La ruche venait de se poser en catastrophe sur une petite planète dissimulée derrière une gigantesque lune, afin de permettre la régénération de sa coque.
Elle avait été endommagée la veille à la suite d'un terrible combat qui l'avait opposée à une ruche rivale, et ses occupants n'avaient dû leur salut qu'à plusieurs sauts consécutifs en hyperespace qui avaient réussi à brouiller leur piste, mais au prix de l'abandon de nombreux darts et navettes de combat.
Le Commandant, après avoir interrogé au préalable sa base de données pour vérifier si cette petite planète était habitée, sollicita une audience auprès de la Reine pour lui faire son rapport.
Celle-ci l'agréa mais prit le soin de vérifier d'abord dans un petit miroir l'ordonnance de sa coiffure et la tenue de son maquillage, car le Commandant était également son compagnon de longue date, et elle avait besoin d'être rassurée en lisant toujours l'admiration et l'amour dans son regard.
Les deux drones qui gardaient l'entrée de la salle du trône présentèrent les armes à l'arrivée de leur Commandant, qui entra rapidement dans la salle, posa la main droite sur sa poitrine et s'inclina respectueusement avec un « ma Reine » en levant lentement les yeux vers elle.
Ils se connaissaient depuis si longtemps qu'il pouvait déceler le trouble et la colère dans son regard pourtant illisible.
« Souhaitez-vous entendre mon rapport détaillé sur les avaries du navire ? » hasarda-t-il.
« Je vous écoute » répondit-elle nerveusement tout en allant et venant vivement, faisant tourbillonner la traîne de sa longue robe couleur rubis.
« Deux à trois jours seulement seront nécessaires pour les réparations, annonça-t-il calmement, car seuls les systèmes auxiliaires ont été gravement endommagés par les tirs ennemis. Nous déplorons au moins deux cents morts, et trois fois plus de disparus. Quant à cette planète, nous avons découvert que quelques milliers d'humains y vivent. Ils ne possèdent aucune technologie, mais il y a une Porte des Etoiles... Ce qui signifie hélas qu'il est possible que le poison hoffan les ait contaminés» ajouta-t-il doucement.
La Reine, qui s'était immobilisée, soupira tristement : « qui peut dire quand cette malédiction finira ? Mais nous n'avons pas le choix, les cocons sont pratiquement vides ».
Le Commandant s'avança, lui prit gentiment les mains et les couvrit de baisers : « ma bien-aimée, confiez-moi vos inquiétudes, car ce n'est tout de même pas la première fois que nous perdons un combat ».
« Pour dire la vérité », avoua-t-elle, « en déclenchant les hostilités sans raison valable, j'ai mis en danger ma ruche inutilement, et je crains le jugement de l'équipage. Nous avons abandonné de nombreux darts et navettes, et nous sommes en sous-effectifs, donc vulnérables actuellement. Je n'écouterai jamais plus les conseils malavisés de notre nouvel officier ! Il a insisté pour que je revendique cette aire d'alimentation, et j'ignore encore pourquoi je l'ai suivi ! » s'exclama-t-elle, furieuse contre lui mais surtout contre elle-même.
Le Commandant n'avait rien répondu, parce qu'il connaissait déjà la réponse : cet officier avait été recueilli récemment, il était jeune et audacieux, mais aussi très séduisant. Il était également dévoré d'ambition, et s'était récemment vu refuser une promotion qui n'était pas méritée. Il se laissa envahir par le soupçon et un brin de jalousie, et après avoir obtenu son congé, alla s'enquérir de lui pour l'interroger.
Quant à la Reine, afin de rassurer son équipage, elle envoya une douce onde de bien-être dans le réseau télépathique de la ruche, accompagnée d'une promesse de chasse pour le lendemain matin, tout en rappelant de ne pas consommer les petits enfants, nécessaires au renouvellement du cheptel humain.
L'un des deux drones qui se tenaient devant la porte de la salle du trône, bien campé sur ses robustes jambes, laissait son esprit vagabonder, hypnotisé par les circonvolutions de la brume blanche mouvante qui recouvrait le sol.
Après le départ du Commandant, et aussitôt qu'il eut entendu la promesse de la chasse prochaine, il jeta un bref coup d'œil à son frère, debout à côté de lui, et lui lança une pensée : « envie d'aller dehors moi aussi demain, chasser…»
L'autre n'eut que cette réponse mentale laconique : « protéger la Reine – la mission».
Le drone reprit alors sa faction, avec toute la concentration dont il se sentait capable, un peu vexé toutefois d'avoir été rappelé à l'ordre par son frère, qui avait au moins deux cent cinquante ans de moins que lui.
C'était le milieu de la nuit, et tout était silencieux hormis le léger bourdonnement habituel des moteurs et le frémissement des parois organiques.
Le drone et son frère, qui gardaient maintenant les appartements de la Reine, furent soudain alertés par un vent de panique qui se transmettait sur le réseau télépathique, suivi par le son strident de l'alarme qui se mit à résonner dans la ruche tout entière.
Ils entendirent alors à travers la cloison la Reine laisser libre cours à sa rage dans un rugissement puissant : les rumeurs de trahison se propageaient maintenant à travers le réseau. La ruche ennemie les avait retrouvés, et les envahisseurs massacraient systématiquement le peu qui restait de l'équipage.
Le drone et son frère virent l'officier nouvellement arrivé sur la ruche qui arrivait en courant dans leur direction, et qui leur ordonna brutalement de baisser leurs armes. Comme ils hésitaient un court instant, l'officier plongea brutalement sa dague dans la gorge du frère du drone, tandis que la porte organique s'ouvrait en coulissant sur la Reine.
Celle-ci les toisa et s'adressa alors à l'officier avec le plus profond mépris : « et quel sera donc le prix de votre trahison, misérable ? »
« Ma Reine », sourit-il mielleusement en réponse, « votre tête contre le commandement de cette ruche, c'est ce que la Reine que je sers m'a promis, et tant pis pour vous si vous n'avez pas su récompenser ma valeur quand il en était encore temps».
« Où est le Commandant ? » tonna-t-elle, mais sans réussir à masquer son inquiétude.
« Oh ! Le Commandant me cherchait, et il m'a trouvé » répondit-il en souriant vicieusement, « ou plutôt, il a trouvé ceci » ajouta-t-il en levant sa dague ensanglantée, tandis que de l'autre main il faisait signe au drone de baisser son arme.
Le drone, qui avait vu son frère mourir, et qui voyait maintenant sa Reine en danger, fut submergé par une bouffée de pure haine. Sans même comprendre ce qui le poussa alors à agir, il dégaina rapidement sa dague et la planta dans le cœur de l'officier en pensant « protéger la Reine – la mission».
L'officier, qui réalisa à cet instant précis qu'il ne serait jamais Commandant, et qu'il était en train de mourir de la main d'un simple drone désobéissant, s'affaissa lentement le long de la paroi organique et mourut de fort méchante humeur.
