-Relax, Scorpius, chuchota Albus Potter. Je te jure qu'il ne va rien se passer, je l'ai briefée cet été. Je lui dis bonjour, elle me dit bonjour, et elle ne va même pas te regarder. C'est aussi simple que ça.
-Le problème avec toi, Al, c'est que tout est toujours trop simple, rétorqua Scorpius Malefoy en jetant un regard anxieux par-dessus son épaule.
Albus tapota ladite épaule comme il l'aurait fait avec un grand convalescent sur le point de rendre l'âme.
-Je t'ai dit relax. Elle ne va pas t'attaquer par derrière –elle ne va pas t'attaquer du tout.
-Comme si elle n'avait jamais essayé…et réussi.
-Le passé c'est le passé...
-Oui, et je meurs d'envie de découvrir ce que l'avenir me réserve, conclut Scorpius d'un air sombre.
Visiblement à court d'arguments, Albus soupira et n'essaya pas de poursuivre la conversation. Ce qui n'était pas du goût de Scorpius, bien qu'il aurait préféré mourir dans d'horribles souffrances plutôt que de se l'avouer. Il avait besoin d'extérioriser sa nervosité –bon sang, il avait quand même passé les trois dernières semaines de vacances à penser à l'Enfer qui l'attendait à Poudlard.
Un Enfer qui s'appelait Rose Weasley. Non, pardon, Granger. Elle ne supportait pas d'être appelée « Rose » ni « Weasley », la chère petite, et mieux valait satisfaire à sa fantaisie, vous pouviez le croire.
Scorpius passa la main dans ses cheveux bien lisses, d'un blond lunaire, qu'il arrangea sur sa nuque. Sa marque de fabrique. Bon, d'accord, pas la sienne spécifiquement. Après tout, son père possédait la même couleur de cheveux, et son grand-père aussi –du moins du temps où il en avait encore. Pas sûr que grand-père apprécierait la blague, en passant –il avait encore tous ses cheveux.
Le sourire qui s'était hasardé au coin de ses lèvres s'effaça lorsque ses pensées retournèrent à la source de tous ses problèmes. Scorpius Malefoy avait dix-sept ans, et les six dernières années de sa vie auraient été parfaitement satisfaisantes si Rose Weasley n'avait pas existé. Elle semblait avoir fait de qui aurait pu constituer un simple passe-temps occasionnel, « pourrir la vie de Scorpius Draco Malefoy », une activité à plein temps, peut-être même le but de sa vie –en tout cas, il finissait sérieusement par se poser la question.
Quand il était entré à Poudlard, à l'âge de onze ans, il avait rencontré Albus Potter, avec lequel il s'était tout de suite lié d'amitié, en dépit de la rivalité de leurs pères respectifs. Ils avaient tous deux, à la surprise générale en ce qui le concernait, intégré la maison Gryffondor, et franchement, rien n'aurait pu rendre Scorpius plus heureux. Des amis et de l'estime en perspective étaient, à l'évidence, plus enviables que les têtes sinistres des élèves de Serpentard et le mépris du reste de l'école. Paradoxalement, c'était en ce jour à priori merveilleux qu'avait commencé l'Enfer de Scorpius Malefoy ; parce que Rose Weasley avait été envoyée à Serpentard, et parmi la multitude de Gryffondor à martyriser qu'il y avait dans l'école, elle l'avait choisi, lui.
« Rose », « Weasley », « Granger » ou n'importe quoi –elle pouvait bien s'appeler Marie-Catherine cela n'aurait rien changé, personnalisait pour lui tout ce qu'il détestait le plus. Déjà, pour aller dans l'ordre, c'était une peste, une garce, une sadique comme on n'en voit que dans les journaux à la rubrique « psychopathes ». Il se souvenait très bien du premier coup bas qu'elle lui avait fait, le jour même de la première rentrée scolaire –elle l'avait bousculé, rendu son emploi du temps avec un sourire qui l'avait dupé, et il ne s'était rendu compte que le lendemain, en arrivant en salle de Potions, qu'il aurait dû être en Métamorphose et que la garce avait ensorcelé son emploi du temps. Franchement, quand on est un gosse de onze ans, que c'est notre premier jour de classe, et qu'on fait presque dans son pantalon à l'idée de tout rater, débarquer dans la mauvaise salle de classe, puis en retard dans la bonne, en face de trente autres personnes qui vous regardent d'un air de pitié, ça vous traumatise pour la vie.
Cet épisode avait marqué le début d'une haine féroce. Avec les années, loin de s'assagir, « Weasley-Granger » s'était perfectionnée dans l'art de lui rendre la vie infernale. Quand la puberté était arrivée autour de quatorze-quinze ans, il avait dû subir des insinuations pire que douteuses et plutôt insultantes pour sa virilité naissante. Pas de poil au menton, mesdames et messieurs Scorpius Malefoy est en réalité une fille –oui, elle a essayé de le cacher toutes ces années mais… bon, inutile de replonger plus loin dans ses souvenirs –quoique les quelques mois pendant lesquels sa voix avait mué avaient compté parmi les pires de sa vie. Elle s'était assurée qu'il ne puisse en aucune manière oublier cette tranche embarrassante de son existence. Et pour parachever le tableau, figurez-vous que RW était d'une hypocrisie à vous donner la nausée, une faux cul passée professionnelle. Elle réussissait la prouesse de rudoyer tout camarade qui ne faisait pas partie du clan Serpentard ET d'être appréciée des professeurs, avec son sourire soi-disant charmant et ses notes frisant la perfection pure et parfaite.
C'était d'ailleurs pour cette raison –cette dramatique raison, que cette année, elle avait reçu, tout comme lui, l'insigne des préfets en chef. Les profs ne se rendaient pas compte de la folie qu'ils étaient en train de commettre : forte de ce nouvel avantage, il ne faisait aucun doute que RW en profiterait pour abuser de son pouvoir d'une manière encore plus flagrante que lorsqu'elle était simple préfète. Et il avait fallut qu'il écope du rôle d'homologue masculin de suprême-préfectude. Là, il n'était pas très honnête, sa première réaction en recevant l'insigne de préfet en chef avait tout de même été l'excitation, et son premier sentiment, la fierté. Mais maintenant, alors que le premier jour de sa septième –et dernière année, il y comptait bien- de harcèlement commençait, il en arrivait à se demander si c'était une si bonne chose que ça, d'avoir été nommé Préfet-en-Chef.
Scorpius poussa un bruyant soupir, qui lui attira un regard plein de compassion d'Albus. Il ne comprenait pas pourquoi elle l'avait choisi pour cible, et encore moins pourquoi ces bêtises continuaient de l'exaspérer autant –et même plus qu'avant, alors qu'à dix-sept ans, il était censé être un peu plus imperméable à ces attaques puériles qu'à onze ans.
-Garde ton calme, ok ?
La voix anxieuse d'Albus le ramena à la réalité. Il ne s'était même pas aperçu qu'ils arrivaient déjà en vue de la classe de Potions. Son œil exercé repéra immédiatement Rose Weasley, adossée avec négligence au mur poreux, près de la porte. Un véritable élan de haine lui contracta l'estomac, et il dut serrer les poings dans ses poches pour ne pas aller lui coller une paire de gifles. Merlin, comme il en avait rêvé, pourtant…des dizaines de fois, il avait frappé Rose Weasley dans son imagination, songeant à l'effet jouissif que cela ne manquerait pas de lui produire à l'instant où sa main entrerait en contact avec la joue de Weasley. En se rapprochant inexorablement de la classe, Scorpius observa l'ennemi, ses grands yeux argentés rétrécis en deux longues amandes. Les cheveux de Weasley avaient encore poussé pendant l'été –elle devait avoir un lien de parenté avec les chevaux. Sa crinière, car il s'agissait réellement d'une crinière, d'un auburn riche et outrageux, croulait en boucles un peu vagues jusqu'en bas de ses reins. Si les cheveux blonds de Scorpius étaient l'élément le plus remarquable dans sa personne, ceux de Rose Weasley étaient indéniablement le sien. Ils reflétaient à la perfection sa sorte de sauvagerie primitive. C'était une sauvage. Tout en elle le disait, depuis cette chevelure presque rouge à ses yeux d'un brun cuivré, terrestre, ourlés de cils bien noirs. Et ces lèvres insolentes…
La garce. La garce, la garce, la garce !
Il la regarda sans doute un instant de trop, car ses yeux bruns se désintéressèrent de Blake Parkinson (une autre peste, mais d'un genre moins travaillé) pour se planter droit dans les siens. Un sourire narquois s'étira lentement sur ses lèvres, un sourire que Scorpius connaissait bien et qui ne présageait jamais rien de bon. Elle rejeta en arrière sa toison de boucles et passa ostensiblement les doigts sur son insigne de préfète en chef, épinglé sur sa poitrine.
-Salut, Rose ! lança Albus pour casser le silence.
-Ce n'est pas parce que tu es mon cousin, Al, que tu peux t'octroyer certains privilèges –en particulier, celui de m'appeler par ce prénom ridicule, répliqua-t-elle d'un ton acerbe.
Oh, la princesse est de mauvais poil ce matin ? Scorpius réprima un reniflement de mépris, et se retourna pour saluer des camarades de Gryffondor qui s'étaient précipités vers lui –les filles au premier rang.
Car voilà. Scorpius Malefoy était aimé. Ce n'était pas de la vantardise, une simple constatation : tout le monde l'aimait, point barre. Garçons comme filles –pour des raisons différentes, bien sûr.
-Encore en train de se pavaner, Malefoy ? Pas que je m'attendais à autre chose de ta part, mais on aurait pu supposer que ta tête dégonflerait un peu au soleil.
-Il y a eu de la pluie tout l'été, Granger, lâcha-t-il machinalement.
-Oh, voilà qui explique tout.
-Rose…intervint Albus. Fiche-lui la paix, ok ?
Elle leur jeta un regard alternatif, un sourcil levé.
-Le petit Scorpy à sa maman ne sait toujours pas se défendre tout seul ? Al, tu es sûr que ton copain, c'est bien un garçon ? J'ai toujours eu des doutes, et je n'ai jamais hésité à les exprimer à voix haute –surtout que, d'après ce que je vois, toujours pas de poils au menton cette année, Malefoy ?
Blake Parkinson et Drev Zabini s'esclaffèrent sans rien dire, et il y eut quelques murmures- ou soupirs, parmi les Gryffondor, habitués à ce genre de scènes. Mais Scorpius, lui, ne s'y habituerait jamais ; le souffle court, les dents serrées, il s'intima au calme –il ne s'agissait pas de se donner en spectacle devant tout le monde, quand il était censé être un modèle de sang-froid. C'était un mensonge, bien sûr ; une partie du personnage social qu'il s'était créé, et qui lui attirait l'admiration de ses camarades.
Alors, encore une fois, comme il le faisait toujours, Scorpius refoula au fond de lui même sa frustration et sa colère, et opposa à Weasley un visage indifférent.
-Granger, tu es préfète-en-chef cette année. Essaie juste de montrer l'exemple, parce que j'ai bien peur que tu ne garderas pas longtemps ton insigne si tu continues de te comporter comme une gamine.
-Scorp'…soupira une nouvelle fois Albus.
-Je vois. Le petit Scorpy se prend pour un grand, et il pense pouvoir donner des leçons à tout le monde. Si tu as l'intention d'être ce genre de préfet-en-chef, pas sûr que ta côte de popularité en sorte indemne, Malefoy, le railla-t-elle. Ce serait dommage, vu que c'est la chose à laquelle tu voues ta petite vie, être populaire , toujours plus populaire –t'es vraiment du genre mégalo, pas vrai Scorpy ?
Elle avait toujours une longueur d'avance sur lui dans la répartie. Heureusement, son personnage de type cool et sympa avait le droit de laisser couler sur lui les insultes et de ne pas se donner la peine de répliquer. Il jeta un simple regard méprisant à Rose Weasley qui le lui rendit au triple, sourire carnassier en prime ; et se retourna vers Albus qui tripotait les courroies de son sac, entre malaise et exaspération. Le pauvre. Depuis six ans, il était l'impuissant spectateur des duels verbaux de son meilleur ami et de sa cousine –et ne parvenait jamais à prendre parti, de crainte de froisser l'un ou l'autre. Ça ne devait pas être marrant, comme position.
-Al, on rentre en classe ? l'invita-t-il d'un ton dégagé. Je crois que Luzia est déjà à l'intérieur…
Albus le suivit avec soulagement, mais Scorpius ne put s'empêcher de lui murmurer entre ses dents :
-Je croyais que tu l'avais briefée cet été ?
Sans attendre de réponse, il rejeta la nuque en arrière, et pénétra dans la classe le front haut. Ses yeux glissèrent une fraction de seconde vers Rose Weasley, restée à la porte. Il la surprit en train de le regarder –de le regarder comme si elle lui susurrait à l'oreille « je sais qui tu es vraiment, moi, et cette année je ferai tomber ton masque devant toute l'école…tu ne t'en relèveras jamais, Malefoy ».
Il se détourna, mais les jointures de sa main droite crispée sur ses livres blanchirent.
Qu'en pensez-vous chers lecteurs ? Mon histoire vaut-elle la peine d'être continuée ? Ce chapitre constitue un peu une « introduction », pour l'instant nous n'avons pas grand chose sur la personnalité de Scorpius et de Rose…mais ça va se dévoiler, petit à petit… C'est la première fois que je publie une fanfiction sur le net, it's exciting !
