Chapitre 1 –
Un vent chaud soufflait sur les ruelles new-yorkaises. Peter Parker était en colère. Le temps extrêmement maussade n'était pas responsable de sa mauvaise humeur. Les ruelles sombres et désertes non plus. S'il devait résumer à sa vie, il la décrirait comme étant pitoyable.
Il ne voulait pas être dramatique, mais cela était la pure vérité.
Pitoyable était le mot le plus juste pour décrire le fil de sa vie. D'accord, certes ; il avait hérité d'un don absolument incroyable, un don que de nombreuses personnes rêveraient d'avoir, un don qui le faisait briller et accomplir l'irréalisable. Seulement, combien de temps allait-il devoir en payer le prix? Jusqu'à ce qu'il soit seul, qu'il ait tout perdu et qu'il n'ait plus personne? Cela en valait-il la peine?
Son oncle Ben lui avait dit que de grands pouvoirs s'accompagnaient toujours de responsabilités toutes aussi grandes. Peter réalisait surtout que ce genre de pouvoir ne lui permettait pas d'aimer, d'avoir une famille ou de construire quelque chose de durable. Et ceci, tout simplement parce que cela était bien trop dangereux. Pas pour lui, évidemment, mais pour les personnes qu'il aimait et qu'il laissait entrer dans sa vie.
Le visage éteint et vide, Peter donna un coup de pied dans une canette de soda qui traînait par terre et maudit le jour de sa naissance. Il avait, au fond, toujours été destiné à perdre les gens qu'il aimait. Tout avait commencé le jour où il avait perdu ses parents. A présent, il n'avait plus que sa tante.
Peter n'avait pas pour intention de faire pleurer dans les chaumières mais il avait besoin de se plaindre un peu.
Il lui restait bien Harry Osborn, son meilleur ami, mais comment allait-il pouvoir le regarder dans les yeux, alors qu'il était pratiquement responsable de la mort de son père? Ce n'était pas de sa faute, bien sûr. Mais Harry pouvait-il seulement le comprendre? Pourrait-il pardonner à Spider-Man, même s'il savait la vérité? Peter en doutait.
Il y avait également Mary Jane Watson, la femme dont il était amoureux depuis ses huit ans. Le rêve de sa vie. Elle venait enfin de lui avouer ses sentiments et Peter avait dû lui mentir. Pour son bien. Quoi de plus pathétique, n'est-ce-pas, que d'attendre toute sa vie quelque chose, que l'on doit abandonner une fois que nous l'obtenons?
Autrefois, penser à Mary Jane suffisait pour qu'un millier de sensations secoue son corps et pour qu'il ait envie de crier tout ce qui bouillonnait en lui. A présent, cela lui donnait envie de craquer son costume d'araignée contre celui d'Ant-Man pour partir vivre à jamais dans une fourmilière.
Qui pensait au bien de Peter? Et à celui de Spider-Man?
Personne, au fond.
Personne ne creusait cette surface. Personne ne cherchait à voir plus loin que le visage souriant de Peter.
En revanche, tout le monde souhaitait arracher le masque de Spider-Man. Si les gens pouvaient le dépecer entièrement, ils ne s'en priveraient pas. Il était devenu une bête de foire. Combien s'interrogeaient réellement sur ses sentiments, ses motivations ou ses sacrifices?
Ils passaient leur temps à cracher sur ses pas et à le caressaient dès qu'ils avaient besoin de lui. Pour le détester il y avait du monde, pour lui demander de l'aide il y en avait aussi, mais pour montrer un peu de compassion à son égard et une pincée de gratitude ou de reconnaissance, il y en avait tout de suite beaucoup moins.
Ce dont Peter avait besoin, à cet instant, était de casser la figure à quelqu'un, pour se défouler jusqu'à en être vide de l'intérieur. Là aussi, New-York semblait ne pas être capable de lui offrir ça. L'atmosphère était désespérément calme.
C'est donc l'esprit embrumé par la fatigue et la lassitude, que le jeune homme se perdait en se faufilant d'une rue douteuse à l'autre. Il voulait intervenir. Il espérait que quelque chose se présente à lui. N'importe quoi ; une agression, un braquage, un viol, une course poursuite, une chanson...
Une chanson?!
Peter sursauta en prenant compte de la voix qui chantonnait derrière-lui. Il se retourna en fronçant les sourcils sous son masque. Il ne voyait personne, mais la voix persistait et devenait de plus en plus audible.
– «Dans son costume d'araignée il est super vilain, mais on a tous envie de lui faire un super câlin.», chantait la voix.
– Qui est là? demanda Peter avec méfiance.
Quelqu'un était alors apparut devant lui. L'obscurité qui l'englobait poussait Peter à plisser les yeux afin de pouvoir l'analyser. Il portait un costume rouge et noir qui recouvrait totalement son corps. Peter le classa instinctivement dans la catégorie «ennemis», en apercevant les nombreuses armes que possédait l'étrange individu. Peut-être qu'il allait l'avoir, finalement, sa foutue bagarre.
C'était sans doute juger un livre en fonction de sa couverture, mais ce soir là ce n'était pas ce qui le préoccupait.
– «Le voilà : notre ami Spider-Man», continua l'autre en levant les bras vers lui, pour montrer que cette chanson lui était adressée. Je suis plutôt d'accord avec le type qui a écrit cette chanson. J'ai bien envie de te faire un super câlin, car tu es encore plus mignon en vrai.
L'homme fit un clin-d'œil qui se voulait charmeur à Peter. Ce dernier crispa sa mâchoire. Sur quoi était-il encore tombé?
D'ailleurs, en effet : sur quoi était-il encore tombé?
– Qu'est-ce que c'est que ça? s'étonna Peter en le dévisageant avec plus d'attention.
– Je l'ai entendu dans le métro, le gars est plutôt sympathique. Il est là tous les jours sauf le week-end, si ça t'intéresse. On a bu une bière ensemble mercredi soir pour parler un peu de toi, je voulais savoir si..
– Je ne parlais pas de la chanson! s'agaça-t-il. Je parlais de toi et de ton accoutrement.
Peter n'avait aucune difficulté à imaginer un large sourire s'étirer sur le visage de l'homme, malgré son masque et l'obscurité de la ruelle. Il ne le comprenait absolument pas et son attitude le mit rapidement sur les nerfs.
Perdant patience et après de longues minutes de silence, il décida qu'il a suffisamment gaspillé de son temps. Il avait encore des rues à arpenter dans la solitude et l'ennui.
– Attends! rit l'homme en s'empressant de le retenir par le bras, alors qu'il commençait à s'éloigner.
Peter se dégagea violemment et le foudroya d'un regard sévère. Pour qui se prenait-t-il?
– Je m'appelle Wade Wilson. On me connaît surtout sous le nom de Deadpool,.
– Oh! s'exclama Peter avec un enthousiasme feint. Jamais entendu parler.
Le dit Deadpool se plaqua ses deux mains sur son cœur et Peter pensa un instant qu'il allait s'évanouir. Si jusqu'alors il trouvait ce type étrange, il était absolument certain, à présent, de se trouver face à un déglinguer. Cela pouvait être vraiment dangereux car en plus de ne rien savoir sur lui, ce Deadpool avait l'air imprévisible.
Un gars imprévisible avec de nombreuses armes sur lui, ne pouvait rien amener de bon.
Il observa d'ailleurs avec méfiance toutes les armes qu'il portait. Pourquoi en avait-il autant? Peut-être avait-il en face de lui un fan, qui portait un costume quasiment semblable au sien et des fausses armes. Il allait lui poser quelques questions sur ce sujet lorsque «Deadpool» souffla en se grattant le menton :
– Bon, il faut dire que tu as la cote, toi, en ce moment. Il est très difficile de ne pas entendre parler de toi. Moi c'est.. différent. En général, les gens n'aiment pas trop ce qu'ils savent sur moi, sauf si je les intéresse. Qu'est-ce que ce gars a dit, déjà, lorsque tu t'amusais à sauver les petits enfants et ta bonne femme?
Deadpool faisait mine de réfléchir, mais avait l'air de très bien savoir ce qu'il allait dire.
– Ah oui, c'est ça! Merci les gars, reprit-il en levant les yeux vers son front. «T'en prendre à l'araignée, c'est t'en prendre à New-York.». Plutôt touchant. Je me demande combien de temps ça va durer.. je prends les paris sur.. une semaine. Allez, disons deux. Et vous? Vous en dîtes quoi? Bon. Je prends note. Vous me devrez trente balles si je gagne.
Les sourcils froncés, Peter ne lâchait pas cet individu du regard. Il était totalement largué par ce qu'il venait d'entendre et les informations avaient du mal à passer dans son cerveau.
– A un moment donné, tu redeviendras la personne la plus détestée de New-York, alors que tu passes ton temps à sauver les fesses de ses habitants.
Un peu déstabilisé par le discours qui venait d'être tenu sous ses yeux, le jeune homme reprit soudainement ses esprits et se recula d'un pas incertain. Il n'y a plus aucun doute à avoir, ce Deadpool était complètement barge et psychopathe sur les bords.
Le traquait-il?
Peter avait déjà entendu ce genre de discours. Le bouffon vert en avait tenu un quasiment identique. «En dépit de tout ce que tu as fait pour eux, ils finiront par te détester.» lui avait-il dit. Un sentiment de haine le ravagea alors.
– Vous me suivez depuis tout ce temps? cracha-t-il, heureux de pouvoir enfin aligner quelques mots. Vous n'avez rien fait pour m'aider, j'en déduis donc que nous ne sommes pas du même camp. Vous délectez-vous du malheur des autres?
– Tu t'en sortais à merveille tout seul.
– Une vingtaine de personnes ont failli perdre la vie! Il y avait des enfants! La mort du père de mon meilleur ami aurait pu être évitée! J'étais en très mauvaise posture durant le combat, j'étais à deux doigts de me faire massacrer!
– Ce n'était pas mon film, je ne pouvais pas intervenir, répliqua-t-il avec un calme déconcertant. Pas la peine de t'en prendre à moi. Je savais que tu n'allais pas mourir. Ils ont prévu de faire une trilogie, alors une trilogie de Spider-Man sans Spider-Man, ce n'était pas possible, tu comprends bien...
Peter haussa les sourcils et le dévisagea avec inquiétude. Il comprenait une chose, c'est que ce «Deadpool» était totalement détraqué.
– Qu'est-ce que vous me voulez? siffla Peter en croisant les bras sur sa poitrine, préférant passer à autre chose.
– Pourquoi être si agressif, Spidey? Tu vas vraiment finir par briser mon pauvre cœur en agissant de la sorte. Même ma planche-à-repasser est moins raide que toi. Moi je viens en ami, ou en amant c'est comme tu veux, et toi tu sors ton venin sans aucune raison. C'est vraiment très bas, je m'attendais à un accueil un peu plus chaleureux. Après tout on se ressemble tous les deux, le rouge est également ma couleur fétiche.
– Qu'est-ce que vous me voulez? répéta Peter en soupirant lourdement.
– Il faut dire que, franchement, l'araignée c'est pas très malin, continua l'homme en l'ignorant royalement. Personne ne les aime et tout le monde passe son temps à les écraser. Ce n'est pas la peine de me regarder comme ça. Je ne dis pas que j'approuve ce qui leur arrive. Je ne le comprends pas, d'ailleurs. Sous prétexte quelles sont différentes et possèdent huit pattes, ils en font quelque chose de répugnant et décident qu'il faut les exterminer. C'est injuste, tu ne crois pas?
Il s'arrêta un instant, patientant pour une réponse qui ne viendrait jamais, avant de reprendre avec enthousiasme :
– Moi si je devais être un insecte, j'aimerais bien être..
– Qu'est-ce que. Tu. Me. Veux, le coupa Peter, en laissant tomber le vouvoiement.
– Quoi? grommela Deadpool en levant les yeux au ciel.
Peter se demanda s'il était en train de se jouer de lui. Allait-t-il sincèrement le faire répéter sa phrase une quatrième fois? Il se rendit rapidement compte qu'il n'était pas en train de s'adresser à lui.
– Non, soupire Deadpool. Pas question. C'est encore trop tôt, il n'a jamais entendu parler de nous encore. Oui, c'est sûr, vous avez raison. Le mieux c'est d'attendre demain ou après-demain, parce que la première chose qu'il fera ce soir, c'est d'aller sur wikipédia faire des recherches sur moi.
– Excusez-moi, mais à qui est-ce que vous parlez? Vous avez une oreillette ou quelque chose comme ça? C'est une blague, quelqu'un veut se payer de ma tête? Si c'est le cas, sachez que ce n'est absolument pas le moment et que ça n'a rien de drôle.
– Je suis en train de parler à la créatrice de la fiction et aux autres. Elle aimerait que je te plaque violemment contre le mur et que je t'embrasse jusqu'à t'en faire rougir les lèvres.
Peter se mit à déglutir difficilement en reculant une nouvelle fois d'un pas hésitant.
– Non, c'est vrai que ce n'est pas ce que tu m'as dit, sourit Deadpool, mais tu crèves quand même d'envie que je le fasse. Comme tous les gens qui lisent cette fiction d'ailleurs. Ou peut-être pas cette fiction en particulier, mais ils rêvent tous de voir cette scène arriver. Il faut dire qu'on est trop shippable, toi et moi, explique-t-il en s'adressant cette fois à Peter. Tu veux savoir comment on nous appelle?
– Je n'ai pas de temps à perdre avec vos idioties. J'ai passé une semaine abominable. Et, si vous vous voulez tout savoir, j'ai passé une année abominable! Je ne comprends rien à ce que vous me racontez. Maintenant, si ça ne vous dérange pas et si vous n'avez pas l'intention de me tuer ou de vous battre, je vais tranquillement retourner chez moi.
– Cool! s'exclama alors l'individu en se frottant les mains. C'est où chez toi?
– Et, bien entendu ; vous allez rester ici, ou où vous voulez, mais vous allez me laisser tranquille.
– Mais...
– Je ne suis pas ravis de vous avoir rencontré et je ne vous souhaite pas une bonne soirée.
Sur ces mots, Peter lança une toile pour se dégager le plus rapidement possible de la ruelle. Heureusement pour lui, les bandits de New-York semblaient s'être réveillé. Il avait de quoi se défouler un peu. Il était rassuré de voir que malgré cette rencontre des plus étranges, il avait toujours autant envie de se battre.
Cela ne lui ressemblait pas. Il avait juste besoin de cogner.
Après deux bonnes heures de vagabondages, Peter rentra dans l'appartement qu'il partageait avec Harry. Il retira son costume et son masque, afin se vêtir de ses vêtements habituels, puis pénétra à l'intérieur. Il tomba sur son meilleur ami qui dévorait un livre, complètement affalé sur le canapé du salon.
– Peter! s'exclama-t-il en se levant brusquement, le faisant sursauter. Que s'est-il passé?
Le journaliste haussa les sourcils, ne comprenant visiblement pas à quoi Harry voulait faire allusion.
– Ton visage... il est en sang.. expliqua-t-il en palissant légèrement. Comment ne peux-tu rien sentir?
– Oh, souffla-t-il en passant ses doigts sur ses lèvres et ses paupières gonflées. Ce n'est rien du tout. Je n'ai même pas mal. D'ailleurs ça va rapidement s'arranger.
– Rien du tout? répéta Harry en encerclant son visage dans ses mains, afin de mieux l'observer. Qui t'a fait ça?
– Aucune idée, mentit Peter en repoussant gentiment son meilleur ami pour se servir d'un verre d'eau. Je me suis retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Deux types étaient en train de se battre parce qu'ils avaient un peu trop bu. J'ai voulu m'interposer et ça s'est retourné contre moi. Ce n'est rien je t'assure. La preuve : je n'y pensais même plus.
Harry le dévisagea durant des secondes qui lui semblèrent interminables. Il semblait lui sonder totalement l'âme, souhaitant sans doute déchiffrer le faux et le vrai. Harry le connaissait un peu trop bien et Peter savait qu'il était également assez intelligent pour assembler les indices. Et des indices, il y en avait tout un tas ; ses absences constantes, ses blessures, sa musculature qui s'était étrangement développée, son aptitude à mettre quelqu'un à terre alors qu'il n'avait jamais fait de mal à une mouche auparavant.
Peter avait peur de perdre l'amitié qui le liait à Harry. Le jeune homme avait été son seul véritable ami, le seul qui l'avait accepté comme il était et qui ne s'était jamais moqué de lui. En détestant Spider-Man et en voulant sa mort, Harry souhaitait inconsciemment la mort de Peter. Si le proverbe disait vrai et que la vérité finissait toujours par éclater, comment cela se terminerait-il? Par la haine? La mort? Le pardon?
– Je vais bien, je t'assure, le rassura Peter en posant son verre dans l'évier. Je monte, j'ai des cours à préparer. Avec la rentrée qui approche et mon boulot, je n'ai pas le temps de chômer!
– D'accord. Je ne mange pas ici ce soir. Je sors avec...quelqu'un.
– Une femme? demanda Peter en haussant des sourcils curieux et amusé.
Harry lui offrit un sourire indescriptible et se saisit de sa veste. Son ami sortit sans même lui répondre et claqua doucement la porte derrière lui.
Peter grimpa à l'étage et laissa tomber son sac au pied de la porte de sa chambre. Il se jeta ensuite sur son lit, en se saisissant de son livre de biologie. Même si les cours n'avaient pas encore commencé, il devait prendre de l'avance. C'était ce qu'il avait à faire, s'il voulait continuer à enfiler son costume et combattre le crime. C'était important, sinon il allait foirer son année. Et il ne pouvait pas se le permettre. La payer lui coûtait déjà pratiquement ses douze mois de salaire.
Il n'arrivait pas à se concentrer. Il n'avait qu'un seul mot au bout des lèvres. Deadpool. Que lui voulait-il exactement? D'un geste, il ouvrit son ordinateur, déterminé à découvrir qui était ce type.
