~Prologue

L'obscurité régnait dans l'immense salle vide.

Une petite lumière semblait vouloir illuminer la pièce, et éloigner les ténèbres ; en vain.

Il n'y avait que peu de meubles. Un divan délabré, sûrement âgé d'au moins un siècle, attendait que la personne pesant sur lui daigne enfin se lever. En face de lui, un bureau en bois aussi abîmé que son camarade supportait douloureusement l'ordinateur ainsi que le bazar qui y trônait. On pourrait penser que ces deux objets étaient des antiquités, ce qui expliquerait leur mauvaise mine. Mais en voyant les murs démunis de tapisserie, le tapis aussi rugueux que le dos d'une éponge, et la petite lampe qui pendait au plafond, accrochée à un simple fil, on saurait tout de suite que cet endroit n'était que très peu -ou quasiment pas- entretenu.

L'individu avachi sur le canapé se leva enfin. Le meuble sembla pousser un soupir de soulagement. La personne se posta devant l'ordinateur, et tapa quelque chose. La lumière diffusée par l'écran révéla que c'était un homme, âgé d'une quarantaine d'années, aux yeux d'un bleu-gris profond, entourés de cernes. Son teint était incroyablement pâle, et contrastait avec ses cheveux d'un roux intense, qui formaient une aura de feu autour de son visage. Une légère pilosité au menton indiquait qu'il ne s'était pas rasé depuis quelques jours, ce qui correspondait avec son regard fatigué, presque vide d'expression.

Il griffonna quelques inscriptions sur un post-it, qu'il colla sur l'écran. Puis il se leva, impassible, et se dirigea dans une salle voisine.

Cette pièce -il s'agissait d'une chambre- était bien plus lumineuse que l'autre. Trois des murs étaient peints d'une couleur chocolat, et s'alliaient parfaitement avec le quatrième, pistache. Sur la fenêtre, on avait placé des rideaux, du même vert. Mais cela avait été une grossière erreur d'installer une lucarne dans cet endroit. Le paysage était plutôt laid à regarder. À vrai-dire, il valait mieux ne rien voir du tout. On apercevait un ciel gris, monotone, ainsi que des chantiers titanesques, sans oublier des immeubles qui paraissaient littéralement toucher le ciel.

L'homme fit quelques pas vers un lit, dans lequel une autre personne dormait. Il releva doucement la couverture, laissant entrevoir une tête toute aussi rousse que la sienne appartenant à une jeune fille, à en contempler la forme du visage, et la longueur de ses cheveux. Il murmura doucement à l'endormie de se lever, ce qu'elle fit presque immédiatement, un grand sourire aux lèvres. L'adolescente devait avoir aux alentours de seize ans, peut-être dix-sept ou bien dix-huit. Elle possédait une paire d'yeux incroyablement beaux, d'un bleu saphir étonnant, qui s'alliait parfaitement avec sa chevelure, dont elle prenait clairement soin. Son visage gardait pourtant un air enfantin, rieur, et joyeux.

Une fois seule dans sa chambre, elle se vêtit rapidement d'une tenue sombre, composée de son jean noir favori et son pull fétiche de la même couleur. Elle noua ses cheveux en une queue de cheval grâce à un ruban tout aussi foncé que ses vêtements, laissant tomber deux longues mèches le long de son buste, et se crayonna les yeux pour donner l'illusion de les avoir agrandis. Après une dernière vérification de son reflet, afin de s'assurer que rien ne clochait, elle rejoignit l'homme dans l'autre salle. Elle passa juste avant dans une pièce s'apparentant à une cuisine, prenant rapidement une tasse de thé et de quoi grignoter.

Elle s'approcha de la personne qui l'avait réveillée, installée devant l'ordinateur comme plus tôt, et lui demanda, non sans cacher une certaine impatience :

« Alors, fit-elle tout en ingurgitant son petit déjeuner, ça sera ce soir ? »

Un faible sourire se dessina sur les lèvres pincées de l'adulte, mais il disparut presque aussitôt, lorsqu'il répondit :

« Si tout est bon, oui. »

Il la stoppa immédiatement, avant qu'elle ne poussât un cri de joie, et ne sautât en l'air.

« Mais seulement si tu es toi aussi prête. Compris ? »

Son ton était sec, et tranchant. Mais ce ne fut pas suffisant pour intimider l'adolescente. Cette dernière haussa les épaules, et posa sa tasse à côté de l'engin de technologie. L'homme soupira un grand coup, au comble de l'agacement. Il lui avait cent fois répété de ne pas laisser traîner des boissons près de son ordinateur. C'était une sorte de provocation pour lui, venant de la rouquine.

« Range-moi ça immédiatement, ordonna-t-il sans détourner le regard du poste, bien trop absorbé par son travail.

- Et pourquoi ? demanda la jeune fille sans lever le petit doigt. J'ai rien fait de mal, à ce que je sache. Non ? »

Elle étouffa un rire moqueur, lorsque l'adulte serra le poing, montrant qu'elle l'énervait au plus haut point. Il inspira et expira longuement pour évacuer son stress, avant de rétorquer sèchement :

« Si tu continues, tu n'y iras pas. C'est clair ? »

Elle grogna quelque chose, avant de hocher docilement la tête, et de ranger la vaisselle.

Depuis la cuisine, elle l'entendit taper longuement sur la machine. Elle se prit à rêvasser de l'instant où ça sera elle, aux commandes de l'outil informatique, prouvant ainsi sa valeur à cet homme. Elle avait parfois du mal à se montrer à la hauteur, d'ailleurs. Cette personne n'était même pas de sa famille, ils ne partageaient pas le même sang. C'était plutôt complexe, comme relation, à vrai-dire…

Bon, si j'y vais pas maint'nant, 'va encore râler ! songea-t-elle, non sans une pointe de mépris.

Elle revint lentement, traînant la patte, vers l'individu avec qui elle "discutait" plus tôt, et demanda pour la énième fois :

« C'est possible d'avancer l'heure du départ ? »

Il se retourna vers elle, et afficha un large sourire plein de fierté ; c'était bien la première fois qu'elle le voyait ainsi !

« J'attendais que tu me le demandes ! »

La jeune fille prit un air hautain, plein de fierté, et montra une facette très mature de sa personnalité.

« Qu'est-ce qu'on attend ? fit-elle, une trace de malice dans la voix. Tout est prêt ! »

L'homme tapa une série de caractères, longue et extrêmement compliquée, avant d'annoncer :

« Va le chercher. On se retrouve là où tu sais. »

Elle resserra le nœud qui tenait ses cheveux, et hocha la tête, avant de partir.

Paris, 7. Juillet 2012 - 2:30

Il faisait sombre. Très sombre.

Une nuit d'encre. D'encre de Chine, si on voulait imager.

La ville endormie ne se doutait point de ce qui se passait. Pas le moindre du monde.

Deux silhouettes se distinguaient à travers les ombres des arbres et des bâtiments. L'une était humaine, l'autre, animale, sûrement un canidé. Ces deux personnes couraient dans l'obscurité, et ne semblaient pas faire un footing nocturne.

Aussi étrange que cela puisse paraître, cette personne et son compagnon quadrupède évitaient le plus possible les lampadaires, pourtant propices à une marche sans encombre. C'était à ne rien y comprendre, sauf si on savait qui étaient ces silhouettes.

« Allez ! On va pas les laisser faire ! » cria une voix derrière eux.

La personne se retourna, et éclata de rire, sans se retenir, avant de reprendre sa course folle. Sa voix montra que c'était un jeune homme, dont l'âge était sûrement compris entre dix-sept et dix-neuf ans. Il ne devait pas être effrayé par ses poursuivants, et bien au contraire, semblait s'amuser comme un fou !

« Bon courage, inspecteur ! » murmura-t-il en se moquant.

Il souffla des mots d'encouragement à son compagnon, et accéléra. Leur vitesse augmenta, jusqu'à ce qu'ils puissent semer habilement les policiers à leurs trousses.

À un carrefour, c'est ce qu'ils firent. Il partirent dans une ruelle sombre, et se stoppèrent après quelques mètres. Cachés derrière des caisses, ils attendirent que les forces de l'ordre s'en aillent. Ceux-ci perdirent leur trace, et se dispersèrent à travers la ville.

Et une victoire de plus pour moi ! sourit l'adolescent en sortant de sa poche un objet.

Il contempla sa trouvaille. Un bijou incroyable ! C'était un pendentif ancien, datant de l'antiquité. Fait d'or et de saphir, il n'était pas léger, mais était ravissant à la vue. Ce n'était pas son genre de porter de tels accessoires, mais il connaissait quelqu'un à qui cela plairait. Après tout, qui résisterait à une chaîne finement travaillée, dont chaque maille était différente, au bout de laquelle pendait une larme de saphir incroyablement sculptée ?

L'animal bailla, exténué par leur course poursuite. Le voleur lui caressa la tête, et le câlina.

« Allez, mon gros, c'est bon. Attendons encore un peu, et on rentrera. »

Ses paroles de réconfort furent suivies d'un petit jappement de son animal. Le canidé était vraiment exténué, et peinait à garder les yeux ouverts.

Son maître aussi manqua de s'endormir à plusieurs reprises, si bien qu'il décida de rentrer plus tôt que prévu, mais il quitta l'obscurité la plus totale. Malgré tout, il dut aussi porter son chien qui s'était effondré après quelques pas.

En passant silencieusement dans une petite rue déserte, il entendit des bruits de pas dans son dos. Il continua tout de même d'avancer, en pensant que si c'était un policier, il lui aurait déjà tiré dessus. Mais à cette heure-ci, qui marcherait par ici ? C'était vraiment louche.

Soudainement, il se retourna, pour prendre la personne par surprise. Mais tout ce qu'il vit, ce fut une ruelle vide, avec quelques caisses au fond. Assoupi, l'animal ne pouvait pas flairer, et détecter une quelconque personne…

Bon, tant pis, pensa le jeune homme, ça doit pas être important.

Il rentra chez lui, en évitant le plus possible les lumières, préservant ainsi une part de mystère sur son identité. Et ce n'est qu'une fois sur le seuil de l'immeuble où il vivait qu'il daigna enfin apparaître à la lumière.

Vêtu d'un costume bleu foncé, composé d'une veste élégante, une chemise blanche immaculée, une cravate rouge bordeaux et d'un pantalon merveilleusement travaillé, il portait aussi un chapeau assorti à sa tenue. Ses cheveux, d'un roux splendide, lui arrivaient à la base de la nuque. Mi-longs, ils lui donnaient un air inqualifiable, presque mystique. Ses yeux noisette brillaient d'un éclat que seuls les jeunes gens pouvaient entrevoir.

Il ouvrit la porte menant dans son appartement, au rez-de-chaussée, et posa son chien sur son lit. L'animal était blanc, et les seules couleurs qu'il avait étaient sa tache couleur caramel autour de son œil gauche, et sa cape rouge écarlate nouée autour de son cou.

L'adolescent enleva son chapeau, et le mit sur la tête de son compagnon. Il enleva ensuite sa veste et dénoua sa cravate. Puis, avant d'aller se coucher, il rangea le collier volé dans un étui, un tout petit étui, et cacha le coffret dans sa bibliothèque.

« Demain, je lui apporterai. Hein, Fondue ? »