Au cœur des catacombes de Paris se terrait une tanière grotesque dans un halo de noirceur. Des pans de pierres gargantuesques ressortaient des murs révélant l'antre de la cavité dont les fissures étaient envahies par des moisissures dégoulinantes et d'infâmes cloportes abondants. Ce palais baroque, tapis dans la poussière, était rempli d'opulence. Aucun être vivant ne s'aventurait vers cette demeure souterraine pour tenter d'y percer les mystères et les richesses. Affronter les enfers de la ville, nul n'était assez bornés pour braver ces ténèbres sans fin.
Sous l'égide d'Orphée se murait une ombre. La solitude silencieuse des dessous du théâtre était perturbée par cette maison aménagée même l'édifice où les pans de murs se confondaient avec la roche. Une agitation redondante surgissait en cadence, telles des touches que l'on frappait pour y faire rugir la mélodie. Des bruits inquiétants caressant l'onde du lac. Un chant calme, doux, envoûtant et violent berçait ce nouveau monde. Le maître de ces lieux régnait en seul souverain sur ce royaume de la nuit.
Emporté par la fureur de son œuvre, la volupté des notes volaient sur les vagues limbes des profondeurs. Des mains squelettiques ravissaient l'organe fébrilement. Elles en devenaient moites après plusieurs heures de passions effrénées. Son corps se mouvait comme secouée par des convulsions. Cette danse arabesque oscillant entre l'ivresse et les frissons s'éternisait, il écrivait malgré lui une cantate désespéré de sa destinée. Les émotions du passé le submergèrent suspendant tous ces gestes. L'ode devint muette et l'élan disparu.
L'inspiration avait cessé aussi vite qu'elle s'était emparée de lui. Il délaissa pour le reste de cette journée son labeur jubilatoire. Il émit un souffle léger, qu'on aurait pu apparenter à un soupir si l'air qu'il expirait n'était pas entravé par un fin tissu de toile noire. Il se leva lestement, ajusta finement ses boutons de manchettes, releva soigneusement son col et empoigna fermement son chapeau de feutre. Il lui restait, après tout, du travail dans son théâtre. Sans doute irait-il voir la nouvelle programmation avec les gestionnaires. Oui, c'était bien assez pour une journée de plus sur cette terre.
Enveloppé dans son manteau de velours, il s'embarqua sur la barrière ondoyante qui séparait sa maison du monde. L'humidité ambiante s'incrustait dans ses os, il semblait entendre ses articulations craquées sous l'effort des rames et tenta de contrôler la douleur aiguë qui brulait son être éthéré, comme à chaque fois qu'il eu l'audace de traverser ce terrible Léthé. Il eut un léger ricanement de satisfaction quand ces tremblements s'arrêtèrent. Il s'était habitué au tiraillement de ses intestins pour lutter contre la faim, il pouvait bien en faire de même pour le froid. Son rire s'éteignit en un râle roque qui prit sa place lorsqu'il réalisa que, sous peu, il se métamorphoserait réellement en une créature surnaturelle. Dénoué des instincts primaires, il ne savait plus s'il devait se nommer humain; même s'il ne fût jamais considéré comme tel.
- Ainsi je te rejoindrai dans les méandres de la ville...ma chère Sirène. Confessa-t-il à l'eau opaque du lac.
Il traversa le dédale périlleux d'instruments venant d'une époque révolue, avant de pouvoir enfin atteindre la clarté des sinueuses lampes à gaz qui recourbaient en leur sein la lueur fortunée de tragédiens. Emprisonné entre les murs, il épiait le grouillement incessant des artistes, machinistes, ménagères et autres vermines qui souillaient par leur impudence cet autel sacré de la musique. Il ignora ce vacarme grandiloquent des couloirs pour aller voir la clé de voûte de cet établi, les répétitions.
Sur les herses supérieures, il dominait le plateau où se jouaient en spectacle les prétendus artistes. La troupe s'était affairée en attendant les prochaines directives. Les rats de ballets se pâmaient devant les chanteurs et les choristes gloussaient sur les derniers ragots. La diva prenait rarement part à ces échauffements. La coutume ne dérogea point, il ne vit ni n'entendit aucun glapissement de la Carlotta. L'ennui fermenta l'agitation et lorsque le maître de chant, Monsieur Gabriel, daigna venir, il ne put calmer la cohorte de pies. Les machinistes étant déjà redescendus comblés leur harassante tâche par la chaleur de l'alcool, l'homme caché s'approcha de la scène.
-Tu as entendu! Il paraît que ... souffla une première choriste.
-Non, j'y crois pas, comment peut-on...s'exclama une deuxième.
-Moi ça ne m'étonne pas, il suffit de la regarder pour...
-Et c'est vrai qu'elle...
-Sûrement...
Dans le mouvement tourbillonnant de messes-basses, passa la Sorelli, conquérante des maximes éhontés. Son corps majestueusement élancé faisait rougir de jalousie n'importe quelle femme. Son fin menton relevé et ses yeux de braises suffirent à faire taire ces quelques vipères. Elle s'avança dignement vers Maître Gabriel.
-Monsieur, je n'ai pas entendu le titre de la nouvelle pièce.
-Justement, soupira-t-il, les gestionnaires hésitent encore entre plusieurs comédies...en attendant je pensais...
-Mais c'est inadmissible! Râla le baryton Carolus Fonta, vous nous faire venir pour rien et puis quoi encore! J'ai une réputation à tenir, et certainement pas celle de rester à procrastiné pendant les saisons!
Tous acquiescèrent en écho et la salle devint une cacophonie de protestations. Certains accompagnèrent ces meuglements de gestes démesurés et le pauvre Gabriel appuya sa tête contre ses partitions en signe d'abandon.
La silhouette en retrait scruta la scène avec désapprobation. Pathétique! Sous couvert de cette effervescence, il relâcha son attention. Au sein de ce capharnaüm jaillit un cri déchirant de terreur, une clameur faisant frémir l'assemblée de désarroi. Cette longue plainte incisive d'épouvante semblait frôler la vocifération aliénante de par sa puissance et sa soudaineté qui transperçait l'affreuse gaieté hilare de la foule.
L'ombre se focalisa sur la jeune fille qui avait émis ce hurlement. Il fixa ses yeux limpides et se noya dans leur éclat cérulé. Il ne se souvenait pas d'avoir déjà vu cette créature parmi ces abjectes insectes. Perdu dans ses réflexions, il prit conscience de sa grave erreur quand la foule commença à se retourner mécaniquement vers lui. Dissimulé dans le décor, il s'enfuit furtivement, traversant le sol sous le regard médusé de la jeune fille qui ne vit qu'une image vaporeuse disparaître tel un amas de fumée.
-Qu'est ce qui lui prend à celle-là ? Grogna la tête d'affiche Carolus.
Ce bel apollon, aux cheveux de cuivres et à l'allure androgyne emportait constamment l'adhésion de la troupe quand la Carlotta lui en laissait l'occasion. Il eut tout le plaisir aujourd'hui d'exercer son charme et son autorité naturelle.
- C'est vrai ça, elle l'a coupée pendant son grand discours! Ajouta l'une de ses ferventes admiratrices.
La jeune fille désemparée retint ses larmes face aux moqueries alors qu'elle ne s'était pas encore remise de cette étrange apparition. Le flot commença à couler, envahissant ses pâles joues. Tentant de cacher sa honte, elle rabattit ses mains sur son visage. Un rat de ballet, la jeune petite Jammes, s'avança doucement vers elle.
-Qu'as tu vu Christine ?
Christine émit plusieurs sons entrecoupés par les soubresauts de ses sanglots.
-Ah, c'est donc Christine son nom! S'exclama l'une des choristes.
-Attends, tu ne le savais pas alors qu'elle fait partie de votre troupe. Rétorqua l'un des danseurs.
- Et bien non, je l'avais à peine remarquée avant. Je croyais même qu'elle s'occupait de la couture. Je me demande comment elle a pu avoir ce poste.
-Oh tu sais, il n'y a pas milles façons d'avoir un poste lorsqu'on n'a pas de talent...
L'assemblé s'esclaffa de ces railleries dans un gras grouinement de basse cour. Christine avait séché ses pleurs et se contentait d'admirer le plancher, patientant que la risée se ternit. L'apollon écarta ses muses de son chemin dans une allée royale, pour aller se confronter à cette geignarde. Il lui prit brusquement le menton et lui releva indélicatement la tête comme s'il avait à faire à un bouffon.
-Bon tu vas nous dire ce que tu as vu pour te mettre à t'égosiller en pleine répétition, dit-il agacé
Christine formula quelques voyelles muettes, mais devant le regard menaçant de Carolus, elle déglutit pour trouver la force de continuer.
-Je...je ne sais pas...ce que j'ai vu. Ça avait la forme...d'un homme. Enfin...je suppose...je n'ai pu voir...que les contours de sa silhouette...le fond de la salle était bien...trop sombre...Bégaya-t-elle.
-Quoi ? Tu fais tout ce cirque parce que tu as entraperçu un homme sur les herses! Sans doute un machiniste. Ricana-t-il.
-Non, s'offensa Christine. Dans cette silhouette, j'ai vu deux lumières incandescentes qui me regardaient. On aurait dit des yeux...mais cela ne se peut...qui peut avoir des iris dorées qui brillent...ça ne ressemblait pas à un humain.
Un silence assourdissant s'installa gravement. On lui lançait des regards d'incompréhensions, de suspicions et de dédains. Quelques 'uns avaient les traits livides et les yeux fuyants comme s'ils avaient à faire au démon. Des murmures inaudibles soufflèrent de plus en plus scandant à l'unisson un seul nom.
-Le Fantôme de l'Opéra.
La petite Jammes souffla ce sceau maudit dans une cadence plus vive, prise par une panique pernicieuse qui assommait de peur la grande Sorelli mais qui exaspérait la petite Giry dont les yeux sombres fustigeaient toute cette assemblée. Christine se tourna vers ses alliés éphémères à la recherche d'explications. Carolus et la plupart niait son existence l'assimilant à une contine destinés à faire peur aux nouveaux. Les autres, affirmèrent avoir été témoin de phénomènes insolites. Alors que ce débat endiablé n'avait aucune issu, une main réconfortante effleura l'épaule de la jeune ingénue. Elle vit le chef machiniste Joseph Buquet lui adresser une grimace risible, les lèvres étirées de façon burlesque qui était censées formées un sourire.
- Tu sais ma ptite, y a bien un fantôme ici. J'lai vu de nombreuses fois. Il apparait toujours dans les hauteurs de la scène pour les répétitions. Mais bon, s'il y avait qu'ça. Les patrons lui donnent un salaire et une loge pour les représentations. Dit-il calmement.
Pendant son petit discours, un cercle s'était formé autour d'eux, avide de ce genre d'histoire. Joseph fût flatté par cette audience suspendue à ces mots.
-Attention à que ce tu vas dire, l'avertissait la chétive petite Giry. Peut être que ce cher Fantôme ne serait pas ravi d'être propulsé au devant de la scène.
Buquet la fixa gravement, quelques peu décontenancé. Mais devant les encouragements chaleureux de son auditoire, il se revigora de courage pour poursuivre son histoire. Un bourdonnement inquiétant commença à ponctuer son récit sans que personne ne le remarqua tant ils étaient accaparé par sa fable. Joseph ferma les yeux d'un air pensif et caressa sa barbe de sage avant de poursuivre, accompagné par des martèlements caquetants.
- Il srait un prisonnier de la Commune, mort enterré vivant dans les cachots des fédérés. L'injustice de sa condamnation l'ferait hanter son tombeau à la recherche de ses geôliers. S'il vous touche, c'est la mort assurée.
Il fit une pause solennelle appréhendant ses prochaines révélations. Il se retourna discrètement vers les herses, s'assurant qu'elles étaient vides. Le bruit sourd frappait en cadence plus fermement. Joseph cherchait l'origine de ses tambours lancinants, en vain. Quelques perles de sueurs suintaient de son front, il avait perdu toute assurance et tordaient dans tout les sens sa pauvre casquette de laine.
-J'lai vu une fois clairement Mamselle. C'était un soir, il y a quelques mois après les répétitions habituelles où j'finissais un travail. J'entendis des craquements, mais au début j'en t'nait pas compte. C'était surement les décors ou la bâtisse. Puis ça devint insistant. Quand j'me leva pour voir c'qui se passait, j'lai vu. J'pense pas qu'il savait qu'jétais là, autrement il se serait pas montré. Et surtout pas sous sa véritable forme. J'aurais préféré pas l'voir moi aussi, j'ai jamais rien vu de tel. Son corps paraissait difforme, tellement il était grand et maigre. D'ailleurs ses membres étaient trop allongés, on aurait dit qu'il était disproportionné. Il avait des yeux, comme la Mamselle à dit, jaunes perçants. Puis après... après..., suffoqua-t-il, il...il...y avait... son visage. Il était...
Le rythme des percussions s'emballa atteignant son apothéose dans un crissement strident, puis une voix chthonienne s'éleva pour envahir la scène. Les clameurs infernales venaient de partout. De la costière, du plafond et de la salle immensément vide. La foule se mit à crier de stupeur sous le joug des souffles malins. Elle bougea, remua et se déchaîna dans des réflexes irréfléchis. Entraîné par un élan de chaos; certains furent ébranlés, poussés, bousculés ; d'autres furent piétinés, terrassés et fauchés par leurs congénères. Le rideau se ferma sur cette fuite insensée qui interrompit ce premier acte. Dans cette tempête bestiale, Christine demeura figée face à la splendeur de ce tableau déconcertant.
Changement de décors à l'étage du dessus, de la scène en ébullition, au bureau calme des gestionnaires. Le directeur Poligny y humait avec délectation un cigare. Les affaires commençaient à remonter après quelques bénéfices bienvenus. L'absence de certaines menaces les avait aidé, avec Debienne, à remplir pleinement les caisses. Il fredonnait une bonne musique populaire en lissant compulsivement sa moustache. Son sourire victorieux, gravé sur son visage, se raidit lorsqu'il tria le courrier. Parmi toute cette harassante paperasse se détachait une lettre aux courbes de suscription écarlate. Il la tenait des bouts des doigts, avalant par mégarde trop de mégots. Il s'époumona quelques instants avant de retrouver son sang-froid. Il examina quelque longues minutes, les sourcilles perplexes, le papier froissé au creux de sa paume. Avec une lassitude habituelle, il empoigna le coupe-papier et déchira la bordure.
Messieurs Debienne et Poligny,
Je m'excuse d'avoir été si longtemps absent. A ce que je vois, après ce laps délai, vous avez réussi en un si peu de temps à baisser de façon significative la qualité artistique de cet établissement renommé. Fort heureusement pour vous, je suis de nouveau disposé à vous aider pour la gestion de cet Opéra.
Je vous prie de laisser cette musette de Polyeucte qui sera bien mieux adapté au foyer de danse où le grand talent de Sorelli pour la bacchanale sera mieux accueilli. Je vous propose de monter à la place, les Vêpres siciliennes de ce talentueux Verdi, pour la saison prochaine. Je vous serez grée de constituer une nouvelle distribution des rôles. Il serait lamentable de faire subir au public les nouveaux croassements de cette Carlotta.
Ces consignes sont bien entendues purement indicatives, ne pas les suivre ne viendrait qu'à ce que j'agisse moi même pour le bien de cet établissement.
Bien à vous,
F de l'O
PS: Il m'est désagréable de vous rappelez à l'ordre, mais je tiens à vous signalez que vous avez omis de me verser mon salaire mensuelle de vingt milles francs. Un tel manquement au cahier des charges peut être passible de renvoi selon l'article 98. Je suis persuadé que ce léger oubli sera rectifié et ne se reproduira pas.
Poligny s'étrangla à la lecture de ces inepties. Suivre les ordres d'un fou, il pouvait tout autant rendre son tablier et lui jeter les clés de la direction à ce fichu spectre. Ils en avaient déjà bien fait assez. Il repensa amèrement à cette loge gâchée mais surtout à la somme astronomique qu'ils leurs avaient reversé depuis des années, par crainte d'une catastrophe après plusieurs intimidations avérées. Il chiffonna la lettre et la jeta à travers la fenêtre. Bon débarras, et tant pis pour ces vils avertissements. Il n'avait cure de cette prolifération de réprimandes. De toute façon, se rassura-t-il, il préférait encore être renvoyé gentiment et laissé ce maudit établissement à de naïfs directeurs que de poursuivre dans cette pure vésanie. Il ouvrit le tiroir et s'alluma un nouveau plaisir coupable l'esprit serein, vide de toutes hantises.
Entre la pluie qui se déversait et le vent ravageur, un léger voile jaunâtre descendit du ciel pour se déposer délicatement dans une fine pellicule liquide, une flaque grisâtre de boue. Une main timide l'intercepta avant sa destruction et parcouru cet étrange objet. Christine n'eut le temps de s'attarder sur ces lettres sanglantes que l'averse commençait à ronger le papier. Elle courut jusqu'à chez sa protectrice Madame Valérius, la lettre cachée sous son corsage pour la préservée du déluge. Sa croyance la persuada de l'importance de ce hasard divin, l'ennui et les désagréments de la journée pouvaient bien être auréolés par la simple lecture d'une lettre envoyée du ciel. On ne savait si c'était sa naïveté, héritage de glorieuses histoires contées par son père, ou l'aveuglement face à la morne réalité qui déchaîna sa soudaine curiosité insatiable. Elle dévala la rue Mogador, les bottines glissant sur le pavé mouillé, ignorant les passants sur la chaussée ou les voitures embourbées dans les lézardes des dalles.
Son jupon était déjà trempé lorsqu'elle entrevit enfin son carrefour. Essoufflée et imbibée jusqu'à la moelle, elle se délectait en avance de ressentir l'air chaud de la maison. Au pas de la porte, elle entama un travail d'orfèvre pour ne pas la faire grincer et pouvoir aller se cloîtrer directement dans sa chambre. Mais une voix usée tel la rouille oxydée d'un bel instrument l'interpella dans le couloir et compromis ses projets immédiats. Christine mit à mal sa patience et dans sa bonté se prépara à égayer la triste journée de sa protectrice. La vieille dame était clouée dans son fauteuil, les yeux vitreux qui divaguaient, ses cheveux grisonnants se perdaient dans son chignon serré, et son corps se confondait avec la texture de sa robe noire. Alités sur son cercueil moderne, elle ne posait plus que les banalités d'usages. Christine répondit succinctement sans révéler les nouveautés fantastiques qui émergeaient à l'Opéra.
-C'est très bien ma petite, continue comme ça. Ton père serait fier de toi. Récita-t-elle, comme d'habitude.
Christine lui adressa un léger sourire pour lui faire plaisir et prit ses vieilles mains rêches dans les siennes encore humides, en guise de gratitude avant de se retirer.
Une fois confinée entre les murs sécurisants de sa chambre, elle sortit délicatement la lettre. Elle la posa sur son chevet et lissa du mieux qu'elle put les plis; découvrant avec consternation que l'eau qui s'était insinuée dans ces fibres avait filtré des filets d'encres en de larges trainées perlés de larmes vermeilles. Elle fut déçue de ne pouvoir la lire dans son intégralité. L'écriture pourpre était petite, condensée et la calligraphie désordonnée comme celle d'un jeune enfant. Seules les initiales ressortaient, F. de l'O.
Christine s'allongea gauchement sur ses draps, la lettre encore entre ses mains, près de son cœur. Elle se mit à penser à cette fascinante étrangeté qui l'accablait inexplicablement de peur et de curiosité macabre. Un souvenir lointain où son humble père lui récitait des légendes d'une contrée sauvage du Nord, infestée de korrigans surgie de sa conscience. Perdue dans les turpitudes mélancoliques de son esprit, elle somnola et rejoignit l'empire des songes.
