1. Le dernier voyage.

Nous contemplons la Terre. Si majestueuse, si grande. Je m'allonge sur le sol gris et caillouteux pour regarder les étoiles. Je suis bien. J'ai laissé ma tristesse et mes soucis chez moi. Je ferme les yeux un moment, sans me rendre compte du sommeil qui m'envahit.

Quand je me réveille, je le cherche des yeux. Il est toujours là, il me fixe. Ses yeux sont tristes, fatigués malgré le sourire mutin qu'il m'affiche.

« Dis-moi, ça fait quoi de dormir sur la Lune ?

- C'est génial, répondis-je. »

Il s'assoit à côté de moi.

« Pourquoi la Lune ? »

Je n'ai pas besoin de réfléchir très longtemps pour lui répondre, ce choix relevait de l'évidence pour moi.

« Parce que, c'est le premier endroit où tu m'as emmenée. Et c'est notre dernier voyage. Je suis sentimentale, tu as pu le constater. J'aime bien l'idée de finir à l'endroit où tout a commencé. Et puis, c'est le seul endroit calme de tout l'univers ! Il ne nous ait jamais rien arrivé ici.

- Oui alors ça… évite de le dire les ennuis arrivent toujours après une phrase comme cela. »

Nous rions, puis il reprend plus sérieusement.

« Je me suis mal exprimé. Pourquoi tu as choisi la Lune comme premier voyage ? »

Je me mords la lèvre. Je joue un moment avec le bracelet qu'il m'a offert, après mon deuxième voyage. C'est un geste devenu instinctif, un tic. Je lève les yeux vers les étoiles, tout en replongeant dans mes souvenirs.

« J'avais un peu peur de te suivre. Ne le prends pas mal mais quand tu m'as dit que pour me remercier, tu pouvais me montrer n'importe quel endroit grâce à ta boite bleue, je t'ai pris pour un psychopathe… Mais tu ne m'as pas laissé le temps de m'enfuir, tu as tout de suite ouvert la porte et en voyant le Tardis, j'ai compris que tu étais sincère. Il ne me restait qu'à choisir notre destination. Tu sais, dire à des gens que tu peux les emmener n'importe où dans tout l'espace c'est assez… troublant. Pour me rassurer, je voulais découvrir un lieu que je connaissais déjà, avant de faire le grand saut dans l'inconnu. L'espace me fascinait et m'effrayait en même temps. Son immensité me faisait prendre conscience que je n'étais pas grand chose, et que ma planète était toute petite. Je n'étais rien. Et c'est difficile à concevoir. Sur la Lune, avec toi comme guide, j'ai pu comprendre que, oui, nous étions minuscule, mais tout est tellement beau ici.

- Alice Ardeans, tu n'es pas rien.

- C'est gentil de le dire.

- Je le pense, vraiment. »

Il me prend dans ses bras, dans une étreinte fraternelle. Ma gorge se serre. Je sens bien que nous allons partir dans peu de temps. Il va me ramener chez moi. Mon dernier voyage. Plus d'aventure, plus d'adrénaline, plus de course poursuite infernale, plus la sensation d'être spéciale.

« On se reverra, n'est-ce pas ? Quand tu seras sur Terre. Je ne monterais pas dans le Tardis mais, on pourrait se voir…

- Bien sûr. »

Evidemment qu'il me ment. Il est décidé à quitter définitivement ma vie pour me protéger, d'après lui. Mais nous avons tous les deux horreurs des adieux. Il est plus facile de nous dire que ce ne serait pas la dernière fois que nous nous voyons.

De retour dans le TARDIS, je me dirige vers le tableau de commande, décidée à lui montrer ce dont je suis capable. Il est surpris.

« Qu'est-ce que tu fais ?

- Hier, tu étais un peu hors d'état de faire quoi que ce soit… Elle m'a montrée comment retourner chez moi, parce que toi, à part ronfler, tu pouvais pas faire grand chose !

- Hé ! C'est petit ça…

- Bref, regarde et admire ! Direction la Terre ! »

D'un geste décidé, j'actionne un levier et effectue la même opération que j'avais faite la dernière fois. Il ne me reprend qu'une seule fois… un peu plus et nous nous serions retrouvés sur Terre, certes, mais au paléolithique… Le Tardis bringuebale encore plus fort que d'habitude. Le trajet me semble très long et chaotique. J'essaie de garder mon équilibre, je glisse, tente de me rattraper. Le Docteur rit de mes diverses acrobaties.

« Tu as oublié les stabilisateurs ! »

Quand le vaisseau s'arrête brusquement, je tombe sur les fesses, faisant redoubler son rire. Après s'être calmé, il m'aide à me relever. Et je me dirige sans hésiter vers la porte. Allez, un dernier effort. Il me fallait garder le sourire et je pourrais m'effondrer dès que je serais chez moi. Je me retourne vers lui :

« Si jamais j'apprends que tu as sauvé la Terre et que tu n'es même pas passé, je t'assure, ma vengeance sera terrible ! »

Nous nous sourions. Le silence s'installe. Nous nous fixons une dernière fois. Il m'avait fait découvrir des choses incroyables, voir des endroits inimaginables. C'est étrange de se dire que tout cela serait derrière moi, une fois la sortie passée. Je lui tends la main, il la serre.

« Au revoir, Alice Ardeans.

- Au revoir Docteur. Et merci. »

Je me mets sur la pointe des pieds, l'embrasse sur la joue et sors du Tardis en courant vers l'extérieur.

Je m'arrête rapidement en constatant qu'il fait nuit. C'est bizarre. Mes yeux s'habituent à l'obscurité et je me rends compte avec effarement que je ne me trouve pas du tout à Londres. Je peux voir les étoiles, je ne vois aucun immeuble à l'horizon mais, à la place, des tentes, des huttes en terre, et du sable à perte de vue. Il m'avait ramené en Afrique. Non. Rectification. Je nous avais ramené quelque part dans le désert du Sahara. C'était l'explication la plus logique.

Un bruit me fait tourner les yeux vers le ciel. Des vaisseaux spatiaux viennent d'apparaître. Je me retourne vers le Docteur, au seuil du Tardis. Il semble paniqué, un instant, mais il reprend très vite ses esprits.

« Alice, dans le Tardis. »

Ma tête va de la boite bleue, qui émet de drôles de bruits, agaçant le Docteur lui rétorquant que ce n'est pas le moment, aux vaisseaux. Des faisceaux, bleus aussi, fouillent le sol à la recherche de quelque chose. Je suis sûre de les avoir déjà vu. Mais où ? Pas avec le Docteur, c'est certain. Les gens commencent à sortir de leurs habitations et à fuir. Je suis paralysée. Normalement, j'ai toujours un temps d'adaptation. On arrive sur une planète, une époque différente, on commence à prendre nos marques, le Docteur m'explique des trucs, et les ennuies arrivent ensuite. Ils ne viennent jamais dès que le Tardis se pose sur la planète. La voix du Docteur me fait sortir de mes pensées :

« Alice, rentre ! Tout de suite ! »

Je reprends contact avec la réalité, détache mon regard des vaisseaux. Je me dirige vers le Tardis quand une explosion retentit près de moi, me propulsant plus loin de la cabine de police. Les bruits s'intensifient à l'intérieur de celle-ci, obligeant le Docteur à rentrer. Je l'entends gronder sa machine, qui n'en fait qu'à sa tête. Le choc m'a légèrement assommé. Je ressens une vive douleur dans mon dos, là où j'ai atterri. Je me relève péniblement et tente de courir vers le Tardis le plus vite possible. J'entends le bruit caractéristique qu'il fait quand il quitte un endroit. Il ne peut pas partir sans moi. Il ne peut pas m'abandonner là. Je ne fais plus attention à ce qu'il se passe autour. Je cours. La porte se rapproche. Je peux voir le Docteur lutter contre sa machine, tenter de retarder le départ. J'y suis presque. Plus que quelques pas et je serais de nouveau en sécurité.

Mais c'est au même moment que je me retrouve incapable de bouger.

« Docteur ! »

Mon cri le fait sortir de ces nombreuses manipulations et il tourne la tête vers moi. Il pâlit alors qu'il fixe quelque chose se trouvant dans mon dos. Il est au seuil de la porte, je ne suis qu'à quelques pas et je le vois essayer de me montrer un visage rassurant.

« Alice, écoute-moi, le Tardis veut partir, et je n'arrive pas à le retenir. Je ne peux pas te libérer de son emprise pour que tu me rejoignes. Je vais revenir. Le plus vite possible. Je te le promets. »

Je lui crie de faire quelque chose, de rester. Le Tardis est déjà parti. Il commençait à disparaître alors qu'il me parlait toujours. Peu à peu, la cabine de police laisse place aux dunes de sable et mon ticket de retour s'évanouit dans la nuit.