Première partie

Voilà bientôt dix semaines entières qu'Élisabeth se rendait à l'École Saint-Émile afin d'effectuer un stage dans une classe qui combinait des élèves de la troisième et la quatrième année du primaire. Cinq semaines entières où elle avait observé la titulaire Denise Malette, son enseignante associée qui enseignait toujours de façon magistrale et qui, pire encore, se sentait menacée par la présence d'une jeune fille fraîchement émoulue de l'université.

Lorsqu'au terme de ces cinq premières semaines, Élisabeth avait commencé à prendre le groupe en charge, les commentaires et les remarques de madame Malette qui l'observait à son tour, concernaient immanquablement les nouvelles méthodes utilisées par Élisabeth et avec lesquelles l'enseignante n'était pas d'accord.

Croyant leurs différences irréconciliables, Élisabeth songeait vraiment à demander un changement de lieu de stage afin de ne pas totalement perdre son temps dans un milieu où elle ne croyait n'avoir jamais l'occasion d'essayer de nouvelles choses.

-Reste jusqu'à la fin! Lui conseilla alors sa superviseure lorsqu'elle vint l'observer avec les élèves. Tu sais, si tu changes de milieu chaque fois que quelque chose ne te plaît pas, tu n'apprendras pas à t'adapter. Concentre-toi plutôt sur les moyens que tu peux prendre pour améliorer les choses. C'est seulement dans ces conditions que tu apprendras quelque chose de valable.

Élisabeth décida donc de persévérer et se mit à discuter avec les autres membres du personnel de l'école. Elle se lia d'amitié avec l'orthopédagogue de l'école de même qu'avec certaines des enseignantes du préscolaire. Aux dires de ses nouvelles amies, l'école n'avait pas qu'un seul problème. Les réunions du personnel étaient houleuses et le directeur n'arrivait plus à se faire respecter. Une semaine après le congé de Noël, le directeur convoque d'urgence une réunion du personnel. Arrivée sur les lieux, Élisabeth constate qu'il y a des invités assis à côté du directeur et que ceux-ci n'arrêtent pas de prendre des notes.

Une fois tous les membres du personnel arrivés, le directeur se lève pour annoncer qu'il vient d'être muté dans une autre école. La surprise est totale. Élisabeth, quant à elle, se demande tout simplement si le nouveau ou la nouvelle venue sera capable de venir à bout des dinosaures de l'enseignement que sont devenus certains des membres de cette école. C'est alors que les deux invités du directeur prennent la parole à leur tour pour annoncer que le nouveau directeur arrivera le lendemain et que sa tâche principale sera d'implanter une nouvelle pédagogie à l'école. Plusieurs enseignants dont madame Malette protestent.

Le représentant poursuit ensuite en donnant des exemples d'éléments qui devront être développés par les enseignants comme les ateliers, le conseil de coopération, une ouverture sur les arts et bien d'autre chose que la jeune stagiaire compte elle-même implanter dans la classe de madame Malette qu'elle le veuille ou non. Josiane, l'orthopédagogue qu'Élisabeth apprécie vraiment beaucoup lui fait un clin d'œil complice à l'autre bout de la salle. Une fois le choc de la nouvelle passée, le directeur fait ses adieux à l'équipe et leur demande de faire preuve d'ouverture pour accueillir son remplaçant qui devrait arriver dès le lendemain.

Sans rien changer à ses habitudes, Élisabeth arrive bien avant tout le monde à l'école. Ce matin là, par contre, un homme qu'Élisabeth n'a jamais vu attend déjà devant la porte.

-Merci... je n'ai pas encore de clés! La remercie-t-il en entrant derrière elle.

-De rien... Je n'aime pas laisser les gens geler dehors...

-Je me présente... je suis le nouveau directeur adjoint... Charles Bingley...

-Je me nomme Élisabeth ... Élisabeth Bennet... J'effectue présentement un stage dans la classe 3B-4B... Je termine mon baccalauréat cette année.

-Ah! C'est bien! C'est drôle, on ne m'avait pas dit qu'il y avait une classe combinée dans l'école...

-Vous ne saviez pas non plus qu'il y avait des stagiaires? D'ailleurs, il vous faudra m'évaluer très bientôt... mon stage se termine dans trois semaines.

-J'en discuterai avec le directeur dès que possible... Merci mademoiselle Bennet.

-Appelez-moi Élisabeth!

-Merci... Élisabeth et bonne journée.

-Dites-moi, le nouveau directeur... vous l'attendez vers quelle heure?

-Il devrait faire un saut à l'école en matinée... il avait des choses à régler avec son ancienne école avant de passer ici.

-Je comprends... merci monsieur Bingley... Bonne journée...

Le reste de la matinée se déroule assez bien. Durant la dernière période de l'avant-midi, Élisabeth planifie et orchestre les détails entourant la sortie au musée prévue au début de son stage. Puis, se souvenant qu'il lui faut obtenir la signature de la direction pour pouvoir envoyer la lettre aux parents des élèves, elle imprime son brouillon, descend au rez-de-chaussée et cherche monsieur Bingley. Ne le voyant pas, elle vient pour remonter dans sa classe lorsqu'elle remarque qu'un inconnu la dévisage avec curiosité.

-Je peux vous aider... vous cherchez quelqu'un? Lui demande-t-elle soupçonneuse.

-Monsieur Bingley... et vous êtes ? La questionne l'inconnu à son tour.

-Monsieur Bingley n'est pas dans son bureau... j'en arrive. Vous aller devoir repasser plus tard. Réplique Élisabeth sans répondre à sa question.

-Et il est où son bureau?

-Il s'est installé dans le bureau du bout...

Constatant que l'homme vient pour passer devant elle et se diriger vers le bureau qu'elle vient de lui montrer, elle le précède et l'arrête d'une main en se plaçant directement devant lui.

-Il s'agit du bureau du directeur... Vous n'êtes pas autorisé à y aller.

-Et pourquoi, je vous prie?

-Monsieur Bingley n'est pas là... et le directeur non plus...

-Je suis le directeur! Répond l'homme en la fusillant du regard.

-Vous auriez pu le dire tout de suite... au lieu de prétendre...

-Je n'ai rien prétendu du tout... vous avez fait le travail toute seule... mademoiselle ?

-Bennet... Élisabeth Bennet!

La cloche annonçant le début de la récréation sonne. Se souvenant tout à coup de la raison de sa présence dans cette partie de l'école, Élisabeth s'empresse de lui dire : Bon, puisque vous êtes là... auriez-vous la bonté de lire ma lettre et de la signer... si vous approuvez la sortie évidement! Pardonnez-moi... c'est à cause de la cloche... je dois aller chercher les élèves... vous n'aurez qu'à déposer ma lettre dans le casier de madame Denise Malette! Je suis pressée.

Resté seul, William jette un œil dédaigneux sur la lettre qu'elle vient de lui tendre : Pas une stagiaire!

Après avoir pris possession des lieux et avoir discuté avec son ami et adjoint, les deux hommes s'interrogent sur le nombre d'enseignants à maintenir en poste et sur ceux dont ils devront absolument se débarrasser. Pour les remplacer, ils avaient déjà trouvé quelques candidats intéressants dont les profils correspondaient totalement aux objectifs poursuivis. Charles suggère à William de rencontrer les membres du personnel le plus tôt possible afin d'apprendre à les connaître et se faire une opinion sur chacun d'eux. Un peu plus tard, William trouve le temps de jeter un œil sur la lettre de la stagiaire.

À 15h30, Élisabeth reçoit un message sonore sur l'ordinateur de la classe pour lui signifier que le directeur veut qu'elle passe le voir dans son bureau dès que possible. Comme elle est occupée à faire de la récupération avec un petit groupe d'élèves, Élisabeth lui répond qu'elle passera le voir dans une heure.

Lorsqu'elle a terminé avec ses élèves, Élisabeth ferme la classe et descend à l'étage où se trouvent les bureaux de la direction. Comme la porte du bureau du directeur est fermée, Élisabeth s'assied sur l'un des fauteuils et sursaute lorsqu'elle entend des éclats de voix. Finalement, la porte s'ouvre et l'enseignant de la sixième année, Emmanuel Boivin passe rapidement devant elle, visiblement très en colère. Comme le directeur ne daigne pas le suivre, ni même fermer la porte, Élisabeth s'avance lentement et frappe doucement sur le cadre de porte.

-Entrez! S'écrie alors une voix peu accueillante.

-Êtes-vous certain de ne pas préférer remettre notre entretien à demain matin?

-Non, bien sur que non! Venez, asseyez-vous!

-Très bien... alors, vous vouliez me dire quelque chose?

-Voilà... j'ai lu votre lettre et, si vous me le permettez... j'aimerais comprendre...

-Comprendre quoi?

-Je trouve que votre démarche se situe aux antipodes des grands principes d'une bonne pédagogie! Les jeunes de 8 et 9 ans n'ont que faire de l'histoire en général. Le musée qu'ils visiteront aura beau être intéressant, ils ne retiendront rien de cette sortie et nous aurons investis des fonds inutilement. J'ignore le type de relation que vous avez avec votre enseignante-associée, mais il aurait mieux valu qu'elle vous décourage d'entreprendre cette sortie! Elle devait bien savoir que les objectifs du programme de sciences humaines de 3e année ne prévoient pas ces notions... Alors, que répondez-vous à cela?

-Écoutez, laissez-moi simplement vous expliquer dans quel cadre ce projet a été mis sur pieds! Je suis ici en tant que stagiaire et j'en suis à ma dernière année de formation. Avant de nous quitter, l'ancien directeur, monsieur Savard avait accepté mon projet de sortie qui est, soit-dit en passant, totalement financé par le Groupe de recherche en éducation muséale! L'école n'a aucune somme à débourser pour l'occasion! C'est pour cela que monsieur Savard m'avait donné son approbation en partie. De plus, vous avez raison, le programme de 3e année du primaire en sciences humaines ne justifie pas une telle sortie, seulement, si nous avons fait ce choix, c'est plutôt pour accommoder les élèves de quatrième qui composent l'autre moitié des élèves de la classe de Madame Malette.

-Bien! Je constate une fois de plus que les notes laissées par monsieur Savard, n'étaient pas totalement à jour. Bien entendu, je suis satisfait des éclaircissements que vous venez de me donner. Je vous suggère toutefois de me remettre une copie du rapport que vous aller surement devoir préparer pour rendre compte de votre expérience au musée. J'espère également avoir l'occasion de rencontrer votre superviseur lors de sa venue dans l'école. Vous pouvez vous retirer maintenant.

-Et ma lettre?

Visiblement agacé, William la signe rapidement et la tend à Élisabeth. –Voici! Demandez à Marie de vous en faire des photocopies!

-Je connais la procédure... Merci!

Les jours suivants, Élisabeth est soulagée de voir que le nouveau directeur n'est que très rarement là. Par contre, elle discute à quelques reprises avec Monsieur Bingley et a également l'occasion de lui présenter sa sœur, Jane qui est travailleuse sociale pour le centre local de service communautaire (CLSC) et qui vient régulièrement faire des interventions auprès de la clientèle de l'école.

Dans les jours qui suivent, Élisabeth s'amuse à observer les manœuvres de Charles qui tourne en rond et essaie de la faire parler de sa sœur. Élisabeth sait très bien qu'il meurt d'envie de lui demander les coordonnées de Jane, mais elle prend un malin plaisir à détourner son attention pour éviter qu'il le fasse. Vers la fin de la semaine, ayant pitié de lui, elle lui envoie finalement le numéro de téléphone de sa sœur par un élève.

De retour à l'école après un colloque de trois jours, William Darcy commence à essayer de planifier et à répartir les tâches d'enseignement pour la prochaine année. Il organise une série de réunion avec les titulaires déjà en poste et constate avec étonnement que plusieurs d'entre eux ont l'intention de quitter ou de prendre leur retraite. Il commence alors à recueillir des curriculums pour remplir les postes vacants. Il tombe alors sur celui d'Élisabeth et de Mylène, les deux stagiaires universitaires qui effectuent actuellement un stage dans l'école. Il décide alors de prendre des renseignements sur elles. Il téléphone à la superviseure des deux filles et apprend par la dame en question qu'elle a eu beaucoup de difficulté à trouver une école qui les accepterait. Que l'une des deux stagiaires, entre autre, avait une très mauvaise réputation et que n'eut été de l'intervention de l'université, elle n'aurait même pas pu faire de stage cette année. Sans vouloir la nommer, William est certain qu'il s'agit d'Élisabeth compte tenu de l'arrogance dont elle avait fait preuve à son égard. Il met de côté son dossier et place celui de Mylène sur le dessus. Un peu plus tard, il confie le dossier de Mylène à sa secrétaire en lui demandant de lui donner un rendez-vous.

Une semaine plus tard.

-William, tu te sens prêts pour la réunion du conseil d'établissement de ce soir? Demande Charles en entrant dans son bureau.

Au même instant, Élisabeth arrive devant le bureau du directeur, tenant dans sa main le rapport de sa sortie au musée qu'elle a rédigé à la demande de celui-ci. D'abord mal à l'aise lorsqu'elle réalise que la porte est restée ouverte, Élisabeth finit par s'asseoir bouleversée par ce qu'elle entend.

-Oui, justement, il faut que j'ajoute un point à l'ordre du jour! Les postes à combler pour l'an prochain.

-Oui, c'est vrai! Combien devons-nous engager d'enseignant?

-Au moins cinq! Ta sœur Caroline a déjà dit oui. J'ai aussi tenté d'obtenir de l'information sur les deux stagiaires que nous avons dans l'école. J'ai convoqué Mylène en entrevue pour la semaine prochaine.

-Et pourquoi pas mademoiselle Bennet?

-Je sais que tu trouves sa sœur très attirante, mais personnellement, je n'ai que faire d'une stagiaire dont personne ne veut dans sa classe. En fait, je devrais même ajouter que personne ne souhaite avoir dans son école.

-Ce que tu racontes-là me surprends au plus haut point! Es-tu sûr de tes sources?

-Je tiens mes informations de sa superviseure…

Dans le corridor, Élisabeth est en étant de choc. Elle reste là, renversée par ce qu'elle entend. Puis, réalisant les conséquences de la situation au cas où sa présence serait découverte, elle se lève lentement, s'éloigne sans faire de bruit et, tout en essayant de contrôler ses larmes, retourne dans la classe de madame Malette, bénissant les circonstances ayant été assez bonnes pour faire en sorte que son enseignante-associée soit partie plus tôt cette journée là. Une fois sa rage évacuée, l'absurdité de la situation lui apparaît tout à coup évidente. Elle quitte sa classe et va rejoindre Josiane pour lui raconter la situation en espérant obtenir ses conseils.

À l'autre étage, les deux directeurs discutent encore une bonne demi-heure avant que Charles ne quitte le bureau pour aller porter l'ordre du jour de la réunion à la secrétaire afin qu'elle puisse la préparer à temps. Une fois arrivé dans le corridor, il aperçoit une enveloppe par terre. Il se penche et constatant ce qu'elle contient, va faire son message à la secrétaire avant de revenir dans le bureau de William l'enveloppe à la main.

-Will, je crains que nous ayons des ennuis.

-Ne me dis pas que la réunion est annulée...

-Non... regarde plutôt ceci...

-Le rapport de mademoiselle Bennet? Pourquoi tu m'apportes ça? Tu veux que j'ajoute ce point à l'ordre du jour?

-Non... j'ai bien peur d'avoir été négligeant... ta secrétaire affirme que mademoiselle Bennet était ici, il y a dix minutes... et qu'elle attendait que je quitte ton bureau pour venir te remettre son rapport...

-Oui... je ne vois pas le problème avec ça!

-J'ai oublié de fermer la porte en entrant dans ton bureau...

-Bon... Et bien... tant pis! Elle n'avait qu'à ne pas écouter aux portes... Ne t'en fais pas... je m'en charge! Voyant que Charles ne bouge toujours pas, William lui demande : Et bien qu'y a t-il maintenant?

-C'est que je dois sortir avec sa sœur demain soir... et qu'elles partagent un appartement.

-Écoute Charles, avec tout le respect que je te dois... laisse-moi te dire une seule chose... je ne vois pas d'un très bon œil ta relation avec cette mademoiselle Bennet... du moins tant que sa sœur sera en stage ici... essaie de ne pas trop la voir pendant les deux prochaines semaines... autrement, j'ai bien peur que cela nous attire des ennuis.

-Tu as raison... je vais faire en sorte d'attendre un peu... mais il est trop tard pour annuler la soirée de demain soir.

Une fois Charles rentré chez lui pour souper, William ouvre machinalement l'enveloppe contentant le rapport d'Élisabeth et commence à le lire attentivement. Il constate que celui-ci est non seulement bien rédigé, mais également bien documenté. Il trouve ses conclusions intelligentes et son analyse pertinente. Le rapport est si bien documenté qu'il est désormais convaincu que la jeune femme ne peut l'avoir rédigé elle-même.

Le soir même, à la réunion du conseil d'établissement les membres sont tout à fait séduits par la personnalité des deux hommes et finissent par accorder main blanche à William pour le recrutement des nouveaux enseignants.

Durant les jours qui suivent William s'occupe uniquement du recrutement et se prépare à recevoir la stagiaire Mylène Morin dans son bureau.

De son côté, pour en avoir le cœur net, Élisabeth envoie un courriel à sa superviseure lui demandant des explications au sujet de la conversation qu'elle a surprise entre les deux hommes et qui l'impliquait directement. Dolorès l'appelle aussitôt et convient avec la jeune femme qu'elle a obligatoirement été mal comprise par le directeur. Comme la superviseuse se propose pour venir rencontrer l'homme en question pour rectifier la situation, Élisabeth s'y oppose farouchement ne voulant surtout pas que le directeur découvre qu'elle avait écouté leur conversation.

L'entrevue que Mylène accorde à William est décevante. Le directeur est étonné de constater que non seulement elle ne connaît pas les programmes d'études, mais qu'en plus sa culture générale est totalement déficiente. C'est alors qu'il prend la décision de convoquer madame Malette afin d'en apprendre un peu plus sur Élisabeth.

-Monsieur le directeur, vous souhaitiez me voir?

-Oui! Madame Malette, j'aimerais avoir vos impressions sur votre stagiaire. Je dois faire un court rapport pour l'université et je voudrais étoffer mes remarques. Pouvez-vous me parler d'elle un peu?

-Bof, elle est très gentille, mais si je la laissais faire totalement, elle ajouterait tellement de choses dans la classe que le climat serait invivable!

-Que voulez-vous dire exactement?

-Premièrement, elle voulait introduire le travail en atelier. Je l'ai laissée faire, mais les résultats ne sont pas très encourageants. Elle voulait ensuite mettre sur pied un conseil de coopération dans la classe! Après une seule rencontre, j'ai du suspendre l'expérience : elle utilisait cet outil de gestion de classe pour faire le procès de certains élèves. Hum! Attendez, il y a autre chose aussi, elle a changé mon système d'émulation! Imaginez-vous donc qu'elle leur donne des collants comme surprise.

-Hum! Je vois, y a-t-il certains aspects de sa pratique dont vous êtes satisfaite?

-Oui, elle me consulte toujours avant de faire quelque chose et sa sortie au musée est très appréciée par les enfants. D'ailleurs vous devez avoir pris connaissance avec son rapport...

-Oui, bien entendu. Hum... dites-moi... lors de la visite de sa superviseure... avez-vous appris des choses sur son compte que vous ignoriez?

-Non, pas vraiment... Dolorès m'a dit qu'Élisabeth était très appréciée à l'université et qu'elle possédant semble-t-il le meilleur dossier universitaire, mais je suis sceptique compte tenu de son attitude dans la classe...

-Je vous remercie... madame Malette! Quand à vous? Vous restez avec nous l'an prochain, j'espère?

-Il me reste une année à faire avant de prendre ma retraire... alors, bien entendu que je reste.

-Très bien! Alors merci.

Lorsque celle-ci est sortie, William reste songeur. Il pense sérieusement à convoquer Élisabeth en entrevue, ne serait-ce que pour vérifier les propos de madame Malette. Toutefois, puisque la semaine est déjà presque terminée, il décide d'attendre à la semaine prochaine.

Le lendemain, vendredi, dans la matinée, un élève vient le prévenir qu'un enfant s'est blessé dans la cours de récréation et que la surveillante n'est pas en mesure de venir le reconduire à l'infirmerie compte tenu qu'elle est seule pour surveiller le reste des élèves. William s'empresse de suivre l'enfant pour aller voir le jeune blessé. Lorsqu'il réalise que la surveillante en question n'est autre qu'Élisabeth, il entre dans une colère noire.

Surtout lorsqu'il réalise qu'elle est seule et qu'aucun autre surveillant ne l'accompagne. Ne voulant rien laisser voir de sa colère devant les enfants, il arrache l'élève blessé des mains d'Élisabeth et se dirige vers le bureau de l'infirmière.

Une fois retournée dans sa classe, Élisabeth reçoit un message de la secrétaire qui lui demande d'aller rencontrer le directeur après les cours. Élisabeth lève les yeux au ciel, elle sait pertinemment de quoi il sera question. Le moment venu, elle s'arrête devant la porte de celui-ci, prend un grand respire, puis frappe doucement.

-Entrez!

-Vous vouliez me voir?

-Oui... J'estime que vous me devez une explication! Comment se fait-il que vous vous soyez trouvée seule sur la cour d'école pour surveiller les élèves? Si cela se trouve, l'école aura un procès sur les bras si jamais le parent de cet enfant décide de porter plainte! Une stagiaire n'a pas le droit de remplacer son enseignante-associée... Légalement nous ne sommes pas protégés en cas de problèmes. On ne peut donc pas vous faire confiance?

Se levant, les larmes aux yeux, Élisabeth se tourne dos à William, prend un grand respire et attaque : Apprenez pour votre gouverne que si je me trouvais sur la cour d'école ce matin, ce n'est pas en tant que stagiaire puisque votre secrétaire, se trouvant à cour de remplaçant, m'a demandé d'aller faire de la suppléance dans la classe de Lyssa. Il se trouve que mon dossier est ouvert à la commission scolaire et que j'ai toutes les qualifications requises pour agir comme suppléante puisque j'ai obtenu 90% aux deux tests de passage. Par ailleurs, si j'étais seule sur la cour, c'est plutôt au professeur de sixième année que vous devriez vous en prendre, puisque c'est lui a oublié de se faire remplacer. Au cas où vous l'auriez oublié, les sixièmes années sont au musée aujourd'hui. Maintenant, si vous en avez terminé avec moi, je préférerais de beaucoup retourner dans la classe où madame Malette m'attend pour planifier ma dernière semaine de stage.

Après un long silence et juste avant qu'Élisabeth ne franchisse la porte de son bureau, William lui dit : Veuillez accepter mes excuses! Je vous ai accusé à tors et j'en suis désolé. C'est que voyez-vous, des bruits si contradictoires courent à votre sujet! Ce n'est pas toujours facile de discerner le vrai du faux!

-Surtout lorsqu'on cherche à l'obtenir par des moyens détournés...

-J'ai effectivement discuté de votre stage avec madame Malette et avec votre superviseure, mais cela fait justement partie de mes responsabilités puisqu'il me faudra évaluer vos capacités à la fin du stage. C'est d'ailleurs pour cette raison que je dois vous poser certaines questions d'ordre professionnel.

-Je suis toute disposée à vous répondre.

-Madame Malette m'a dit que vous aviez essayé d'installer un nouveau mode de fonctionnement dans la classe... je parle des ateliers évidemment et que cela ne donnait pas vraiment de bons résultats, est-ce vrai?

-Installer un nouveau fonctionnement demande bien des efforts et surtout beaucoup de temps! Madame Malette est rarement présente dans la classe depuis que je suis en prise en charge totale. Elle n'a donc pas pu se rendre compte à quel point les élèves sont devenus experts et habiles avec les ateliers. Le fonctionnement est bien intégré et nous mettons les consignes à jours quotidiennement. Si vous voulez, vous n'aurez qu'à passer la semaine prochaine. Je consacre deux périodes par jours aux ateliers. Venez voir par vous même.

-Je n'y manquerai pas... vous n'êtes pas sans savoir que je suis moi-même convaincu de la pertinence de fonctionner avec des ateliers. Bien. Maintenant, madame Mallette me disait également que vous aviez essayé de mettre sur pied un conseil de coopération et que l'opération avait échouée… Elle disait que les élèves l'utilisaient pour se venger les uns des autres.

-C'est faux! ARCHI FAUX! Réalisant que son ton colérique n'est pas apprécié du directeur, Élisabeth ajoute aussitôt : Pardonnez-moi! Vous avez raison, il vaut mieux que je me taise. Croyez donc ce que vous voulez... Elle se rend à la porte et demande : Avez-vous terminé avec vos questions?

-Non... j'attends toujours votre explication... pourquoi dites-vous que c'est faux.

-Lorsque j'ai mis le conseil en place avec les élèves, nous avons commencé par établir l'ordre du jour. Les points proposés par les élèves concernaient tous des éléments de la vie de classe qui avaient été installés par madame Malette et qui ne leur plaisaient pas. Le système d'émulation, les responsabilités, etc. Par contre, au moment des félicitations et remerciements, les élèves ont tous voulu me remercier pour mes ajouts et le fonctionnement en atelier. C'est moi qui ai décidé de clore le conseil et non madame Malette. Et je l'ai fait lorsque j'ai constaté que les critiques étaient toutes destinées à madame Malette et à sa manière d'être avec les élèves. Je ne voulais pas mettre les élèves en position de recueillir la colère de leur titulaire. C'est avec elle qu'ils vont finir l'année, pas avec moi.

Triste à la pensée qu'elle va bientôt devoir faire ses adieux aux enfants de la classe, elle penche la tête et se met à pleurer doucement. William se lève, prend un mouchoir et le lui tend.

-Tenez... Vous n'avez pas à vous mettre dans cet état... vous avez pris la meilleure décision qui s'impose dans les circonstances... Et vous avez bien fait de m'en parler... Ce que vous venez de me dire confirme l'opinion que je m'étais déjà faite de madame Malette. Quoi que mon jugement connaisse bien des lacunes en ce qui vous concerne.

S'essuyant les yeux, Élisabeth lui dit simplement : Merci.

-Je vous dois donc à nouveau des excuses mademoiselle Bennet! Vous pouvez vous retirer, maintenant. Vous m'avez donné beaucoup à réfléchir.

Une fois sortie, Élisabeth retourne dans sa classe et continue de planifier sa dernière semaine de stage avec madame Malette.

Pendant ce temps, William classe le dossier d'Élisabeth après y avoir ajouté quelques notes. Il fait ensuite venir la secrétaire dans sont bureau.

-Vous avez besoin de moi monsieur Darcy?

-Oui, Marie... qu'est-ce que c'est que cette histoire de manque de remplaçant? Depuis quand les stagiaires font-elles du remplacement dans une école?

-Oh! Pas toute... seulement mademoiselle Bennet! D'ailleurs ce n'est arrivé qu'une fois et c'est aujourd'hui. Plus personne ne veut aller dans la classe de Lyssa lorsqu'elle est absente! Les élèves y sont trop difficiles! D'ailleurs, je suis très surprise de n'avoir rien entendu aujourd'hui! Chaque fois qu'il y a un remplaçant dans cette classe, c'est le bordel! Alors que là, aujourd'hui! Rien! Le calme total! Élisabeth Bennet est très professionnelle. De toute façon, vous savez, son dossier est en règle! J'ai vérifié avant, elle répondait à toutes nos exigences.

-Je vous remercie Marie. Vous pouvez disposer.

Au début de sa dernière semaine en tant que stagiaire, Élisabeth est abordée par Charles.

-À quelles périodes faites-vous vos prochains ateliers Élisabeth?

-Durant la dernière période de la matinée et de l'après-midi... à tous les jours.

-Très bien... Je viendrai avec William pour voir comment ça se passe.

-Ah! Bon! Vous êtes le bienvenu évidemment!

-À plus tard alors...

Lorsque les deux hommes entrent finalement dans la classe d'Élisabeth au début de l'après-midi, ils sont tous les deux surpris. Élisabeth est assise avec un groupe d'élèves et tous les autres enfants travaillent silencieusement. Les voyant entrer, deux élèves viennent les voir pour leur offrir une chaise à chacun. William constate que les élèves s'entraident et que lorsque l'un d'eux va écrire son nom au tableau, c'est pour faire savoir aux autres qu'il a besoin d'aide. Voulant aider l'enseignante qui est déjà occupée avec une équipe, Charles se lève et s'approche de l'élève en difficulté. Aussitôt, deux autres élèves de son équipe se précipitent vers lui pour l'arrêter.

-Non, monsieur le directeur! C'est moi qui dois l'aider. C'est moi le correcteur cette semaine pour les troisièmes années.

Impressionné, Charles retourne vers William. Pendant les trente prochaines minutes, les élèves travaillent avec application. Puis, lorsque les deux hommes croient en avoir assez vu, Élisabeth se lève, va fermer les lumières quelques secondes et regarde les élèves ranger les ateliers. À tour de rôle, quelques élèves vont prendre des cartons colorés qui sont accrochés à l'arrière de la classe.

C'est alors qu'Élisabeth intervient à nouveau : Équipe 1! PORTE-PAROLE?

-10 points pour le travail madame! 9.5 seulement pour le comportement.

-Quelle est ta justification?

-Nous avons pris trop de temps pour obtenir le silence, lors de notre mise en marche!

-Stratégie?

-On a aidé Luc sans lui donner les réponses!

-Très bien, vos points sont acceptés! Équipe 2?

Chacune des équipes passent à tour de rôle et reçoit ses points.

Lorsque la cloche sonne, les élèves se mettent en rang pour quitter la classe. Élisabeth se prépare à raccompagner les élèves en bas, mais elle est arrêtée par William.

-Laissez donc Charles s'en occuper! Restez donc plutôt pour répondre à mes questions!

-Désolée, mais vous n'êtes pas allé écrire votre nom au tableau.

Sous l'œil amusé de Charles, Élisabeth quitte la classe et veille à ce que les élèves arrivent en bas. Lorsqu'elle remonte dans son local, William et Charles sont encore là et regardent le contenu des ateliers.

-Mademoiselle Bennet, je ne vous cacherai pas que Charles et moi sommes tous deux fortement impressionnés par ce que nous avons vus.

-C'est pratiquement incroyable!

-Il va de soi que c'est plus facile dans une classe comme celle-ci, où il n'y a pas d'enfants avec des troubles de comportement… Ajoute alors William.

-J'en ai 8!

-8 quoi?

C'est Charles qui répond en se raclant la gorge : Elle a 8 élèves identifiés troubles de comportement et 4 qui sont en grande difficultés d'apprentissage.

-Quoi? Tant que ça? Comment se fait-il qu'on ne les voit pas?

-Ils sont occupés, ce sont eux mes responsables! Maintenant, ils n'ont plus le temps de déranger.

-Pourriez-vous nous expliquer comment vous faites exactement? Demande Charles réellement curieux.

Succinctement, Élisabeth explique aux deux hommes comment elle planifie puis structure ses ateliers en fonction du niveau des élèves. Elle précise que le travail demandé aux enfants est le même qu'ils soient en 3e ou en 4e année, mais que ce sont les exigences qui changent.

-William, toi qui travaillais également en atelier, fonctionnais-tu comme ça?

-Je dois admettre que mademoiselle Bennet est beaucoup plus habile que moi! Pour ma part, je ne suis jamais arrivé à trouver comment leur faire réaliser eux-mêmes la correction. Le reste est assez semblable, à quelques petites différences près. Merci beaucoup mademoiselle Bennet! Ce fut très instructif.

-Bravo Élisabeth! Bonne fin de stage.

Une fois seule, Élisabeth est épuisée, mais a la satisfaction d'avoir remporté une grande victoire.

À suivre.