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Ne me volez PAS cette histoire. Merci bien.
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TITRE : Qui Vivra Verra
RESUME : Il est neuf heures du matin, le ciel est bleu, le soleil brille, les oiseaux chantent et Draco tente de se jeter du toit. Sans grand succès. UA.
GENRE : Romance x Mystery x UA
RATING : M
DISCLAIMERS : JKR, ain't nothing new.
NOTE : Mille merci à ma Giselle Levy pour la correction. Deux mille merci à Xérès Malfoy pour ses précieux conseils et sa disponibilité tout au long de l'écriture. Trois mille merci à toutes les personnes du groupe IACB pour les jolis mots d'encouragements qu'elles m'ont laissée lorsque j'ai posté un extrait de ce premier chapitre. En espérant ne pas avoir la mauvaise surprise de retrouver mon histoire sur Wattpad, Amazon ou autres. Très agréable lecture à tous. xo.
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PARTIE I
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CHAPITRE I :
Souriez ! Vous respirez encore.
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Il n'y avait rien de plus cruel pour un Serpentard que de mourir en plein été.
En automne, vous pouviez être mélancolique à l'idée de quitter ce monde.
L'été vivait ses dernières heures et laissait derrière lui un échantillon de chaleur éphémère, comme un cadeau d'adieu. Venait ensuite la grisaille du mois d'octobre et, avec elle, le nettoyage saisonnier annuel. Herbe verte, parterre fleuri, soleil radieux et perpétuel ciel bleu ; tout disparaissait progressivement du cadre. Et, en observant Dame Nature à l'œuvre, vous vous demanderez si elle allait faire de vous ce que l'automne faisait de l'été. Si toutes traces de votre existence seraient balayées juste après votre passage.
En hiver, vous pouviez avoir hâte d'être six pieds sous terre.
Le froid anglais était, et de très loin, le plus impitoyable de tout l'hémisphère Nord. Sept secondes dehors et votre corps n'était plus déjà qu'un gigantesque bloc de glace. Trois pulls en mailles superposés, deux paires de chaussettes en laine et de bonnes bottes de pluie en caoutchouc ; tel était l'uniforme réglementaire de survie. Emphase sur le mot "survie". Les flocons de neige vous rentraient directement dans les yeux puis se transformaient en plaques de verglas glissantes qui, greffées aux trottoirs, vous emmenaient tout droit à l'hôpital. L'interminable pluie diluvienne avait des airs de grêle issue des dix fléaux bibliques.
Quel avantage y avait-il donc à rester en vie durant cette saison ? Absolument aucun.
Au printemps, il était possible de considérer la chose avec un peu plus de philosophie.
Tout, autour de vous, avait un parfum de nouveau départ et de retour à la vie. Et vous, à côté de cela, vous dépérissiez. Cruel paradoxe. Vous aviez survécu à l'hiver, subi ses affres polaires sans broncher, et vous voilà à présent au bout du tunnel, quasiment capable d'effleurer l'été du bout des doigts. Hélas, vous ne pourrez faire que de cela ; l'effleurer. L'observer de loin. Imaginer un soleil auquel votre peau n'aura jamais l'occasion de goûter. Vous serez tristes. Amers, certainement. Et au-dessus de votre tête, les fleurs de cerisiers printanières couvriront vos épaules affaissées d'une myriade de pétales blancs.
Mais mourir en plein été ? Rien de plus malchanceux.
Et pourtant, ce n'était pas la liste des infortunes qui manquait, en ce bas monde. Vous pouviez être né Gryffondor, pour commencer. Vous pouviez être l'enfant illégitime de Donald Trump. Vous pouviez vous faire siffler l'intégralité de votre compte en banque en achetant une simple paire de tongs sur Internet. Vous pouviez être sur un plateau télévisé, à une seule question du jackpot, et tout perdre à cause d'une réponse idiote. Vous pouviez avoir été marié pendant dix longues années à l'amour de votre vie et apprendre qu'il n'était autre que votre jumeau duquel vous aviez été séparé à la naissance.
Mais rien, absolument rien ne surpassait le fait de mourir en plein été. Et ce n'était pas faute d'avoir cherché. Vingt-deux années que Draco pesait le pour et le contre.
Le voici donc qui se tenait debout sur le toit du Manoir, les bras en croix, la figure relevée vers le ciel. C'était un magnifique ciel bleu, pas un seul nuage blanc venant troubler le tableau. C'était un ciel comme il allait en regretter, une fois confiné dans l'obscurité de son cercueil. En dépit du fait qu'il ne soit que neuf heures et quart, le soleil brillait déjà de mille feux et le chant mélodieux des oiseaux perchés aux arbres de la propriété Malfoy comblait le silence matinal. Draco inspira et expira profondément, les yeux clos. Il laissa ses épaules se relaxer, son corps relâcher toute tension et ses poumons expédier le peu d'air qu'ils gardaient captifs. Un vent léger lui caressa la nuque et dévia vers son oreille, lui chuchotant au passage : « allez, allez, prends ton envol cette fois-ci... » et le blond s'avança encore d'un pas. Le dernier avant le vide.
« Monsieur Malfoy ? »
Les paupières de Draco s'entrouvrirent immédiatement et il vacilla, ses seuls bras tendus l'aidant à se maintenir de justesse en équilibre. Il balaya des yeux le toit désert à la recherche du coupable mais ne trouva personne.
« Monsieur Malfoy ? Que faites-vous perché tout là-haut ? »
Se penchant cette fois-ci vers l'avant, le jeune homme aperçut la silhouette petite et replète de Lady, cinq étages plus bas. Ses mains étaient posées sur ses hanches dans une posture désapprobatrice, un torchon rouge carrelé accroché à son tablier blanc, et sa figure était relevée droit vers lui. Draco baissa mollement les bras, pris en flagrant délit.
« Je prends l'air. » répondit-il, tâchant d'injecter le plus de nonchalance possible dans sa voix.
« Sur le toit ? » demanda Lady, un de ses sourcils haussé avec suspicion.
« Exactement. »
« Les deux pieds sur la gouttière ? » demanda-t-elle encore.
Draco baissa les yeux sur ses pieds comme s'il venait tout juste de découvrir leur existence.
« Sur la gouttière, vraiment ? Je n'y ai même pas fait attention. » mentit-il avant de reculer.
Lady le toisa pendant dix longues secondes, les sourcils froncés, pas dupe pour un sou.
« Monsieur Malfoy, vous n'étiez pas encore en train de tenter de vous suicider, j'espère. »
« Du tout, milady. » répondit automatiquement Draco en la gratifiant de son sourire le plus aveuglant.
La figure de Lady resta parfaitement stoïque. Il y avait bien longtemps que cette arme secrète ne marchait plus sur elle. Vingt-cinq années d'expérience en tant que gouvernante du Manoir Malfoy suffisaient amplement à s'en immuniser.
« Vous savez pertinemment à quel point cela décevrait votre mère. Vous lui avez promis de rester en vie jusqu'au bout, Monsieur Malfoy. »
« Et ai-je dérogé à une seule de mes promesses auparavant ? » lui rappela-t-il.
« Vous aviez pourtant l'air d'être sur le point de le faire avant que je n'intervienne. »
« Faux. » nia Draco en croisant des bras. « Je prenais tout simplement l'air, comme je viens de vous le dire. »
« Hun-hun. »
« Et j'écoutais le chant des oiseaux. »
« Bien entendu. »
« Ils interprétaient du Marvin Gaye. »
« C'est cela. » roula des yeux Lady, une pointe d'amusement perceptible dans sa voix. « Dépêchez-vous de descendre de là, le petit-déjeuner est – non ! Descendez par les escaliers, pour l'amour du Ciel ! » rugit-elle en le voyant qui se rapprochait à nouveau du rebord pour sauter. « Mon Dieu, que cet enfant est infernal... »
Après un dernier grognement, Draco se résigna à obéir et rejoignit la porte de service du toit en traînant des pieds.
L'envol n'était donc pas prévu pour aujourd'hui, alors. Bon. Remarque, il n'avait pas non plus été prévu pour hier. Ni pour avant-hier. Ni pour tous les autres jours de l'année. Sans parler de celles précédentes. Et pourtant, Draco n'était pas capable d'énoncer la raison exacte qui le retenait encore à la terre ferme. Il ne savait pas ce qui le bloquait au tout dernier moment. Etait-ce la promesse de survie jusqu'au Jour J qu'il avait faite à sa mère ou bien le fait que, saut dans le vide ou non, cela ne changerait rien à la finalité des choses ?
S'arrêtant au troisième étage, Draco fit une halte dans sa chambre pour une petite poignée de minutes. Il jeta son jean à gauche, abandonna son t-shirt à droite et enfila le premier pyjama qui lui tomba sous la main. Si Narcissa le voyait débarquer en tenue de ville dans la cuisine, elle allait immédiatement deviner qu'il avait recommencé ses petits tours matinaux sur le toit. Et Draco n'avait vraiment, mais alors vraiment pas le cœur à faire pleurer qui que ce soit d'aussi bon matin.
Effectuant un saut dans sa salle-de-bain, le blond se passa de l'eau froide sur le visage puis ébouriffa ses cheveux, leur donnant un petit air au-saut-du-lit. Avant de ressortir, il jeta un bref coup d'œil à son calendrier – une sorte de petit bloc carré cloué au mur qu'il considérait plus comme un compte à rebours malsain qu'un recueil de pensées positives – et arracha la dernière page du mois de juin pour consulter sa citation du jour.
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« 1er Juillet : Souriez ! Vous respirez encore. »
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Du Chopin retentissait en écho d'église dans le grand hall d'entrée. Draco suivit la musique, son pas délibérément lent le dirigeant vers la cuisine. A l'instant où il apparut dans l'encadrement de la porte, Narcissa releva la tête et manqua de lâcher le toast qu'elle beurrait avec minutie.
« Draco ! » s'exclama-t-elle en le prenant dans ses bras comme s'il rentrait tout juste de six mois de combat en Irak. « Draco. » répéta-t-elle et elle emprisonna sa figure entre ses mains pour lui embrasser fiévreusement les joues, le nez, les paupières, les tempes. « Mon fils. »
« Maman. » grogna Draco, à demi-exaspéré. « Maman, calme-toi... calme-toi ! Mon Dieu. Je ne suis pas encore mort, tu sais ? »
Depuis l'évier, Lady se retourna immédiatement pour le fusiller du regard et ce fut le seul warning que le jeune homme eut avant que sa mère n'éclate en sanglots dans ses bras.
« Non, attends – non. Ce n'est pas ce que je voulais dire. » se reprit-il un peu trop tard en la tenant par les épaules. « Je disais simplement que... maman ? Maman ? Regarde-moi, s'il-te-plaît. Tout ce que je voulais dire, c'est que je suis toujours en vie. Je suis toujours là, maman. Regarde ! Je suis là. Tu vois ? Toujours présent. Vivant. Deux bras, deux jambes et un cœur qui bat. C'est moi. Ton fils. »
Narcissa hochait la tête à l'infini, une rivière lacrymale coulant toujours à profusion sur ses joues. Draco lui attrapa un mouchoir sur l'îlot de cuisine et tamponna délicatement le bas de ses paupières gonflées jusqu'à ce que sa mère prenne le relais.
« Oui, non, oui, c'est vrai, tu as raison, bien sûr, évidemment. » acquiesça-t-elle précipitamment. « C'est juste... c'est moi. Je suis sotte. Je pleure tout le temps. » Elle émit un petit rire aigu et étranglé puis s'essuya une dernière fois les yeux avant de s'exclamer : « Enfin ! Passons à ce petit-déjeuner. Tu dois avoir faim, n'est-ce pas ? Bien sûr que tu as faim. Quelle question. Un grand gaillard comme toi doit tout le temps avoir faim. En tout cas, Lady s'est surpassée, ce matin. N'est-ce pas, Lady ? Elle nous a préparé du bacon grillé, du bon porridge, des toasts, une salade de fruits de saison, une bonne fournée de pancakes... que de succulents petits mets. N'est-elle pas un véritable bijou ? Mais oui, elle l'est. Bien sûr qu'elle l'est. Que serait-on sans vous, Lady ! » débita-t-elle sans reprendre une seule fois son souffle.
Narcissa dirigea son fils par le bras vers sa chaise et la tira elle-même pour qu'il puisse s'y asseoir. Tandis qu'elle s'empressait de remplir sa tasse de lait chaud, disposer pas moins de trois verres de jus de fruits différents devant lui et coincer une serviette dans l'encolure de son t-shirt pour ne pas qu'il se tâche, Lucius fit son entrée dans la cuisine. Un seul regard vers sa famille suffit à lui décrocher son premier roulement d'yeux de la journée. Et avec lui, le compteur pouvait monter très vite.
« Cissy, rassure-moi : tu es au courant que ton fils a vingt-deux ans et possède dix doigts en état de marche.. ? » s'enquit-il, blasé.
« Je suis au courant, oui. » répondit Narcissa qui procédait à présent au découpage symétrique des pancakes chauds de Draco. « Mais ça me fait plaisir de l'aider. »
« Moi, tu ne m'aides jamais. » protesta Lucius d'une voix légèrement boudeuse tout en enclenchant la machine à café.
« Navré Père, mais il faut avoir une date d'expiration de trente jours pour bénéficier de ce type de privilèges. » répliqua alors son fils.
Cette fois-ci, ce fut la tombée d'un soudain silence de mort – sans mauvais jeu de mots – qui lui indiqua qu'il venait encore de dire la mauvaise chose au mauvais moment. La seconde suivante, Narcissa partait dans une nouvelle crise de larmes hystériques.
« Non, pardon, ce n'était pas... je ne voulais pas le dire de cette façon. » se confondit-il en excuses.
« Comment... peux-tu... blaguer... à propos... de choses... comme ça ! » hoqueta Narcissa, son corps secoué de légers spasmes. « Comment... peux-tu... être... aussi... insensible ! »
« Non, maman, je ne suis pas insensible. » se défendit Draco avant d'attraper le poignet de sa mère pour lui presser affectueusement la main. « C'est juste que – comment dire ça de façon... Maman, si je ne prends pas la chose avec humour, comment veux-tu que je puisse tenir ? »
Narcissa haleta faiblement mais ne répondit rien. Et aucun autre occupant des lieux n'eut la force ou les mots pour le faire car, en toute honnêteté, quelle réponse y avait-il à fournir ? Lady s'était arrêtée de nettoyer la vaisselle et fixait ses gants mousseux. Lucius touillait son café plus de fois que nécessaire, le poing crispé sur la petite hanse en porcelaine. Narcissa contemplait le néant d'un regard éteint.
Le reste du petit-déjeuner se déroula avec le minimum vital de paroles échangées, sa mère reniflant de temps à autre, sa figure couverte par sa paume. Lucius lui caressait à chaque fois le bas du dos d'un mouvement circulaire tout en buvant son breuvage à petites gorgées, les sourcils froncés. Draco gardait quant à lui ses yeux obstinément cimentés sur son assiette de peur qu'en les relevant, il aperçoive les traits tirés et désespérés de ses parents. De peur qu'à la suite de cela, l'habituel mantra : « c'est de ta faute, c'est de ta faute, c'est de ta faute » refasse surface dans son esprit et ne le quitte plus pour le restant de ses jours. Pour le peu qui lui restait à vivre, du moins.
Car ce n'était pas de sa faute.
C'était de la faute du destin. C'était de la faute de la fatalité. C'était de la faute de cette fichue Marque encrée sur son avant-bras depuis sa naissance. C'était de la faute de l'univers tout entier.
Ce n'était de la faute de personne.
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En fin d'année de Cinquième, Draco avait eu pour psychologue une femme aux yeux de hiboux répondant au doux nom de Sibylle Trelawney. A l'image des quarante-quatre autres psychologues ayant défilé avant elle, cette Sibylle n'avait pas fait long feu, le blond ayant réussi à la pousser à bout en seulement trois séances. Et – si l'on excluait bien sûr le fait qu'elle appartenait à la caste des Gryffondors et que pousser à bout un Gryffondor était un véritable jeu d'enfant – cela pouvait être considéré comme l'un de ses plus grands records. Mais avant de quitter la salle de consultation en pleurnichant toutes les larmes de son corps, Mrs. Trelawney lui avait dit une phrase. Et cette phrase était restée à tout jamais gravée dans son esprit.
A l'époque, Draco venait tout juste de rentrer dans cette phase de l'adolescence où tout n'était que spirale infernale de questions et absence insupportable de réponses. Il s'interrogeait sur ce qui l'entourait, sur tout ce qui était considéré comme acquis, comme évident, sur toutes ces vérités générales que le monde avait acceptées sans broncher, et pourquoi naît-on comme ci ? Pourquoi agit-on comme ça ? Pourquoi les Serdaigles sont-ils aussi mauvais ? Pourquoi les Poufsouffles sont-ils aussi honnêtes ? Pourquoi les Gryffondors sont-ils aussi zélés ? Pourquoi les Serpentards doivent-ils mourir à une date précise ? Pourquoi pas les autres ? Hein ? Pourquoi pas les autres ? Pourquoi ne sommes-nous pas tous nés égaux ? Pourquoi tant de différences ? A quoi est-ce que ça sert ? Ne peut-on pas changer tout cela ? Qui a établi ces fichues règles ? Ne peut-on pas passer outre ? Pourquoi les laisse-t-on nous dominer ? Pourquoi leur donne-t-on le pouvoir de dicter notre vie ?
Mrs. Trelawney l'avait fixé de ses grands yeux blancs et globuleux pendant une minute toute entière, comme peinant à croire qu'un gosse de douze ans haut comme trois pommes puisse contenir autant de réflexions existentielles en lui. Elle avait ensuite redressé ses lunettes sur son nez et s'était raclé brièvement sa gorge pour prononcer :
« Draco... il faut que tu comprennes que, dans la vie, toute question n'a pas obligatoirement de réponse. Certaines choses resteront à tout jamais inexpliquées, méconnues ou inconnues. Et c'est normal. C'est comme ça. Tout ne peut pas être constamment à ta portée. Il te suffit juste de l'accepter et de vivre avec. »
Toute question n'a pas obligatoirement de réponse.
Au tour de Draco de la dévisager, les yeux écarquillés. Il était venu ici pour avoir des explications claires. Il s'était levé de son lit sacré, il avait brossé ses dents, bravé le métro crade et bruyant puis toqué à la porte de ce cabinet de psychologie miteux dans le but d'avoir des éléments de réponses précis. Et il refusait de demeurer dans l'impasse. Il refusait de s'y résigner éternellement. Il refusait de ne pas connaître les tenants et les aboutissants de cette stupide société divisée en castes.
Alors, quoi ? Chacun venait au monde avec un machin tatoué sur le bras pour subir ensuite une destinée toute tracée, sans surprises, et ce jusqu'à ce que mort programmée s'ensuive ? Hors de question. Ne pas avoir d'explications concrètes à ses tribulations intérieures avait enragé le collégien pendant des années et des années. Et personne n'avait jamais été en mesure d'apaiser ce feu qui le consumait de l'intérieur car personne n'avait jamais eu la connaissance nécessaire à lui apporter.
Et puis, un jour, juste comme ça, il avait décidé de lâcher prise. D'un seul coup. Définitivement.
La Terre était ronde ? Tant mieux. Le ciel était bleu ? Génial. La Lune contrôlait les marées ? Fascinant. Il mourrait en été ? Ainsi soit-il. Pour quelles raisons ? Aucune idée et aucune envie de le savoir. Moins on se questionnait, mieux on se portait.
Toute question n'a pas obligatoirement de réponse.
Draco rabattit d'un geste sec son drap contre le matelas, la peau moite et brûlante, puis fixa longuement le plafond sombre de sa chambre. Il ne savait pas pourquoi il repensait à tout cela. Le collège, ses ruminements mentaux adolescents, sa mentalité rebelle, Trelawney, ses conseils creux, son poncho vert hideux. Il ne savait pas pourquoi tout lui revenait soudainement en tête dans un geyser de souvenirs refoulés.
Au loin, dans les cieux, l'astre lunaire illuminait la nuit d'encre et une multitude de petites étoiles gravitaient tout autour. Pour se vider l'esprit, Draco entreprit de les compter une à une, ses paupières se baissant d'elles-mêmes entre vingt-sept et vingt-huit. Et avant même qu'il n'atteigne trente, Morphée l'avait déjà cueilli dans ses bras.
Une journée en moins.
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« 3 Juillet : Ne restez pas renfermés sur vous-même. Ouvrez-vous aux autres ! »
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Draco toqua trois coups contre le panneau de bois et attendit, ses mains dans les poches. Il fixa distraitement les alentours, son regard s'attardant tout d'abord sur la moquette couleur grenadine qui tapissait le sol puis sur le pot de géraniums posé près du paillasson de la porte voisine. Les fleurs semblaient être en phase terminale de décomposition et Malfoy eut une brève pensée pour sa grand-mère fanatique de jardinage. Poser les yeux sur une plante aussi desséchée aurait pu lui provoquer un AVC.
« Draco ! Ça faisait longtemps, tiens. » s'exclama Imane Zabini en se matérialisant dans l'entrebâillement, ses lèvres pulpeuses étirées en un sourire surpris. « Comment vas-tu ? »
« Bien. » répondit Draco après avoir ôté ses écouteurs à l'instant où Kurt Cobain y entamait le refrain de All Apologies. « Vous ? »
« Très bien, merci. » répondit la mère célibataire avant de se décaler légèrement vers la gauche. « Entre, entre ! Ne reste pas planté là. »
Draco pénétra dans le hall d'entrée de l'appartement et ôta instinctivement ses baskets pour les ranger dans le petit placard du porte-manteau. En se retournant, il surprit le regard d'aigle d'Imane traquer le moindre de ses mouvements.
« Oh ! » s'exclama-t-elle, reprenant ses esprits dans un léger sursaut. « Je ne t'ai pas demandé : est-ce que tu veux quelque chose à boire ? A manger ? Il est midi, tu dois avoir faim. »
« Non merci, ça ira. » déclina Draco.
« Sûr ? » insista Imane tout en cintrant son peignoir en soie bleue autour de ses hanches. « Parce qu'il nous reste des sushis au thon ronge, des fajitas faits maison et un fond de pâtes au pesto datant d'hier soir, si tu veux. »
« Sûr et certain. » certifia le blond d'une voix polie mais ferme.
La quarantenaire toute en jambes hocha alors la tête. Ses lèvres étaient toujours fendues en un sourire cordial mais ses yeux scannaient Draco comme s'il était une formule mathématique à décoder coûte que coûte. Un véritable regard de Serdaigle.
La caste à laquelle appartenait Imane Zabini était la raison pour laquelle Malfoy avait toujours pris des pincettes en cristal lorsqu'il interagissait avec elle. Il évitait autant que possible tout contact visuel, parlait avec des phrases courtes et simples afin de tuer dans l'œuf toute ambiguïté et ne répondait jamais, jamais, ô grand ja-maisà ses questions par une réponse ouverte. C'était quasiment la règle d'or du manuel : Comment survivre en présence d'un Serdaigle ?. Blaise lui-même l'avait prévenu, de toutes manières. Baissez votre garde trois secondes en sa présence et Imane était capable de vous faire réciter à voix haute votre code de Carte Bleue sans même que vous ne le réalisiez.
« Est-ce que Blaise est là ? » finit-il par demander car le silence entre eux s'éternisait un peu trop.
« Je pense, oui. Il doit encore être dans sa chambre, occupé à faucher de pauvres piétons au volant d'une voiture de course volée – enfin, tu le connais, lui et ses fichus jeux vidéos. Le grand amour. » soupira-t-elle théâtralement avant de lui montrer le chemin. « Tu peux y aller. »
Draco hocha la tête et lui adressa un dernier sourire courtois avant de prendre congé. Sans surprise, il trouva Blaise affalé sur son lit, son casque-micro coiffant ses oreilles, une manette dans la main gauche et sa main droite plongée dans un sachet de chips saveur emmental.
« Ça sent le fauve ici. » grimaça le blond en guise de salutation.
« L'odeur du mâle. » affirma Blaise sans lever les yeux de son écran TV.
Draco cacha son nez sous l'encolure de son t-shirt et traversa d'un pas rapide la chambre pour aller ouvrir les volets. Yeux clos, il inspira une grande, très grande bouffée d'air frais puis renifla de nouveau la pièce.
« Ça sent la morgue, en fait. » décida-t-il.
« Habitue-toi bien à l'odeur, dans ce cas, parce que tu y croupiras dans pas moins de trois semaines. » rétorqua l'afro-britannique avant de lui lancer sa seconde manette. « Call Of ? »
« Call Of. » accepta de suite Draco, déjà en route vers le lit de son meilleur ami.
« Peut-être que Call Of Dutty sera notre toujours. » conclut solennellement Blaise.
« La ferme, Augustus Waters. »
Blaise configura la première partie et ils enchaînèrent sur trois quarts d'heures de chasse à l'homme ponctuée d'insultes, de cris de victoires et de grognements de mauvais perdants. Une pause fut requise par Draco qui se retenait de pisser depuis un peu plus d'une demi heure et tandis qu'il sautait du matelas pour se ruer vers les toilettes de la chambre, Blaise vida son paquet de chips pour de bon.
« Dis-donc. » se rappela-t-il soudainement. « T'es pas censé être chez ta psy ? Genre là, maintenant, tout de suite ? »
« Dans une heure. » le corrigea Draco depuis les WC voisins – il n'avait même pas pris la peine de fermer la porte.
« 'kay. » répondit Blaise avant d'agiter l'ouverture de son sachet vide au-dessus de sa bouche ouverte, récoltant ainsi les dernières miettes.
Il y eut le bruit d'une chasse d'eau tirée, celui d'un robinet actionné puis Draco réapparut dans la chambre. Ses mains encore mouillées étaient occupées à remonter sa braguette et boucler sa ceinture.
« Je ne pouvais pas attendre chez moi. » dit-il en se hissant de nouveau sur le lit.
Blaise roula son emballage de chips en boule et fit un panier avec dans sa poubelle de bureau.
« Ma mère pleure tout le temps. » continua Draco. « Tout. Le. Temps. C'est à se demander par quel miracle il lui reste encore une seule goutte d'eau dans le corps à la fin de la journée. »
« Tu ne peux pas la blâmer. » répondit Zabini d'une voix égale.
« Ouais. » acquiesça Draco et il se laissa glisser contre le mur, les épaules basses. « Ouais, je sais. »
Il y eut un léger silence durant lequel Draco tira distraitement sur le cordon de son gilet, son esprit peu à peu envahi par une colonie de pensées noires, puis Blaise lui demanda :
« Et ton père ? »
« Mon père ? » répéta distraitement Malfoy avant de hausser des épaules. « Mon père, je sais pas. Il ne parle pas. Enfin, si. Il parle. » se reprit le blond. « Mais pas de ça. Jamais de ça. » Il tira à nouveau sur son cordon. « Mais quelques fois, je le surprends en train de me fixer, et... et je sais exactement ce à quoi il pense. Ça se lit sur sa figure. »
A cela, Blaise tourna finalement la tête vers son voisin. Il l'observa s'affairer de nouveau avec son gilet, effilochant les petits bouts blancs sans vraiment s'en rendre compte, le front plissé. Le métis lui donna alors un bon coup de coude dans le biceps pour le faire redescendre de son nuage de pessimisme.
« Eh. » l'interpella-t-il. « Draco. »
« Mmh ? »
Blaise attendit que le blond relève paresseusement le nez vers lui pour lui proposer :
« Assassin's Creed ? »
Un lent sourire retroussa les lèvres de Draco et il se redressa la seconde suivante, sa manette en main.
« Assassin's Creed. »
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Témoignage de Jennifer, 27 ans, mère de deux enfants : "Je suis une Poufsouffle Recto... mais j'arrive tout de même à mentir !"
Draco roula des yeux et continua à feuilleter distraitement le Glamour qu'il tenait en main, plus désintéressé que jamais. La question était : pourquoi lisait-il un magazine féminin ? La première réponse était : pourquoi pas ? La seconde réponse était : parce qu'il n'y avait que ça à lire dans cette fichue salle d'attente. Des piles et des piles de paperasses féminines. Et le plus déprimant dans tout cela était que Malfoy les connaissait toutes par cœur, depuis le temps. Il était capable d'énoncer trois techniques révolutionnaires d'épilation des sourcils, d'énumérer quatre astuces pour booster l'efficacité d'un masque exfoliant – rajoutez un petit peu de ginseng ou bien un zeste de gingembre allié à quelques gouttes de citron vert – et de réciter à la virgule près le témoignage de Mary, 33 ans, irlandaise, working-girl, ayant appris à croquer la vie à pleines dents en dépit d'être née avec la Marque Serpentard funeste sur le bras gauche. Il pouvait même vous situer le numéro de parution ainsi que la page de magazine dudit témoignage.
Délaissant le journal sur le siège vide d'à côté, Draco croisa des mains et fixa droit devant lui. Son premier soupir provoqua quelques œillades bougonnes de la part des quatre autres patients assis avec lui et rien que pour cela, Draco soupira deux fois plus fort encore. Ses yeux balayèrent les affiches collées aux murs qu'il avait déjà lu et relu près de trois-cent fois – « Vous n'êtes pas seuls ! », « Vous êtes une personne exceptionnelle ! », « Vous ne méritez que le meilleur ! », « Vous avez le droit d'être heureux ! » – pour se résigner enfin à clore ses paupières. Appuyer sa tête contre le mur. Et attendre.
Une éternité plus tard, le grincement d'une porte entrouverte se fit enfin entendre.
« ...comprenez à quel point j'étais anxieux ! C'était affolant, Madame la Psychologue ! Affolant ! »
« Je comprends parfaitement, M. Thompson. Mais nous en reparlerons plus en détails lors de la séance suivante, entendu ? »
« Oui, oui, entendu. En tout cas, merci beaucoup pour tout ce que vous faites... »
« C'est tout naturel. »
« Mais, hum... concernant la prescription, êtes-vous bien sûre que... »
« M. Thompson ? Qu'est-ce que je viens de vous dire ? »
« Que nous parlerons de tout cela à la séance suivante. »
« Exactement. Alors je vous dis à la semaine prochaine. N'oubliez surtout pas mes petits conseils. »
« Je ne les oublie pas, vous pouvez en être sûre. A la semaine prochaine, Madame la Psychologue. »
« Portez-vous bien, M. Thompson. »
« Vous de même. »
Il y eut un bruit de pas s'éloignant vers la sortie, le "clac" de la porte du hall d'entrée, puis :
« M. Malfoy ? »
Draco ouvrit immédiatement les yeux.
« Ici. » répondit-il.
Postée droite comme un "I" dans l'encadrement de son bureau, une expression neutre – toujours, toujours neutre – sur le visage, Mrs. Granger l'attendait. Lorsqu'il parvint à son niveau et qu'elle lui tendit la main, ce fut d'une gestuelle des plus robotiques.
« M. Malfoy. » répéta-t-elle, serrant sa poigne avec fermeté.
« En chair et en os. » confirma Draco.
La psychologue l'invita à entrer dans le bureau en premier, alors Draco y entra en dernier. Elle l'invita à s'asseoir sur la chaise, alors Draco s'allongea sur le divan. Ne se démontant pas pour un sou, la jeune femme tira le siège qu'il était censé occuper pour venir s'installer juste à côté du sofa. Elle croisa ensuite des jambes et posa son célèbre bloc-notes à spirales sur ses genoux.
« Comment allez-vous aujourd'hui, M. Malfoy ? »
« Bof, comme un lundi. Et vous ? Votre week-end ? » feignit de s'intéresser Draco.
« Il s'est très bien déroulé, merci de vous en soucier. »
« Je parie que c'est faux. » l'attaqua-t-il d'entrée de jeu.
« Quoi donc ? » demanda-t-elle aussitôt.
« Je parie que vous avez passé un week-end épouvantable. Le pire week-end de votre vie. »
« Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? »
« Vous répondez toujours la même chose. »
« C'est-à-dire ? » voulut-elle savoir.
« Je vous demande comment s'est passé votre week-end et votre réponse ne change quasiment jamais. Très bien. Parfaitement bien. Superbement bien. A croire qu'un spray Febreze parfum ''bonheur éternel'' vaporise en permanence votre bureau. »
Mrs. Granger cligna des yeux.
« Auriez-vous préféré que je vous mente dans ce cas, M. Malfoy ? » lui demanda-t-elle. « Cela vous aurait-il soulagé de savoir que mon week-end s'est aussi mal déroulé que le vôtre ? »
« Je ne suis pas assez désespéré pour me nourrir du malheur des autres, merci beaucoup. Ne me confondez surtout pas avec vous-même. Et puis mon week-end s'est déroulé à merveille. »
« Permettez-moi d'en douter. »
« Mon week-end était absolument fantastique. » réitéra Draco, un tantinet sur la défensive. Juste un chouïa. « Génial. De bout en bout. »
« Est-ce une affirmation ou bien essayez-vous de vous en convaincre ? »
« Une affirmation. Rien au monde n'aurait pu le gâcher. »
« Encore une fois : est-ce une affirmation ou bien tentez-vous de vous persuader de vos propres propos ? »
« C'est une affirmation en lettres majuscules, caractères gras, soulignés, police Arial Black, taille 18, centrés. »
« Bien. »
« Bien. »
Draco observa la psychologue d'un œil suspicieux. La psychologue l'observa en retour d'un œil vide. Ses jambes étaient toujours croisées et son fichu bloc-notes se trouvait toujours sagement perché sur ses genoux. Le blond entreprit alors un lent décompte dans sa tête. Cinq... quatre... trois... deux... un...
« Le nuage d'anxiété que je perçois au-dessus de votre tête ne doit être que le fruit de mon imagination, alors. »
...et voilà. Typique. Déclarer aussi facilement forfait n'avait jamais été dans les habitudes de cette femme. Pousser ses clients à bout pour empocher ensuite leur pognon était le but même de sa profession, après tout. Encore heureux que Draco ne déboursait pas un seul rond pour ces séances – l'un des seuls avantages à être né Serpentard, tiens.
« J'en sais rien. Je suis pas météorologue. »
Une minuscule, brève, quasi imperceptible étincelle d'amusement passa dans le regard de Mrs. Granger. Si imperceptible que Draco douta de la fiabilité de sa vision. Pour qu'une quelconque émotion apparaisse sur le visage de cette femme, il fallait véritablementy aller. Deux ans et demi que Draco la consultait et jamais il ne l'avait vu ne serait-ce qu'esquisser un sourire ou hausser des sourcils. Quelques fois, il doutait même du fait qu'elle soit humaine.
« Je sais déceler des signes d'angoisse lorsque j'en vois. »
« Et j'ai l'air angoissé, d'après vous ? Regardez-moi bien. » Draco s'étala de toute sa longueur sur le divan, son bras tombant au sol, son autre bras ramené derrière sa tête et sa jambe perchée négligemment sur le dossier du fauteuil. « J'ai l'air d'être une personne angoissée, là ? »
Mrs. Granger ne se contenta que de le scanner minutieusement des pieds à la tête comme s'il était un rare cas d'étude exposé au Muséum d'Histoire Naturelle. On aurait presque dit un regard de Serdaigle.
Presque.
« Et là ? » demanda à nouveau Draco en changeant de position, allongé maintenant à plat ventre, ses jambes battant l'air à la manière d'une pin-up. « Est-ce que j'ai l'air angoissé, Madame La Psy ? »
« Non. » répondit-elle, toujours occupée à observer attentivement son petit manège.
« Oh, et moi qui me faisait une joie de feindre d'être au bout du rouleau juste pour vos beaux yeux... » bouda Draco. « Je me suis donné du mal, doc'. Vous pourriez au moins reconnaître et encourager mes talents d'acteur naissants. »
« Vous n'avez nullement besoin de feindre un état d'esprit dans lequel vous vous trouvez déjà. »
« Est-ce une affirmation ou bien tentez-vous de m'en convaincre ? » la parodia Draco. « Parce que ce n'est pas en me rabâchant que je suis dépressif une séance sur deux que je vais miraculeusement l'être. »
« Je n'ai jamais dit que vous étiez dépressif, M. Malfoy. »
Draco roula des yeux bien, bien fort.
« Vous le pensez à voix haute. »
« Je n'ai jamais dit que vous étiez dépressif. » répéta Mrs. Granger, imperturbable. « La dépression n'est pas ce terme à valeur péjorative que le langage courant d'aujourd'hui s'est chargé de banaliser et trivialiser. La dépression est une lourde maladie mentale qui nécessite un diagnostic médical conséquent ainsi qu'un suivi régulier. Vous êtes certes extrêmement désabusé mais vous n'en êtes pas encore à ce stade. »
« Blablabla. Dans tous les cas, vous connaissez le proverbe : "Serpentard au berceau, pense déjà au tombeau". Citez-moi un seul Serpentard qui ne soit pas dépressif de naissance ? Le gène est quasiment greffé à nos chromosomes. Son diagnostic est plus que facultatif, chez nous. »
« Donc vous affirmez être dépressif, maintenant ? »
« Non. » réfuta Draco avant de se mordre furieusement l'intérieur de la joue.
Elle l'avait piégé comme un amateur.
« Vous me contredisez juste pour le plaisir de contredire. » constata Mrs. Granger d'une voix neutre – toujours, toujours neutre.
« Peut-être. » admit Draco et il accompagna sa phrase d'un bâillement exagéré. « Faut dire qu'on s'emmerde à mourir pendant vos séances donc autant s'occuper comme on peut. »
« Souhaitez-vous que nous abordions un sujet de conversation plus divertissant, M. Malfoy ? »
« A supposer que vous puissiez être capable d'en trouver un, déjà. Commençons par là. »
« Je pense pouvoir en trouver un, oui. »
« Ok, doc'. » Draco planta ses pieds sur l'accoudoir et croisa ses deux bras derrière la tête, les yeux clos. « Surprenez-moi. »
« Vous mourez dans très exactement vingt-sept jours. »
Et pour être pris de court, Draco le fut. Ses paupières s'entrouvrirent d'un seul coup, comme sous l'effet d'une gifle cuisante, et il tourna si rapidement la tête vers sa voisine que son cou en frôla le torticolis.
Mrs. Granger cligna simplement des yeux. C'était la seule chose qu'elle faisait durant ces fichues consultations. Elle clignait des yeux, fixait les gens sans flancher, posait ses questions d'une voix détachée, sans vie, et lâchait des punchlines aussi tranchantes qu'un couteau de boucher. Puis elle clignait encore des yeux.
Draco la détestait du plus profond de son être. Du plus profond de ses entrailles. Il n'avait pas réussi à s'en débarrasser comme pour toutes les précédentes psychologues, son imperturbabilité la rendant imperméable à chacune de ses tentatives. Peu importaient les paroles venimeuses et comportements immatures avec lesquels le blond l'attaquait semaine après semaine, mois après mois, année après année, elle réussissait toujours à les contrer avec un calme olympien. Pire : à tout lui renvoyer en pleine figure avec trois fois plus de force encore. Draco ne savait réellement pas comment elle s'y prenait. A dire vrai, il était presque fasciné par ce stoïcisme à toutes épreuves. Raison n°802 pour la détester un peu plus.
Malfoy était un bloc de béton. Il possédait une carapace si épaisse que pour réellement l'atteindre, il fallait en général y aller à la tronçonneuse. C'est pourquoi la facilité enfantine avec laquelle Mrs. Granger parvenait à le descendre l'époustouflait. Car, oui, il était au courant qu'il allait crever dans très exactement vingt-sept jours. Merci Sherlock. Il le savait depuis ses dix ans, jour au cours duquel ses parents avaient cru bon de lui annoncer l'heureuse nouvelle six secondes après que ses bougies aient été soufflées. Draco avait eu le temps d'appréhender l'idée, de paniquer, de pleurer, de se révolter, de déprimer puis de s'y résigner. D'en rire, même. Alors pourquoi diable son cœur tenta-t-il de bondir hors de sa poitrine lorsque Mrs. Granger lui lança cette vérité bien connue au visage ?
« C'est censé être un scoop ? » répliqua Draco, une fois sa respiration récupérée.
« Cela peut l'être si vous ne vous êtes pas encore habitué à l'idée. Ce qui serait tout à fait normal. Personne ne s'habitue à la mort. »
« Croyez-moi, j'ai eu tout le temps nécessaire pour intégrer l'idée que je croupirai sous terre avant mes vingt-cinq ans. Avant tous les gens de mon âge. Avant mes propres parents. »
« Et qu'est-ce que cela vous fait ? » insista Mrs. Granger, car elle était ce genre de sadique, prête à retourner innocemment le couteau dans la plaie à la moindre occasion donnée. « Face à cette réalisation, que ressentez-vous exactement ? »
Draco esquissa alors son célèbre sourire, celui à plus de 1000 Watts. Dans sa cage thoracique, son cœur se débattait toujours avec férocité.
« J'ai hâte. »
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« 6 Juillet : Prévoyez toujours les choses à l'avance ! »
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Lorsque Pansy débarqua aux portes du Manoir, ce fut avec des Doc Martens basses et usées aux pieds, une mini-jupe rouge à imprimé écossais couvrant le tiers de ses cuisses et un large t-shirt noir déclamant en lettres capitales : « DON'T TALK TO ME IF YOU'RE UGLY ». Elle mastiquait également un chewing-gum la bouche ouverte, ce qui était un signe indicatif de sa mauvaise humeur matinale car : 1) elle détestait les chewing-gums, 2) elle détestait que l'on mastique quoi que ce soit la bouche ouverte. Cela n'empêcha pas Draco de l'attraper par les hanches pour la soulever du sol à la seconde où il lui ouvrit la porte, la serrant dans ses bras à lui en briser huit vertèbres.
« Repose-moi ! Repose-moi, immédiatement ! » se débattit Pansy en tambourinant contre son dos de ses petits poings. « Je ne suis pas ta chose. »
« Non. Tu es mon sauveur. » rectifia Draco, soulagé au-delà des mots. « Je pensais réellement que tu allais me laisser en plan. »
« J'en étais à deux doigts, figure-toi, mais l'envie de te voir souffrir le martyr pendant une matinée toute entière a fini par prédominer. » répondit Pansy une fois à terre, juste avant de lui ordonner : « Tends-moi ta main. »
Draco s'exécuta sans réfléchir et Pansy extirpa sans cérémonie son chewing-gum de sa bouche pour le planter dans la paume du blond. Elle referma ensuite son poing et prit bien soin d'appuyer fort sur ses phalanges repliées de sorte à ce que la matière caoutchouteuse rose vif adhère le plus possible à la paume de Draco. Ce-dernier n'eut pour seule réaction qu'un léger haussement de sourcils. Elle aurait pu le gifler ou cracher sur ses chaussures qu'il serait resté planté là, serein. Souriant. C'était dire à quel point il était reconnaissant qu'elle se soit déplacée jusque chez lui d'aussi bon matin. Dieu seul savait qu'il ne pouvait pas affronter seul ce qui l'attendait.
« ...Pansy ? » s'exclama Narcissa qui descendait les escaliers, ses sourcils haussés. Elle baissa ses lunettes de soleil sur son nez puis les hissa au sommet de son crâne. « Quelle bonne surprise ! Comment vas-tu ? »
« Très bien, Mrs. Malfoy, et vous ? » s'enquit Pansy d'une voix d'enfant de chœur, la poigne de Draco toujours broyée dans sa main.
« Parfaitement bien, merci ! Et tes parents, comment se portent-ils ? »
« Toujours divorcés mais toujours en bonne santé. »
« C'est l'essentiel. » répondit Narcissa avant de traverser l'espace qui les séparaient, ses talons d'escarpins claquant contre le parterre en mosaïque du hall d'entrée. « Pansy chérie, j'ai bien peur que tu ne tombes au mauvais moment. Draco et moi devons nous rendre au... »
« Oh, c'est lui qui m'a appelée, justement. Il voulait que je l'accompagne pour, hum, quels étaient ses mots déjà.. ? Ah oui : soutien moral. » se rappela Pansy en adressant un sourire dégoulinant de moquerie au concerné.
« C'est tout naturel, c'est tout naturel ! » acquiesça immédiatement Narcissa, sa main posée sur l'épaule de son fils. « C'est... une situation extrêmement difficile à surmonter seul, qu'importe l'incroyable degré de courage qu'il puisse avoir. Quelle excellente amie tu fais, Pansy. Draco saura s'en rappeler lorsqu'il procédera à son partage d'héritage pour la Cérémonie des Adieux. »
« J'espère bien. » marmonna Pansy avant d'adresser un sourire radieux à Narcissa. « Oh, ce n'est vraiment pas une obligation, vous savez ? Je fais cela de bon cœur. »
A Draco de rouler des yeux puis poser sa main libre sur la hanche de sa mère, la dirigeant gentiment vers la sortie.
« Finissons déjà le programme d'aujourd'hui avant d'envisager de dilapider ma fortune, voulez-vous ? Plus tôt cette journée sera terminée, mieux je me porterai. »
Un taxi les attendait déjà devant le portail du Manoir et les trois Serpentards s'y engouffrèrent, Narcissa à l'avant, les deux jeunes gens à l'arrière. Pansy percha sans cérémonie l'une de ses jambes sur celles de Draco, prenant toutes ses aises, et le blond lui pressa deux fois la cuisse avant de laisser sa main reposer juste au-dessus de sa rotule. Il était vraiment content qu'elle soit venue.
Le ciel londonien était d'un gris sale lorsque la voiture les déposa devant Ombrage & Co. Tout en retenant ses cheveux blonds balayés par le vent, Narcissa paya généreusement le chauffeur par la vitre baissée et le pria de garder les vingt Livres supplémentaires à la note initiale. Elle se dirigea ensuite vers les portes vitrées du bâtiment, Draco et Pansy à sa suite. Un tintement de carillons accompagna leur entrée et une odeur sucrée de bonbon les escorta à l'intérieur.
« Mais qu'est-ce que c'est que ça ? » murmura une Pansy horrifiée, ses yeux verts scannant le hall tout entier.
Tout était rose. Le plafond, la moquette, les murs, les meubles, les marches d'escalier, la rampe d'escalier, le tapis, l'ampoule, les fleurs, les poignées de porte. Absolument tout était rose.
« Une entrevue de l'enfer. » répondit Draco à voix basse.
« Ta future maison te plaît, alors ? Tu la trouves à ton goût ? »
« Hors de question que j'atterrisse en enfer, la chaleur risque de m'assécher les pointes. J'irai au paradis, ils ont la clim'. Et puis les blonds sont des saints parmi les saints. » ajouta-t-il, son index dressé venant appuyer le sérieux de ses propos.
« Si on avait posé la question aux parents du petit Gregory Atkins, en Quatrième, je doute qu'ils t'auraient décrit en ces termes. » ricana Pansy.
Les yeux bleus froids de Draco se plantèrent droit sur sa voisine.
« C'était bas, ça, Parkinson. Très bas. » siffla-t-il.
Pansy lui répondit par un simple clin d'œil.
« Bienvenue, bienvenue ! » gazouilla une voix haut perchée à leur droite, coupant court à leur échange.
Descendant promptement les marches d'escalier, une quarantenaire en tailleurs parme pelucheux apparut, un grand sourire commercial aux lèvres.
« Bienvenue ! » répéta-t-elle à nouveau, une fois arrivée à leur niveau. « Vous devez être la famille Malfoy. »
« Exact. » répondit Narcissa, sa main tendue en avant d'un mouvement de poignet délicat. « Narcissa Malfoy, enchantée. »
« C'est un réel plaisir de vous rencontrer enfin ! » pépia la propriétaire des lieux.
« Plaisir partagé. » Narcissa reposa sa paume au niveau des omoplates de Draco, l'invitant par la même occasion à avancer d'un pas. « Et voici mon fils unique, Draco. Celui dont je vous ai longuement parlé au téléphone. »
« Ho-ho-ho, le voici, le voilà. » s'exclama son interlocutrice en posant ses yeux friands sur le blond. Draco eut brusquement l'impression d'être un chèque humain à six zéros. « Dolores Ombrage, pour vous servir. »
Le jeune homme serra la mâchoire mais parvint tout de même à articuler :
« Très enchanté de faire votre connaissance. »
Ce qui sembla être la suite de mots la plus hilarante de l'année pour Pansy car, le temps de deux petites secondes, ses lèvres laissèrent échapper les prémisses d'un ricanement narquois. Le regard d'Ombrage navigua alors de Draco à Pansy qu'elle avisa de la tête aux pieds, ses lèvres roses pincées.
« Et vous êtes… ? » s'enquit-elle, dédaigneuse.
« Pansy Jade Améthyste Parkinson, Serpentarde, Capricorne, vingt-et-un ans, un mètre cinquante-cinq, quarante-deux kilos, allemande du côté de mon père, italienne du côté de ma mère. » énuméra la concernée sans ciller.
« C'est une amie proche de Draco. » expliqua Narcissa d'une voix un peu plus douce. « Mon fils a sollicité d'être accompagné tout au long de cette journée. Dans des moments éprouvants comme ceux qu'il vit ces derniers temps, c'est toujours important de sentir le soutien et la présence rassurante d'un ami à ses côtés. »
« Oui, bien entendu. » acquiesça immédiatement Ombrage avant de se retourner vers Pansy, son mépris fondu comme neige au soleil. « Dolores Ombrage. » se présenta-t-elle tout en dégainant une carte de visite fushia pour la lui planter sous les yeux. « Organisatrice de mariage... » Elle retourna la carte pour dévoiler un verso noir et funeste. « ...et d'enterrement. S'il arrive que vous ayez un jour besoin de mes services, n'hésitez surtout pas à contacter le numéro inscrit en lettres d'or juste en bas. »
« Je ne compte pas me marier un jour et il me reste encore soixante-six bonnes années à vivre. » répondit Pansy, glissant malgré tout la carte dans sa poche. « Mais merci quand même. »
« C'est moi ! » répondit Ombrage avant de claquer trois fois des mains avec entrain. « Bien ! Sans perdre de temps, nous allons commencer notre consultation. Si vous voulez bien me suivre, mesdames, monsieur. »
Tandis qu'elle se dirigeait vers les escaliers, Narcissa posa une nouvelle fois sa main dans le dos de son fils pour qu'il les précède. Draco gravit les marches tête baissée, ses yeux fixés sur les petits talons bobines – roses aussi – d'Ombrage qui cliquetaient en rythme contre le parquet.
« Nous allons tout d'abord procéder aux commodités relatives au cercueil. » expliquait-elle, toute enjouée. « A savoir : le design, la matière, l'intérieur, les différents modèles, les options valables, la qualité du matelas... tous ces petits détails cruciaux. Nous nous occuperons ensuite d'organiser l'enterrement en lui-même. Pour cela, nous passerons en revue ensemble les cartons d'invitations, la décoration florale, le thème couleur, le placement des invités, le programme de la messe, le choix de la playlist funéraire... autant dire que cette journée s'annonce extrêmement productive ! » conclut-elle, enthousiaste à l'avance. « Avez-vous déjà choisi votre tenue d'enterrement ? Parce que nous avons ici, chez Ombrage & Co, un tailleur qui peut vous confectionner le plus parfait des costumes. »
« J'ai déjà pris rendez-vous avec Madame Guipure la semaine prochaine pour qu'elle prenne les mesures de Draco. » répondit Narcissa qui fermait la marche.
« Oh. Madame Guipure. Très bien. »
« Mais nous gardons en tête votre offre. »
« En tout cas, en cas d'empêchement de dernière minute, sachez qu'elle tient toujours. » lui fit savoir Ombrage tandis qu'ils atteignaient le premier étage. « Nous allons à présent nous diriger vers la salle des cercueils. Veuillez me suivre, s'il-vous-plaît. C'est juste à gauche. »
Les trois clients cheminèrent derrière elle et Draco garda une fois de plus les yeux rivés au sol. A mi-chemin du couloir, il sentit les longs ongles noirs de Pansy lui pincer la peau du poignet.
« Mmh ? » réagit-il mollement en relevant la tête vers elle.
« Ça va ? » lui demanda-t-elle à voix basse pour ne pas que les deux adultes l'entendent.
Son expression faciale était d'une neutralité suisse mais ses yeux verts scannaient son visage avec une intensité attentive et concernée. Draco lui adressa alors un semblant de sourire plus ou moins satisfaisant.
« Ça va. » lui assura-t-il.
Si Pansy flaira son mensonge à six kilomètres, elle n'insista pas et Draco lui en fut reconnaissant.
La salle des cercueils ne pouvait pas mieux porter son nom. Aussi spacieuse qu'un hangar d'aérodrome, elle accueillait en son sein plus d'une centaine de cercueils exposés par rangées symétriques, tous plus différents les uns que les autres. Une grande allée principale scindait les deux rangées et un vieillard au dos légèrement courbé avançait lentement dans leur direction, le cliquetis de sa canne claquant contre le sol lustré se répercutant en écho dans l'antre toute entière.
« Je vous présente M. Ollivander. » déclara Ombrage. « Sacré plus grand constructeur de cercueil d'Angleterre par la FDF – Fédération des Designs Funéraires – c'est lui qui vous aidera dans votre choix. Faites-lui entièrement confiance, vous ne serez pas déçus. » ajouta-t-elle en lui tapotant l'épaule.
« Merci beau-coup Monsieur de vous être dé-pla-cé afin de nous fournir vo-tre aide ! » articula très fort Narcissa en se penchant vers M. Ollivander pour qu'il puisse l'entendre. « C'est très ai-ma-ble de votre part ! »
Le vieillard releva la tête vers elle avec un sourire calme.
« Mais tout le plaisir est pour moi, ma chère Madame. » lui répondit-il d'une voix étonnement fluide et distincte. « Cependant, je me dois de vous informer qu'en dépit de mon apparence fébrile, je ne suis pas encore suffisamment sénile pour que vous fassiez souffrir ainsi mes pauvres tympans. »
« Oh. » sursauta Narcissa, les joues rosies par la gêne. « Je, hum. Je suis sincèrement confuse. Excusez mon incroyable impolitesse. »
« Ne vous en faites surtout pas, ma petite dame. Vous n'êtes pas la première à tomber dans le panneau et vous ne serez certainement pas la dernière, j'en suis sûr. » lui assura-t-il avec un petit rire avant de passer le groupe en revue. « Alors ? Où se cache donc le malheureux élu ? »
Draco s'avança d'un pas seulement et observa les yeux cernés de M. Ollivander s'écarquiller au ralenti en se posant sur lui. L'artisan prit le temps de le dévisager de la tête aux pieds, ne s'attendant sûrement pas à s'occuper d'un client aussi jeune, puis il secoua une seule fois la tête, un sourire relativement compatissant aux lèvres.
« Suivez-moi, jeune homme. Marchons un peu ensemble. » l'invita-t-il.
Par réflexe, Draco échangea un rapide regard avec Pansy qui lui fit les gros yeux, signe qu'il valait mieux obtempérer sur-le-champ. Emboîtant le pas au fabriquant de cercueils, le blond chemina alors avec lui le long de l'interminable allée centrale.
« Il fait beau, vous ne trouvez pas ? » lui demanda M. Ollivander après trente secondes de marche silencieuse.
Draco jeta un bref coup d'œil en direction de la fenêtre. Une véritable pluie diluvienne s'abattait sur les trottoirs goudronnés de Londres comme si la fin du monde était imminente, la rançon de trois semaines ininterrompues de beau temps.
« Pas tellement. » objecta-t-il.
« Vous ne trouvez pas qu'il fait beau ? » s'étonna le vieil homme.
« Il pleut des cordes. » répondit Draco, son index pointé vers la vitre. « Ce n'est pas tellement la définition d'une bonne météo, selon moi. »
« Certes, mais il n'y a pas d'orage. » argumenta son voisin en braquant à son tour la pointe de sa canne vers ladite vitre.
« Ça ne va pas tarder. »
« Il pourrait ne pas y en avoir. » soutint M. Ollivander.
« Improbable. » rétorqua du tac au tac le blond.
« Pourquoi donc ? »
Draco prit sur lui pour retenir le gémissement plaintif qui lui chatouillait la gorge.
« Parce que nous sommes à Londres et qu'à Londres, il pleut constamment et que cette pluie est toujours accompagnée d'orage. » expliqua-t-il avec un calme forcé. « C'est presque un fait scientifique. »
« Et si, pour une fois, il n'y avait pas d'orage ? » supposa encore son interlocuteur. « Juste pour cette fois. Juste pour aujourd'hui. »
« J'en doute. » répondit Draco.
« Pourquoi donc ? » répéta patiemment M. Ollivander.
« Parce que c'est comme ça, que voulez-vous que je vous dise ? » finit-il par siffler d'un ton cassant.
Il dirigea un regard agacé sur le cercueil violet à pois jaune et kaki qui était exposé juste à leur droite et se demanda brièvement dans quel univers parallèle il était acceptable de se faire enterrer là-dedans. Tout, dans ce design, laissait suggérer que le constructeur avait été sous l'influence d'une puissante drogue hallucinogène. Pas d'autre explication.
« Vous êtes... assez pessimiste. » constata M. Ollivander à côté de lui.
« "Pessimisme" était mon prénom de naissance jusqu'à ce que le docteur force mes parents à choisir "Draco" au dernier moment. » rétorqua le blond, les yeux toujours rivés sur les boîtes en bois loufoques qu'ils longeaient.
A peine eut-il terminé sa phrase que M. Ollivander bifurqua sans crier gare dans l'une des rangées de gauche, changeant totalement de direction. Pris de confusion, Draco l'observa s'éloigner en fronçant des sourcils mais s'empressa de le rattraper à grandes enjambées.
« Vous êtes extrêmement beau garçon. » le complimenta M. Ollivander lorsqu'il parvint à son niveau.
Malfoy haussa très lentement des sourcils, pris de court. M. Ollivander ne le fixait même pas, ce qui ne rendait sa déclaration que plus étonnante. Son regard dirigé droit devant lui, il continuait sa progression sans se presser, cette expression infiniment sereine ne quittant pas ses traits faciaux.
« Okay... ? » articula le concerné avec prudence, ne sachant que répondre d'autre.
A cela, le fabriquant se retourna vers lui pour l'observer d'un œil surpris.
« Est-ce une surprise pour vous ? Ne vous l'a-t-on jamais dit ? »
« Pas de façon aussi directe, non. » admit Draco.
M. Ollivander opina lentement avec un petit « mmh... » compréhensif.
« Mais vous en avez toujours eu conscience. » ajouta-t-il, néanmoins.
Draco ralentit immédiatement le pas puis s'humecta les lèvres dans un tic nerveux.
« Juste pour dissiper tout malaise : vous n'êtes pas en train de me draguer, là... si ? » douta-t-il, un certain degré de panique dans la voix.
Et il ne fut pas préparé pour la crise de rire soudaine qui submergea instantanément M. Ollivander. Le vieil homme était tant secoué d'hilarité que des larmes commençaient à perler à la commissure de ses paupières ridées et il troqua l'appui de sa canne contre celui du cercueil vert gazon doté de deux oreilles d'ogre qui se situait à proximité de lui pour ne pas s'écrouler au sol. Draco resta planté devant lui jusqu'à ce qu'il termine de s'esclaffer, passablement con.
« Non, mon garçon ! Mon Dieu ! Du tout ! Du tout. » s'exclama-t-il en s'essuyant les yeux du dos de la main, ses épaules tressautant encore légèrement. « Soyez rassuré. Pfiou. »
« Non pas que, hum... ce n'est pas... je n'ai aucun problème avec ça, si c'était le cas, soyez-en certain, mais, hum... c'est juste... disons que... je ne suis pas... » se dépatouilla piteusement le blond, de vagues mouvements de bras à la clé.
« Ne vous enfoncez pas, mon garçon. » le sauva in-extremis M. Ollivander en lui tapotant simplement l'avant-bras avant de reprendre la marche, puis le fil initial de leur conversation : « Donc, cette tête d'ange. En avez-vous toujours eu conscience ? »
Draco glissa ses doigts dans ses poches, ses pouces à l'air.
« Je l'ai toujours plus ou moins su, disons. » raconta-t-il. « Au-delà du fait de se voir soi-même dans une glace, ça se constate dans le regard des autres, dans leur façon de se comporter, dans leur posture, les petits commentaires, les insinuations. Ça se devine. »
« Mais vous, vous vous en fichez. » remarqua M. Ollivander et, sur cette déclaration, il opéra un second changement de direction drastique.
« De ? » demanda Draco en trottant à sa suite.
« Du fait d'être joli garçon. »
« Oh. » réagit-il avant de hausser des épaules. « Plutôt, oui. »
« Pourquoi ? » voulut encore savoir le vieillard et c'était à se demander s'il ne récoltait pas toutes ces informations pour les livrer ensuite aux services secrets soviétiques.
« Ce n'est pas ma jolie gueule qui va me rajouter cinq années de vie. »
A cela, M. Ollivander s'immobilisa aussitôt, Draco manquant d'entrer de justesse en collision avec son dos. Lorsque le fabricant lui fit face, ce fut pour le détailler à nouveau, ses sourcils gris broussailleux froncés avec une infinie concentration. Il emprunta ensuite un troisième chemin parmi les cercueils et le parcourut cette fois-ci au pas de course, sa canne hissée sur son épaule gauche à la manière d'un club de golf. C'était à se demander si l'objet ne faisait pas simple figure d'accessoire décoratif, à ce stade.
« Mais pourquoi fait-on des tours incessants, comme ça ? » s'agaça Draco, essoufflé – c'est qu'il courait vite, le vieillard. Le blond avait même peine à le rattraper. « Où est-ce que l'on va ? »
« Cela a-t-il même une importance ? » répondit M. Ollivander sans cesser ni ralentir sa progression.
« Quoi ? Bien sûr ! » s'indigna Draco derrière lui en rabattant quelques mèches blondes en arrière, hors de ses yeux. « On ne va pas déambuler dans cette fichue pièce sans but jusqu'à l'aube ! »
« Vous préférez que les choses aient un but précis ? » l'interrogea M. Ollivander en – et là, il fallait le voir pour le croire – enjambant à saute-mouton un cercueil en forme de croissant pour poursuivre son sprint plus rapidement encore, à peine le pied posé à terre. « Que tout soit prévu d'avance ? »
« Non, pas forcém– quel rapport cela peut-il avoir avec le choix de mon cercueil ? »
« Vous aimez que tout se déroule avec fluidité et cohérence ? » continua M. Ollivander, imperturbable. « Que tout ait obligatoirement un rapport ? Une connexion ? Ne pas avoir le contrôle total des choses vous met mal à l'aise ? Vous avez du mal à appréhender une situation qui, dès le départ, vous échappe ? »
« C'est une séance de psychanalyse ou un interrogatoire de garde-à-vue ? » pesta Draco, déjà à bout de souffle – et de nerfs.
« J'essaie simplement de vous connaître. Vous ne voulez pas que je vous connaisse un tout petit peu mieux ? » lui demanda-t-il, un regard inquisiteur lancé par-dessus l'épaule.
« Je veux juste que tout ce manège se termine le plus rapidement possible. » gémit-il en abandonnant sa course pour s'accroupir à même le sol, fatigué. « Je veux juste que tout s'arrête. J'en ai marre. » bouda-t-il.
« Un impatient ! » jubila M. Ollivander en claquant des doigts. « Je le savais. »
Et juste comme ça, il revint sur ses pas, donnant à nouveau le tournis à Draco. La respiration erratique, le blond observa le vieil homme reprendre son habituelle démarche lente et boiteuse pour se diriger dans sa direction, sa canne à nouveau de service dans sa main. La même canne avec laquelle il lui tapota trois fois la rotule une fois arrivé près de lui, comme pour l'inciter à reprendre aussitôt la marche à ses côtés. Et Malfoy fut sincèrement à un seul doigt de l'envoyer se faire foutre. Un seul. Mais sa mère l'avait mieux éduqué que cela. De plus, elle avait payé une blinde pour tout ce manège grotesque, aussi extraordinaire que cela puisse paraître. Et Pansy s'était déplacée jusque chez lui ce matin pour l'accompagner, fait insolite. Alors il allait pincer sagement des lèvres, ravaler son énervement et subir cette journée sans broncher. Rien de plus, rien de moins.
« Votre petite sœur semble être d'humeur taciturne, aujourd'hui. » observa M. Ollivander une fois qu'ils eurent traversé en silence l'allée des cercueils en verre.
« Ma petite sœur... ? » releva très lentement Draco avant de comprendre et lever les yeux au ciel. Tout le monde faisait cette erreur. « Vous voulez parler de Pansy ? »
« C'est comme cela qu'elle s'appelle ? C'est un très joli prénom. » complimenta son voisin.
« Il signifie "pensée" en français. Paraît-il. » précisa Malfoy sans raison aucune.
« Mmh. » acquiesça M. Ollivander. « Et comment se fait-il qu'une fleur aussi éclatante qu'elle paraisse si profondément mélancolique ? »
Draco fut honnêtement surpris. Peu de gens remarquaient cela à propos de Pansy ; le léger mais omniprésent voile de tristesse couvrant ses iris émeraude. Tout le monde passait outre. Volant un long regard en biais à son compagnon de route, Malfoy se demanda en silence quels autres détails subtils cet homme avait bien pu relever à leur sujet en ce si court laps de temps.
« C'est Pansy. » se résolut-il simplement à répondre.
« S'agit-il donc d'une simple facette de sa personnalité ? »
« Oui. » répondit Draco trois secondes avant de dodeliner de la tête et rectifier : « Non. » Il laissa échapper un soupir frustré puis ajouta, comme forcé par sa propre conscience : « Elle n'était pas comme ça avant. »
A son tour de sentir l'œillade scrutatrice de son voisin se poser immédiatement sur lui.
« Qu'est-ce qui a bien pu faire changer les choses ? » l'interrogea-t-il et quelque chose dans cette curiosité poussée ne plut que très moyennement à Draco.
« Je doute que ceci vous concerne. » siffla-t-il, polaire.
« Ouh ! On les reconnaît bien, là, les grands frères protecteurs ! » s'exclama M. Ollivander en riant, bon joueur.
« Pansy n'est pas ma sœur. »
« Soeur, cousine, nièce, voisine, amie – qu'importe ? Tous ces termes ne sont que des fabrications de l'homme. Des catégories sociales hiérarchiques inutiles. Des prisons de la pensée. » philosopha l'artisan et lorsqu'il se retourna vers Draco, ce fut pour continuer avec gravité : « Car la famille réelle, mon cher, ne s'arrêtera jamais là où cesseront les liens du sang. Retenez bien cela. » lui ordonna-t-il, ponctuant chacun de ses mots en lui tapotant le thorax à l'aide de sa canne.
« Ok. » répondit Draco, légèrement déboussolé. « Je, hum, je tâcherai de ne pas l'oublier. »
M. Ollivander eut un très lent sourire, visiblement satisfait par cette réponse. Il recula ensuite d'un pas et croisa ses mains derrière le dos.
« Retournez-vous. » lui ordonna-t-il.
Malfoy plissa des paupières, méfiant par nature, mais consentit malgré tout à pivoter lentement sur ses talons.
« Voici votre cercueil. » déclara solennellement le fabricant derrière lui.
Et, en effet ; coincé entre un sarcophage doré à tête de pharaon et un cercueil vert en forme de dollar américain se trouvait une imposante boîte rectangulaire argentée munie de part et d'autre de deux poignées en métal.
« Mon cercueil... ? » répéta-t-il, les yeux légèrement écarquillés.
« Le vôtre, Monsieur Malfoy. »
« Mais je... je ne vous ai donné aucune indication ! Aucune. Et je ne vous ai même pas fait part de mes préférences ! » protesta Draco, stupéfait.
M. Ollivander apparut soudainement dans son champ de vision, son index dressé sévèrement en l'air.
« Ce n'est pas l'homme qui choisit son cercueil mais le cercueil qui choisit l'homme, Monsieur Malfoy. Et celui-ci, en l'occurrence, n'aurait pas pu mieux vous correspondre. » décréta-t-il avant de couver d'un regard paternel le cercueil en question. « Le gris est votre couleur. Il reflète votre caractère taciturne, un brin défaitiste, votre renfermement sur vous-même ainsi que cette tendance que vous avez à voir le verre à moitié vide alors qu'il pourrait être à demi rempli. Mais cette grisaille n'est pas la seule caractéristique qui vous définit, Dieu merci ! En effet, lorsque je vous observe, je constate également beaucoup de noblesse. » Il laissa glisser la pulpe de son index le long des courbes lisses du cercueil puis y fit rouler ses doigts dans un tapotement léger. « Vous êtes noble d'éducation et cela se distingue dans votre allure princière, votre démarche confiante, votre intonation de voix claire et ferme, votre façon d'articuler distinctement chaque mot ainsi que par cette gestuelle un brin coquette que je décèle à forte dose chez votre mère. Vous êtes également noble sur le plan physique. Vos traits faciaux sont très fins et extrêmement agréable à la vue. Ils sont presque aussi délicats que ceux d'une femme. Vous êtes un homme élancé qui vous déplacez avec une grâce aussi naturelle que nonchalante dans une pièce. Vous êtes un aristocrate qui s'ignore. Ou qui s'en fiche. C'est pour cela que votre cercueil gardera cette élégante sobriété qui se suffit à elle-même et ne sera accompagné d'aucun autre artifice en surface. Car j'ai bien senti que vous n'aimiez ni artefacts, ni imprécisions. Vous préférez lorsque les choses sont claires et déterminées dès le départ. Vous aimez les choses pour ce qu'elles sont et non pas pour ce qu'elles paraissent être. Les faux semblants, très peu pour vous. » Il déverrouilla les attaches métalliques qui scellaient le cercueil afin d'en relever lentement le couvercle et dévoiler un intérieur en velours rubis. « Noblesse de caractère, également. Vous ne le laissez pas transparaître aux premiers abords mais vous êtes un homme de cœur. Vous vous souciez des autres. Vous vous inquiétez pour ceux qui vous sont chers et protégez jalousement leur intimité, peu désireux qu'une personne étrangère à votre cercle affectueux ne vienne se mêler d'affaires qui ne la regardent pas. Vous êtes loyal envers ceux que vous aimez. Et ça, Monsieur Malfoy, c'est une caractéristique remarquable. »
Draco hocha la tête avec lenteur. Son esprit se trouvait bombardé par une telle multitude d'informations et de questions qu'il ne savait même plus laquelle traiter en priorité. Celle principale restait : comment diable avait-il pu cerner tout ceci en l'espace d'une quinzaine de minutes ? ! Étaient-ce même des traits de caractère traduisibles en modèle de cercueil couleur argent ? ! Eh bien apparemment, oui.
« Wow. » fut ce qui sortit finalement de sa bouche une fois la présentation de M. Ollivander terminée.
« N'est-ce pas ? » pépia une Dolores Ombrage surexcitée à sa gauche – Draco ne se souvenait même pas l'avoir entendu s'approcher.
Après un léger sursaut, il jeta un coup d'œil à sa droite et aperçut Pansy et sa mère juste derrière la gérante de l'établissement. Narcissa tamponnait déjà ses yeux humides avec un chiffon de soie, son petit sac griffé pendillant à la jointure de son bras.
« Il est majestueux. » gémissait-elle, des tremolos plein la voix. « Absolument majestueux. »
« C'est vrai qu'il a de la gueule. » admit Pansy en zyeutant le cercueil, son regard intrigué contrebalançant son intonation désintéressée. « Ça donnerait presque envie de mourir sur-le-champ. »
« N'est-ce pas ? » répéta Dolores en posant une main dodue et vernie en rose parme sur l'épaule rigide de Draco. « Je suis sûre que notre futur petit macchabée a hâte d'être enterré pour enfin pouvoir l'essayer ! »
« Ah, ça... ! » répondit sans enthousiasme le concerné.
« Mais vous pouvez le faire dès maintenant, si vous le désirez ! » s'exclama M. Ollivander avant de clopiner vers le fond de l'allée pour y récupérer une petite estrade en bois qu'il plaça ensuite juste à côté du cercueil. « Allez-y ! » l'invita-t-il, un grand sourire aux lèvres.
Draco sentit un grand froid le baptiser du haut de sa tête jusqu'aux extrémités de son corps. Il se tourna vers Pansy qui ne se contenta cette fois-ci que de faire la navette visuelle entre lui et le cercueil ouvert, l'air toute aussi incrédule que lui. Ce qui ne l'aidait pas du tout.
« Vas-y, mon chéri ! Essaie. » l'exhorta alors sa mère, un sourire encourageant derrière ses larmes à demies refoulées.
Draco prit une profonde inspiration puis marcha vers sa prochaine demeure avec une extrême lenteur, un pied placé méthodiquement devant l'autre. A chaque nouveau pas, ses mains gagnaient en moiteur et son rythme cardiaque, en frénésie. Il chassa d'un geste bref une mèche blonde lui obstruant la vue et constata au passage que de la sueur perlait déjà en abondance sur son front.
« Montez, montez, ne soyez pas timide ! » l'accompagna Dolores qui le poussait presque du bras tandis qu'il gravissait le petit escalier avec une lenteur de compétition.
« Plus qu'une marche ! » l'encouragea M. Ollivander.
« Hop hop hop ! » le pressa Dolores. « Dans le caveau, mon petit. »
« Allez-y, allongez-vous ! » s'exclama M. Ollivander. « Vous me direz des nouvelles de la qualité du matelas. Il a été spécialement conçu pour prévenir les problèmes de dos. »
Draco obtempéra, un goût de sang dans la bouche, et s'allongea progressivement dans le cercueil, les bras le long du corps, la figure dirigée vers le plafond qu'il voyait déjà flou, sa vision brouillée. Si son cœur ne battait pas actuellement la chamade dans sa cage thoracique, il se serait déjà cru mort.
« Ça va ? Vous êtes bien installé ? Tout est bon ? » s'assura le fabriquant en se penchant au-dessus de lui. « Votre tête est confortablement calée sur le coussin ? »
Draco hocha simplement la tête, incapable de former ni voyelles, ni consonnes.
« Regardez-le ! C'est comme s'il était né pour être dans cette petite boîte. » souffla d'un ton rêveur Dolores, ses doigts entrelacés. Elle se tourna ensuite vers Narcissa avec une petite moue plaintive de bulldog triste. « Êtes-vous sûre de ne pas vouloir avoir recours à nos services s'agissant de son costume d'enterrement ? Notre tailleur pourrait lui coudre un ensemble parfaitement assorti aux couleurs de son cercueil ! D'autant plus que c'est très à la mode, en ce moment, vous savez ? Tenez la petite cliente cancéreuse que j'ai eu il y a de cela trois semaines, par exemple ! Elle s'était choisie une petite robe violette à motif de licornes ainsi qu'un cercueil de même coloris sur lequel avait été vissé une petite corne blanche sur commande. Eh bien je peux vous dire qu'à son enterrement, les invités étaient tout simplement charmés ! A peine s'ils ne discutaient que de cette exquise coordination de couleurs durant sa levée de corps. J'ai eu beaucoup de réservations par la suite ! »
« Nous y penserons. » répondit poliment Narcissa avant de se moucher bruyamment dans son chiffon et reprendre, la voix un peu enrouée : « En tout cas, ce cercueil est d'une rare beauté. Je n'aurais pas pu rêver mieux pour mon petit garçon. »
« Ah mais c'est du haut-de-gamme, Madame ! » s'enorgueillit M. Ollivander, le torse bombé. « Ce n'est pas du toc comme vous pourrez en trouver par milliers dans les petits bouis-bouis éphémères de coins de rues qui pullulent dans la ville, hélas. »
« Le marché funéraire des pauvres, comme je les appelle. » ajouta sur le ton de la confidence Dolores avec un petit ricanement gras.
« Ici, nous ne présentons et ne vendons que de la très haute qualité. » continua l'artisan, sa canne à présent coincée sous son bras. « Chaque cercueil est un modèle unique fait main à l'aide de bois naturel et avec un minutieux savoir-faire vieux d'un siècle. Que ce soit dans le processus de fabrication, les petits détails de design ainsi que le rendu final ; rien n'est synthétique ou mécanisé. »
« Et ce bois ? » demanda Pansy en toquant deux coups de phalange fermes contre la paroi. « Qu'est-ce que c'est, exactement ? »
« Alors ça, je vais vous le dire tout de suite, Mademoiselle. C'est justement inscrit sur la petite fiche de présentation située au-dessus du cerc... »
Clac !
En l'espace d'une demi-seconde, Draco se retrouva plongé dans les ténèbres. Plus une seule lumière, plus un seul son, plus une seule âme voisine. Le néant total. Pris de panique, il tenta de bouger une jambe, puis un bras, mais l'étroitesse des lieux ne lui permettait qu'un nombre très limité de mouvements. Il réitéra malgré tout, la respiration aussi erratique que bruyante, son cœur semblable à une dynamite proche de l'explosion. Et dans sa tête défilait déjà une avalanche de scénarios catastrophes rivalisant chacun en horreur, tous se terminant avec son cadavre enterré vivant six pieds sous terre. Et peut-être fut-ce la goutte d'eau faisant déborder le vase de la démence. Un instinct animal très proche du mécanisme de survie prit violemment possession de son corps, plongeant son esprit liquéfié de terreur dans un état second.
Il s'entendit, par fugaces flashs de conscience, littéralement hurler à l'aide depuis sa couche funéraire. Il sentit également son bras se déloger dans un mouvement brusque du maigre espace dans lequel il était confiné. Il enregistra lointainement la douleur que lui causa l'impact de ses coups de poings répétés contre le capot solide du cercueil. Il fut ébloui par le soudain et aveuglant retour de la lumière du jour. Il distingua dans un mélange de silhouettes confondues quatre têtes penchées au-dessus de lui. Il perçut en sourdine les paroles de Dolores Ombrage suivant la réouverture de la boîte en bois – eh bien alors ? Pourquoi êtes-vous si rouge ? L'air conditionné ne marche pas, à l'intérieur ? M. Ollivander, ce modèle de cercueil est-il doté d'un système d'air conditionné ou bien n'y a-t-il que le wi-fi comme fonctionnalité disponible ?. Il se vit pousser Dolores Ombrage et M. Ollivander hors de son chemin pour se remettre précipitamment sur pieds. Puis tituber. S'appuyer d'une emprise moite et fragile contre le sarcophage voisin. Le faire dégringoler à terre.
BANG !
Peut-être fut-ce le hurlement déchirant de M. Ollivander qui se répercuta en écho d'un bout à l'autre du grand hangar. Peut-être fut-ce les sanglots crescendos de sa mère qui parvinrent à son oreille. Draco n'était plus sûr de rien, à ce stade. Tout devenait imprécis, indistinct et froid, si froid. Son corps perdait toute sa température à une vitesse record. Ses mains tremblaient de plus en plus. Sa respiration se faisait courte, douloureuse. Ses jambes ne le portaient même plus correctement. Ses yeux ne cernaient que d'épais points couleurs monochromes ici et là. Des teintes fades. Tout était si terne...
« Respire. »
Draco prit une très grande inspiration, ses poumons s'emplissant d'air glacé.
« Encore. »
Draco inhala et exhala une seconde fois, puis une troisième fois, une cinquième, une dixième. Ses sens se réactivaient progressivement, petite touche par petite touche, et il se sentait reprendre doucement contact avec la réalité.
« Lentement. Prends tout ton temps. »
Il était accroupi à même le goudron sale du dehors, son dos appuyé contre la façade en briques rose de ce qui semblait être le Ombrage & Co, les jambes largement écartées. Pansy se trouvait agenouillée juste à côté de lui et lui caressait le haut du torse d'une main circulaire, chacune des motions régulières de sa paume lui apportant une dose d'apaisement nécessaire. Les passants allaient et venaient devant eux, les gratifiant au passage d'œillades curieuses et intriguées. Pansy ne leur accordait aucune attention.
« Respire. » répétait-elle d'une voix lente et calme, presque relaxante, jusqu'à ce que Draco obtempère. « Prends ton temps. »
Il ne sut pas combien de temps exactement ils restèrent ainsi, figés l'un à côté de l'autre au pied de l'immeuble tandis que tout autour d'eux, le monde continuait à tourner. Sans doute une demie heure, sans doute plus. Lorsqu'il put enfin se redresser sans craindre de vomir ou tomber à la renverse, les nuages gris avaient déjà cédé leur place aux premiers rayons de la journée. Reposant sa tête contre le mur, ses yeux déjà mi-clos, le blond laissa échapper un faible soupir.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? » finit-il par demander d'une voix rauque.
A sa droite, Pansy émit un rire jaune.
« Crois-moi, tu ne veux pas le savoir. » lui assura-t-elle, sa clope tressautant entre ses lèvres carmin au fil de ses mots. « Retiens juste que si tu repasses un jour le pas de la porte de ce magasin, le vieil Ollivander t'achèvera très certainement à coups de canne. »
Elle secoua ensuite vigoureusement son briquet et récolta une flamme qu'elle rapprocha avec toute la précaution du monde vers l'embout de sa cigarette. L'œil fatigué, Draco l'observa tirer une longue taffe qu'elle rejeta vers le ciel ensoleillé quelques secondes plus tard.
« Ça va ? » lui demanda-t-elle pour la seconde fois de la journée, son regard toujours dirigé vers les nuages.
Son voisin secoua négativement la tête.
« Non. » répondit-il.
Et lorsque les lèvres de Pansy s'étirèrent en un rare demi-sourire autour de sa clope, Draco prit cela comme une récompense pour avoir enfin admis la vérité.
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« 8 juillet : Soyez le maître de votre propre destin ! »
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« Monsieur Malfoy ? »
Lady secoua doucement l'épaule de Draco, récoltant un grognement guttural et inintelligible.
« Monsieur Malfoy ? » réitéra-t-elle, penchée au-dessus du lit King Size sur lequel le blond était étalé en étoile de mer.
« Non. »
La main de Draco vint tâter le matelas à l'aveuglette pour cueillir l'une des bordures de sa couette et la remonter brusquement sur sa tête, ne laissant visibles que les pointes peroxydées de sa chevelure hirsute. Lady roula alors des yeux.
« Il est l'heure de se réveiller, Monsieur Malfoy. » lui annonça-t-elle d'une voix ferme, cette fois-ci.
« Non. » protesta encore le concerné depuis les profondeurs duveteuses de sa couverture.
« Si. » rétorqua Lady en se dirigeant d'un bon pas vers les portes-fenêtre. « Vous avez rendez-vous au Centre à 10h30 et il est déjà moins vingt. » Sans cérémonie, elle tira sur les rideaux en velours et laissa l'aveuglante lumière du jour jaillir dans la chambre, les couinements contestataires de Draco en arrière-fond sonore. « Je vous ai laissé dormir dix minutes de plus que nécessaire. Vous devriez me remercier. »
« Non. »
« Levez-vous. » lui ordonna-t-elle tout entrouvrant la vitre d'un geste énergique pour renouveler l'air confiné de la pièce.
« Pas envie. »
« Je vous fais don de cinq minutes supplémentaires. »
« Non. » marmonna à nouveau Draco.
« Comme vous voudrez. » haussa-t-elle des épaules. « Mais ne venez surtout pas vous plaindre si, en descendant manger un peu trop tard, la boîte toute neuve de Chocogrenouilles que je vous ai acheté a disparu. »
Et sur ces dernières paroles, Lady ôta une petite poussière sur son tablier puis s'éclipsa de la pièce. Trois longues minutes s'écoulèrent suivant son départ et la silhouette emmitouflée de Malfoy demeurait toujours parfaitement statique, comme aussitôt retombé dans les limbes du sommeil. Au bout de la quatrième minute, cependant, la couette se déroba petit à petit, centimètre par centimètre, jusqu'à ce qu'une paire d'yeux bleus écarquillés finisse par apparaître.
« Chocogrenouilles ? » murmura Draco.
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« Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonjour. Il est 9h45 sur La Gazette News et c'est l'heure de votre flash info. » récita d'une voix nasillarde le journaliste à l'écran – "PERCY WEASLEY" déclamait en lettres capitales l'affichette électronique. Sa posture était on-ne-peut-plus crispée et ses cheveux roux avaient été disciplinés en deux sections gominées à parts égales, une paire de lunettes à monture ronde perchée sur le nez. « Voici les gros titres de ce mercredi 8 juillet... »
Draco mit 0,3 secondes pour localiser la carafe de lait froid parmi la multitude de produits étalés sur la table à manger. Il coinça ensuite son index autour de la hanse en cristal pour faire glisser le récipient transparent vers lui puis attrapa le fameux paquet de Chocogrenouilles. L'ouverture impatiemment déchiquetée, il fit pleuvoir une légion de petites grenouilles en chocolat au-dessus de sa tasse. Lorsque le paquet fut enfin reposé sur la table, celui-ci ne faisait plus que le quart de son poids initial.
« Évasion spectaculaire de Mondingus Fletcher des locaux hautement sécurisés d'Azkaban, six mois seulement après son incarcération. Aux premières lueurs de l'aube, le Serdaigle à la tête du plus large trafic d'armes européen s'est enfuit de la prison la plus surveillée d'Angleterre grâce à un tunnel secret creusé vraisemblablement à la fourchette. Un complice l'aurait attendu au pied du rocher pour l'escorter en barque jusqu'à la rive. Sept sections de police ont été dépêchées à leur poursuite. »
« Mmmh... » grogna Draco, paupières closes, sa première bouchée de Chocogrenouilles croustillant sous ses dents.
Il y avait quelque chose d'unique dans ces céréales. Quelque chose de divin. D'intemporel. Chaque cuillerée suspendait l'aiguille des secondes et provoquait un feu d'artifices sensoriel dans sa bouche. Ils avaient beau n'être qu'au chocolat – ils existaient également saveur cranberry mais le blond y avait goûté une fois et avait trouvé le goût si ignoble qu'il s'était ensuite brossé les dents pendant vingt-six minutes –, le cacao qu'ils utilisaient n'était pas un cacao terrestre, Draco en était persuadé. C'est pourquoi il scannait toujours minutieusement l'étiquette de la boîte à la recherche de l'ingrédient secret qui faisait passer ces céréales du rang du commun des mortels à celui des dieux de l'Olympe. Pour le moment, mises à part la teneur calorique d'un bol de 50g et les règles d'un jeu concours avec une peluche Chocogrenouille grandeur nature à la clé, il n'avait pas réussi à glaner grand chose.
« Nouveau scandale sur le plateau de 'La Vérité, Rien Que La Vérité' : une candidate Serdaigle confrontée à un adversaire Poufsouffle Verso a avoué en direct le meurtre de son ex-fiancé. "Ça fait partie des risques du jeu, que voulez-vous que je vous dise ?" s'est défendu en souriant Gilderoy Lockhart, présentateur et producteur principal de l'émission, tandis qu'à trente mètres de lui, les forces de l'ordre procédaient à l'arrestation de la jeune femme en pleurs. »
À la seconde où la caméra zooma sur le visage humide et écarlate de l'accusée, Lady se planta droit devant le poste.
« Vous mangez ou bien vous regardez la télévision, Monsieur Malfoy ? » demanda-t-elle en déposant une assiette de bacon fraîchement grillé juste à côté de sa tasse.
« Les deux. » répondit Draco, penché théâtralement vers la gauche afin d'apercevoir l'écran. « Les joies de la multifonction. »
« Les lenteurs de la multifonction, plutôt. » rétorqua Lady, profitant du remplissage de son verre de jus d'orange pour lui bloquer à nouveau la vue. « Entre l'instant où je suis allée vous préparer votre bacon et celui où je suis revenue, vous avez à peine progressé dans votre petit-déjeuner. Et il est 9h48, Monsieur Malfoy. »
« Peut-être que je progresserais un peu plus si vous me laissiez regarder la télévision. »
« Logique implacable. » ricana Lady.
« Exactement. » soutint Malfoy. « Le présentateur est roux. "Roux" est un synonyme du mot "orange". Orange est la couleur des carottes. Les carottes sont des aliments. Les aliments se mangent. Ce qui me donnera automatiquement envie de manger. » conclut le blond, sa cuillère levée en l'air comme pour dire "Ta-da !" .
Lady lui présenta son verre de jus avec un hochement de tête dépassé.
« Terminez vos céréales, Monsieur Malfoy, et terminez-les vite. »
Elle n'eut même pas fini de prononcer cette phrase que Draco avait déjà enfourné une gigantesque bouchée croustillante dans le fond de son gosier, ses yeux en roulant presque d'extase à l'arrière de son crâne.
« Madre de Dios. » gémit-il. « Ça va vraiment me manquer, ces petits machins choses. » Il touilla quelques secondes dans sa tasse et s'offrit une nouvelle portion chocolatée. « Vous penchez qu'ils chervent auchi des Chocogrenouilles au paradis ? » demanda-t-il à sa gouvernante, la bouche pleine.
« A Manchester, à présent, fait divers dramatique : un Serpentard de 38 ans s'est donné la mort hier soir, cinq jours seulement avant sa date de décès initiale. Dans la lettre qu'il a laissé à l'intention de ses proches, l'homme explique n'avoir attendu ce jour précis qu'en raison de la caution suicide faramineuse que ses parents auront à payer derrière lui. Il affirme en effet avoir toute son enfance été maltraité et rejeté par eux à cause de sa Marque. Se donner la mort cinq jours avant son décès officiel était donc pour lui la meilleure des revanches. »
« N'y pensez même pas. » siffla Lady à la seconde où Percy Weasley passa le relais au reporter planté sous le parvis pluvieux de l'hôpital de Manchester.
« Qui ? Moi ? Jamais. » minauda Draco d'une voix douce et ingénue. « Ne voyez-vous donc pas la petite auréole lumineuse qui brille en permanence au-dessus de ma tête ? »
« Les deux cornes, vous voulez dire ? » le corrigea-t-elle, plaçant sa tasse vide dans l'évier.
« Vous me sous-estimez beaucoup trop, milady. » déplora Draco. « Mais avouez tout de même que le plan de ce Serpentard était assez ingénieux. »
« Monsieur Malfoy... »
« Quoi donc ? » s'enquit Draco, alias l'Innocence Incarnée. « Je ne fais que constater ! Le plan qu'a concocté ce mec est un plan de génie. » affirma-t-il à nouveau en désignant du doigt l'écran.
« N'y. Pensez. Même. Pas. » répéta Lady d'une intonation dangereuse.
« Parce qu'il aurait pu se suicider n'importe quel autre jour durant ses trente-sept précédentes années d'existence. » continua Draco comme s'il n'avait pas été interrompu. « Il aurait même pu se suicider lors des tous premiers mois de l'année de ses trente-huit ans. Mais non. Il a attendu de le faire cinq jours seulement avant sa mort pour que ses parents paient ensuite une fortune après lui. Quel haut degré de machiavélisme est-ce ? »
« Monsieur Malfoy, si c'est encore un énième projet farfelu qui se forme à l'instant même dans votre esprit, vous avez plutôt intérêt à l'oublier de ce pas. » le prévint Lady.
« Parce que trente-huit années traduites en caution suicide, ça fait quoi, à peu près... sachant que chaque mois écoulé depuis la naissance d'un Serpentard équivaut à cinquante Livres de caution... cinquante fois douze ; six-cent Livres pour une année... maintenant, six-cent fois trente-huit... ça nous donne déjà vingt-deux mille huit-cent Livres pour trente huit années de vie. Ce qui est assez costaud. » calcula de tête Draco. « Maintenant, si on rajoute les cent-cinquante Livres de caution par jour des trente dernières journées de vie d'un Serpentard... cent-cinquante fois trente ; quatre-mille cinq-cents Livres... »
« Monsieur Malfoy. »
« ...mais, sachant qu'il n'a pas vécu les cinq derniers jours de sa vie, il faut soustraire cinq jours de caution à la somme de base, ce qui nous fait... alors, attendez, cent-cinquante fois cinq ; sept-cent cinquante Livres… maintenant on ôte ces sept-cent cinquante Livres aux quatre-mille cinq-cents Livres des trente jours, ce qui nous donne trois-mille sept-cent cinquante Livres... »
« Monsieur Malfoy ! »
« ...et si on additionne ce résultat à la somme du début, à savoir celle des trente-huit années cumulées... ça nous donne un total de vingt-six mille cinq cent cinquante Livres de caution suicide à payer en tout. Bordel de merde. » commenta-t-il avec un rire incrédule.
« Langage. » le réprimanda aussitôt Lady.
« Sapristi. » se reprit instinctivement Draco. Lorsqu'il se retourna vers sa gouvernante, ce fut avec de petites étoiles émerveillées dans les yeux. « Vous imaginez un peu ? Près de trente mille Livres de caution à payer ! Sans compter les frais de retard de paiement et autres ! Trente-mille Livres ! C'est la meilleure technique de vengeance jamais pensée à ce jour. Et je pèse mes mots. Ce Serpentard devait littéralement haïr ses parents pour se suicider avant l'heure. »
« Dixit le jeune homme que je dois dissuader chaque matin de sauter du haut du toit. »
« Oui mais moi, ce n'est pas exactement la même chose. » dodelina de la tête Draco avant de piquer dans son bacon. « Primo, je suis beaucoup plus jeune donc si je saute de ce toit pour de bon, le coût occasionné par mon décès sera beaucoup moins élevé que celui de cet homme. Deuzio, mes géniteurs sont riches. Tertio, ils ont déjà payé la totalité de ma caution suicide le jour de mes six ans. » Il mâchonna avec paresse sa tranche de jambon fumé avant d'ajouter pensivement : « Ou, plus exactement, le jour où ils ont su que leur fils unique était un rejeton de la sélection naturelle. »
« Cessez ce genre de discours dépréciatifs une bonne fois pour toute, Monsieur Malfoy. Vous valez beaucoup mieux que ça. » soupira Lady qui s'essuyait à présent les mains sur son tablier. « Et puis, caution payée ou non, cela n'efface pas la promesse que vous avez faite à votre mère de rester en vie jusqu'au terme. J'ai souvent l'impression que vous oubliez ce détail. »
« Je ne l'oublie pas. » gémit Draco, las. « Comment voulez-vous même que je l'oublie ? Vous me le rappelez à longueur de journées. Du lever au coucher du soleil. A peine si vous ne me réveillez pas en pleine nuit pour me le crier dans l'oreille avec un mégaphone. »
« Attention, Monsieur Malfoy, vous risqueriez de me donner de très bonnes idées. » le prévint Lady, un rictus mauvais aux lèvres.
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Le Centre.
Draco traîna un peu plus encore des pieds, ses semelles râpant contre le goudron rugueux du trottoir. Exhalant son cent-vingtième soupir dépité de la matinée, il fixa la chaussée d'un œil morne et caressa brièvement l'idée de s'y planter en plein milieu pour qu'un car scolaire l'écrase. Avec la malchance internationale qu'il avait, l'engin le contournerait à la dernière minute.
Le Centre.
Un seul mot pour tant de résonances différentes. Tout le monde était amené à s'y rendre un jour ou l'autre mais l'appréciation des lieux divergeait selon l'expérience personnelle de chacun entre ces quatre murs. Les plus petits considéraient le Centre comme un gentil hôpital d'où l'on ressortait avec un bandage Spiderman sur le bras et une sucette à l'eau offerte par l'infirmière. Pour les plus âgés, le bâtiment tenait plus de la clinique thérapeutique qu'autre chose et permettait à l'ensemble de la population de vivre au quotidien la maxime "un esprit sain dans un corps sain". Certains le comparaient à une bibliothèque d'Alexandrie miniature contenant un savoir suffisant important pour en apprendre un peu plus sur sa caste et, par extension, sur soi-même. D'autres encore ne revenaient que pour la qualité exceptionnelle des lieux, la sophistication des locaux ainsi que le personnel disponible et dévoué qui y était employé.
Draco considérait quant à lui le Centre comme une extension terrienne de l'enfer. Il n'y avait fichu les pieds que deux fois dans sa courte et misérable vie et cela avait déjà été les deux fois de trop. Rien que de s'y rendre pour une troisième visite lui donnait envie de taper dix-huit fois sa tête contre la façade en briques rouges afin de goûter aux joies de la commotion cérébrale.
Mais qu'était donc ce fameux Centre ?
Le Centre était le Centre, tout simplement. Il ne possédait pas d'autre appellation. Que ce soit celui de Londres, de Varsovie, de Calcutta, d'Ottawa, d'Abidjan, de Washington D.C. ou encore celui de la plus reculée des contrées du Poitou-Charentes ; le nom restait exactement le même. Le Centre n'avait aucune réelle définition également. Il n'en nécessitait pas, à vrai dire. Un simple : « Je vais au Centre » suffisait pour que votre interlocuteur comprenne immédiatement ce à quoi vous faisiez référence. Et Draco pouvait bien argumenter ce qu'il voulait à ce sujet – « Je vous la dire, moi, cette foutue définition : ce bâtiment est une maison de torture aussi bien physique que psychologique traumatisant dès le plus jeune âge les cerveaux des futurs bâtisseurs du monde de demain en les formatant à envisager cette société comme un système sectaire et naturellement inégalitaire qui ne graviterait qu'autour de stupides Marques définissant soi-disant l'être humain de A à Z. (Et là, habituellement, il marquait une petite pause symbolique pour reprendre son souffle puis terminer en marmonnant) Une vaste connerie. » – le Centre restait le Centre.
Un point, un trait.
« Bonjour et bienvenue au Centre de Londres Covent Garden. Nous sommes ravis de vous accueillir parmi nous. » l'agressa d'office une hôtesse en uniforme blanc, chignon serré et sourire Colgate à peine eut-il fait trois pas dans le hall vitré. « Puis-je vous débarrasser de quoi que ce soit ? »
« Mes factures. » suggéra Draco.
Sept secondes à l'intérieur et tout ce protocole pompeux, hautain et inutile l'ennuyait déjà à mourir. Avait-il loupé l'épisode où le simple Centre de son secteur se transformait en un luxueux hôtel quatre étoiles de l'Upper East Side ? Comme pour répondre à sa question, l'hôtesse éclata d'un rire à mille sept-cent vingt Livres et six centimes.
« Navrée Monsieur mais nous ne nous occupons pas des dettes, ici. Juste des Marques. » l'informa-t-elle, comme s'il ne le savait pas déjà. « En quoi pourrais-je vous être utile à ce sujet ? »
« J'ai rendez-vous. » répondit alors le blond. « Convocation. Checking médical. Dieu seul sait pourquoi. »
« Mmh-mmh. » acquiesça l'hôtesse en dégainant d'absolument nulle part une tablette tactile blanc nacré, le logo international du Centre inscrit en lettres d'or au dos de l'appareil. « Avec quel docteur avez-vous rendez-vous ? »
« Docteur Poire... non. Pomfresh. »
« Mmh-mmh. » répéta-t-elle. « Et à quel horaire, s'il-vous-plaît ? »
« 10h30. »
L'hôtesse consulta sa montre – blanche aussi – et haussa légèrement des sourcils.
« Vous êtes donc en retard d'un quart d'heure. » lui fit-elle remarquer.
« J'avais pas envie de venir. » répondit de but en blanc Draco.
« Tout checking médical par convocation est obligatoire, pourtant, Monsieur. Article L-120 du TIRC – Traité International Ratifié des Castes. » Elle releva la tête vers lui pour lui offrir le plus bel air concerné que Draco ait vu de sa vie toute entière. « C'est pour votre bien, après tout. »
« Soit. » ricana-t-il, un roulement d'yeux retenu de justesse.
« Bien : 10h30, Dr. Pomfresh. Elle a un créneau horaire de libre dans une vingtaine de minutes donc je pense qu'elle pourra vous recevoir à ce moment-là. Dans tous les cas, j'ai vos informations sous les yeux. » lui annonça-t-elle avant de redresser à nouveau la tête. « Draco Lucius Malfoy, c'est bien ça ? »
« En chair et en os. » acquiesça-t-il.
Et lorsque l'hôtesse se mit à le sonder du regard pendant huit longues secondes, regard fixe et pupilles dilatées, Draco roula des yeux pour de bon, cette fois-ci. Une Poufsouffle Verso ; il aurait dû s'en douter. Posant sa paume au niveau de son cœur d'une gestuelle cérémonieuse, le blond se racla la gorge puis déclama solennellement :
« Je jure de ne dire que la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. »
L'hôtesse cligna deux fois des yeux et, juste comme ça, s'extirpa de sa transe. Son sourire commercial réapparut la seconde qui suivit sur ses lèvres rouges, absolument intact.
« En effet. » confirma-t-elle.
Et c'est ainsi que Draco fut conduit de halls vitrés en corridors tapissés, d'escaliers aux marches de verres en ascenseurs aux sols de marbre, d'hôtesse vêtue d'uniforme blanc en hôtesse vêtue d'uniforme bleu pour enfin atterrir dans une gigantesque salle d'attente aux airs de lobby VIP d'aéroport. On l'invita à prendre place sur un fauteuil en cuir matelassé noir, juste à côté du sofa qu'occupaient déjà une mère et son fils. On lui déposa une bouteille d'eau sur la petite table basse placée en face de son siège. On lui tendit également un verre en cristal, un gobelet en carton ainsi qu'une dosette de café. On lui disposa dix magazines en éventail sur la table, allant du Times à Ok !. On lui fit un massage japonais du dos – non, peut-être pas. Mais à voir le regard concerné que lui adressa l'hôtesse n°2 lorsqu'il grimaça en s'asseyant, ce fut moins une.
Si Draco pouvait admettre une chose à contrecœur, c'était que la vue offerte par la baie-vitrée de la salle d'attente était à tomber. Le soleil se reflétait sur le parvis en vitraux du marché de Covent Garden et éclairait tout le secteur, rendant visibles même de loin la façade à l'architecture romaine de l'Opéra Royal ainsi que les lumières frénétiques de Piccadilly Circus. Le blond pouvait même apercevoir le dôme en or de Gringotts se démarquer parmi les toits. De même pour la fameuse sucette rose géante qui surplombait la devanture de Honeydukes. Et si ce foutu môme assis à côté de lui ne braillait pas comme le dernier des hystériques depuis cinq minutes, sans doute aurait-il poursuivre paisiblement son observation du paysage londonien ensoleillé.
« Chhh, tout va bien se passer mon chéri. » tentait en vain de le consoler sa mère tout en chassant du plat de ses pouces ses larmes naissantes.
« J-j-j'ai peur ! » sanglotait le brun, ses petits poings serrés.
« Tu n'as pas à avoir peur, maman sera juste à côté de toi ! Tout va très bien se passer, mon amour, tu verras. » lui répétait en litanie sa mère.
« V-v-vic-c-c-tor-r-r » bredouilla laborieusement le petit garçon avant de renifler brutalement sa morve – Draco en frôla le haut-le-cœur – pour continuer d'une voix suraiguë : « V-v-victor m'a d-d-dit à l'éc-c-cole que ça faisait t-t-t-trop m-m-mal ! »
« Mais non, mais non. Victor s'est trompé. » le réconforta aussitôt sa mère. « Tu ne sentiras rien du tout. »
A l'entente de ce gigantesque mensonge, un ricanement narquois s'échappa tout seul d'entre les lèvres de Draco. Par miracle, il parvint à le déguiser de justesse en une quinte de toux. En observant ce gosse, Draco avait presque l'impression de se revoir seize années plus tôt, les mains moites et le regard perdu, son père lui assurant que "tu verras, Draco, ça passera comme une lettre à la Poste !" tandis que le médecin approchait l'arme de guerre de son bras.
Pire matinée de sa vie.
« I-i-il a dit que le docteur était m-m-méchant. » continua le garçon, sa lèvre inférieure frémissante.
« Le docteur est très, très gentil, Tao. » lui assura sa mère. « C'est le plus gentil des médecins. Tu veux savoir ce qu'il va faire ? »
« Non. » répondit Tao avec effroi avant de renifler encore puis murmurer : « 'ui. »
« Il va prendre ton bras... »
« Il v-v-va me l'arracher ? ! » paniqua immédiatement le brun.
« Mais non, mais non. » rit sa mère en lui attrapant gentiment le poignet. « Il va juste le tenir pour remonter ta manche et voir ta Marque, mon chéri. »
« M-m-mais j'ai pas enc-c-c-core de Marque, maman. » lui rappela Tao d'une voix incertaine.
« Justement. Ce que tu as s'appelle une Pré-Marque. » lui expliqua-t-elle en tapotant le parfait rond noir qui ornait le centre de l'avant-bras du petit garçon. « C'est le docteur qui va aider ta véritable Marque à se révéler. »
« Oh. » comprit-il, sa tête faisant la navette entre sa mère et son bras. Il fronça soudainement des sourcils. « Mais... c-c-comment ? »
Par la torture, répondit mentalement Draco qui fixait paisiblement ses cuticules. Il faisait très beau, dehors.
« Le docteur va prendre un gel magique, un peu comme celui que Victor se met dans les cheveux, et il va l'étaler tout doucement sur ta Pré-Marque. Tu vas voir, ça va chatouiller un tout petit peu. »
Si "chatouiller un tout petit peu" signifie ici "sensation de brûlure au dix-huitième degré", aucun souci, ricana en pensée Draco. Il contemplait l'Avenue de Long Acre par la fenêtre, à présent. Elle était bondée.
« Il va laisser le gel magique reposer pendant cinq petites minutes sur ta Pré-Marque et puis ensuite, devine quel autre objet magique il utilisera ? »
« Euh... une baguette ? » hasarda Tao, ses yeux humides ouverts bien grand.
« Presque. » sourit sa mère. « Il va prendre ce que l'on appelle une sonde. »
« Sonde. » répéta religieusement le petit garçon. « Son-deuh. »
C'est ça. Retiens bien le nom de l'instrument qui te donnera des cauchemars jusqu'à tes dix-sept ans – au minimum.
« Exactement, mon chéri. Et tu sais pourquoi cet objet est magique ? »
Tao fit non de la tête. Sur ses joues, la plupart de ses larmes avaient déjà séché et son souffle gagnait en régularité.
« Parce qu'il y a un petit bouton sur le manche de la sonde et lorsque le docteur appuiera sur ce petit bouton, tu sais ce qui apparaîtra ? »
« Des papillons ? »
« Mmh, essaie encore. »
« Un Action Man ? »
« C'est beaucoup trop gros, mon ange. » répondit sa mère avec un hochement de tête négatif. « Non, ce qui apparaîtra lorsque le docteur appuiera sur ce petit bouton, c'est une jolie lumière bleue ! »
« Han ! C'est ma couleur préférée ! » jubila Tao, un grand sourire aux lèvres.
« N'es-tu pas un petit veinard ? » rit à nouveau sa mère en ébouriffant ses cheveux. « Et cette lumière bleue, le docteur va la passer sur ta pré-Marque enduite de gel magique jusqu'à ce que ta véritable Marque apparaisse. »
Ce qui prendra à peu près dix minutes – du moins officiellement parce que mentalement, ce sera plutôt de l'ordre de trois longues heures de calvaire physique et mental. Durant ces dix minutes, mon cher Tao, le médecin passera et repassera sans cesse son laser démoniaque sur cette foutue Pré-Marque jusqu'à ce que la peau environnante soit écarlate, brûlante, brûlée, méconnaissable. Et la douleur.. ! N'abordons même pas ce sujet. Tu en tomberais dans les pommes. Disons simplement qu'en comparaison, une séance d'électrochocs sur peau mouillée serait une souffrance beaucoup plus supportable.
« Et quelle Marque est-ce que j'aurais ? » demanda Tao qui fixait son point noir avec curiosité, à présent.
« Ça, ce sera la grande surprise. »
« Est-ce que j'aurais un lion comme toi, maman ? »
« J'espère. » soupira-t-elle sincèrement. « Si tu as un lion, cela signifiera que tu es un Gryffondor. Fort, vaillant et courageux. »
« Oooh... » souffla Tao, émerveillé. « Et si j'ai un raton-laveur ? »
« Un blaireau, mon chéri. » le corrigea-t-elle avec une risette amusée. « Si tu as cet animal, cela voudra dire que tu es un Poufsouffle. Toujours honnête et à l'écoute des autres. »
« Ils sont gentils, les Poufsouffles. Ma voisine de classe elle s'appelle Rebecca et elle a un raton-baveur sur le bras et même qu'elle est très gentille en plus. » commenta Tao.
« Chéri… tu te souviens de ce que j'ai dit à ce sujet. Ce n'est pas poli du tout de vérifier la Marque des autres à leur insu. » le réprimanda sa mère, sourcils froncés et index levé.
« Mais c'est Rebecca qui me l'a montrée dans la cour de récréation ! »
Sa mère dodelina vaguement de la tête, à demi convaincue, mais déjà son fils embrayait :
« Et si j'ai un aigle ? »
« Si tu obtiens cet animal, alors tu seras un Serdaigle. Débrouillard comme tout et très, très malicieux. » ajouta sa mère en lui chatouillant les côtes.
Tao se contorsionna tout en éclatant de rire, ses sanglots totalement oubliés. Deux bonnes minutes furent nécessaires pour qu'il parvienne à s'arrêter de glousser et reprendre une respiration normale. Il reposa ensuite sa paume contre les cuisses de sa mère et se laissa caresser les cheveux.
« Et si j'ai un serpent, maman ? » murmura-t-il.
Draco se retourna juste à temps pour observer l'expression de la mère de famille vaciller d'horreur.
« Eh bien, si tu as un serpent... » commença-t-elle prudemment avant de déglutir. « cela voudra dire que tu es un Serpentard. »
Et bonne putain de chance, mon petit gars.
« Monsieur Malfoy ? »
Draco releva paresseusement la tête et entrevit une petite blonde d'une quarantaine d'années postée dans l'entrebâillement du seul bureau de l'étage. Elle portait une blouse blanche réglementaire, le stylo épinglé à sa poche renforçant à fond le cliché du médecin d'hôpital, et elle lui adressait déjà ce sourire peiné que Draco exécrait de toutes ces forces. Le fameux sourire tu-vas-mourir-et-c'est-bien-dommage auquel il ne pouvait désormais plus échapper.
« Enchantée de vous revoir. » le salua-t-elle en lui serrant vigoureusement la main.
« Parce qu'on s'est déjà rencontré ? » lui demanda-t-il de but et blanc.
Pour seule réponse, le docteur Pomfresh émit un petit rire chantant puis lui fit signe de rentrer.
Son bureau semblait être une réplique réduite de la salle d'attente. Les murs étaient en verre, le mobilier en bois verni, les vases laissaient jaillir d'impressionnantes compositions florales et pour ce qui était des fauteuils, rien ne changeait : ils étaient toujours en cuir noir véritable. Draco eut une brève pensée pour le pathétique petit divan rouge du Cabinet Granger et s'autorisa un rictus méchant.
« Prenez place, je vous prie. » l'invita le docteur Pomfresh en désignant le siège qui faisait face à son bureau.
Draco s'exécuta, la colonne vertébrale raide et les doigts crispés sur ses cuisses. Ses yeux scannaient la pièce d'un regard chirurgical, à la recherche du moindre petit objet terroriste. Si sa précédente expérience du Centre lui avait bien appris une chose, c'était qu'il valait mieux tout anticiper.
« Comment vous portez-vous ? »
Draco haussa négligemment des épaules. Il zyeutait à présent la réplique parfaite d'un tableau de Monet accrochée près du porte-manteau. La ressemblance était si troublante qu'il ne pouvait s'agir que de la copie originale – le blond était prêt à en parier son mollet gauche. Et c'était tout de même assez indécent de constater de ses propres yeux la masse de thune que le corps médical récoltait en exploitant ouvertement la misère des autres. Un vrai business lucratif.
« Ça pourrait aller mieux. » répondit-il.
« J'imagine, oui… » acquiesça le docteur Pomfresh en s'asseyant à son tour. « J'imagine. »
Et un nouveau sourire dégoulinant de pitié, un. Draco avait déjà l'impression d'être allongé sur son lit de mort, un drap blanc remonté jusqu'au ras du cou, un prêtre attendant patiemment qu'il crève à son chevet pour prononcer son homélie puis rentrer chez lui avant que Xfactor ne commence.
« Vous me semblez être en parfaite forme physique, en tout cas. » constata-t-elle d'un ton un peu plus enjoué.
« J'essaie de gagner du muscle pour pouvoir porter mon propre cercueil le jour de l'enterrement. » lui expliqua Draco avec un sérieux professionnel.
« Ha ! » s'exclama le docteur Pomfresh, prise de court – peu de gens adhéraient à l'humour funeste des Serpentards sinon les Serpentards eux-mêmes.
« Il me reste encore vingt-et-un jours d'entraînement intensif. »
« Manifestement. »
« Parce que dans vingt-deux jours, je meurs. » continua Draco car il aimait entretenir le malaise. L'étirer. Le vaporiser tout autour de lui. S'en draper. « Couic. Plus de Malfoy. Six pieds sous terre. Bonjour les vers. »
« C'est justement pour cette raison que vous êtes là. » répondit le docteur Pomfresh en sortant une petite boîte d'un de ses tiroirs de bureau.
« Pour les vers qui se nourriront de mon cadavre en décomposition ? »
« Pour votre checking médical. » précisa-t-elle d'une voix ferme. « Il est obligatoire à tout Serpentard vivant ses trente derniers jours. »
Draco se craqua les articulations du majeur puis de l'index, son regard alerte scrutant à présent les stores électriques de la grande baie vitrée. Son père avait exactement les mêmes dans sa chambre.
« Sauf votre respect, docteur, je trouve le principe inutile de A à Z. » lui fit-il aimablement savoir.
Le docteur Pomfresh, jusque-là occupée à sortir son matériel médical, releva brièvement la tête vers son patient.
« C'est-à-dire ? »
« C'est-à-dire que ce checking est une perte de temps autant pour vous que pour moi. » explicita Draco. « Je suis Serpentard donc, par définition, je ne pourrais jamais tomber malade. Je ne peux pas avoir la varicelle. Je ne peux pas avoir la grippe. Je ne peux même pas attraper un simple rhume. Pourquoi un médecin s'obstinerait-il encore à m'ausculter ? »
La boîte fut fermée dans un clac feutré et le docteur Pomfresh ouvrit un nouveau tiroir pour y extirper une tablette tactile d'un design similaire à celle que détenait l'hôtesse d'accueil du Centre. La glissant dans sa large poche de blouse, elle se leva de son siège et se dirigea vers Draco.
« Tout d'abord, laissez-moi briser cette vaste idée reçue selon laquelle les Serpentards ne tomberaient jamais malade. » commença-t-elle.
« Sauf que ce n'est pas une idée reçue. » réfuta d'emblée le blond.
« C'en est une. » maintint le docteur Pomfresh avant de placer son pouce sous le menton de Draco pour l'inciter à basculer doucement sa figure vers l'arrière. « Gardez bien votre tête à cet angle, s'il-vous-plaît. Je vais commencer par un examen oculaire. » l'informa-t-elle, une petite lampe dans la main. « Les Serpentards détiennent un système de défenses immunitaires exceptionnellement fort. Beaucoup plus fort que celui des Gryffondors, Poufsouffles et Serdaigles, cela va sans dire. L'organisme d'un Serpentard produit des anticorps qui n'existent que chez les personnes marquées de ce signe et qui sont présents en nombre élevé dans 97% de leurs cellules. Ces anticorps – que l'on appelle communément ABZ –, en plus d'être nombreux, sont également très puissants. Pour vous donner une petite idée : tous virus tentant d'infiltrer l'organisme d'un Serpentard se retrouvera détruit en un laps de temps maximum de vingt minutes et ce quel que soit sa nature, son origine ou son mode d'attaque. »
« Bien ce que je disais. » claironna Draco.
« Pas totalement. » le contredit-elle encore. « Penchez la tête vers la gauche à présent, s'il-vous-plaît. Juste comme ça – parfait. » Elle actionna à nouveau sa lampe pour examiner son second œil tout en poursuivant : « Il faut toujours savoir qu'en toutes situations, pour quatre-vingt dix-neuf cas similaires, une exception subsistera toujours. Dans le cas d'espèce, cette exception touchera le plus souvent les personnes d'âge avancé dont le système immunitaire vieillit et perd en capacités régénératrices, ce qui les rend chaque jour un peu plus vulnérables. Les consommateurs de drogues dures sont une autre exception à cette règle. »
Elle fit des aller-retours de faisceaux de lumières entre les deux yeux de Draco puis se redressa pour troquer sa lampe contre son stéthoscope.
« Ce qui m'amène à mon second point : les maladies mentales chez les Serpentards. » déclara-t-elle comme s'il s'agissait d'une annonce de plan de dissertation. « Remontez légèrement votre manche jusqu'à l'épaule, s'il-vous-plaît. Je vais procéder à la mesure de votre pouls. »
« Manche gauche ou droite ? » demanda Draco.
« Celle que vous vous sentez le plus à l'aise de dévoiler. »
Draco tripota quelques secondes la bordure effilochée de sa manche droite, pesant mentalement le pour et le contre. Il finit par hausser des épaules. A quoi bon jouer encore la carte de la timidité ? S'il était assis aujourd'hui devant elle, c'était parce qu'elle connaissait justement sa caste. Le blond retroussa alors sa manche jusqu'à la jointure de son coude.
« Vous pouvez garder votre cache-Marque pour le moment. » lui indiqua le docteur Pomfresh en le voyant tâter le bandeau noir en fibres opaques qui recouvrait le tiers de son avant-bras.
Draco l'abaissa malgré tout, dévoilant sa Marque.
C'était une belle Marque, objectivement. Si on lui ôtait toute cette connotation macabre dont l'accablait continuellement la société, le serpent qui y était représenté était un très joli serpent. Enroulé confortablement dans un nœud d'écailles vert émeraude, sa tête pointait fièrement vers l'avant, une paire d'iris rubis perçants entre ses deux fentes oculaires étroites. Sa mâchoire dévoilait deux crocs aiguisés et luisants d'entre lesquels dépassait un soupçon de langue rose et venimeuse. De la pulpe de son index, Draco traçait régulièrement les contours de cet élégant tatouage indélébile et se sentait à chaque fois chanceux d'avoir hérité de ce dessin plutôt que d'un autre. Mieux valait retourner illico dans le ventre de sa mère que d'en ressortir avec un blaireau imprimé à vie sur son épiderme.
« Des quatre castes, celle Serpentarde est celle qui compte le plus de patients souffrant de dépression au stade primaire. Les symptômes que l'on peut déceler chez beaucoup d'entre eux sont très souvent des troubles agressifs ou passifs du comportement, une tendance naturelle à la dépréciation de soi ainsi que du monde intérieur, une hypersensibilité affective aiguë, des troubles de l'intellect ainsi qu'une anxiété permanente. Cette anxiété se manifeste en général par une hypertension artérielle élevée. » expliqua le docteur Pomfresh tout en lui enroulant le brassard gonflable de son stéthoscope tout autour du bras. « La génétique d'un Serpentard a beau lui assurer une santé physique quasiment irréprochable pendant le neuf-dixième de son existence, sa santé mentale restera à tout jamais fragile et instable. »
« "Serpentard au berceau... » ne put s'empêcher de réciter Draco.
« ...pense déjà au tombeau". Vous connaissez malheureusement le proverbe. » compléta-t-elle à sa place. « Il est funeste mais on-ne-peut-plus réel. Sans vouloir appuyer mon discours de sinistres statistiques sur votre caste... »
« Oh, allez-y, ne vous gênez surtout pas. » l'encouragea Draco, haussement d'épaules blasé à la clé. « Je pense avoir déjà tout entendu à ce sujet, de toutes les façons. »
Le docteur Pomfresh pressa une dizaine de fois la poire de gonflage de son stéthoscope jusqu'à ce que le brassard de Draco lui étrangle le biceps.
« En moyenne 62% des Serpentards sont atteints de dépression nerveuse dès l'âge de neuf ans, 87% le sont une fois l'âge adulte atteint, 59% tombent dans l'alcoolisme et/ou la drogue dès l'âge de 16 ans et 46% se donnent la mort avant même d'avoir atteint leur majorité. » énuméra-t-elle. « Ces effrayants pourcentages sont la raison pour laquelle le prix des consultations psychologiques, soins psychiatriques et ordonnances médicamenteuses diverses qui s'ensuivraient sont automatiquement réduits au quart ou même gratuites dans certains cas pour toute personne appartenant à cette caste. »
Elle appuya une dernière fois sur la petite poche d'air puis consulta le résultat que lui indiquait le manomètre.
« Donc en gros, vous nous interdisez de mourir. » déduisit Draco en la regardant pensivement accomplir son boulot.
« Nous vous aidons à rester en vie. Ce qui n'est pas totalement la même chose. » le corrigea à nouveau le docteur Pomfresh, son regard toujours rivé sur le cadran de son stéthoscope.
« Sauf que ça l'est. » persévéra Draco. Un jour sur deux durant les semaines paires du mois de la première pleine Lune annuelle, il éprouvait l'envie obsessionnelle d'avoir le dernier mot. Aujourd'hui était visiblement le Jour J. « Vous nous empêchez de disposer de notre propre corps et de nous en débarrasser si l'envie nous prend. Vous nous maintenez en vie contre notre propre gré. Vous vous faites maître de notre propre destin. »
« Nous faisons tout cela pour votre bien, Monsieur Malfoy. » lui assura le médecin, employant les mêmes termes que ceux employés par l'hôtesse du Centre vingt minutes plus tôt. « De très nombreuses études socio-scientifiques prouvent que la plupart des Serpentards passant à l'acte le font soit par désespoir, soit par défi. Le premier cas de figure étant dangereusement supérieur au second, nous ne faisons qu'essayer de vous aider à voir la lumière au bout du tunnel et vous y guider avant qu'il ne soit trop tard. »
« Et avec quel GPS ? Cette bonne blague. » siffla Draco, son intonation gagnant en virulence. « Vous nous refourguez dans des cabinets de psychologues médiocres. Vous nous facturez cinquante Livres pour chaque mois de vie écoulé depuis notre naissance. Vous nous ostracisez socialement. C'est ça, votre coup de main ? Wow. J'en suis ému. Vous faites la même chose avec les trois autres castes ou bien sommes-nous les seuls heureux élus ? »
« Chaque caste subit un régime adapté à ses besoins et à ses risques, Monsieur Malfoy. La vôtre détenant un pourcentage de suicides treize fois plus élevé que celui détenu par les Gryffondors, Poufsouffles et Serdaigles, vous êtes en effet les seuls à bénéficier de ce traitement de faveur spécifique. » acquiesça calmement le docteur Pomfresh et tandis qu'elle ôtait au fur et à mesure le scratch de son brassard, un lent sourire étira le coin de ses lèvres. « C'est impressionnant comme vous n'avez pas changé d'un poil. »
Draco tiqua, pris de court.
« Comment ? »
« Vous voulez toujours tout savoir et à propos de tout. Ce qui n'est pas un défaut, bien au contraire. » s'empressa-t-elle de clarifier. « Gardez cette curiosité naturelle. Elle vous mènera très loin. »
Dans le brouillard mental le plus total, le blond la regarda ranger son stéthoscope, arranger le fil, l'enrouler pour qu'il rentre dans son étui puis sortir sa tablette électronique afin d'y noter les données chiffrées tout juste de collectées. Le regard statique de Draco se posa sur l'élégant "C" qui ornait le dos de l'appareil et, oh. Oh.
Comment avait-il même pu oublier ?
« C'était vous. » murmura-t-il, aussi stupéfait que tétanisé.
Le docteur Pomfresh releva la tête au ralenti vers lui avec un regard confus.
« C'était moi... ? » répéta-t-elle lentement.
« C'était vous. » réitéra Draco, ravalant de justesse le "qui m'avez ruiné la vie" censé clôturer sa phrase. « La Marque. Je suis venu chez vous. Quand j'étais petit. La sonde. Le gel. J'avais dix ans. Mes parents. Serpentard. C'était vous. Je suis venu chez vous. Ici. Sur ce siège. Là. Vous. » bredouilla-t-il à la place.
Le docteur Pomfresh resta quelques secondes sans réagir, comme doutant de la bonne démarche à suivre face à un patient à deux doigts seulement de la crise de nerfs. Elle s'humecta ensuite les lèvres et déposa précautionneusement sa tablette sur son bureau pour opiner une seule fois ensuite.
« Je me souviens très bien de vous, oui. » confirma-t-elle. « Draco Lucius Malfoy, 13 Janvier 2004, consultation de 16h20. »
« Comment ça se fait ? » hallucina Draco, ses yeux bleus exorbités.
« Vous vous souvenez également de moi. » lui fit remarquer à juste titre la femme médecin.
« Parce que vous m'avez charcuté le bras ! » s'exclama-t-il. « Mais ça, vous le faites à longueur de temps, huit heures par jour, cinq journées par semaine et chaque fois avec un gosse différent. Comment cela se fait que vous vous souveniez spécifiquement de moi ? » insista-t-il.
Et ce fut un troisième sourire attristé que lui offrit le docteur Pomfresh lorsqu'elle lui répondit :
« Vous êtes un patient assez difficile à oublier, Monsieur Malfoy. »
En espérant que votre esprit ait aimé ce que vos yeux ont lu. Une playlist YouTube est disponible pour ce chapitre ; le lien se trouve sur mon Tumblr (Iacblue). Et la suite arrivera lorsqu'elle arrivera. ;)
J'ai lu minutieusement chacun de vos messages, chacune de vos reviews, chacun de vos emails. Et même si je ne pourrais techniquement pas répondre à tout le monde, sachez que vos mots m'ont énormément touchée et réconfortée. Alors, du fond du coeur, je vous remercie.
Je reviens sur FF à tâtons. On verra bien ce que cela donne.
xo,
IACB.
