Je ne peux pas dire à quel point je suis ravie d'entamer cette fic :). J'ai longtemps eu envie d'écrire cette suite à 'Un peu de temps', mais j'avais des idées différentes, qu'il a donc fallu sélectionner et organiser... J'espère vraiment que cette suite ne déplaîra pas ; je vais m'efforcer en tous cas, de faire quelque chose de bien. Pour ma part je suis très enthousiaste, car cette histoire m'a énormément manqué !! :).

Prêt(e)s à repartie dans l'univers de Kagen no Tsuki, avec Tetsu et Adam ? :)

Passer comme une ombre...

Lorsque le temps est au beau fixe, les rayons du soleil percent par endroits et immédiatement, la chaleur remplit le lieu... Au contraire, lorsque le ciel est mitigé comme ce jour là, la fraîcheur enrobe naturellement tout l'espace. Les murs et le sol, tous deux de pierre, permettent de la conserver, outre le fait de donner un certain cachet à l'endroit. Les rayonnages montent jusqu'au plafond, d'où l'utilité des échelles disposées au bout de chacun. Il ne faudrait pas que les chefs-d'oeuvre situés tout au-dessus dépérissent, faute de pouvoir y accéder... En plus d'être élevés, les rayons se multiplient, laissant à peine la place pour deux personnes de se croiser entre deux. Mais en semaine, comme aujourd'hui, il est rare qu'il y ait du monde, quoi qu'il en soit. C'est aussi bien. Cela confère un silence et une certaine solennité au lieu. Vu son aspect, il semble si ancien... Presque pourrait-on penser qu'il vient d'un autre temps, tant il contraste avec la modernité des librairies actuelles.

Et voilà pour vous.

Merci beaucoup. A la semaine prochaine.

Avec plaisir. Et bonne lecture.

Il mit l'argent dans la caisse après avoir tendu ses livres à la vieille femme et il retourna au présentoir, réorganiser les livres dérangés par des clients peu soucieux lorsqu'ils les feuillètent. Le discret son de la cloche mise à la porte d'entrée tinta légèrement lorsque la femme s'en alla. Un son qui permettait d'être toujours aux aguets afin d'être disponible pour les nouveaux arrivants... Car on aurait tôt fait de se perdre dans ses pensées, entouré par tant de livres et pour peu que l'on possède une imagination fertile. Un homme avança vers lui. Il avait l'âge d'être grand-père, et l'apparence un rien conventionnelle de ces hommes qui ont passé leur vie le nez dans les livres : la barbe blanche, les lunettes en demi-lunes, le gilet de laine... Un homme dont le regard trahissait son extrême bienveillance et sa grande générosité. Il toussota en se postant à côté de lui, et murmura de sorte à n'être entendu que par lui :

J'ai l'impression que c'est devenu une cliente plus assidue depuis que tu es là, Tetsu...

Vous croyez ?

On dirait... Tu sais que c'est un miracle ? Quand on pense qu'elle ne parle jamais à personne ou presque... Alors que toi, tu arrives même à la faire rire.

Elle est gentille... répondit Tetsu avec douceur.

Aussitôt, il déchargea les bras du vieil homme de la pile de livres qu'il tenait. Il ne voulait pas le voir porter tant de choses lourdes, à son âge. Lui, il avait la force pour. Tetsu sourit, sans raison particulière. Il embrassa la pièce du regard, et il sourit de nouveau. Ce lieu était vraiment l'endroit idéal pour lui. Un endroit où il s'était rendu, longtemps après ce jour, où il était rentré sans trop savoir pourquoi... Par simple besoin de se changer les idées, probablement. Il s'était retrouvé presque aussitôt à boire le thé avec le propriétaire ici-présent, Masao Takaki. Aussitôt, il avait vu leur point commun : la solitude. A des degrés différents, pour des raisons propres à chacun, mais le sentiment était le même. Le vieil homme avait en un tour de bras déballé les photos de ses petits enfants qu'il ne voyait plus, étant fâché avec sa fille... Et puis il avait longuement parlé de son amour des livres, mais de sa difficulté à gérer la librairie seule, depuis le départ de sa seule fille. Il inspirait naturellement confiance. Même à Tetsu.

Lorsqu'il lui avait, au terme de leur conversation -qui tenait plus du monologue d'ailleurs-proposé de travailler ici, Tetsu avait refusé. Parce qu'il avait encore trop mal. Parce que peu importe ses efforts, prendre les choses avec philosophie et garder espoir, c'est une chose usante lorsqu'il faut la maintenir à bout de bras et jour après jour... Parce depuis qu'il était de nouveau seul, et qu'il n'arrivait plus à se rappeller comment il y arrivait avant. Lorsque le jour s'achevait, que la nuit lui succédait avant d'entamer une nouvelle journée identique à la précédente... Quelle monotonie dans tout cela. Quel intérêt ? Aucun. Tout était vide de sens et sans attrait. Même si bien des choses avaient changé, il ne voyait pas comment les mettre à profit.

Quand était-il revenu sur sa décision, au juste ? Quand avait-il finalement accepté la demande de vieil homme ? Il ne se rappellait plus vraiment... Mais quelle importance, au fond ? Sans grand enthousiasme, sans trop réfléchir non plus, il avait dit oui. Parce qu'il fallait bien manger et surtout, surtout s'occuper l'esprit. Travailler, rentrer fatigué, et ne pas penser. Le moins possible, au moins. Car cela qui ne marchait guère, puisque chaque minute de rêverie était occupée... Se plonger dans ses souvenirs, c'est à la fois un tel réconfort... et une formidable souffrance en même temps.

Dis-moi mon garçon, reprit Masao en allant derrière la caisse, j'ai vu qu'il y a une fête en ville, ce soir... Tu comptes t'y rendre ?

Non... J'ai vu les affiches dans la rue, mais non je n'irai pas.

Cela ne me regarde sûrement pas, mais... Tu devrais y aller. Après tout, tu es tout le temps seul, j'ai l'impression... Tu pourrais y rencontrer des gens de ton âge et...

Je ne suis pas seul : vous êtes là.

Et il le pensait. Il le pensait sincèrement. Masao était la deuxième personne la plus importante dans sa vie. La deuxième personne à l'avoir sauvé, pourrait-on dire. D'une toute autre manière que lui, mais néanmoins... Il lui avait offert un travail, mais plus que cela. Une occupation qu'il avait appris à aimer. Il aimait déjà les histoires, les livres avant tout ceci... Et il les dévorait depuis son arrivée ici. C'était tellement bon, de se perdre durant quelques heures dans un monde inventé de toutes pièces... Lire des aventures incroyables en des endroits inimaginables, en compagnie de personnages improbables... C'était si bon. Quoi de mieux que de se nourrir de l'imaginaire, lorsque la réalité nous est difficilement supportable ?

Et au-delà de cela, Masao lui avait offert également sa confiance. Il lui laissait les clés de la boutique, il lui laissait emprunter les livres, il lui avait avancé sa première paie... Alors même qu'il ne le connaîssait pas plus que cela. Tetsu avait fini par comprendre qu'il existe des hommes bons, des rencontres qui valent la peine d'être faites... Rencontrer son nouvel employeur le lui confirmait. Il s'était même pris d'affection pour lui. Il faut dire que Masao avait une attitude tellement paternaliste avec lui, que Tetsu ne pouvait se plaindre de quoi que ce soit. Pourtant, malgré tout cela... Malgré l'équilibre de sa vie actuelle... Sa progression, son changement dans sa vision du monde... Rien n'effaçait le gouffre béant logé au creux de son ventre... Celui que l'attente creusait jour après jour. Bien sûr, ce n'était pas tout le temps ainsi. Certains jours, c'était supportable. Il pouvait même sourire aux anges, lorsqu'il repensait à certains moments en particulier... C'est en cela que les souvenirs sont traîtres : ils enferment dans une réalité enfouie, parce qu'ils ont leurs côtés séduisants...

Allons ne sois pas bête. Que veux-tu faire d'un vieux croulant comme moi ? Je parle de gens de ton âge.

Ca me va très bien ainsi. Ne vous en faites pas pour moi. Mais votre sollicitude me touche.

Autant parler à un mur... bougonna Masao. Tu ne changeras donc jamais... Ah ! Tu as laissé tomber quelque chose !

Oh ? Merci...

Le vieux libraire s'était péniblement baissé lorsque quelque chose de noir et de carré était tombé de la poche de Tetsu. Un paquet de cigarettes. Entamé, visiblement. Masao le tendit à Tetsu d'un air perplexe : Tetsu ne sentait jamais la cigarette. Et il semblait même assez ennuyé lorsque Masao fumait la pipe, alors... Tetsu s'avança pour le prendre, visiblement embarrassé.

Je ne savais pas que tu fumais... remarqua Masao.

Je ne fume pas vraiment... C'est... Juste pour l'odeur... répondit Tetsu tout en enfouissant le paquet dans sa poche.

Il y avait des moments comme cela, Masao l'avait vite constaté, où Tetsu avait tout à coup un air lointain et triste... Il était là, et en même temps il n'y était plus. Comme si tout à coup, un détail quelconque l'emmenait loin... Là, la faute en incombait visiblement à ces cigarettes... Mais il ne demanda rien. Comme il allait être l'heure, ils fermèrent la boutique et se souhaitèrent mutuellement une bonne soirée. Et puis Tetsu prit le chemin du retour en pressant le pas, comme les nuages qui s'ammonçellaient dans le ciel ne présageaient rien de bon pour la soirée... Et cela recommença. Plusieurs fois ces derniers jours, il avait eu la vague sensation d'être suivi. Ou observé. Mais il n'y avait personne, ou simplement des passants qui ne se préoccupaient pas de lui. Il soupira en se corrigeant d'avoir une imagination si fertile...

Bientôt, il poussa les grilles de la demeure qu'il n'avait jamais pu quitter. Comme chaque soir lorsqu'il rentrait, il ne pouvait s'empêcher d'espèrer que la porte soit ouverte. Mais chaque soir, elle était fermée, telle qu'il l'avait laissé en partant le matin. L'espoir semblait intarrissable... Il monta les marches le menant à l'étage, marches qui devenaient de plus en plus incertaines. Peut-être fallait-il songer à les réparer ? Directement, il gagna le salon. Et le cérémonial continua, presque soigneusement minuté, fidèle soir après soir. Il s'assit sur le tapis, devant la table basse. Jamais il n'avait mangé à la table. Il préfèrait ce coin là. Et puis cette demeure était grande... Luxueuse... Trop pour lui. Il se contentait toujours du minimum, il n'avait pas besoin du reste. Donc il avait conservé sa chambre, la petite. Ses habitudes, dans ce coin du salon. La cuisine et la salle de bain, par obligation... Le reste de la maison lui importait peu, sauf le grenier et sa chambre, lorsqu'il avait besoin d'une illusion...

Assis à même le sol, Tetsu piocha une pomme dans la corbeille devant lui et elle constitua son repas du soir. Ensuite, comme toujours, il sortit de son sac un livre prit au magasin, et il s'installa dans le fauteuil pour le lire. Pas sur le canapé, ça jamais. Fort heureusement, il avait eu la main heureuse : le livre était passionnant. La soirée s'écoula ainsi... Il lut une bonne partie du livre avant de se décider à le poser, le froid commençant à remplir le salon... Il fit une bonne flambée, comme il n'avait pas encore l'intention d'aller se coucher, et puis vint le moment dont ce soir, il avait particulièrement envie. Cela faisait des jours qu'il ne l'avait pas fait, mais l'incident au magasin tout à l'heure, lui avait fait songer... Alors il sortit le paquet de cigarettes de sa poche avant d'en sortir une qu'il alluma en la portant simplement à la flamme d'une bougie. Et puis il la regarda simplement se consummer entre ses doigts. C'était un moment particulièrement magique pour lui... Regarder les zèbrures qu'elle dessinait... Le point rouge qu'elle formait dans la pièce maintenant obscure... L'odeur, surtout. Leur odeur qui lui donnait l'impression fulgurante que s'il se retournait, il le verrait, tranquillement assis sur le canapé. Au début, il se retournait, même. Certains soirs, il en avait même les larmes aux yeux en respirant cette odeur... Ce soir, cela le fit sourire. Ca lui fit du bien. C'était un vrai réconfort...

Longtemps après, alors que le mégot était maintenant écrasé dans le cendrier, Tetsu décida d'aller dormir, comme il était vraiment fatigué. Lorsqu'il se glissa entre ses draps, il était bien parti pour fermer les yeux illico... Mais un bruit l'en empêcha. Comme une fenêtre qui claque... Pour peu qu'il y ait du vent toute la nuit, cela allait vite l'ennuyer. En soupirant, Tetsu se releva et se rendit dans le salon... Il y était à peine entré qu'il se disait qu'au fait, il n'avait laissé aucune fenêtre ouverte... Et en effet. Bizarre... Pourtant, il entendait toujours ce bruit... Voyons... Il essaya de repérer d'où il provenait, et il se retrouva dans le couloir, tendant l'oreille... Ce fut à mi-chemin, que son coeur rata un battement. Le bruit venait d'une chambre.. De sa chambre. Il y alla en courant, haletant et les yeux déjà humides... Il ouvrit la porte à la volée et vit... rien. Juste effectivement, cette fenêtre poussée par le vent, qui allait et revenait, claquant dans un bruit agaçant. Sa déception à cette minute fut telle qu'il avala sa salive exagérément pour ne pas fondre en larmes. Machinalement, Tetsu alla fermer la fenêtre, ne réagissant même pas au fait qu'il ne l'avait pas ouverte. Sans doute le vent, encore... Probablement.

Cela n'aurait pas dû être étonnant, de trouver la pièce vide... Pourtant... L'espoir, c'est malsain. Et c'est cruel. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu autant de peine... Peut-être parce que c'était la première fois qu'il avait vraiment cru à son retour... Tout ça à cause d'une fenêtre. Tetsu eut un sourire désabusé, alors qu'une larme roula sur sa joue puisqu'il avait baissé sa garde une seconde. Mais les suivantes ne passeraient pas, même si elles ne demandaient que cela. Il s'agit sur le lit blanc, les mains jointes entre ses genoux... Tant qu'à être là, autant se rappeller... Autant retourner se coucher avec un bon souvenir...