Petit OS non-prémédité. Histoire de dire que j'existe toujours et que je reprends du service dès la fin de mes partiels (dans deux semaines tout pile).
Possibilité d'une suite, mais pas dans l'immédiat.
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Transparence.
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Le jet d'eau s'est tari et le silence a repris ses droits. L'air est moite, le siphon obstrué ; en se déplaçant, les pieds de Tracey génèrent des éclaboussures qui résonnent contre le bac de douche.
Millicent, à l'inverse, est figée devant l'évier, tendue comme un animal aux aguets. Ses yeux noirs sont rivés sur sa droite, là où elle devine les contours de sa camarade floutés par la buée qui recouvre la paroi de verre. Elle était juste entrée récupérer sa gourmette, et là voilà pétrifiée, le bijou dans sa paume large, en train d'épier Tracey Davis.
Ce voyeurisme a quelque chose d'exaltant en même temps qu'il alimente une frayeur qu'elle ne parvient pas à réfréner. Elle ne veut pas comprendre, mais a-t-elle un autre choix ?
Derrière le voile de vapeur, Tracey a la peau rose et brûlante. Ses cheveux clairs ondulent en cascade humide jusqu'à ses reins. Un parfum d'abricot embaume la pièce tandis que la mousse entreprenante descend insidieusement le long de son front. Elle actionne le robinet en hâte pour lutter contre l'invasion… Sous la brûlure de l'écoulement elle échappe une inspiration bruyante et cambre brièvement le dos.
Millicent n'a pas bougé. Trop stupéfaite pour avoir honte, elle a oublié tous les beaux préceptes qu'on a pu lui inculquer – même s'ils reviendront la hanter plus tard. La silhouette imprécise a révélé au grand jour une vérité qu'elle avait tenue longtemps scellée dans l'opacité impénétrable de son inconscient.
Si l'image est vague, les formes de ce corps n'en sont pas moins observables. On devine bien ces seins de femme, et la pointe plus sombre à leur extrémité ; le fessier rond ; et dans le creux de ses cuisses accolées on suppose – Millicent a la gorge de plus en plus sèche – le fameux triangle duveteux et les reliefs de son intimité.
Elle voudrait se défaire de sa contemplation mais il serait plus aisé de lutter contre l'emprise d'un sortilège noir…
Tracey frotte son ventre, tourne sous le pommeau en jetant sa figure vers l'arrière.
Soudain tout s'enchaîne très vite :
Le filet d'eau s'amenuise et disparait, la porte vitrée coulisse, Millicent amorce un geste pour s'enfuir, lequel n'a d'autre effet que d'avertir Tracey de sa présence et d'attirer son attention sur elle.
La voyeuse se détourne et présente à sa victime inopinée une nuque écarlate. Pourtant ses orbes coupables s'attardent sur le miroir qui lui fait face, là où le reflet de sa camarade la fixe avec aplomb, nue, avant de lentement s'enrouler dans une épaisse serviette en coton. Le cœur de Millicent palpite selon un rythme chaotique. Elle est sûre qu'elle n'oubliera jamais cette vision.
Tracey quitte la salle de bain sans un mot, le visage dénué d'expression. Dans le cadre doré, son buste s'éternise encore une seconde, juste le temps d'envoyer un baiser à Millicent qui aussitôt rougit de plus belle.
Il est clair pour Millicent, désormais, qu'elle ne veut pas d'un homme dans son lit. Elle se demande même comment elle a pu accorder foi si longtemps à cette mascarade. Sa tête lui tourne un peu. Elle s'appuie sur la céramique pour retrouver son calme, et surtout pour écarter de ses souvenirs la nudité dérangeante – et ô combien désirable ! – de Tracey Davis.
Il ne lui viendrait évidemment pas à l'esprit que sa camarade puisse ressentir à l'avenir des attirances similaires…
