regard péniblement vide, Anya ne semblait pas avoir reconnu qui que ce soit en dehors de ce garde vulgaire. Et alors qu'elle parlait à ce dernier, Jeremiah la dévisagea discrètement...

Elle était habillée simplement, avec l'uniforme noir standard de l'Unité Spéciale - et Jeremiah aurait presque sifflé d'admiration de voir une fille si jeune dans l'Unité Spéciale si il n'avait aucune retenue et qu'il n'était pas entouré par un "public". C'était déjà difficile pour un homme d'intégrer l'Unité Spéciale, alors il était surprenant de constater qu'une enfant de quinze ans, trop maigre et trop petite pour son âge, y était parvenue.

Mais l'Unité Spéciale n'était pas non plus une unité que beaucoup souhaitaient intégrer, et en voyant l'état actuel d'Anya, Jeremiah comprit sans grand mal pourquoi : la tête, l'oeil droit, le cou, et la main gauche d'Anya ( et probablement son bras aussi, mais comme l'uniforme était à manches longues, Jeremiah ne pouvait que le supposer ) étaient couverts de bandages maladroits, faits trop rapidement et sans réel soin ; sur sa joue et un peu partout sous les bandages, des énormes pansements étaient disposés très peu esthétiquement, et rougis pour la plupart par le sang d'Anya ; et des éraflures ainsi que des hématomes parcouraient la partie visible de son visage, ainsi que sa main droite.

De plus, pour en rajouter au pathétisme de son état, son seul œil visible, cerné par un manque de sommeil qui semblait bien trop important pour un être humain, ne reflétait rien. Il y avait un manque d'émotions tellement flagrant dans son regard que ça en était inquiétant, et qu'on pouvait se demander comment un tel détachement était possible pour un être humain.

Sa peau, déjà naturellement très pâle, était, à ce jour, grisâtre, maladive ; ce qui accentuait terriblement ses cernes, et qui donnait l'impression qu'elle pourrait tomber inconsciente à n'importe quel moment.

Et aux yeux de Jeremiah, jamais Anya n'avait semblé aussi faible, aussi fragile, aussi cassée, et aussi proche de la mort. Pas même alors qu'elle allait se faire exécuter il y avait cinq mois...

En s'en rendant compte, alors qu'il la vit entrer dans le bureau du Commandant, il se sentit lui-même brisé, pathétique, et presque horrible : c'était à Anya de vivre une vie normale, pas à lui. Les enfants ne devraient pas avoir à porter et à assumer les péchés des adultes... Mais pourtant, Anya était là, entrant dans ce bureau qui la condamnait, et qui le délivrerait, lui, définitivement de ses obligations militaires.

La vie était injuste...

Tournant ce regard vers Gino, il vit ce dernier plus vivant qu'il ne l'avait vu au cours des trois derniers mois. Le regard fixé sur la porte fermée que venait de franchir Anya, un semblait de gratitude brillait dans ses yeux.

- Tu m'expliques qui est cette gosse? demanda brusquement le plus jeune des deux gardes.

Discrètement, Jeremiah écouta la conversation.

Conrad Stein, l'autre garde, ricana, amusé.

- Quoi, tu la connais vraiment pas? fit-il, semblant impressionné. Tu dois m'charier ! "Anya Alstreim" t'dit rien?

Le plus jeune des gardes sursauta, surpris.

- T'veux dire qu'cette gosse est cette "Anya Alstreim"? interrogea-t-il, choqué. Le génie de guerre dont toute la base parle?

Conrad hocha la tête avec force, puis répliqua d'une voix lourde :

- Yep ! Celle-là même !

- Dieu... murmura le plus jeune. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi jolie.

En entendant ça, Conrad éclata d'un rire franc.

- Quoi, t'es amoureux? fit-il moqueur. Cherche pas, gamin : t'as aucune chance. Cette fille est trop talentueuse pour quelqu'un comme toi.

- Qu'est-ce t'en sais, le vieux? rétorqua le plus jeune, furieux, frustré, et honteux. Et d'abord, c'est quoi ce soit-disant talent qu'elle aurait?

A cette question, le yeux de Conrad s'illuminèrent, et alors que son sourire se fit sombre et froid, le plus jeune des deux regretta presque d'avoir demandé ça.

- Son talent, gamin, est celui de tuer.

A ces mots, le "gamin" ne fut pas le seul surpris : Jeremiah, de son côté, écarquilla les yeux, choqué lui aussi par cette révélation.


Anya ne prit pas son temps pour parler avec le Commandant : à peine dix minutes après être entrée dans le bureau, elle ressortit, l'air tout aussi indifférente que lorsqu'elle y était entrée.

Et alors qu'elle repartait sans demander son reste, Jeremiah remarqua sans peine Conrad interpeller la jeune fille, l'air joyeux et paternel :

- Alors, Alstreim... devrions-nous fêter l'retour d'ton unité?

Anya s'arrêta, mais elle ne se retourna pas.

- Tu peux aller pleurer les morts si tu le veux, dit-elle avec une froideur presque cruelle.

Puis lentement, elle se tourna seulement légèrement vers lui et le regarda dans les yeux avec son seul œil intact.

- Ou bien tu peux aller t'inquiéter de l'état des blessés, continua-t-elle. Pour ma part, je repars en mission, alors quoi que tu décides de faire, ce sera sans moi.

- Tu r'parts déjà? interrogea Conrad, choqué. T'penses pas qu'tu d'vrais d'abord t'soigner et t'reposer? T'es dans un état lamentable !

- Mêle-toi de tes affaires, répondit Anya en partant, sans même se retourner. Les ordres sont les ordres.

A cette réplique, Jeremiah fronça les sourcils, concerné. Et il ne fut pas le seul : Villetta l'imita, non pas parce qu'elle y était pour quelque chose quant à la situation d'Anya, mais parce que pendant un temps, elle avait été l'institutrice de l'enfant, et qu'en tant que telle, elle se sentait quelque peu responsable de la jeune fille ; et Conrad, de son côté, fronça surtout les sourcils par ennui que par réelle préoccupation, parce qu'il était habitué au comportement distant de la jeune Alstreim.

Mais Gino, lui, avait retrouvé Anya. Sa Anya... Sa meilleure amie. Et comme si la culpabilité ne l'avait jamais tiraillé, son esprit se refit jeune, ses yeux semblèrent s'agrandir, et son regard redevint presque pareil à celui qu'il possédait avant la mort de son ami : un regard jeune, d'espoir, de bonne humeur, et d'envie de vivre et de découvrir le monde.

Par le simple passage plus que froid d'Anya, Gino était redevenu Gino.


C'était comme avouer à un inconnu que l'on aimait une personne qu'il ne connaissait pas, mais qui signifiait le monde pour nous. C'était embarrassant, maladroit, gênant, et irrémédiablement inconfortable. Mais si c'était ce qu'il fallait, alors Jeremiah le ferait...

Lorsque le Commandant reposa son regard sur lui, Jeremiah su qu'il avait gagné.

- Très bien, dit le Commandant, sévèrement. Dès son retour de mission, vous superviserez Anya Alstreim. Elle sera sous vos ordres, devra vous obéir ; pendant trois ans, elle sera vôtre et uniquement vôtre. Mais en échange, je veux qu'elle ne devienne rien d'autre qu'une machine de guerre. Dans trois ans, je veux qu'elle ne ressente rien, qu'elle ne soit qu'un chien - non, mieux : un outil ! Me suis-je bien fait comprendre, Jeremiah Gottwald?

Il savait que ce n'était pas la meilleure solution... Mais pourtant, si c'était ce qu'il fallait pour aider Anya Alstreim, alors Jeremiah était prêt à se sacrifier.

Il retint son envie de déglutir, et avec tout le respect qu'il était capable de donner à l'homme en face de lui, il lui répondit :

- Oui, mon Commandant.

C'était un échec et mat.

Le destin d'Anya Alstreim était désormais dans les mains de Jeremiah Gottwald. Et contrairement à sa parole, il ferait tout pour ne pas casser Anya Alstreim plus qu'elle ne l'était déjà...


A SUIVRE


Note d'auteur :
Connaissez-vous Hilaire ( u/942210/Hilaire )? Non? Bien... vous avez raté votre vie !
Non, je blague, mais je voulais vous le faire connaître parce que je suis une fan, et que je suis tombée amoureuse d'une de ses fan'fictions sur Code Geass : With a Touch of Madness.
C'est en Anglais, et personnellement, ça ne me pose pas de problème, mais pour vous, si vous ne comprenez pas l'Anglais et que vous aimez le couple "Jeremiah X Anya", je vous conseille fortement d'utiliser le Google Traduction et d'aller lire cette fan-fiction, parce qu'elle est tout simplement sublime et remarquablement écrite.
Et d'ailleurs, sachez qu'à l'origine, c'est parce que j'ai lu cette fan-fiction que j'ai moi-même décidé d'écrire sur Code Geass.