Warning : De nombreux détails ont été modifié pour pouvoir correspondre à l'histoire. Toute les œuvres ou lieux cités existent, en dehors de Hasetsu.
Update : 20/05/2019, version corrigé publié.
Le Moine au bord de la mer
Caspar David Friedrich
1808 – 1810
Alte Nationalgalerie
Berlin
D'un coup de main, Yuuri traça un trait rageur de peinture noir sur toute la diagonale de sa toile pourtant toujours vierge de toute couleur. Cela faisait à présent plus de deux semaines que le même schéma se répétait inlassablement.
Tout d'abord, Yuuri installait une toile sur son chevalet en bois, puis il fixait la surface sous ses yeux, et y passait même un doigt pour sentir les grains fins rouler sous sa peau. Puis il levait les yeux, et regardait le monde au-delà de la toile, ses yeux se perdant sur le paysage que montraient les grandes baie-vitrés de son atelier. Il se retrouvait toujours autant chanceux qu'au premier jour, quand il avait eu les moyens d'acheter le dernière étage de cet appartement à Hasetsu, sa terre natale.
Au départ, il n'avait pas envisagé de revenir dans cette petite ville de pécheur, mais après avoir passé presque cinq ans à supporter l'agitation et la pollution de Tokyo pour ses études en art appliqué, il avait décidé de revenir chez ses parents dans un premier temps. Puis, quand le succès avait commencé à fleurir autour de lui et qu'il avait réalisé ses premières ventes plutôt conséquentes, il avait profité de l'occasion pour acheter un bien à lui. L'espace n'était pas très grand, mais il avait effectué des travaux afin d'abattre les nombreuses cloisons, et ainsi dégager un maximum d'espace et de lumière. Puis il avait remplacé les petites fenêtres par d'immense vitres transparentes, qui lui donnait une vue incroyable sur la presqu'île où se trouvait le château d'Hasetsu, - réputé pour être une authentique demeure de ninja, bien que cela n'ait jamais été prouvé -, ainsi que sur le fleuve qui brillait de mille feux à chaque couché de soleil.
Les années avaient continué de passer, et à présent, il avait largement de quoi changer de lieux de travail, et même d'acheter l'intégralité de l'immeuble s'il le voulait, mais pour rien au monde il ne se serait séparé de cette vue. Cette vue qui avait participé à sa renommée et qui l'avait inspiré des dizaines de fois pour ses œuvres.
Seulement voilà, même ce paysage incroyable ne semblait suffire à le débloquer de l'immense syndrome de la toile blanche dans lequel il était coincé depuis trop longtemps.
Parce que oui, Yuuri Katsuki n'avait plus aucune inspiration. Il s'était battu des années pour atteindre une certaine notoriété et la reconnaissance pour son œuvre, et son rêve s'était concrétisé quand il avait été le sujet d'une exposition éphémère au célèbre Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou de Paris. Il pouvait se rappeler encore de la saveur de la réussite et de la satisfaction qui avait couru dans ses veines quand il avait vu ses toiles recouvrir les façades du centre, avec son pseudo en grosse lettre :
« Y.K, un regard sur le monde. »
Y.K.
Il avait pris l'habitude de signer ses œuvres de ses initiales, et à défaut d'être original - ce qui était le comble pour un artiste - cela lui offrait le confort de l'anonymat. Il n'était pas présomptueux à croire qu'on pouvait le harceler, ni même le reconnaître dans la rue, mais le japonais était quelqu'un de profondément timide, et l'idée même que son image circule sur le net, et que des informations concernant sa vie privée soit connu de tous, suffisait à le faire paniquer. Alors même si tout le monde ignorait que cette réussite était le sienne, et si son identité était un des mystères qui tenait le japon et presque la moitié du monde en haleine, jamais au grand jamais il ne se montrerai en public pour se revendiquer comme étant Y.K. De plus, l'image fantasmé que le publique semblait avoir de lui ne rendait son œuvre que plus désirable, et ça, sa manager l'avait bien compris.
Cependant, la conquête du plus grand musée d'art moderne de France avait un revers que le brun n'avait pas envisagé, et ce revers s'appelait MoMA, l'abréviation de Museum of Modern Art de New-York. Les deux musées se livraient une guerre depuis des années pour s'accaparer les nouveaux artistes de l'époque. Beaubourg avait eu un coup d'avance en lui consacrant une exposition éphémère, sa première hors du japon, le MoMA ne pouvant le supporter, avait contacté la manager de Yuuri en leur commandant non pas une, ni deux, ni trois toiles, mais une dizaine afin qu'elles puissent intégrer leur exposition permanente.
- Yuuri c'est une chance inouï !, Cria presque Okukawa Minako en le serrant brutalement dans bras., Bénie soit la rivalité entre les musées, non seulement cela va augmenter ta notoriété, mais cela va aussi augmenter notre portefeuille !
- Tu sais bien que je ne fais pas cela pour l'argent., Avait maronné Yuuri en remettant en place ses lunettes de vu.
- Tu ne peux nier que tu es quand même content quand ton art te rapporte de quoi acheter un appartement., Dit-elle en arquant un sourcil droit parfaitement épilé.
Yuuri n'avait eu d'autre choix que de confirmer. Sa manager était une belle femme dont l'apparence était toujours soignée et distinguée, sauf quand elle commençait à enchaîner les bières les soirs de match de football. Dans ces moments-là, elle se transformait en une autre femme, une femme qui avait les cheveux ébouriffés, sans maquillage, et qui troquait ses jupes strictes par un jogging large pour pouvoir s'asseoir en tailleur devant sa table basse et hurler contre les joueurs devant l'écran de sa télé, des bouteilles de bière et de chips traînant çà et là autour d'elle. Yuuri avait beaucoup d'affection pour cette jeune femme qui avait su croire en lui et en son talent, suffisamment pour obliger son patron et signer un contrat avec lui dans son agence, ce qui n'était pas gagné.
Au milieu de toute ces vagues d'artistes contemporains et avants gardes, la peinture de Yuuri pouvait être considéré comme '' classique ''. Une critique avait décrit son style dans un article de L'oeil en une phrase très brève mais très pertinente :
« La peinture de Y.K est comme la caresse d'un David pour notre regard mais avec la simplicité et le réalisme d'un Courbet. »
Yuuri avait rougit jusqu'à la racine de ses cheveux devant un si beau compliment. Il n'était pas certain que son style aux antipodes de ce qu'il se faisait à son époque soit apprécié, mais apparemment il avait réussi à se créer petit à petit un public, et il en était satisfait. Il avait rallié à son compte les amateurs d'arts classiques avec un esprit conservateur, et les personnes plus simples qui ne connaissaient presque rien à l'art et qui l'avait félicité sur son site internet pour '' savoir peindre pas comme Picasso '' et ceux qui appréciaient simplement l'esthétique qu'il apportait à ses tableaux. Certains lui reprochaient aussi de retrouver les codes imposés par l'Académie et de faire un retour aux dix-neuvièmes siècles français alors que des artistes avaient luttés toute leurs vies pour s'en défaire et libérer leur art. Mais honnêtement, Yuuri s'en fichait des avis. Il n'était pas si vil, sa démarche n'avait rien de conservateur ou un appel au retour aux sources comme un artiste du classicisme avec les maîtres de la renaissance italiennes. Il peignait juste ce qu'il aimait avec la façon qui lui semblait la plus juste, sans se poser toute ses questions d'interprétations.
Et voilà qu'il se trouvait prit dans une rivalité entre deux des plus grands musées d'art moderne du monde. Il ne manquait plus que le Tate Modern de Londres s'y mette, et Yuuri n'aurait plus qu'à sauter de son balcon.
Cette idée devenait de plus en plus alléchante à mesure que la date limite pour livrer les œuvres au MoMA approchaient, et qu'il n'en avait pas commencé une.
Le japonais soupira en passant sa main sur son visage. Si seulement il pouvait trouver la source de son blocage, il pourrait tenter d'arranger les choses pour que son inspiration revienne, mais il n'en avait pas la moindre idée. Ce vide qu'il ressentait devant les toiles de son atelier, était simplement apparu comme ça, et avant que Yuuri ne réalise l'ampleur du phénomène, il était déjà trop tard et le brun ne pouvait que constater les dégâts, totalement impuissant. Il soupira une nouvelle fois et sa tête se posa contre la toile, ne se souciant pas si le trait de peinture noire était sec ou pas. Il laissa passer peut-être quelques minutes, ou peut-être quelques heures, avant de relever la tête. Rester dans son atelier ne servait à rien, hormis le décourager et le déprimer davantage. Il se leva, rassembla ses affaires et quitta son atelier.
L'avantage de vivre dans une petite ville est qu'il n'avait pas besoin de voiture pour se déplacer, ce qui était un bon point puisqu'il aimait marcher plus que tout. De toute façon, la vie à Tokyo l'avait rendu phobique du bruit des voitures et de la circulation en général. A Hasetsu au moins, il pouvait prendre le temps de flâner au bord du fleuve, et respirer l'air à plein poumons sans avoir à se soucier de porter un masque contre la pollution. Il n'y avait qu'une dizaine de minutes de marche entre son atelier et l'auberge de source chaude de ses parents. Bien qu'il eût un chez lui en centre-ville, il aimait de temps à autre y revenir pour retrouver son ancienne chambre et pour profiter des sources. Il aimait aussi retrouver la cuisine de sa mère. Elle avait toujours le goût du réconfort, de tout ce qui était bon et chaud dans le monde. Il avait beau avoir vingt-cinq ans, il n'avait pas honte d'assumer et de dire qu'il cherchait encore la présence de sa mère quand il était au fond du gouffre.
Il ouvrit la porte de l'entrée de l'auberge familiale, et il se sentit déjà un peu mieux juste en sentant l'odeur du riz chaud et du porc panée. Il se déchaussa rapidement avant de tracer jusque dans la cuisine où il trouva sa mère derrière les fourneaux.
- Tu savais que j'allais venir ?, Il demanda doucement en souriant.
Hiroko Katsuki ne sursauta pas et ne se retourna pas pour saluer son fils, mais son visage s'illumina.
- Évidemment, je suis une mère, je possède ce genre d'instinct en moi.
Le japonais rit doucement. Il aurait dû s'en douter. Sa mère avait toujours eu ce genre de sixième sens en ce qui concernait ses enfants. Même si la plupart du temps, ils ne l'écoutaient pas. Comme la fois où elle avait dit à la sœur de Yuuri – Mari – qu'elle ne devait pas sortir avec ce jeune venu d'Osaka et qui avait tout l'air d'un délinquant. Mais Mari n'avait rien voulu entendre, pour une fois qu'elle trouvait un garçon attirant, elle ne voulait pas croire leur mère. Il avait fallu qu'elle se rende compte que ce garçon avait déjà une petite amie à Osaka, et qu'il n'était là que pour s'amuser durant ses vacances. Elle en avait eu le cœur brisé, et sa confiance en elle avait été sévèrement atteinte. Depuis, elle vivait recluse dans la sécurité de sa chambre, refusant le moindre contact avec le sexe opposé. Yuuri avait de la peine pour elle, mais il ne savait pas trop ce qu'il pouvait y faire. Ils n'avaient jamais été très proche, n'ayant pas les mêmes centres d'intérêts et Yuuri quittant le cocon familial dès que ses moyens l'avaient permis pour la capitale. Il n'empêche que Mari était sa sœur et qu'il avait de l'affection pour elle malgré tout.
- Tu n'as toujours pas retrouvé l'inspiration ?, Demanda doucement sa mère alors qu'il tirait une chaise de la cuisine pour s'y asseoir.
- Non. Le délai est pour dans deux mois et je n'ai toujours rien produit, c'est un désastre.
- Tu sais, tu devrais essayer de faire autre chose plutôt que te forcer tous les jours à peindre quelques choses. Tu devrais sortir, rencontrer des gens, essayer de nouvelles expériences...
- Est-ce que tu viens vraiment de dire '' rencontrer des gens '' en parlant de moi, maman ?,Demanda le brun son expression septique bien lisible sur son visage.
Sa mère lâcha un rire tout en coupant des tranches de porc d'un geste précis.
- Certes, peut-être que j'ai été un peu trop visionnaire sur ce point-là. Mais je pense sincèrement que ça pourrait te faire du bien., Elle se retourna en posant son couteau pour le couver d'un regard inquiet.
- Je sais que tu penses que je devrais avoir des amis et peut-être même une petite amie mais franchement maman..., Il laissa sa phrase en suspend en secouant la tête.
- Qui a parlé de petite-amie ? Tu pourrais avoir un petit-ami aussi si tu voulais.
Yuuri prit une brusque inspiration et il s'étouffa avec sa salive, le faisant tousser et rougir ses joues.
- Maman ?!, S'écria-t-il presque.
- Quoi ?, Demanda-t-elle innocemment., Je ne fais qu'énoncer une possibilité.
- Maman, je ne suis pas gay.
- Hum, hum., Répondit-elle absolument pas convaincu, son attention retournant à ses tranches de porc.
Yuuri abandonna. Il savait sa mère ouverte d'esprit, mais il ne se voyait pas lui expliquer dans la cuisine qu'il n'avait jamais été attiré physiquement par personne, et qu'il doutait que cela puisse changer un jour. Il était un artiste et par conséquent il avait dédié sa vie et son amour à ses toiles et à sa peinture. Il savait que l'art n'empêchait pas l'amour, et que certains artistes avaient eu de nombreux amants et amantes au cours de leur vie et qu'ils en avaient même fait leur Muse pour la plus part. Mais Yuuri ne se sentait pas comme les autres artistes, lui, il n'avait jamais rencontré quelqu'un qui le faisait frémir de la même façon que son corps vibrait en traçant une courbe sur un papier fin avec une pastelle douce, il n'avait jamais eu l'envie de se plonger dans le regard d'une personne et de se demander quelles aquarelles il pouvait utiliser pour en retranscrire toute la nuance et la lumière sur un papier aux grains satinés. Il n'avait jamais eu envie d'effleurer la peau frissonnante d'un flanc ou le creux d'une épaule avec le poil de son pinceau favori.
Il avait longtemps réfléchi à ce manque de désir physique envers les personnes qu'il croisait dans la rue ou qu'il rencontrait, sans vraiment trouver d'explication. Il avait longtemps cru qu'il avait un problème quant à vingt ans il avait réalisé son désintérêt total pour les relations sexuelles ou autres types de rapport se rapprochant de la chose. Il n'avait jamais osé en parler et évitait soigneusement toute conversation se rapportant à sa vie intime. Il ne voulait pas sentir sur lui les regard intrigués et un peu déroutés des personnes. Puis un jour, un peu au hasard, il était tombé sur un article qui portait le mot qui allait définir sa personne : l'asexualité. Il avait eu de la chance ce jour-là, le journaliste ne parlait pas de cette orientation sexuelle comme d'un problème où d'une maladie, il énonçait juste une constatation. Certaines personnes n'avaient tout simplement pas de désir envers d'autres individus. Cela ne les empêchait pas de pouvoir tomber amoureux, mais ils ne ressentaient pas le besoin de traduire cette amour par des relations sexuelles, car ils avaient trouvé une autre source de désir pour les satisfaire.
Très lentement, Yuuri avait alors reposé le journal avant de relever l'écran de son ordinateur portable et de lire en intégralité la page Wikipédia de l'asexualité, suivit d'une dizaines d'autres articles et de témoignes de personne dans le même cas. Savoir qu'il n'était pas seul l'avait rassuré dans un premier temps, puis se rendre définitivement compte qu'il n'avait pas de problème et qu'il était tout à fait normal avait détruit le manque de confiance en lui lié à ce sujet.
S'en était suivit une autre question existentielle, s'il ne désirait personne physiquement, est-ce que le sexe de la personne avait son importance pour qu'il puisse tomber amoureux ? La réponse lui avait sauté aux yeux d'elle-même : non. Cela n'avait pas d'importance. Il se sentait parfaitement capable d'aimer une personne qu'elle soit une femme ou un homme. Les courbes sur le papier n'étaient pas les mêmes, mais un trait restait un trait. Au fond, mise à part l'esthétique, il n'y voyait pas une grande différence.
Mais voilà, Yuuri ne sentait pas capable d'aborder ce sujet avec elle, entre le riz chaud et le porc frit de la cuisine. Alors il se contenta de laisser s'installer le silence et laisser sa mère croire ce qu'elle voulait.
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Consultant l'heure sur son téléphone aussi discrètement que possible, Yuuri se demandait encore ce qui lui avait pris de penser que c'était une bonne idée d'avoir contacter Yuko Nishigori et son mari Takeshi pour « boire un verre » dans l'unique bars à peu près convenable de Hasetsu. Fut un temps, ils avaient été amis. Enfin, Yuko avait été la seule de toute leur classe de primaire à faire un effort pour être ami avec lui, et Takeshi s'était contenté de le charrier durant des années sur les quelques kilos qu'il avait en trop encore à l'époque. Yuuri se souvenait vaguement avoir ressenti des sentiments s'approchant d'un premier amour pour la jeune femme, sûrement parce qu'elle était la seule enfant à être gentille avec lui, ou peut-être parce qu'il aimait la voir patiner avec cet air heureux sur le visage, alors que lui refusait catégoriquement d'y mettre un pied. Puis les années avaient passés, et pendant qu'ils étaient au lycée, la jeune brune avait commencé à sortir avec Takeshi, comme les gens l'avaient parié. Puis Yuuri était partit pour la capitale et quand il était revenu, ils s'étaient mariés et avaient eu des triplés. Le brun avait été un peu choqué de l'apprendre, et ce n'était pas peu dire. Il avait eu l'impression de prendre un coup de vieux monumental et de réaliser pour la première fois qu'il avait vingt-cinq ans et que oui, à cet âge, certains étaient déjà marié avec des enfants. Puis il avait eu l'impression de vivre en décalage complet avec son temps et les gens autour de lui mais, n'était-ce pas la vie de tout artiste ?
Donc, il était actuellement assis à une table qui était dans un état à peu près correct, un verre de liqueur de Anzu* devant lui. Takeshi en avait jugé le contenu d'un sourire moqueur et Yuuri avait serré des dents pour s'empêcher de soupirer.
- Ben alors Katsuki ? On boit de l'alcool de femmelette ?
- Takeshi., L'avait mise en garde Yuko en le fusillant du regard avant de lui offrir un sourire d'excuse.
Un nouveau mystère venait de s'ajouter à la liste des secrets de l'univers : Qu'est-ce qu'une fille adorable et douce comme Yuko faisait avec quelqu'un d'aussi brute de décoffrage comme Takeshi ? Yuuri espérait sincèrement que ce n'était pas pour ses filles que la jolie brune ne le quittait pas. Son esprit songea à ce qu'ils avaient dû faire pour avoir trois enfants en même temps et il se sentit grimacer. Peut-être que sa boisson était plus adaptée aux femmes parce qu'elle était sucrée et passait facilement, mais il n'aimait pas l'alcool. Cependant il avait jugé qu'il en aurait besoin pour survivre à cette soirée et effectivement, c'était le cas.
Il n'était toujours pas certain de ses motivations. Voulait-il faire plaisir à sa mère en lui prouvant qu'il pouvait rencontrer des gens s'il le décidait ? Voulait-il se prouver à lui qu'il était encore capable de sociabiliser avec des personnes réelles autre que les protagonistes de ses peintures ? Ou voulait-il se procurer un argument pour justifier sa thèse sur l'inutilité de ce genre de soirée ?
Sûrement. Probablement. Assurément.
- J'ai entendu ta mère dire que tu allais bientôt partir les États-Unis ?, Demanda Yuko avec de la gentillesse dans la voix.
- Hm, oui. Je dois me rendre à New-York pour une exposition.
- Encore une exposition ? Mais celle de Paris vient à peine de se terminer il me semble...
- Je sais. Crois-moi j'aurai aimé avoir un peu plus de temps avant de devoir préparer de nouvelles toiles.
- N'empêche que tu as de la chance de voyager comme ça ! J'aimerai beaucoup me rendre à New-York moi aussi ! On pourra y aller un jour, hein ?, Demanda-t-elle en se tournant vers son mari qui fronça les sourcils.
- Pourquoi est-ce que tu voudrais y aller ? On est très bien ici., Répondit l'homme d'un ton bourru.
Yuko se mordilla la lèvre, et ce n'était pas parce qu'elle était gênée, non.
- Pour voyager ! Quitter le japon ne serait pas une expérience intéressante ?
- Non. Je ne veux surtout pas que nos filles soient influencées par la décadence américaine.
Yuuri retint mal un rire sarcastique ce qui attira l'attention de Takeshi sur lui.
- De toute façon, artiste ce n'est pas un métier très stable n'est-ce pas ? Tout peut s'arrêter d'un moment à un autre, alors pourquoi tu ne décides pas de t'installer définitivement ici et de chercher un métier respectable et de fonder une famille à ton tour.
Le sourire du brun se crispa. Le sujet qu'il attendait depuis le début et qu'il était étonné qu'il ne soit pas abordé plus tôt. Sa vie privée.
- L'art est un domaine instable. La réputation de Michel-Ange où de Marcel Duchamp ne s'est pas faites en un jour, il a fallu du temps, du génie, et de la persévérance. Mais pourtant, même après leur mort les gens se souviennent d'eux, écrivent des livres sur eux, viennent les voir dans les musées, dépensent des fortunes pour acquérir leur œuvre, et encore aujourd'hui personne n'arrive réellement à comprendre l'étendue de leur savoir et de leur passion. Et c'est ça qui fait qu'un artiste reste et restera connu à jamais., Le brun fit une pause, ne se souvenant pas de la dernière fois où il avait parlé si longtemps., Maintenant, dit moi Nishigori, que représentera-tu pour les hommes de demain dans cinquante ans, cent ans, milles ans ? Rien.
Il finit son verre d'un coup et laissa un billet sur leur table.
- Désolée pour cette soirée désastreuse Yuko, au plaisir de te revoir., Conclu-t-il avant de se lever et de quitter l'endroit le plus rapidement possible.
A peine eut-il refermé la porte de son appartement que la culpabilité le gagnait. Bon Dieu, mais qu'est-ce qui lui avait pris de balancer de tels horreurs à Takeshi ? D'accord, il ne l'aimait pas. D'accord, il l'avait maltraité durant toute leur enfance et d'accord, il venait de dire que son métier n'était que du vent alors qu'il n'y connaissait rien à l'art et qu'il resterait à jamais un horrible conservateur qui avait tendance à ne pas respecter sa femme mais jamais Yuuri n'aurait pensé pouvoir aller jusque-là. Il se considérait comme pacifiste et détestait régler les choses dans la violence. Or, il venait de balancer à la figure d'un Homme à quel point son existence allait passer inaperçu à l'échelle mondiale et sur la durée. Takeshi méritait beaucoup de chose, mais sûrement pas ça.
Le remord lui tordant le ventre, il décida qu'il irait s'excuser de son comportement le lendemain à la première heure, puis, jugeant qu'il était beaucoup trop agité pour dormir maintenant, il changea de tenu puis se laissa tomber sur le canapé. Si l'appartement du brun était assez simple et sans grande folie trahissant la somme élevée de son compte en banque, les deux seules choses qu'ils avaient refusé d'acheter à petit prix était son canapé et son lit. Il avait voulu un grand lit, avec d'énorme coussin pour qu'il puisse y bouger à son aise, et un grand canapé en tissus doux avec un grand plaide pour qu'il puisse tenter de mourir étouffer pendant ses journées plus basses que les autres.
Ce n'était ni une journée haute, ni une journée basse, néanmoins, il se recouvrit de sa couverture qui reprenait les motifs de la Nuit étoilée ce qui était affreusement cliché pour un artiste, et alluma la télévision.
Il n'y avait rien de bien transcendant et le brun se demanda pourquoi il payait un abonnement si cher pour avoir un large éventail de choix si rien ne lui convenait. La situation était si terrible qu'il en était arrivé aux chaînes de sport, phénomène qui était aussi rare qu'une belle peinture de Chagall*. Après avoir zappé trois matches de foot différent, il se dit qu'il allait renoncer et finalement retourner à ce film d'amour qu'il avait entre-aperçu un peu plus tôt, quand son pouce s'immobilisa au-dessus de la télécommande. Son esprit s'était complètement figé, alors qu'il suivait un homme aux cheveux argentés pénétrer sur une patinoire, les épaulettes dorés de son costume de scène brillaient autant que les lames de ses patins. La peau de son torse était scandaleusement découverte et mise en avant par une simple chemise blanche boutonné de moitié par dessous une veste légère d'aspect officielle mais qui était complètement dérivé de sa fonction première grâce à un dégradé de violet qui se terminait par un rose pâle crépusculaire. Si Yuuri avait eu l'occasion de le peindre, il aurait choisi le rose doré numéro 576 de sa palette Winsor & Newton. Le patineur à la télévision redressa la tête, et fixa la caméra d'un air mi-déterminé mi-charmeur. Il y avait quelque chose dans son regard, une lueur malicieuse, presque taquine, qui fit rougir le brun. A moins ce que ce ne soit la couleur de ses yeux ? Quelque chose comme du Bleu D'indanthréne et qui se déclinait par le bas vers du Turquoise de Cobalt en passant par de l'Outremer.
Absolument fascinant.
La main droite du brun le démangea, et il sentit le fourmillement familier au bout de ses doigts. C'était son envie de peindre. Son corps n'avait qu'une seule envie, saisir la palette de couleur qui ne quittait jamais son appartement et coucher sur du papier – à grains fin ou satiné -, l'homme qu'il avait sous les yeux. Mais pour le moment, il était incapable de faire le moindre mouvement. Une musique qu'il ne reconnut pas venait de se lancer, et le brun se sentit happer dès les premiers mouvements du patineur. Il était élégant, ça, il n'y avait aucun doute là-dessus. Ses mouvements étaient la définition de la grâce même. Yuuri avait l'impression d'observer un ange évoluer sur la glace car il semblait à peine l'effleurer, donnant l'illusion qu'il volait. Le japonais n'avait aucune notion de patinage, à peine quelques mots clés qu'il avait retenu étant enfant, axel, flip, lutz, mais à part ça, il n'avait aucun moyen de juger d'un regard critique ce qu'il avait sous les yeux, mais il était certain que ce patineur était le meilleur dans son domaine. Comment est-ce que cela pouvait en être autrement ? Il lui était inconcevable que quelqu'un sur terre puisse pratiquer ce sport avec autant de grâce et d'élégance que lui. Non, ce n'était absolument pas possible. Très vite – trop vite -, la performance de l'homme s'interrompit et les applaudissements le firent sursauter et sortir de sa transe. L'homme aux cheveux d'argents était essoufflé, ses épaules se levaient à un rythme soutenu et des perles de sueur glissaient le long de son cou, mais son sourire frappa le brun. Il avait un énorme sourire, heureux, et fière de ce qu'il venait de faire. Il saluait lentement de la main, et il se baissa pour attraper un bouquet de rose rouge que quelqu'un lui avait lancé. Soudain, le présentateur reprit ses commentaires et Yuuri augmenta le volume :
- C'était donc une excellente performance du grand champion Victor Nikiforov ! La plus belle de sa carrière si vous voulez mon avis, et vous savez tout comme moi à quel point elle fut brillante ! Le monde entier du patinage attend avec appréhension l'annonce de sa retraite pour la saison prochaine...
Mais Yuuri ne l'écoutait déjà plus. Il se pencha en étendant son bras au maximum pour pouvoir saisir son ordinateur portable qui traînait quelque part sur le tapis crème sans pour autant quitter le confort de son plaid. Il grimaça quand il sentit son bras craquer mais il fut récompensé quand il réussit à soulever le précieux objet. Oui, le brun était parfois le roi suprême de la flemme.
Un fois son ordinateur sur les genoux il s'empressa d'ouvrir une nouvelle page internet et il tapa sans hésitation : Victor Nikiforov.
Le premier résultat fut une page Wikipédia, en anglais. Le brun cliqua sans s'en préoccuper. Sa mère lui avait toujours répété que la langue de Shakespeare lui ouvrirait toutes les portes, et elle avait eu raison. L'image de présentation montrait un homme le visage souriant, un micro devant lui et un geste de la main qui accompagnait sûrement sa phrase. La légende disait « Victor Nikiforov à la conférence du Grand Prix de Chine, 2016. » Le brun prit une inspiration et entama sa lecture.
« Victor Nikiforov est un patineur russe mondialement connu pour avoir été le seul à être médaillé d'or du Grand Prix pendant cinq années consécutives. Il est né à Saint-Pétersbourg en Russie le 25 décembre 1990. Très jeune il se passionne pour le patinage et ses parents prennent la décision de l'inscrire à des cours. C'est là qu'il est repéré par le célèbre entraîneur Yakov Feltsman qui décide de le prendre sous son aile. Il n'a alors que treize ans quand il reporte sa première médaille d'or en compétition Junior et il est vite vu par tous comme '' l'Espoir de la Russie''. Et en effet, le jeune Victor Nikirofov n'a jamais perdue une seule compétition à laquelle il ait participé. »
Arrivé en bas du paragraphe d'introduction, Yuuri observa le sommaire qui se présentait sous ses yeux. Biographie. Médiatisation. Vie privée. Récompenses. Notoriété. Notes et Références. Annexes.
Il hésita un instant, son index tapotant nerveusement à côté de son pavé numérique avant de réussir à se convaincre que non, la Russie n'allait pas infiltrer son ordinateur s'il décidait de stalk la vie d'un de leur sportif favoris. Il déplaça le curseur sur '' Vie privée '' et il cacha ses yeux de sa main gauche comme pour soulager sa conscience. Il ne faisait que jeter la moitié un coup d'œil, alors il était pardonnable, non ?
« Malgré la presse à scandale qui aime le décrire sous les traits d'un séducteur et d'un play-boy incommensurable, Victor Nikiforov n'a à ce jour aucune petite-amie connue, autant officieuse qu'officielle.
En 2013 la presse s'emballe à décrire sa nouvelle histoire d'amour avec la patineuse russe Mira Babicheva alors âgée de seize ans. Mais l'histoire est bien vite démentie par la patineuse elle-même, annonçant par la même occasion sa relation avec la patineuse italienne, Sara Crispino.
Dans une interview Victor Nikiforv à laisser entendre qu'il n'avait besoin de personne d'autre dans sa vie que la simple compagnie de son chien Makkachin, et qu'il n'aurait rien contre sortir avec un homme. Cette déclaration à emballé le cœur de ses fans, qui ont décrétés presque immédiatement qu'il sortait secrètement avec son plus proche ami, Christophe Giacometti. »
Yuuri sentit son angoisse diminuer et il en fut surprit. Il avait envie de rire nerveusement à l'idée qu'il soit rassuré que le russe soit toujours hypothétiquement célibataire. Il mordilla sa lèvre en se disant qu'il n'avait pas trop envie de se pencher sur la question pour le moment. Il ouvrit un nouvel onglet et il retapa le nom du patineur avant de basculer sur Images. Le brun eu envie de retrouver l'inventeur d'internet à l'instant où il vit apparaître sous ses yeux des dizaines de photo de l'homme aux cheveux argentés. Sa respiration se coupa quand il tomba sur un cliché le représentant beaucoup plus jeune, les cheveux au moins longs jusqu'en dessous des épaules, une couronne de rose bleu sur la tête et un bouquet dans les mains. Il ne l'avait pas réalisé jusqu'à lors parce que ces trait et son visage avait changé, mais sur le cliché s'il n'avait pas su qu'il s'agissait d'un homme, il aurait pu le confondre avec une fille. Cet air hermaphrodite qu'il se donnait était des plus fascinant et cela ne contribua pas à tuer dans l'œuf se semblant d'obsession qui commençait à s'emparer de lui. Seigneur, il avait passé l'âge de se sentir comme une adolescente devant son idole.
Vraiment.
Il ferma vivement l'écran de son ordinateur avant de rester quelques instants à fixer un point imaginaire entre le tapis de son salon et le parquet en bois. Le présentateur de télévision parlait toujours et annonçait le passage d'un autre patineur. Il risqua un coup d'œil vers cette dernière et ses mains tremblèrent quand il tomba sur le visage toujours souriant de Victor Nikiforov, apparemment satisfait de son résultat. Et sans s'en rendre compte, il avait ouvert de nouveau son pc et commençait à sauvegarder plusieurs images prit au hasard. Et avant qu'il ne puisse s'en empêcher, il envoya toutes les images à l'impression et ses doigts déplaçait de nouveau le curseur pour retourner sur la page Wikipédia et continuer à lire toutes les informations qu'il pouvait récolter sur ce célèbre patineur russe.
Annotations :
- " liqueur de Anzu* " : Est-ce que vous vous êtes déjà demandé ce que les japonais pouvaient bien boire comme alcool à part du saké ? Ben pas moi. Je suis littéralement resté une quinzaine de minute bloqué par ce détail pourtant insignifiant, avec une seule question en tête " bordel mais qu'est-ce que Yuuri peut bien boire dans un bar un peu pourri ? ''. Heureusement, Google est mon meilleur ami. Cinq sites spécialisés dans l'import/export de boisson alcoolisé japonaise (d'ailleurs il y a une réduction en ce moment faut en profiter ) et je suis enfin tombé sur l'heureux vainqueur : de la liqueur de Anzu, qui n'est rien d'autre que de l'alcool d'abricot. " Très fruité et léger, se boit en apéritif ou en fin de repas. '' Avouez, c'est totalement le genre de boisson que pourrait prendre notre cher Yuuri.
- " qu'une belle peinture de Chagall* " : Est-ce que je suis en train de me cacher derrière les pensées de Yuuri pour assumer ce propos ? Totalement.
J'aimerai remercier spécialement Tiffany, pour la longue conversation que nous avons eu sur le sujet et qui m'a été autant profitable à Yuuri qu'à moi.
Merci encore, tu es géniale.
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Un review ?
Cœur.
