Francis ne sentait plus la douleur dont il s'était senti submergé… quand déjà ? Il ne s'en souvenait même plus. Le sang, les hurlements de douleur, le désespoir, la douleur… encore. Mais alors, pourquoi se sentait-il si serein ? Il se savait allongé, enroulé dans une chaleur agréable. Etait-il mort ? Doucement, les visages de Jeanne et de son dauphin, le nouveau Charles, lui vinrent à l'esprit et ses yeux s'ouvrirent brusquement.
La nation regretta immédiatement ce mouvement en voyant qu'elle se trouvait dans une chambre richement fournie. Se doutant du pourquoi de ce luxe soudain, retint une larme de rage, il aurait encore préféré se réveiller dans un cachot sombre et humide !
« Pourquoi faut-il que je survive… ? » pensa-t-il, désespéré.
La porte s'ouvrit, mais il ne daigna pas tourner la tête. Voulant porter ses mains sur ses yeux, il se rendit compte que ses poignets étaient enchaînés. Son ennemi lui avait au moins accordé ça.
« Enfin réveillé à ce que je vois. » dit Arthur d'un ton narquois. « Nous allons donc enfin pouvoir passer aux choses sérieuses. »
L'Anglais se sentit assez contrarié par le manque de réaction de son adversaire, mais il ne s'en formalisa pas. D'un pas déterminé, il s'approcha du lit, saisit la chaîne qui entravait le captif et la tira vers lui, forçant Francis à se redresser et lui faire face. Ce dernier se laissa faire, trop abattu pour protester. Ses mouvements ressemblaient à ceux d'un pantin, voire d'un cadavre. S'il n'avait pas été aussi fier de sa victoire aussi écrasante qu'inattendue (il avait bien cru perdre l'espace d'un instant), Arthur aurait trouvé ça malsain. Plaçant fermement sa main sous le menton du Français, il le força à le regarder droit dans les yeux. Les yeux verts, durs et fiers, plongèrent dans le bleu mélancolique et désespéré de ses semblables.
Le regard triste se durcit alors. Jamais Francis n'avait autant eu envie de frapper quelqu'un. Cela n'impressionna pas pour autant la nation face à lui, au contraire, celle-ci eut un sourire amusé.
« Tu auras beau me regarder comme ça, cela ne changera rien à ta position, France ! » lui fit-il remarquer. « Tes terres, ton royaume, tout… » il approcha doucement son visage près de l'oreille et chuchota cruellement : « … m'appartient. Et même toi, tu es mien. Mine. »
L'aîné frissonna. Le sourire d'Arthur s'élargit et il commença à caresser doucement le visage de l'autre blond tout en lui mordillant le lobe. Francis le repoussa et planta de lui-même son regard dans celui de son désormais tortionnaire. L'Anglais tenait encore la chaîne dans l'une de ses mains, et le toisait. Bien qu'il reste silencieux, il l'entendait clairement ricaner :
« Qu'est-ce que tu penses pouvoir faire ? Si tu fuis, tu abandonnes ton peuple, et tu n'as nulle part où te cacher ! »
Le vaincu serra les poings si fort que ses ongles, pourtant courts, s'enfoncèrent dans ses paumes et que les jointures de ses mains devinrent blanches. De toute façon, il ne pouvait plus rien faire, son dernier espoir avait rendu l'âme dans la dernière bataille. Un autre frisson faillit le parcourir alors que le souvenir du dauphin, gisant dans une mare de sang, les mains tendues, comme pour s'accrocher à la vie qui le quittait, les yeux entrouverts… avant de ne plus bouger, lui revint en mémoire. Il ressentait le désespoir de son peuple au plus profond de son être, si eux refusait de continuer de se battre, à quoi bon perpétuer un massacre inutile ? Un soupir lui échappa.
« Si je fais ce que tu veux, si je me soumets… » articula-t-il difficilement. « …me promets-tu de ne pas persécuter mon peuple ? »
Arthur écarquilla les yeux. Il ne s'était pas attendu à cette demande, s'étant préparé à être insulté, il ne put répondre du tac au tac. Il réfléchit quelques secondes, il pouvait bien s'arranger pour que le peuple français soit bien traité, mais rien ne serait garanti. Et s'il voulait gagner du temps avec son nouveau vassal, il valait mieux le caresser dans le sens du poil tout en le domestiquant fermement.
- Je ne peux pas te promettre qu'il n'y aura aucune querelle. » répondit-il franchement. « Mais si ça te tient tellement à cœur, je verrais ce que je peux faire, à condition… » la chaîne fut tirée vers l'avant. « …que tu te tiennes correctement, comme tu l'as toi-même suggéré. Si tu m'obéis, tout sera plus facile, tu l'as bien compris. »
C'était déjà ça. La sécurité et le bien-être des Français passaient en priorité à présent, et bien que cela lui fasse mal, il devait ravaler sa fierté. Pour son peuple, qui avait déjà tant souffert au cours de cette guerre.
- Serais-je constamment enchaîné ? » demanda Francis après avoir hoché la tête.
- Seulement si tu essaies de t'enfuir, ou si tu te montres trop rebelle.
Une idée traversa alors l'esprit du pays conquis. C'était peut-être un peu risqué pour lui, mais en principe, cela ne devrait pas donner des répercussions disproportionnées sur son peuple. Arthur le voulait, l'avait conquis par la force, alors il allait devoir l'assumer !
« Très bien. Alors, passons aux choses sérieuses, comme tu l'as si bien dit tout à l'heure. » dit-il étrangement calme, un sourire aux lèvres.
L'Anglais eut un mouvement de recul, ce sourire l'avait pris au dépourvu. Il n'avait pas pensé que celui qui allait faire désormais partie de son empire se montre aussi docile si tôt. Cela devait cacher quelque chose. Quoique, les soldats avaient tous baissé les bras et n'avaient opposé aucune résistance dès que Charles VII avait été tué. La perte du dauphin avait été un grand coup, décisif, c'était sans doute une des raisons qui poussait son ancien adversaire à se plier aussi facilement.
Il ordonna à Francis de se lever, et de vêtir les vêtements qui avaient été préparés pour lui, ou plutôt pour la cérémonie. Celle de leur « mariage ». Ce dernier ne se le fie pas dire deux fois, mais il demanda cependant s'il avait droit à une certaine intimité, le temps de se changer. Cela lui valut une moquerie de la part de son cadet : « tu es pudique, maintenant ? ». Mais contrairement à ce qu'il s'attendait, le Français se contenta de sourire une nouvelle fois tout en se déshabillant, tant bien que mal étant toujours attaché. Une fois nu, Arthur dut se résoudre à desserrer les chaînes qui le retenaient et l'aider à enfiler sa tenue, sinon il aurait encore attendu deux heures (et il avait assez attendu comme ça). Une fois habillé, il suivit l'Anglais.
Ses entraves lui furent enlevées peu de temps après, pour la cérémonie. Bien sûr, il était absolument pour cette union, personne ne le forçait. Cette hypocrisie l'énervait, mais il n'avait pas vraiment d'autres choix pour le moment. Arthur ne put se retenir de sourire victorieusement, il regarda une nouvelle fois son futur « époux ». Francis lui rendit son sourire (ce qu'il commençait à trouver sérieusement inquiétant) avant de dire d'une voix calme :
« Tu sais, je ne fais ça que pour mon peuple. » ses yeux s'assombrirent. « Je te hais, Angleterre. »
L'interpelé ne put retenir un tressaillement, mais il se reprit très vite et répondit :
« Cela changera sans doute, avec le temps, Francis. »
De toute façon, leur vie commune ne serait pas amusante si son rival ne résistait pas ne serait-ce qu'un peu au début, non ?
