Note : Cette histoire se déroule peu de temps après la fin du 4ème livre.

PAS DE ROMANCE ! Il y en a bien suffisamment comme ça dans les romans, et tout a été dit. Je préfère explorer la face sombre de l'histoire que son côté lumineux.

Ténèbres.

Terreur.

Si les deux sont souvent associés, ce n'est pas sans raison.

Haletante, trempée de sueur, la jeune femme réalisait qu'il y a parfois de très bonnes raisons d'avoir peur de l'obscurité.

Les poumons en feu et le cœur en déroute, elle titubait dans le noir, les mains tendues en aveugle, trébuchant sans cesse. S'efforcer de courir dans une forêt, en pleine nuit, relève de la pure idiotie.

Ou de la plus impérieuse nécessité !

Sa fuite éperdue dans les ténèbres pouvait sembler absurde, un réflexe instinctif qui n'aurait d'autre résultat que prolonger son agonie mais, malgré la peur qui la rongeait comme un acide, elle n'avait pas perdu la tête. Elle était très consciente de l'inanité de sa course chancelante.

Elle trébuchait misérablement dans le noir, se prenant les pieds dans chaque souche, chaque branche morte, chaque entrelacs de ronce eux étaient rapides comme le vent et leurs yeux maudits voyaient dans le noir comme ceux des oiseaux de nuit.

Sa pathétique tentative pour leur échapper et ses pas balbutiants, ses poumons qui émettaient un bruit de soufflet de forge et jusqu'à son cœur qui battait une chamade endiablée, aiguillonné par l'adrénaline et l'effort, faisaient autant de bruit que la charge d'une harde de sangliers dans les taillis, surtout pour leur ouïe capable de percevoir un frôlement à plusieurs mètres de distance.

La fugitive savait tout cela.

De même qu'elle savait que s'ils ne l'avaient pas encore rattrapée, c'était uniquement pour faire durer le plaisir de la chasse.

Pourtant, ce faisant, en voulant la forcer jusqu'à épuisement, jusqu'à ce que, pantelante, elle s'effondre sans pouvoir se relever dans l'attente du coup fatal, ils lui offraient sans s'en douter un infime espoir : ses faibles forces et ses capacités limitées d'être humain ne lui permettaient guère d'échapper à la mort blanche qui soufflait déjà son haleine froide sur ses talons, certes, mais peut-être que si elle parvenait à faire durer la chasse suffisamment longtemps, les protecteurs de sa race surviendraient à temps.

Dans les veines de la fuyarde exténuée coulait le sang d'un peuple de chasseurs qui avaient un sens inné de l'orientation. Elle avait tenté de fuir dans la bonne direction, celle qui la rapprochait de la réserve indienne de la Pusch et du territoire que défendaient ses habitants, mais elle devait s'avouer, piteusement, que dans l'obscurité totale et sans pouvoir s'arrêter ne serait-ce qu'un instant pour réfléchir, elle n'avait plus la moindre idée des directions ou des points cardinaux. Elle ne fuyait plus qu'au hasard, son pauvre cœur épuisé battant si fort à ses oreilles et dans sa gorge que cela en devenait douloureux.

Un froissement dans les branches, au-dessus d'elle, la tétanisa un bref instant. Mais non, un bruit d'ailes s'éloignait dans les frondaisons invisibles, ce n'était qu'un oiseau que sa course désordonnée et titubante avait dérangé.

Exténuée, presque à bout de forces, elle savait qu'elle ne pourrait continuer longtemps. L'air ne pénétrait plus dans sa gorge enflammée que dans un râle étranglé, le sang battait à ses tempes et jusque derrière ses yeux avec une force qui faisait pulser des étincelles colorées dans son cerveau.

Elle aurait voulu déjouer leurs attentes, ne pas jouer ainsi le rôle de l'animal traqué qu'on finit par acculer lorsqu'il arrive au bout de ses forces… Or c'était ce vers quoi elle allait en continuant de cette manière. Malgré cette évidence et sa volonté de ne pas faire leur jeu, il lui fallut, pour s'arrêter, se dominer et vaincre à la fois la peur qui lui nouait le ventre et l'instinct de conservation qui la poussait à continuer.

Le bruit de sa respiration saccadée dans le silence du sous-bois lui parut énorme, bien susceptible d'être entendu par tout ce qui portait oreilles dans un vaste secteur alentours. Tâtonnante, la fugitive envoya ses mains, qu'elle ne voyait pas, en exploration autour d'elle jusqu'à trouver un tronc d'arbre suffisamment gros pour pouvoir s'y adosser. Respire… force-toi à respirer… ses jambes tremblaient de fatigue mais elle résista à l'envie de s'asseoir dans l'humus au pied de l'arbre. Bien que techniquement cela ne puisse rien changer, elle se serait sentie trop vulnérable.

D'une main qui n'était guère assurée, elle essuya son visage ruisselant de transpiration et repoussa en arrière ses cheveux humides et embroussaillés. Son odeur elle aussi devait être démultipliée et « les » guider droit vers elle. Un nouveau sursaut de panique l'envahit, elle le repoussa difficilement.

L'espace d'une brève seconde, elle songea à celui qu'elle aimait. Il devait la rechercher à cette heure… hélas, que ne la cherchait-il au bon endroit ! Glaciale, la certitude qu'elle ne le reverrait pas et qu'elle allait bien mourir ici, seule et terrorisée dans le noir absolu, sans même voir les monstres qui lui arracheraient sa vie et boiraient son sang chaud, lui arracha un gémissement vite réprimé.

La détresse lui broya le cœur, elle sentit les sanglots grossir dans sa gorge et rejeta à nouveau, frénétiquement, ces pensées qui ne faisaient que l'affaiblir au moment où elle avait le plus besoin de ses forces morales.

Une part d'elle-même aurait voulu céder au désespoir, se laisser aller, se recroqueviller dans la mousse et se mettre à pleurer, mais elle avait encore suffisamment de volonté pour se l'interdire et continuer à lutter.

Elle s'efforça de ne penser qu'à sa respiration sifflante, mais sursauta violemment en percevant un murmure de voix étouffées, quelque part dans les ténèbres opaques.

Bien que sachant que cela ne servirait à rien, elle plaqua sa main droite sur sa bouche pour essayer d'étouffer le bruit de son souffle heurté, son poing gauche sur son cœur pour en comprimer les battements puis, s'efforçant de se mouvoir sans un bruit, elle tourna autour du tronc, sans s'en écarter, afin de se placer à l'opposé de ses poursuivants.

Pour autant qu'elle sache, ils étaient quatre. En tous cas elle en avait vu quatre lorsque, avec une habileté consommée, ils s'étaient arrangés pour l'isoler puis la forcer à fuir de plus en plus loin de tout secours potentiel. A s'enfoncer de son plein gré dans le secret et l'isolement de la forêt séculaire et de la nuit, porte du néant. Là où nul ne pourrait ni les voir eux ni l'entendre elle.

Elle était d'ores et déjà soustraite au monde.

Une branche craqua. La jeune femme se plaqua au tronc comme si elle avait espéré se fondre en lui, réprimant de justesse le hurlement de terreur qui s'étranglait dans sa gorge.

Soudain, il fut là. Une vague forme spectrale, blafarde, à ses côté. Aucun autre bruit n'avait averti la malheureuse qu'il (ou « ils) était aussi près.

Cette fois elle ouvrit la bouche pour crier. Une main de pierre glacée la bâillonna. Un bras aussi dur que de l'acier, aussi froid que du marbre, la ceintura et l'enleva de terre.

Tout devint flou. La pesanteur paraissait avoir disparu. Elle éprouvait la sensation de voler dans le noir, à une vitesse telle que le vent de la course fit larmoyer ses yeux.

Elle était initiée. Elle savait très bien ce qui l'avait poursuivie et ce qui l'emportait. Elle était seulement étonnée que son ravisseur ne l'ait pas tuée tout de suite. Mais les vieilles légendes quileutes à propos des Sang-froid qui enlevaient des jeunes femmes lui revinrent et sa détresse augmenta.

A moins, après tout, qu'il n'ait tout simplement pas voulu partager avec les autres.

Combien de temps dura cette course folle dans l'obscurité, elle n'aurait pu le dire. Peut-être des heures, peut-être des minutes.

En tous cas, le prédateur qui s'était emparé d'elle finit par ralentir, puis par s'arrêter. Sans un mot, il la remit sur ses pieds avec une douceur qu'elle n'attendait pas de lui.

Tout espoir étant perdu, la jeune femme sentit sa peur refluer, remplacée par une sourde résignation. Elle savait que les vampires voient parfaitement dans l'obscurité et que, si elle-même ne distinguait de son ravisseur qu'une forme pâle indéfinie et deux points brillants là où devaient se trouver les yeux, lui-même la voyait aussi nettement qu'en plein jour. Il ne perdait rien de chaque détail de son visage mutilé et de son expression.

Alors, fille d'un peuple de guerriers et de protecteurs qui luttaient depuis des générations contre ce fléau, elle redressa fièrement sa tête et ses épaules face à la mort.

Elle ne lui ferait pas le plaisir de contempler sa terreur ou de l'entendre le supplier.

En même temps, une petite partie de son cerveau ne pouvait s'empêcher de se poser des questions morbides : aurait-elle très mal ? (elle s'efforça de ne pas penser aux hurlements que poussaient les victimes dans les films d'épouvante). Mettrait-elle longtemps à mourir ? Sentirait-elle la vie et la chaleur la quitter ? L'image d'un insecte vidé vivant de sa substance par une araignée lui vint à l'esprit et elle repoussa avec horreur toutes ces images, surtout lorsqu'elle commença à imaginer la sensation provoquée par la succion de lèvres voraces contre sa gorge préalablement fouillée par des crocs acérés.

Elle formula silencieusement le souhait que son ravisseur se décide vite, qu'il en finisse avant que son courage l'abandonne et que la peur la rende folle, mais ce fut la surprise qui lui coupa la respiration lorsque d'une voix chaude, aux accents de velours, l'ombre dit simplement :

- Vous êtes Emily, la fiancée de Sam Uley.

D'où la connaissait-il ? En tous cas, il paraissait ignorer qu'elle s'était mariée deux mois plus tôt.

Avec une pointe d'arrogance, elle corrigea néanmoins :

- Sa femme !

- Ah, c'est vrai, reprit le vampire. Charlie et Jacob nous en ont parlé.

Charlie ? Jacob ? Emily tombait des nues.

- N'ayez pas peur, reprit la voix de velours. Je ne vous ferai aucun mal. Je suis Edward Cullen. Je vais vous ramener chez vous.

Emily n'avait encore jamais approché aucun des Cullen, Bella exceptée, du temps où elle s'appelait encore Swan et n'avait pas abandonné son humanité pour l'amour d'un non-mort. Toutefois, bien que toute sa vie elle ait été mise en garde contre eux, elle savait que jamais encore ils n'avaient rompu le traité passé avec Ephraïm Black, longtemps avant sa propre naissance.

Elle savait qu'ils ne s'étaient jamais attaqués à un être humain.

Et elle savait aussi que depuis que Jacob s'était imprégné d'un demi-vampire, plusieurs membres de la meute des loups-garous fréquentaient leur maison. Son cousin Seth Clearwater, notamment.

Bref, elle savait qu'elle n'avait, à priori, rien à craindre d'un Cullen. Par ailleurs, s'il avait eu de mauvaises intentions, pourquoi se serait-il soucié de la rassurer ? Elle était à sa merci, là où nul ne saurait jamais ce qu'il était advenu d'elle.

Le soulagement la submergea avec plus de force encore que la terreur un peu plus tôt.

S'en fut trop pour ses nerfs mis à rude épreuve.

Trop d'émotions violentes en trop peu de temps.

La nuit parut devenir blanche, le sol se déroba sous ses pieds, et Emily s'évanouit.

à suivre