Chapitre 1: Une visite inattendue

Note: La scène est située à Privet Drive, une semaine après la fin de la cinquième année scolaire de Harry. Le jeune héros reçoit la visite pour le moins inattendue de son maître des potions tant haï.

Harry se réveilla en sursaut. Il se redressa sur son lit, où il s'était assoupi après une nouvelle journée de profonde mélancolie et de chagrin. Sirius… La douleur, endormie pour un instant, se répandit dans ses membres avec une nouvelle force, brûlante et implacable. Parviendrait-il jamais à surmonter cette souffrance, à concevoir l'amère réalité ? Il réussit avec effort à ravaler le sanglot qui commençait à lui monter à la gorge.

Une semaine s'était écoulée depuis sa rentrée au 4, Privet Drive, une semaine qu'il avait passée cloîtré dans sa chambre, indifférent au monde extérieur, à l'hostilité ostentatoire des Dursley en l'occurrence. Il leva les yeux vers la fenêtre ; la rue était plongée dans la pénombre, et un vent sifflant agitait les sommets des quelques arbres qui bordaient la rue. Il ne s'y était pourtant pas trompé. Seul le transplanage pouvait produire ce bruit sonore. Etait-il possible… ? Est-ce qu'un membre de l'Ordre venait le chercher pour l'arracher à sa triste résidence, ou au moins lui transmettre un message ? A ce moment, il avait besoin plus que jamais des paroles réconfortantes d'un ami.

Il colla le nez contre la vitre, frémissant d'impatience. Peu à peu, il vit une silhouette se détacher de l'ombre que projetaient les maisons voisines. Son cœur faillit s'arrêter. Un homme s'avançait vers la maison des Dursley, un homme grand et mince, vêtu d'une longue cape noire qui flottait autour de lui et lui donnait l'apparence d'une gigantesque chauve-souris. Harry sentit l'horreur qui l'avait submergé à la vue du sorcier s'estomper pour laisser la place à une vague de haine mêlée d'indignation. Severus Rogue, le professeur qui le détestait et le malmenait depuis des années, et qui s'était tant plu à accabler Sirius de sarcasmes sur sa prétendue lâcheté – ces moqueries, Harry en était convaincu, avaient grandement contribué à la décision de son parrain de prendre part au combat au ministère, qui lui fut fatal –, osait donc le poursuivre jusqu'à Privet Drive ? De tous les membres de l'Ordre, pourquoi fallait-il que ce soit Rogue que l'on lui envoie ? Les doigts serrés sur sa baguette magique, il regarda la silhouette noire s'approcher de la porte d'entrée. Un instant plus tard, une sonnerie retentit dans la maison. Il se précipita en bas de l'escalier juste à temps pour voir la forme massive de l'oncle Vernon se diriger vers la porte en grognant.

La porte s'ouvrit pour découvrir un homme au visage cireux encadré par deux rideaux de cheveux noirs et graisseux, animé par des yeux sombres et impénétrables et muni d'un grand nez crochu. Abasourdi, l'oncle Vernon dévisagea le visiteur pendant une bonne dizaine de secondes avant de retrouver l'usage de la parole, ainsi que toute son irritabilité.

– Qui êtes-vous ? demanda-t-il brutalement.

– Severus Rogue, professeur à l'école de Poudlard, répondit le sorcier d'une voix calme et froide. J'ai un message important à transmettre à Potter de la part du directeur Albus Dumbledore, que vous connaissez.

Dudley avait passé la tête par l'entrebâillement de la porte du salon. Un bref coup d'œil vers le sinistre maître des potions lui suffit pour s'enfuir aussitôt vers la cuisine en poussant des hurlements terrifiés. Ce fut au tour de la tante Pétunia d'apparaître. Elle surgit de la cuisine, un chiffon à la main, ses cheveux blonds chargés de bigoudis. Harry crut qu'elle allait partir dans une diatribe violente à l'adresse de ce visiteur si peu bienvenu, mais elle lâcha soudain son chiffon et plaqua ses mains sur sa bouche d'un air effaré, comme si elle l'avait reconnu.

– Oh ! s'exclama-t-elle d'une voix étranglée. C'est ce… c'est…

Rogue posa ses yeux noirs et insondables sur la figure chevaline de Mrs Dursley. Après l'avoir fixée pendant un long moment, son visage retrouva son habituelle expression narquoise, et il inclina légèrement la tête dans ce qui ressemblait à un salut ironique. C'est alors qu'il remarqua enfin la présence de Harry, qui se tenait en bas de l'escalier.

– Potter, comme vous l'avez sûrement entendu, le professeur Dumbledore m'a chargé de vous transmettre un message. Je vais vous le communiquer en privé.

– Est-ce que vous vous connaissez ?

Harry n'avait pu retenir cette question à l'adresse de la tante Pétunia, qui paraissait bouleversée.

– Vous m'avez entendu, Potter ? fit Rogue d'une voix menaçante.

Il passa à côté de l'oncle Vernon, dont l'indignation et la fureur risquaient d'exploser d'un moment à l'autre, à en juger par la veine qui palpitait dangereusement sur sa tempe. Mais le maintien glacial de ce sorcier, ses yeux perçants et sa robe noire semblaient, dans une certaine mesure, l'intimider. Les dents serrées, Harry pivota sur ses talons et monta dans sa chambre, suivi de près par le maître des potions.

Le rictus méprisant de Rogue s'élargit lorsqu'il eut pénétré dans la petite pièce, qui baignait dans le plus total désordre. Le sol était jonché d'anciens exemplaires de la Gazette du Sorcier, de livres et de chaussettes dépareillées. Le lit était défait ; le bureau, où reposaient quelques instruments magiques et la cage d'Hedwige, que Harry n'avait pas nettoyée depuis leur retour, était couvert de poussière. La chouette de neige hulula d'un air ensommeillé.

– Puis-je m'asseoir, Potter ? demanda Rogue nonchalamment.

Harry poussa vers lui l'unique chaise de la chambre après en avoir ôté les papiers et les vêtements d'un geste irrité. Rogue s'assit et promena son regard sur les meubles ; tout à coup, son visage se figea. Harry vit qu'il regardait la photo de ses parents, posée sur la table de chevet. Lentement, Rogue détacha les yeux de l'image et les planta une fois de plus dans ceux de Harry. Ils étaient durs et flamboyants. Il attendit que le garçon se soit assis à son tour avant de prendre la parole.

– Bien, Potter. Maintenant, voici ce que vous transmet le directeur. Il viendra vous chercher le 15 juillet vers onze heures du soir pour vous emmener au Terrier, où vous passerez le reste de vos vacances. Mais d'abord, vous ferez un détour pour assister à une tâche importante qu'il souhaite accomplir. Vous ferez votre valise et vous tiendrez prêt vers l'heure indiquée. Vous garderez votre cape d'invisibilité à portée de la main.

– A quelle tâche dois-je assister ? demanda Harry, qui, pour la première fois depuis le drame du ministère, ressentit de la joie.

– Le directeur vous l'expliquera quand il le jugera nécessaire, répondit Rogue sèchement. C'est tout, Potter.

Harry leva les sourcils. Dumbledore lui envoyait Rogue pour lui annoncer simplement le jour de leur rendez-vous, alors qu'il aurait suffi de le lui communiquer par un hibou ? Avant qu'il n'ait pu formuler sa pensée, il entendit la réponse :

– Je crois que cela est évident, Potter. Il n'est pas prudent en ces temps-ci de transmettre des informations confidentielles par des moyens aussi peu sûrs que les hiboux. L'année dernière aurait dû vous apprendre quelque chose à ce sujet.

Il faisait allusion au régime de Dolores Ombrage, qui avait exercé son contrôle sur toute l'école en interceptant, entre autres, le courrier des élèves.

Harry se contenta d'approuver d'un signe de tête.

– Je sais à quel point vos manières sont distinguées, Potter, mais je m'attendais tout de même à ce que vous me remerciiez pour vous avoir transmis le message. Ou croyez-vous être dispensé des règles les plus élémentaires en dehors de l'école ?

Harry lui jeta un regard noir.

– Merci, monsieur, répondit-il férocement. Mais il me semble que vous auriez dû d'abord me présenter vos condoléances.

Il regretta aussitôt de ne pas avoir pu se contenir. Evoquer la mort de Sirius lui causait une peine cuisante, et il ne saurait supporter les sarcasmes de Rogue à l'égard de son parrain.

Le professeur pâlit. A plusieurs reprises, il parut être sur le point de répondre, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Il finit par se lever et se diriger vers la porte.

– N'oubliez pas, Potter, le 15 juillet à onze heures. Inutile de me raccompagner.

Il sortit. Furieux, mais profondément soulagé d'être délivré de sa compagnie, Harry claqua la porte derrière lui. Il se retourna pour se laisser retomber sur son lit, mais s'arrêta interdit. Sa minuscule table de chevet était vide. La photo de ses parents avait disparu. Rogue l'avait-elle emportée ? Il ne se souvenait pourtant pas de l'avoir vu s'en approcher. A moins qu'il ne se soit servi du sortilège d'attraction.

Il rouvrit la porte et se rua vers l'escalier qu'il dévala d'un trait. Rogue s'apprêtait à sortir sous les yeux inquiets des Dursley.

– Professeur ! s'écria Harry hors d'haleine. Avez-vous pris la photo de mes parents ?

Rogue s'immobilisa, la main posée sur la poignée de la porte. La tante Pétunia laissa échapper un petit cri. Il se retourna lentement, le visage blafard, et dévisagea Harry avec une expression de pure haine.

– Je vous demande pardon, Potter ?

– La photo de mes parents ! Elle était là à votre arrivée !

– Une retenue, Potter, le premier septembre, à dix heures du soir. Et si jamais je vous entends proférer des accusations contre moi, vous le regretterez toute votre vie.

La porte se referma sur lui avec fracas. Un instant plus tard, ils entendirent le icrack/i sonore qui accompagnait le transplanage. Harry regarda les Dursley d'un air interrogateur.

– Est-ce que tu le connais ? demanda-t-il à la tante Pétunia. Où as-tu…

Mais elle se hâta de se réfugier dans la cuisine, son visage enfoui dans ses mains. L'oncle Vernon lança à Harry un dernier regard furibond avant d'aller la rejoindre.

– File d'ici ! vociféra-t-il. Dans ta chambre ! Vite !

Il referma à son tour la porte de la cuisine et le hall d'entrée replongea dans l'obscurité.