Le Roi blanc
Je marche depuis des heures…Les ruelles sont sombres…Des lampadaires arrachés…Des piles de cartons échoués contre un mur où sont collés des restes d'affichettes obscènes…Qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce que je cherche ? A me saouler ? Comme la dernière fois ?
Oui…C'était si bon de sentir mon esprit m'échapper, de m'entendre rire tristement, pleurer et rire à la fois, la joue contre le métal froid d'un bar, sous le regard blasé du serveur…Ne plus entendre, ne plus sentir, n'avoir conscience que d'une chose : je suis en train de me détruire. Et c'est tout ce que je souhaite aujourd'hui : m'écorcher vif…
On dit que je suis beau. Je me hais. Je hais tellement cette beauté triste et silencieuse, j'aimerais me défigurer par des grimaces de douleur pathétique, ne plus jamais entendre que je suis magnifique.
Il était le seul à pouvoir me le dire.
Il ne me l'a jamais dit.
J'étais « mignon », ce sont ses mots…Mais il aurait tout aussi bien pu me dire que j'étais laid…Il aurait employé le même ton moqueur et sensuel…Et j'aurais acquiescé, car le seul fait qu'il m'adresse la parole me remplissait de joie.
Comment un être humain peut-il tomber aussi bas ?
Comment alors qu'on l'a toujours considéré comme respectable ?
Dans la réalité satinée et hypocrite, je suis le maître de la famille Suméragi, le plus puissant, celui dont les pouvoirs peuvent prétendre à égaler celui donné par les dieux.
Dans la réalité de mon esprit et de mon corps, si blessante et si langoureusement douloureuse, je suis à peine un jouet.
Oh, je pourrais dire un jouet sexuel, mais en fait, je suis un jouet sur tous les plans : malléable et plaisant, distrayant mais très vite lassant.
Pourtant, je n'ai jamais fait l'amour avec lui.
Il a d'autres méthodes pour me salir. Souiller mon corps serait trop banal et trop mesquin pour lui.
Il a sali mon âme. Mon amour. Ma pureté d'enfant. Il l'a fait avec beaucoup de sensualité, presque une sorte de tendresse…Lorsqu'il m'a brisé le bras, lorsqu'il m'a murmuré à l'oreille des promesses de mort, il me prenait contre lui comme un amant l'aurait fait.
Pour Seishiro Sakurazuka, l'amour et la mort ont les mêmes gestes.
C'est pour cette raison que je voulais qu'il me tue…Je voulais une dernière illusion de lui, sa plus belle et plus sombre illusion…
Mais il est trop tard.
Depuis que le Rainbow Bridge s'est effondré, je sais que je ne mourrais pas de sa main . Et je n'ai pas le courage de me donner la mort…Même pas ce courage…
Une prostituée, au coin de la rue, me regarde d'un œil luisant. Elle ne m'aborde pas, elle sent l'odeur de la mort et du désespoir sur moi. Mon aura a envahi la rue. Quelqu'un porteur de sentiments aussi forts et aussi destructeurs, dans un monde d'âme presque éteinte, cela se remarque presque aussi facilement qu'un cadavre sur le pavé des quartiers de Ueno…
Je suis un semi-vivant, si on peut dire. Ma peau est pâle, j'ai l'air d'être fait de verre…Mais je ne me briserais pas : paradoxalement, mon corps est la seule chose qui me rattache au reste du monde, bien qu'il soit comme mort…
Ma peau ne réagit plus, mes muscles ne se tendent plus lorsqu'on m'effleure…Mon sang semble être fait de glace…Et lorsque je pleure, je m'attends presque à ce que mes larmes gèlent sur mes joues.
« Regardez le type là-bas !!! »
« La vache, quel canon !!! »
« Vous croyez qu'il accepterait quelques billets ? »
Les paroles vulgaires des trois hommes qui s'approchent de moi m'indiffèrent. Pourtant, je suis seul dans la rue, ils n'auront aucun mal à me maîtriser…
« Dis-moi, mon garçon… »
Je tourne mon visage vers lui et il s'interrompt, frappé par la pâleur mortifère de mon visage, ainsi que le contraste de mes yeux, brillants, tellement expressifs. Il les adorait. Enfin, il aurait pu, s'il avait eu des sentiments, mais c'était ma meilleure arme contre lui et son indifférence.
« Allez vous-en »
Ma voix meurt dans la nuit, faible et murmurante. Je n'ai même plus la force de parler.
Un autre de mes interlocuteurs, plus audacieux, m'aggripe par la manche :
« Ne nous parle pas comme ça, tu veux ? Pour qui te prends-tu ? »
« Pour un être humain » Réplique-je avec un croassement de cinglante ironie. J'ai envie de rire de ma propre réponse.
Un homme qui aime le Sakurazukamori n'est pas un être humain, je l'ai compris le jour même ou il m'a emprisonné dans son illusion.
Je me suis fait à cette idée tout aussi immédiatement.
Regarde-moi.
Parle-moi.
Je ne suis pas un décor.
J'existe.
On aurait cru voir un chiot réclamer l'attention de son maître en lui mordillant le bas du pantalon. Cela le faisait rire.
Les trois hommes sont toujours là mais je les ai complètement oubliés. Je suis reparti dans mon monde du silence où des mains gantées de noir me caresse la joue avant de me briser les membres uns à uns.
Je ne réagis pas lorsqu'on me jette sur le pavé. Je murmure lentement son nom et je sombre dans l'inconscience, rejoindre mon passé dans mes rêves.
KILL ME, BROKE ME, MAKE ME CRY
I EVER GIVE YOU MY PARDON
YOU ARE MY LIFE AND MY PAIN
EVER YOU DON'T HEAR MY PRY
L'Etoile de l'homme
La folie me gagne peu à peu…Elle dévore mon esprit, je le sais bien. Mais qu'importe. Le Sakurazukamori est mort, il ne reste plus qu'un homme misérable, tellement ordinaire.
Ma folie m'impose le goût du sang. Est-ce celui des gens que j'ai tués jusqu'à aujourd'hui ou bien ce que je tuerais demain ?
Car même si mes pouvoirs ont disparu, j'ai encore soif de mort. Cela a toujours fait partie de mon quotidien, pourquoi m'interromprais-je ?
J'erre, sale et hirsute dans des ruelles sombres et humides. Mon dernier refuge.
Ce dernier refuge, je l'aurais préféré dans les bras d'un beau garçon triste et soumis…J'ai oublié son nom, la folie l'a dévoré…Et pourtant, j'aimerais pouvoir encore le murmurer. Non pas que la mort de mes pouvoirs aient mis à jour des sentiments, non…
Je suis toujours indifférent.
Mais ce garçon avait un don pour m'apaiser.
Il était le seul digne de rester en vie sous mes mains.
Je me souviens de ses yeux pleins de larmes, de mon nom répété jusqu'à ce que sa voix s'étrangle.
Puis le garçon doux et naïf a grandi.
Il est devenu plus beau encore.
Tu es à moi.
J'étais si fier de savoir qu'il m'appartenait, que ce pâle jeune homme, si fort et si faible à la fois serait toujours à moi.
J'ai longtemps cru qu'il me haïssait.
Je n'ai réalisé mon erreur que lorsque le Rainbow Bridge a explosé. Je revois les bras blancs, apparents sous le pull déchiré, tout au long duquel coule une rigole de sang.
Subar…
A chaque fois que je crois saisir son nom, il m'échappe, petit papillon éthéré entre mes doigts couverts de sang.
« Va t'en de là, clochard !!! »
Une femme me jette des mots méprisants. Avant, je suscitais l'admiration…J'étais glorieux…Un homme imposant et charismatique adulé et craint.
Lui seul m'a toujours vu de la même manière.
C'est pour cette raison que j'apprécie de l'avoir auprès de moi. Même s'il me voyait ainsi, je serais toujours « Seishiro-san »
Même après avoir tué sa sœur, je suis toujours « Seishiro-san ».
Et lui…Il est toujours…
Je ne parviens plus à saisir mes mots, la mort de l'âme me ronge, bientôt je n'aurais plus à l'esprit que ses bras blancs et son sourire doux et triste.
Un passant me bouscule, m'envoyant bouler contre une poubelle. Avant, j'aurais à peine frémi.
Est-ce ce qu'on appelle « regrets » ? Peut-être. Mais aucun remords. Ma raison d'être et d'exister est de tuer. Alors je continuerais, jusqu'à ce que la folie me tue à son tour.
Je sais déjà quelles seront mes victimes.
Tous les garçons qui lui ressemblent.
Tous ceux dont les yeux verts luisent dans la nuit, prometteur de tant de choses que j'ai été incapable de saisir, même lorsque j'étais encore un homme.
Suba…
RUN LITTLE BOY
I'LL WALK ON YOUR CORPSE
HOW TASTING YOUR BLOOD ?
A Suivre…
SUBARU-D
