Ishbal
Je me souviens juste d'un mot. "Pars". C'est sur ce mot que tout s'est fini. Nous n'avions même pas le temps d'un dernier baiser. Ce mot, c'est moi qui l'ai dit.
Je voulais rester, rester ici et sans doute mourir, mais je voulais qu'il parte et qu'il reste en vie.
Il a discuté ma décision, l'a teinté d'héroïsme mal placé et d'orgueil. Je voulais juste qu'il survive...quant à moi, mourir avec mon enfance, mon innocence et mes souvenirs me plaisait bien.
Je ne lui ai pas dit que j'étais enceinte. Je ne voulais pas d'une balle supplémentaire dans son camp.
Après bien cinq minutes de discussions houleuses, une explosion relativement rapprochée retentit, coupant court à ses arguments. Il m'emmena en urgence dans une maison assez proche et m'enjoignit de rester dans les sous-sols. Une brève pression sur ma nuque, sa main gauche rajustant quelques unes de mes mèches lisses. Il m'étreignit longuement, puis une deuxième explosion plus proche encore nous sépara. Il me regarda d'un air inquiet. "Pars" lui dis-je. Il démarra en direction de l'escalier, me jeta un dernier coup d'oeil, puis sortit.
Je ne vis plus jamais ce jeune homme ishbal et son regard tendre derrière ses lunettes, qui était devenu ma raison de vivre. Tout ce que je sais, c'est qu'il est mort et que je suis vivante, alors que le contraire aurait dû arriver. Le pire, c'est que je dois ma survie au plus sanguinaire des alchimistes d'état, un certain Kimblee, celui-là même qui a sans doute tué l'homme que j'aimais.
Il est arrivé dans le quartier où je me cachais après une série d'explosions plus loin, à peu près vers celui de mon amant. Je suis remontée et j'ai regardé par la fenètre cet homme pâle, aux longs cheveux noirs en catogan. Alerté, sans doute par mon mouvement, il tourna ses yeux vers moi. Incapable de bouger, je le vis sourire légèrement, un sourire meurtri, joindre ses mains puis les poser sur le sol. Ensuite, résonnèrent fracas, grondements, explosions répétées. Je n'ai pas vraiment compris, à part deux choses: ce gars était alchimiste d'état et tout le quartier s'effondrait autour de moi. Après quelques minutes, je me suis relevé, j'ai rejoint mon poste d'observation et mon regard a rejoint le sien pour la deuxième fois. D'après ce que je voyais depuis ma tanière, tout était détruit à part le rez-de-chaussée de la maison dans laquelle je me trouvais, caché dans les gravas des habitations voisines.
Il m'avait sauvé; cela sautait aux yeux. Pourquoi ?
Il bougea juste ses lèvres. "Bonne chance". Il se tourna et partit, accompagné de ses soldats.
Je ne m'aperçut de l'émotion contenue dans ses yeux et de l'étrange tristesse de son sourire que bien longtemps plus tard.
Maintenant, je vis à Central, dans une petite maison, avec mon fils. C'est un beau garçon de six ans avec de grands yeux d'un rouge foncé tirant sur le violet, une peau un peu plus claire que la mienne et une chevelure peu commune, noire striée de blanc.
Quant à moi, les gens se méfient au début, me prenant pour une ishbal; mais mes yeux noirs, en réalité issus de mon métissage, les calme aussitôt.
Je suis médecin, je gagne plutôt bien ma vie, mon petit Simon est très intelligent, il apprend très vite, a beaucoup d'amis et une amoureuse, une ravissante Sophie rousse comme une feuille d'automne aux iris gris clair, presque argentés. Le plus beau couple de l'école.
Chaque nuit, je rève de lui...peut-être est-il encore vivant, mais pour tout le monde, y compris sa famille, comme le prouve l'abnégation de son frère à assassiner tous les alchimistes d'état, il est mort.
J'ai pourtant l'impression que ce n'est pas la fin pour lui, qu'il est quelque part, encore en vie...
Iana.
