Titre : Le gîte

Note : Peu de gens le savent mais je ne poste jamais de fiction à chapitres car je n'en ai jamais finie aucune, ainsi, de peur d'attrister l'unique lecteur qui tomberait un jour sur mes deux chapitres sans suite, je ne poste jamais rien de ce genre. Mais aujourd'hui je me lance, aller, allons-y, chanceux que vous êtes cette histoire se terminera peut-être au bout de sept ans d'écriture, c'est beaucoup, mais c'est toujours ça, non ? Alors réjouissez-vous ! Les chapitres ne seront pas égaux en taille, certains sortiront à la suite et d'autres mettront des mois, mais le cœur y est.


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Le gîte

La douleur, complète, intégrale, offerte comme un cadeau naïf.
La douleur en sensation générale, jusqu'à la pointe des cheveux.

La douleur qui se propage et qui se retire pour, telle une immense vague, mieux revenir.

La douleur.

La douleur.

La douleur qui vibre dans le silence, qui prend possession des chairs, des muscles et des pensées.

La douleur, insidieuse et pénétrante qui guide vers la folie.

La douleur terrible, terrifiante, poison qui crispe chaque morceau de peau.

Un cri d'horreur que la douleur laisse échapper.

Et juste le silence. La nuit. Le calme.

C'est fini ?

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Molly Weasley entra dans la petite chambre comme une tornade, à son approche même les murs semblaient se ramollir. Elle s'affairait, comme si l'inquiétude lui conférait deux paires de bras supplémentaires.

"Hermione, comment te sens-tu ?" s'enquit-elle tendit qu'à une vitesse astronomique elle prenait la température, passait un linge humide sur le front moite, replaçait les couvertures, ramassait les oreillers tombés, mettait un verre plein là où une seconde avant il y en avait un vide, glissait une main réconfortante dans des cheveux défaits.
"Hermione, c'est fini maintenant."

Molly rassurait, assurait, à la fois mère et garde malade, peut-être aussi garde fou. Cuisinière, infirmière, porteuse de la grande Sagesse Sorcière. Quand elle repartit aussi rapidement qu'elle était venue, Hermione se retrouva d'un seul coup dans le plus calme des silences. Sa bouche trop pâteuse n'avait rien réussit à articuler et ses pensées se battaient entre elles comme des grains de poussière emportés par un coup de vent.

Elle essaya de resituer.

Elle n'était plus dans le manoir Malefoy, elle n'était plus en fuite, elle n'était plus à la guerre.

Bellatrix n'était plus là. Bellatrix était morte. Elle dut se concentrer plusieurs minutes sur cette idée, se répéter plusieurs fois en claquant la langue. "Bellatrix est morte. Bellatrix est morte. Bellatrix est morte."

Elle ne reviendrait plus. Molly l'avait tuée. Molly les protègerait.

Son cerveau remit difficilement les éléments connus en place.

Elle était au gîte.

La guerre était finie mais elle devait attendre que tout danger soit écarté.

Elle devait attendre que ceux qui n'étaient pas cassés, rompus, brisés, retrouvent les partisans dispersés.

Et elle devait attendre qu'on la répare.

Peu à peu ses pensées se calmèrent et elle retrouva ses moyens. Les souvenirs des tortures qu'elle avait endurées s'estompèrent un peu, comme une ombre qui se retire au fond d'une armoire en attendant son heure.

Elle se savait en sécurité, ici, au gîte. Mais elle savait aussi qu'elle s'y trouvait car elle était particulièrement mal en point, peut-être même aux portes de la folie.

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Le gîte était une ancienne auberge perdue dans les plaines d'Ecosse. Réaménagé magiquement, le gîte disposait de nombreuses chambres minuscules dans lesquelles résidaient les membres de la société magique les plus brisés par la guerre des sorciers. Regroupés selon leurs affinités par un employé du ministère scrupuleux, Hermione côtoyait des personnes qu'elle avait toujours connu.

Luna Lovegood passait la plupart de son temps à divaguer en regardant dans le vide, parlant à des choses et créatures que personne d'autre ne pouvait voir. Padma Patil, elle, ne se laissait jamais approcher et déversait son poison sur quiconque évoquait sa soeur. Seamus Finnigan qui avait perdu une jambe dans l'affrontement final refusait d'avaler une goutte de potion et ne voulait plus toucher à sa baguette. Lavande Brown grognait depuis sa prison, alors que de temps à autre un sorcier venait essayer de lui apprendre à maîtriser ses pulsions.

Et puis il y avait George, le doux et pauvre George qui n'avait plus quitté l'obscurité du grenier depuis que son frère était mort et que Molly, qui se démenait pour oublier à quel point sa famille avait été détruite par la guerre et qui faisait comme si elle avait été envoyée là à dessein et non parce qu'elle aussi, elle perdait un peu la tête.

Plus de deux mois étaient passés depuis la victoire de Poudlard, on les avait tous envoyé ici dans les jours qui avaient suivis la mort du seigneur des ténèbres dans le but officiel de les protéger parce qu'ils n'étaient pas capables de se protéger tout seuls et parce qu'en réalité on ne savait pas trop quoi faire d'eux. Certes Voldemort était tombé mais nombreux de ses partisans cherchaient encore à se venger.

Alors on les avait entreposé ici, parce qu'on tenait assez à eux pour ne pas les envoyer avec les causes perdues de Sainte-Mangouste et qu'on espérait qu'ils étaient encore réparables.

Le gîte résonnait des cris, des pleurs et du temps perdu que chacun y laissaient.

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L'aube pointait à l'horizon lorsqu'Hermione quitta sa chambre, chacun disposait d'une petite pièce à peine assez grande pour contenir un lit, une sorte de nid où ils trouvaient tous leur compte de sécurité et où ils passaient des heures. Elle descendit aux rez-de-chaussés, le salon était en réalité un assemblage de fauteuils de toutes provenances qui rappelaient le Terrier, tous tournés vers une grande véranda qui donnait sur les prés écossais sans fin. La jeune femme ne fut pas surprise d'y retrouver Padma Patil, installée dans son éternel rocking chair, le regard éteint, une vilaine cicatrice courant le long de sa tempe droite jusqu'au lobe de son oreille qu'elle avait perdu. Elle fixait sans trop la voir la silhouette lointaine de Luna qui errait dans les herbes hautes, probablement pieds nus et en robe de nuit. Cela faisait trois semaines que Luna ne s'était pas changée et n'était pas entrée dans la salle de bain.

Depuis la dernière visite de Neville en réalité, il était venu lui déclarer son amour, lui qui avait surpassé le choc de la guerre en quelque jour et était déjà prêt à se reconstruire. Sans doute le plus Gryffondor d'entre tous. Elle lui avait alors confié, entre deux incantations pour chasser les nargoles et autres créatures dont tout le monde doutait, qu'elle ne serait plus jamais capable d'aimer, que son coeur saignait sans cesse et qu'elle se sentait devenir poussière. Puis elle s'était mise à hurler comme si on lui arrachait la peau à vif et à se rouler dans la terre et Neville n'était plus jamais revenu.

Sans un mot Hermione s'installa dans le vieux canapé fleuri qui sentait légèrement la moisissure et attrapa un des gros livres qui traînaient toujours là. Elle ne lisait plus, elle n'arrivait plus, sa vision se troublait lorsqu'elle essayait de faire cette effort de concentration qui lui paraissait aujourd'hui surhumain. Elle se contentait de fixer un mot pendant des heures, son regard se posa sur "chaleur" et elle se mit à le déconstruire doucement, lentement, patiemment. D'abord elle mélangea mentalement les lettres, ensuite elle dissocia avec minutie le sens du mot avec son image jusqu'à ne plus comprendre ce que signifiait les symboles qu'elle avait devant les yeux. Lorsqu'elle referma le livre la matinée était bien avancée, Seamus était installé sur une des chaises de la salle à manger attenante, la jambe gauche de son pantalon nouée jusqu'au dessus du genou, là où un sort l'avait violemment touché, lui sectionnant d'un seul coup le membre. Le siège de Padma était tourné vers lui (probablement déplacé par Molly pour essayer d'inclure la jeune Serdaigle dans les échanges de la maisonnée) et il ne fallut qu'une seconde pour que la situation dégénère. Seamus se mit à aboyer des insulter à l'indienne qui s'anima tout à coup, comme si la colère était la seule chose qui pouvait insuffler de la vie dans son maigre corps brisé. Elle feula comme une chatte paniquée avant de contre-attaquer avec toute la vilenie dont elle était capable.

Renfermée sur elle-même depuis son arrivée, la brune ne put s'empêcher de noter dans un coin de son esprit que ces disputes bestiales que n'importe quel être aurait jugées insupportables avaient une place importante dans leur processus de guérison. Il s'agissait malgré tout d'un échange entre des personnes qui ne savaient plus comment communiquer. Cela faisait huit jours que les deux sorciers s'assassinaient verbalement tous les matins et même Molly avait dû trouver en l'altercation un aspect positif car elle n'intervenait jamais.

Silencieusement Hermione quitta la pièce, ignorant délibérément les grattements fous derrière la porte blindée qui gardait la chambre de Lavande. Dans quelques mois l'équilibre se créerait de lui-même et elle ne changerait plus que lors des pleines lunes mais pour le moment elle était dans cet état intermédiaire où son corps humain se pliait aux besoins sanguinaires de son instinct de loup.

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Arrivée sur le perron Hermione se laissa tomber sur les marches, comme si ces quelques mètres parcourus l'avaient vieillie de cinquante ans. A l'heure comme chaque jour, Luna vint s'installer près d'elle. C'était une routine, un rouage qui se répétait chaque jour et qui les guérissait lentement. A cette heure, Molly devrait être enfermée dans le grenier de George, lui caressant probablement les cheveux pendant qu'il pleurait, Seamus et Padma s'époumonaient comme les fous furieux qu'ils étaient, Lavande grattait la porte à s'en arracher les ongles et Hermione et Luna s'asseyaient les pieds dans les herbes et parlaient sans rien entendre.

"Parfois… Parfois je me dis que Ron et Harry m'ont oubliée…" déclara la gryffondor d'une voix rauque qui n'avait pas raisonné depuis la veille.

Luna la regarda sans un mot de ses trop grands yeux.

"Je sais bien qu'ils travaillent dur pour retrouver les fugitifs. Et qu'ils aident à rebâtir un meilleur monde pour le moment où nous serons guéris." reprit-elle lentement "Mais parfois, lorsqu'il pleut, ou lorsque le ciel s'assombrit, je me dis qu'en réalité ils nous ont tous oublié et que nous resterons ici pour toujours."

Le son que produisirent ses mots pesa lourdement sur leurs deux crânes pendant un moment avant que Luna ne murmure d'une petite voix, en essuyant ses mains crasseuses sur le bas déchiré de sa robe de nuit. Elle sentait le terre et l'urine. Dans ses cheveux noués d'herbes sèches et de branchages Hermione vit passer un scarabée noir.

"Mon père m'attend."

Il lui fallut plusieurs minutes avant de pouvoir reprendre, un sanglot terrible déformant sa voix :

"Mais la maison est infestée de nargoles…"

La jeune femme se voûta et se plia en deux, le nez contre les croûtes de ses genoux abîmés :

"Je crois souvent que je dois mourir, que c'est la seule chose qui me sauvera…" puis d'une voix étranglée, ses yeux se posant sur des choses qui n'existaient que pour elle "Il y a de la pourriture partout, partout, je ne veux pas pourrir"

Le vent se leva d'un seul coup et balaya leurs cheveux, les larmes de Luna roulaient le long de ses jambes et s'écrasaient sur ses pieds nus.

Puis, il y eu un flash, une lumière vive et un grand bruit, comme une explosion. A une dizaine de mètres d'elles apparut un garçon, le visage ensanglanté, et la bouche ouverte en un cri ininterrompu. Il avait l'air d'une bête que l'on pourchasse, avant de les remarquer il regarda dans tous les sens, comme la biche qui sent, pointé vers elle, le canon du chasseur. Ses cheveux ébouriffés, mélange d'or et d'hémoglobine, laissaient apparaître au sommet de son crâne, une profonde balafre. Lorsqu'il darda son regard de glace vers elles, son visage prit la teinte de la plus grande des terreurs, il dégaina sa baguette, hurla des paroles inintelligibles et recula de quelques pas avant de s'emmêler dans les roseaux et de tomber à la renverse.

Ce n'est que lorsque, ameuté par les bruits, leur petit groupe osa s'approcher pour trouver l'intrus inconscient dans les herbes hautes qu'Hermione reconnut le visage tuméfié de Drago Malefoy.

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So ?

Promis, la suite avant 2022.

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